Moon's Ablaze ✘ Dara Henrickson

Quelques jours après le bordel, la princesse en fuite errait dans un nouveau repère. Malgré la clarté de ses intentions, les événements désordonnés n’arrivaient guère à se concorder dans le fil de ses pensées. Les visages quittaient sa mémoire : seules des symboliques continuaient de la hanter. Sans cesse. Sans air, englobée d’eau bouillante, son corps semblait se mouvoir dans l’absence de gravité comme si elle se trouvait déjà dans l’espace. La chevelure splendide et noire d’une déesse lui revint en tête, mais le cauchemar lancinant de la terrible Komand’r suffit à provoquer la détresse émotionnelle de la créature.


Suscitée par ses propres démons intérieurs, Koriand’r surgit hors de son bain. Sa tête sortant de son apnée qui avait duré une petite éternité, la blonde au regard pâle, quasi-inexistant détailla la salle de bain autour d’elle.


Des nouvelles fringues l’attendaient : plus élégantes, plus robustes que ses précédentes. Le souffle saccadé par la nervosité, Kory ressentit tous ces effluves naturels, fronçant ses sourcils et se relevant avec difficulté afin de ne pas glisser dans la baignoire gigantesque. La peau glaciale de la créature la déstabilisa, de même que lorsqu’elle put ressentir les coupures sur ses chairs. Spécialement celle à sa gorge qui la cernait largement : ne pouvant s’évoquer aucun souvenir de ces accidents multiples, la jeune créature eut la décence de se vêtir. Le reflet de ce miroir brisé, fracturé en plusieurs pièces lui renvoya un regard qu’elle ne connaissait pas. Une peau, une chevelure tout autre.


Frappant les éclats de ses mains froides, fragiles, la créature hurla longtemps. Sans être entendue. Sans être vue du haut de son repère haut perché. Des petits pots de terre traînaient à ses alentours, remplis de feuillus étranges aux arômes inédits. Une dizaine de vies étrangères à cette Terre. À leurs côtés traînaient des graines aussi grosses que des noix, mais rien ne semblait indiquer leurs origines. Koriand’r prit un linge violet et pelucheux afin d’essuyer le sang de ses mains, retirant des embouts de miroir pour se stabiliser. Elle finit par enfiler des gants, ne pouvant que relever le col haut sur sa gorge afin d’en dissimuler les rougeurs meurtrières.



Sous le profil d’un astre solaire à ses dernières heures, la blonde passa plusieurs heures à tenter de se ressourcer sous ses rayons. Rien ne fut efficace : la tête vide de la créature fut son seul purgatoire. Des images vaporeuses se glissèrent dans son for intérieur, lui provoquant la nausée au point de vomir ses derniers verres d’alcool et des aliments étranges. Plus tard, aux abords d’une nuit des plus longues de l‘année, la créature au cœur épuisé quitta son refuge avec maladresse. Sa chute fut en partie amortie par ses capacités de vol qui semblaient l’avoir quitté. Secouant sa tignasse blonde, la jeune créature entreprit quelque chose d’innovateur dans sa routine d’ivrogne : une promenade.


Le temps semblait se dissiper entre ses mains gantées, tandis que les soieries qui arpentaient son corps semblaient attirer des regards indésirables. Heureusement, personne ne vint enquiquiner la créature qui n’osait guère communiquer avec les humanoïdes présents sur son chemin. Elle se situait au niveau de la septième, prête à descendre un autre bloc du haut de ses bottes de combat.


« Koriand’r! C’est Sofia! »


À l’écoute de ce mot familier, la principale concernée se détourna de la rue remplie de criminels pour regarder une femme naine. Surprise de voir cette brunette aux yeux ténébreux lui adresser la parole avec un sourire merveilleux, l’inconnue fit le tour de la silhouette de la géante en détaillant les tissus noirs avec une moue admirative. Le petit bout de femme s’éleva sur la pointe de ses pieds pour toucher la robe de cuir lacée de la créature tout en continuant de lui adresser la parole :


« Ça fait si longtemps que je t’ai vu! Est-ce que t’as retrouvé la mémoire? »


Face au mutisme obstiné de la blonde au teint pâle, livide, la naine agrippa son poignet en hurlant de joie pour une soirée entre filles. Ainsi, la dénommée Sofia entraîna son ancienne collègue d’esclavage dans son bar favori de Crime Alley : Chez Jimmy’s. Aussitôt la porte franchie, la foule habituelle y circulait dans ses heures les plus achalandées. Le duo éclectique intrigua certains, mais la naine indiqua à quiconque la dévisageant, elle ou la grande perche blonde au regard intimidé, qu’elle les sodomiserait tous avec joie et allégresse.  


Abandonnées dans un recoin pas sombre du tout, Sofia commanda un petit verre de bière pour nain et une pinte pour géante – spécifiant à chaque minute de leur discussion leur différence de taille et sa jalousie à l’égard de la blonde. Malgré tous les efforts de la petite brunette, rien ne réussit à faire  parler la créature qui semblait plus intransigeante et froide qu’un désert de neige. Sofia relatait leurs jours d’esclavage ensemble, avant d’interroger sa fausse amie toutes les deux minutes si elle avait encore de la drogue spéciale de Ronaldo.


« KORIAND'R! Je t’en prie, dis-moi si t’en as encore!?! Je te ficherai la paix après! »


Puis la créature haussa les épaules, semblant toujours éprise du vide omniprésent qui habitait son crâne. C’est alors que le feu intérieur de la Tamaréenne sembla s’éveiller de sa léthargie : Kory se pencha à l’égard de la naine, avant de lui parler dans sa langue natale. Les syllabes grasses touchèrent ses lèvres couleur sang quand les pupilles émeraude de la blonde semblèrent s’enflammer. Ses pupilles félines se dévoilèrent sous l’entièreté de la radioactivité de son regard carnassier.


Dès la nature sauvage de la créature éveillée, Sofia termina son verre, s’excusa avant d’aller payer non sans un pourboire aussi large que son tour de taille. La brunette s’esquiva des lieux, espérant la retrouver dans une meilleure journée, tandis que la géante continua de fixer sa pinte de bière sans y toucher. Deux hommes tentèrent de l’aborder, lui demandant combien elle chargeait pour ses services, mais son regard assassin suffit à terrifier quiconque osant lui parler. Ça et ses mots secs lancés dans une langue étrangère, hors de ce monde.

Une soirée de plus, qui allait se finir à pas d'heures, à servir des bières dans des godets qu'il allait falloir nettoyer à chaque fois que ses collègues serveurs les lui ramènerait vides. Les nettoyer pour le principe, avant que ces mêmes verres ne retrouvent d'autres mains avec la même bière légèrement coupé à la flotte de Jimmy. Ca "augmentait" les bénéfices...

Moi, ça augmentait mes emmerdes quand des clients s'en plaignaient alors que les consignes étaient claires, nier totalement. Pas que je sois des plus honnêtes envers les ivrognes de Gotham, pas que j'en ai envie au vu de la clientèle du bar mais j'avais une certaine déontologie qui me faisait répondre autre chose. Je ne niais pas, mais je ne confirmais jamais réellement non plus. C'était ma technique pour être moi et garder mon emploi à la fois.

Bah ouais, va-t-en leur dire, "le patron est un gros rapace", ça serait du suicide.

Enfin, au moins, je savais que j'avais demandé à pas faire la caisse et nettoyer les tables à la fin du service et que le boss avait accepté en échange de quelques heures supps un jour de galère, un moindre mal pour cette journée morose que j'sentais pas du tout et qui commençait à me taper sur le système à mesures que les heures et les clients défilaient. Enfin... Une nouvelle fois oui, enfin. Ce fût jusqu'à ce que je repère une crinière et la grandeur rare pour une femme de... Kory !

En repérant la créature qui me fascinait depuis notre première rencontre, bien que le souvenir en soit tout aussi dégoûtant, tout du moins au niveau odorant... Le spectacle aussi lui restait en tête. Mais derrière ça, elle avait ensuite tenu sa promesse et il avait réussi quelque chose. Batman semblait même avoir remarqué qu'il était peut-être la faille qui calmait les ardeurs de la fille de feu. Peut-être qu'il t'a remarqué ouais... C'était l'bordel.

Dans tout cas, j'devais m'avouer intérieurement être ravi de la revoir ici alors qu'elle avait encore essayé de mettre de la distance entre nous après cette soirée d'horreur à l'asile. A croire qu'elle voulait à tout prix m'éviter pour je ne savais quelle raison culturelle... Sûrement un truc de sa planète... Ca, tu l'sauras jamais sans lui demander mon pote... Oh ma gueule ! La voix dans ma tête ! Ma gueule !

"James, prends l'relai pour moi vite fait. J'arrive et j'travaille double pour que tu te la coules un peu plus douce ensuite ok ?"

Comment elle l'appellait ? Avec le bordel ambiant, c'était pas bien facile d'écouter comme un curieux. Coriandre ? C'était ça son vrai prénom ? Pas Kory ? Ou alors c'était un diminutif parce qu'elle avait honte. En tout cas, je ne pouvais pas m'empêcher de me rapprocher subitement de la géante haute comme dix pommes, esquivant quelques ivrognes qui quémandait "la petite soeur" du premier verre servi, si ce n'était pas le dixième pour certains... Enfin. Ainsi m'approchais-je d'elle, choppant un shot et une bouteille de tequila pour finir par me déclarer.

"Salut Kory Coriandre !" Fis-je, un sourire un brin mesquin sur le visage en posant le shot sur sa table et en le poussant vers elle et en m'invitant à sa table, posant son coude contre son menton une fois la chose faite. "Cadeau de la maison !" déclarais-je en souriant plus sincèrement, reprenant aussitôt, "comment vas-tu ? C'est qui cette p'tite dame ?"

Politesse puis curiosité sans gêne. C'était pas que c'était mon genre mais je savais à quel genre de créature j'avais affaire. Du genre de celle qui n'avait pas de barrière et qui répondait le plus naturellement du monde quand on lui posait une question. Ce que je pensais avoir réussi à faire lors de nos deux rencontres. Elle avait bien tenu sa promesse encore une fois ! Lors de cette seconde rencontre, en ne tuant personne. Etait-ce parce qu'il le lui avait rappelé ou l'avait-elle fait d'elle-même depuis le jour où elle l'avait promis, ça, c'était une question qu'il n'oserait lui poser. Mais il espérait, il y croyait même. Parce qu'avant de le remarquer, elle avait fait en sorte de ne tuer personne de son propre chef.

"Woh, woh, tout va bien, je plaisante ! C'est juste que tu ne veux pas me voir mais tu viens boire dans le bar où je travaille ! Je suis juste venu te dire bonjour parce que je t'ai reconnu. A moins que tu ne viennes au comptoir, je vais pas pouvoir t'embêter longtemps de toute manière."

Il me semblait avoir encore vu cette espèce de regard aussi vert que la kryptonite dans son regard alors je restais sur mes gardes. Comme lorsque je lui avais tendu ma main et qu'il m'avait semblé avoir décelé chez elle l'impression d'avoir insulté sa mère... Ou alors elle en avait fait fi, ou alors il ne s'y était pas trompé et il devait continuer de comprendre les codes de cette fille venue d'ailleurs.

"Alors, tu t'appelles Coriandre en fait ? C'est un diminutif Kory ?" tentais-je en souriant de nouveau, peut-être un peu crispé mais on savait jamais à quoi s'attendre quand elle tournait sa tête tel un félin comme ça, en observant avant de répondre. "Enfin, après, j'me fous pas de toi hein ! C'est un prénom comme un autre !"

Même si sur ma planète à moi, c'était une épice et en fait, ça faisait grave chelou.

La p’tite dame avait quitté les lieux depuis plus d’un quart d’heure. Les énergumènes qui la prenaient pour une prostituée s’affairait sur d’autres proies moins gigantesques. La grande blonde ne faisait qu’observer son environnement sans le comprendre, plongée dans un for intérieur aussi douloureux qu’étrange. Comme si elle fonçait dans les ténèbres de son âme ou tout autre phénomène inexpliqué. Sans le feu de son âme, sans la charge de sa témérité, Kory pouvait entrevoir des bribes de sa terre natale. Ou des auras. C’était peut-être l’aura familière du jeune humain qui laissa les sens félins de la créature au repos à son approche. Elle n’avait même pas vu que ce dernier s’était invité à épier leur conversation. Lors de ses salutations, le visage intransigeant de la princesse en fuite s’éloigna. Cette approche toute naturelle, toute douce la déstabilisa.


Et le silence de Koriand’r demeura flagrant quand elle trembla…dans l’absence de la peur et la présence de sympathie en dépit de la mesquinerie de son approche. Kory échappa un son étrange lorsque l’humain la joignit à sa table sans être invité : des notes quasi-semblables à un miaulement et un grondement léger, chaleureux. Son haussement de sourcils fut si brusque que Kory ne put que plaquer un gant sur sa bouche, écoutant d’une oreille attentive les syllabes dans la langue inconnue de son nouvel interlocuteur.


Observant le verre posé à côté de la pinte de bière toujours remplie, la créature rabattit ses boucles claires, dénudées d’éclat derrière la pointe aiguisée de ses oreilles. Désormais absorbée par l’arôme étrange du breuvage, les mots de l’être humain reprirent l’attention de la féline une fois les interrogations clairement démarquées par le ton familier de sa voix.


« Ouktark ni Ryand’r. Mourg’r y narr mi… »


Dits dans un murmure presque inaudible, la créature détourna sèchement la tête de sa contemplation temporaire avant de fixer le jeune humain au courage suicidaire. Il ne semblait guère assimiler ses mots, donc elle essaya de parler en russe, en japonais puis en italien. Inefficace. Déposant ses pupilles allongées, en fente minces au creux du regard de son interlocuteur : leur vert semblait moins phosphorescent, même translucide afin de laisser entrevoir les pupilles de la créature. Certes le trait le plus redoutable semblait sa lividité, sa pâleur omniprésente.


Retirant ses gants noirs, la blonde dévoila les coupures fraîches de ses mains déjà portées à coaguler. Et son premier geste fut de poser sa main sur l’avant-bras de son interlocuteur dans un interlude de quelques secondes. Une main d’une froideur cadavérique, contrairement au feu redoutable dégagée par celle-ci. Retirant sa paume avant de remettre ses gants soyeux, la féline prit une minute pour ordonner la nouvelle langue à sa disposition et de se rappeler les questions antérieures du jeune humain.


« Tu sais qui je suis? »


Kory cligna des yeux une fois, dévoilant un visage curieux et réservé, mais trop sévère pour tomber dans la douceur.


« Comment je vais? Je ne comprends pas ton expression…Cette femme s’appelait Sofia. Elle m’a emmenée ici pour savoir si je pouvais lui donner de la drogue. Mais, je n’en ai pas. »


Ainsi, la blonde sembla se détendre, être moins sur ses défensives quand ses traits reprirent une sorte de douceur, une impression de familiarité : ce fut à cet instant que le regard de la jeune créature devint apaisé, irrémédiablement fort et presque…protecteur. L’image confuse d’une foule d’ennemis terriens lui revint en tête, alors que le métal liquide coulait entre ses doigts, que la souffrance s’installait dans son âme et son honneur. L’intuition de la créature l’obligea à demeurer docile, attentive, pire : sembler normale dans une foule dépareillée et éclectique.


« Je m’appelle Koriand’r. Chez moi, cela signifie l’étoile de feu. C’est un hommage aux tempêtes solaires. Je crois que ce mot désigne une épice dans ton monde : c’est curieux. Je préfère Kory pour éviter la confusion. »


Le ton était sévère, mais son visage d’une douceur sans précédent. Très pâle, même qu’elle perdait des couleurs au fil de ses mots, les mains de la blonde osèrent se déposer sur le petit verre. Acceptant de le boire, la féline le vida d’un trait – et sans broncher. Déposant doucement le verre, la géante croisa ses doigts avant de s’adresser à Dara de nouveau :


« Je suis désolée. Je ne me rappelais pas que tu travaillais ici… Je ne me souviens pas de grand-chose en ce moment. T’ai-je fait du mal? Ai-je essayé de te tuer? Ton travail, c’est de donner des verres aux gens? C’est comique.»


Kory déposa de nouveau son regard lumineux et transparent dans celui du jeune humain. Ses boucles semblaient plus lâches, dénouées, et définitivement sans couleur – d’un blond délavé par l’oubli et l’abandon. Un tremblement la secoua de nouveau quand elle plaça ses mains sur ses épaules avant d’accuser ce geste naturel à la froideur qui transperçait les os de la jeune créature habituée au feu solaire, au vide spatial. Le plus stupéfiant fut le sourire sincère que la créature donna à Dara. Une sorte de confession indirecte, de ressenti dénué de mots.



« Mon premier travail était d’apprendre à exécuter l’ennemi pour protéger notre royaume. J’avais quatre ans. Je haïssais ces carnages. J’aurais préféré donner des verres aux gens, c’aurait été plus simple. »


Un silence suivit ces révélations quand Koriand’r baissa les yeux au sol, détournant son regard vers la foule d’humains à sa portée.


« Je devrais partir. Je ne veux pas te mettre en danger. »


Et elle, c’était un danger flamboyant.

Mais la blonde... Enfin, aujourd'hui, elle l'était, jusqu'à ce que ses cheveux s'enflamment si... Si cette blonde pas vraiment blonde ne me reconnaissait pas comme je semblais le penser. Au départ, j'avais pensé qu'elle se moquait de moi. Mais ensuite, je m'étais souvenu de ses propres dires. Elle perdait régulièrement la mémoire, comme atteinte d'un Alzeihmer précoce et ça n'avait rien à voir avec la race extra-terrestre dont elle était issue... En même temps, imagine une planète pleine de vieux qui se pissent dessus et s'en souviennent pas quinzes secondes après... Ouais. Ca serait n'importe quoi. Puis elle avait rien d'une vieille. Elle avait des allures félines déjà, qu'une mamie aux os rongé par l'arthrite ne pouvait avoir et puis elle était sacrément jolie.

"Kory, Kory ! Tu te rappelle vraiment pas de moi ? Dans cette ruelle, avec le petit chat à trois pattes. Puis, dans l'une de tes planques, avec tes autres amis félins ? Ca te parle pas ?"Lui dis-je avec le regard ancré aux siens, observant sa tête virevoltait de droite à gauche tandis qu'elle m'observait comme un chat, de nouveau, comme si j'étais la prochaine petite souris qu'elle allait envoyer paître... "On a fait de l'escalade aussi une fois, du jet-ski, on a fait une balade à la campagne aussi une fois. Ah et le mieux c'est quand tu m'as appris à voler ! C'était trop cool, bon, moi, j'viens pas d'une autre planète, j'suis obligé d'agiter un peu les mains du coup mais tu t'souviens ?" Ajoutais-je  en captant qu'elle peinait "vraiment de chez vraiment" à me reconnaître et aussi...

... Qu'elle risquait de moins me reconnaître à cause de ces bêtises puisqu'elle avait tendance à tout prendre au premier degré depuis la première fois où je l'avais rencontré. C'était bien con pour moi d'avoir tenté la blague et de voir qu'elle semblait déjà chercher dans ses souvenirs. Bordel de merde, qu'est-ce que j'avais pas fait à vouloir être drôle en oubliant qu'elle croyait tout et n'importe quoi en n'connaissant pas l'humour. Du moins, il lui semblait, du peu qu'il savait d'elle.

"Non, cherche pas, ça j'déconne, on l'a pas fait. Mais Kory, c'est moi. Dara. Tu te souviens. DARA ?"

Est-ce qu'il lui avait dit son prénom la première fois où il l'avait rencontré ? Il n'en était pas bien sûr, juste que lui avait lu le substitut du sien sur le mouchoir qu'elle lui avait tendu pour qu'il s'éponge le nez.

"Tu as raison, la drogue c'est mal." Répondis-je en souriant, faisant fi de sa non comprise de l'expression. De toute façon, la mémoire qui semblait lui avoir échappé suffisait à toute réponse. "Je vois."

En vérité, je faisais surtout preuve de politesse en évitant de m'esclaffer devant elle, par crainte de la vexer, avant qu'elle ne me fasse redescendre de ma petite estrade et me fasse froncer les sourcils.

"Comique ?"

Un instant, elle avait failli me vexer, avant que ses mains ne se collent à mes épaules, que j'en ressente l'étreinte, buvant ses paroles, légèrement déstabilisé en l'écoutant raconter ce qu'elle avait pu faire par le passé et par son regard qui se perdit vers le bas.

"Reste !"

J'avais lancé ces quelques mots sous l'intonation d'un ordre, me levant moi aussi et lui agrippant le bras, avec la même douceur dont elle avait fait preuve. Certes, elle était dangereuse, il en avait eu la preuve. Mais elle avait aussi su lui montrer autre chose avant. Rien n'était perdu pour celle qui se croyait l'être.

"S'il te plaît ? Tu n'es pas dangereuse, tu ne l'as jamais été avec moi. Alors tu te souviens de moi maintenant ?"

Ca restait à craindre. Certes, vu qu'elle semblait ne pas se souvenir de moi, un seul instant mais je prenais le risque. La géante m'intriguait davantage aujourd'hui et je voulais savoir ce qui avait fait qu'elle semblait m'avoir effacé de sa mémoire, cette fois-ci, il n'y avait plus de doute.

"C'est à cause d'Arkham ?"

Je concluais en chuchotant, espérant qu'elle m'écoute et ne parte pas si vite.[/color]

Une seconde, le jeune humain semblait la connaître et la suivante, la confusion habitait son faciès trop agréable à regarder pour la créature. Doucement, elle subissait le froid des lieux ou plutôt l’absence de son feu intérieur. Son soleil à elle était éteint depuis plusieurs jours : ses dons dormaient profondément au milieu de sa détresse émotionnelle devenue omniprésente.


Désespérée, elle plaquait même ses mains sur les épaules de et étranger qui prétendait la connaître. Même pour ses mains gantées, il dégageait plus de chaleur que son corps trop grand et trop maigre. La féline haussa les sourcils quand Dara se présenta de nouveau. Et mentionna le joli chaton tripède au poil cuivre comme élément déclencheur de leur relation. Kory cligna plusieurs fois des yeux, continuant de dodeliner sa tête d’un côté comme de l’autre avec lenteur et fascination.


Sans un mot, sa gorge gronda affectueusement. Heureusement, le brouhaha du bar empêcha quiconque de notifier les sons félins qui se dégageaient de la géante sans mémoire. Ne s’éloignant guère de ce dénommé Dara qui continua ses propos par l’exagération, les paupières de la créature se plissèrent avec incompréhension. Avant de laisser naître un rire sur ses lèvres. Léger et fin, peut-être même composé de sons trop doux pour le rire gras des humains. Trop féline, l’élégante créature laissa son sourire s’épanouir davantage.


Contrairement à leurs rencontres précédentes, la répression des dons de l’Alien semblait laisser ressortir son caractère candide, ingénu. Toute sa haine répondait absente, tandis que la délicatesse de sa personnalité se dévoilait enfin. Lorsque l’humain répéta son prénom une seconde fois, Kory ria une seconde fois. Trop rare pour elle, cette expression semblait inusitée – nouvelle. D’une nouveauté si crue, si incandescente que son rire semblait être né aujourd’hui. Dara affirma la méchanceté des drogues, laissant Kory s’esclaffer avec légèreté:


« Compris. La drogue, c’est mal. Merci. »


Puis, Kory entama son départ. Elle se levait déjà en voulant prendre du recul, se protéger des autres et les protéger de son horrible personne par la même occasion. Mais, Dara lui prit le bras si doucement que Kory se figea. Ce fut à cette seconde qu’elle s’évoqua un garde de la planète Tamaran. Pour la protéger d’un carnivore, le garde avait dû poser la main sur elle. Malheureusement, le roi n’avait guère apprécié de retrouver son héritière entre les mains d’un homme d’un rang inférieur. Ce fut la raison de son exécution : avoir touché la future reine.


À ce contact si rare, Kory trembla – versa même une larme pour signifier son désarroi. Certes elle ne recula pas. Lorsqu’il lui ordonna de rester dans un mouvement spontané, la féline se lança à sa portée. Or, Kory le laissa parler encore avant de s’avancer. Ses mots tirèrent une autre larme à la créature qui étira ses lèvres dans un ressenti de joie plus glorieux sa détresse précédente.


Ses mains faibles, tremblantes entourèrent les épaules de l’humain. Kory enlaça Dara avec une tendresse. Méconnaissable par cette nouveauté chaleureuse au cœur de leur nouvelle rencontre, l’ancienne esclave se laissa aller à ce geste qui semblait inadéquat à l’égard de Dara. Pourtant, la créature grondait gentiment – émettait des sons plus félins qu’humains en serrant sa gorge et son cœur contre lui. Cela ne dura qu’une minute. Kory se retira de l’espace personnel de son interlocuteur pour reprendre siège. Plaquant ses vagues blondes derrière la pointe de ses oreilles, Kory fixa le sol, les inconnus aux alentours pendant un long moment. Et, enfin, elle répondit à l’interrogation de Dara :


« Mon intuition me dit de te faire confiance, Dara. De ne pas tuer...J'ai peur de te faire du mal. Et je crois que tu as peur de moi. Cette évidence me confirme que je suis un monstre sur cette planète. Je suis une horreur. »


En réponse à ses murmures, Kory avait formulé chaque mot tout bas, avant de rajouter en fixant le regard de Dara de ses iris éclatés, sereins, mais gorgés de tristesse :


« Je ne sais pas. Ma tête me fait mal. Et j’ai froid tout le temps. C’est comme si mon corps n’avait plus de chaleur. »


D’autres faits étranges s’ajoutèrent à son état. Kory continuait de parler à voix basse, laissant ses mains tremblantes autour de sa propre taille. La lividité de son teint devint opalescente : Kory regarda Dara avec un sentiment de confusion entrelacé de ses propres ténèbres flamboyantes.

A la façon dont elle semblait vouloir rapidement s'éclipser, quelque chose me disait qu'elle m'avait au moins un temps soit peu reconnu ? Même si ça n'expliquait pas son comportement, dans mes souvenirs, je ne me rappelais pas l'avoir vexée ou avoir fait quoi que ce soit qui justifie cette fuite.

Mais elle paraissait bizarre et perdue... Ce n'était peut-être pas de mon fait. De toute manière, que ce le soit ou non, j'étais assez intrigué pour tenter de la faire rester et en savoir plus. Chose réussite, même si je ne m'attendais pas à voir des perles rouler sur ses joues lorsque nos regards s'ancrèrent l'un à l'autre à nouveau, avant qu'elle ne m'attrape comme un vieil ami et que son corps de géante me surplombe et me fasse disparaître dans ses bras.

Elle t'a reconnu si c'était pas le cas là ?

A y croire, oui. J'étais légèrement crispé, d'abord parce que je m'y attendais pas, puis parce qu'elle m'avait bien vite relâché pour faire rouler son regard ça et là, évitant de nouveau soigneusement le mien et à l'entente de ses premiers mots, je ne pus m'empêcher de saisir son menton avec douceur, pour l'obliger à capter la sincérité dans mes traits.

"Hé, écoute moi Kory..." Commençais-je en lui saisissant les mains pour tenter de l'apaiser davantage. "Tu me feras pas de mal et j'ai pas peur de toi." Mentis-je légèrement. Evidemment, en sachant ce qu'elle était capable de faire et dans l'ignorance de ce qui la rendait si instable, je jouais avec le feu en voulant cotoyer cette étrange créature, mais quelque chose me poussait à croire qu'elle avait bon feu... Et puis, maman disait bien que j'adorais m'attirer des ennuis alors un de plus ou un de moins... "Tu peux pas être un monstre, j'ai vu tout les chats dont tu t'occupais. Ici, on dit, "qui aime les bêtes, aime les gens". C'est un proverbe uniquement terrien, à coup sûr, mais ça veut dire que tu ne peux pas être quelqu'un d'aussi monstrueux que tu le prétends. Je l'ai vu et ressenti."

Sans lâcher, ni ses billes, ni ses mains, mes sourcils s'arquèrent lorsqu'elle chuchota. Elle semblait si perdu que je me retrouvais de nouveau démuni face à son attitude étrange, avant de secouer la tête et que je ne l'attire sans répondre vers le comptoir après avoir été capté le claquement de doigt d'un poivrot s'impatientant à mon comptoir que j'me devais de rejoindre, l'entraînant avec son consentement, du moins ne sembla-t-elle pas vouloir continuer de fuir alors que je l'accompagnais jusqu'à un tabouret où je servais d'abord la bière horrible quémander par monsieur le bedonnant, avant d'attraper un shot et d'y servir une vodka pour Kory et enfin revenir sur ses déclarations.

"Bois ça. C'est cadeau aussi." Murmurais-je moi aussi, en jetant un oeil par dessus mon épaule pour vérifier qu'aucun collègue n'allait me balancer au patron, "ici, sur Terre, y'a un pays qui s'appelle la Russie où il fait souvent froid et où les gens s'réchauffent à ça. Bon, on dit aussi que c'est une légende urbaine mais curieusement, ça fait son petit effet."

C'était aussi la seule chose qui m'était venu à l'esprit puisque je ne comprenais pas. Je voulais, je cherchais pourtant, mais quelque chose me disait de prendre de gros gants pour cela. Elle se considérait comme un monstre et je devais sélectionner habilement mes mots pour continuer d'éviter de la confondre dans cette idée.

"Donc depuis l'asile, tu te sens froide de l'intérieur ? Est-ce que c'est courant sur ta planète ? Est-ce que quelqu'un t'a fait du mal quand tu as disparu de mon champ de vision ?"

Qu'est-ce qui avait bien pu se passer pour que je la retrouve dans cet état ?

Kory avait le sentiment d’avoir perdu toutes ses qualités : ses dons, sa confiance, son feu intérieur. Prisonnière de cette conversation avec Dara, la créature aux ancêtres félins s’éloignait déjà. Avant de fuir le regard de son allié, prédisant certainement que son intention de partir n’était pas éteinte. Seulement, la main du jeune homme vint saisir son menton. Rarement touchée avec ce type de familiarité, Kory se laissa faire. Et ses yeux immenses se plongeaient dans ceux de son interlocuteur. Faisait-il cela pour qu’elle l’écoute? Ou était-ce une coutume humaine quand quelqu’un désirait attirer l’attention de quelqu’un? Peu importait, Kory demeurait trop ébranlée par cette situation bizarre.


Dara parla encore, affirmant qu’elle ne lui ferait jamais de mal et qu’il n’avait pas peur d’elle. S’évoquant leur étreinte, la créature détourna le regard momentanément en fronçant les sourcils. Malgré l’authenticité de ses traits, l’accueil chaleureux au sein de ses mots, Dara ne semblait pas à l’aise avec elle. Il ne le serait probablement jamais. Une fois encore, son allié causait l’hésitation dans son âme.


Portée à s’éloigner, les prochaines phrases semblèrent provoquer la stupeur chez la blonde dont les boucles semblaient devenir lisses, soyeuses. Leurs mains jointes, leurs regards en guerre d’opinions, Kory ne put étouffer les tremblements de ses doigts quand Dara mentionna ses protégés, son secret le plus cher et fragile. Et ses mains froides, porcelaines ne purent que chercher à s’ancrer doucement dans les siennes.  


« Arrête… Je t’en prie. Par les flammes de X’Hal, comment peux-tu ressentir que je ne suis pas un monstre? C’est impossible. »


Le regard émeraude de la créature semblait refouler d’autres ressentis : ses mots murmurés, encore, semblèrent toucher le visage de son interlocuteur quand Kory cherchait à le dominer de ses iris royaux, intransigeants. Et pourtant remplis d’une détresse impossible à qualifier. C’est alors qu’un grand homme au tour de taille aussi imposant qu’un tonneau provoqua tout un émoi pour une pinte de bière.


Aussitôt, Kory sentit Dara la traîner par la main jusqu’au comptoir. Et, à cet instant, la féline demeura incapable de détourner son regard du jeune humain. Pire, son feu intérieur voulait le suivre. Elle s’évoqua ses mots : son travail était de donner des breuvages à tous ces gens, et d’être disponible derrière un comptoir. Trouvant ce travail très drôle, Kory eut un sourire malicieux avant de s’asseoir sur le tabouret que lui montrait Dara. Ensuite, elle le regarda servir le monsieur en surpoids et lui tendre un petit verre de vodka. Il accompagna le breuvage de son mythe, mais depuis le terme cadeau, Kory sembla hypnotisée dans une candeur époustouflante.


« Je te remercie. J’ai hâte de t’offrir un cadeau en retour. »


Encore une fois, Kory semblait prendre ce geste simple et y ajouter une symbolique plus profonde issue de sa culture extraterrestre. Très enjouée, un sourire doux s’immisça sur ses lèvres vermeilles lorsque la vodka fut avalée d’un trait. Normalement, ce goût amer brûlerait la gorge du consommateur. Or, Kory fut ravie de la saveur particulière de ce mets. C’était aussi délicieux qu’un pot de wasabi, une jarre de moutarde, le curry, le curcuma, le kimchi et tant d’autres mystères de ses goûts tamaranéens très étranges…


« Merci, c’est un goût très doux. »


Kory voulait préciser que même l’eau bouillante n’avait pas réchauffé son feu intérieur, mais Dara enchaîna les interrogations à double tour. Sa main déposa le verre, tandis qu’elle passa une main sur sa tempe et la descendit sur son cou…qui dévoila une large coupure en processus de coagulation qui ceinturait sa gorge entière. La créature sembla éprise de ses réflexions, laissant tomber le regard de Dara.


Puis il sembla occupé pendant un moment, offrant quelques moments paisibles à la créature pour constater le vide chaotique de son comportement et de sa mémoire. Lorsque Dara lui refit face, Kory haussa les épaules en le regardant, avant de se pencher élégamment dans sa direction pour lui répondre :


« Oui, je me sens différente. Sur ma planète, ceux et celles qui perdent leur feu intérieur meurent rapidement… Sur Terre, je crois que votre expression est se laisser mourir de chagrin. »


Une pause s’installa. Kory sembla hésiter profondément, avant de sortir un mouchoir noir des poches de son trench coat : en l’ouvrant partiellement, des parties argentées et bleutées brillèrent, l’objet ressemblait à une technologie bizarre. De longs fils pendaient du mouchoir, et une puce semblait vibrer au milieu. La blonde serra l’objet une fois que Dara put y jeter un coup d’œil.


« C’était dans…ma tête.  Dans ma plaie. Elle a dûe se rouvrir pendant…le combat? Pour le reste, je ne sais pas. Mais, je commence de plus en plus à croire - »


L’hésitation à son comble, Kory laissa son faciès se briser sous le coup du désarroi :


« Que je mérite tout ce qui m’arrive. Et, si mon corps est malade, je suis mieux d’accepter ma destinée. »


Enfin, Kory croisa ses bras sur le comptoir, forçant son visage pour cacher de nouveau ses émotions sous le couvert de la haine, du chaos et de la guerre.

Par les flammes de qui ? Je sentais bien ses ongles s'incrustaient dans la paume de ma main à ces mots... Preuve que l'extra-terrestre semblait vraiment se considérer comme la pire des espèces alors que du peu que j'en savais déjà, pour ma part, j'étais plutôt admiratif... C'était comme rencontrer une Supergirl, venue d'une autre planète. Une fille pleine de surprise, comme celle que je lisais dans le journal fût une époque...Ou alors il s'agissait de ces coutumes qu'elle évoquait toujours à demi-mot sans que je n'y comprenne grand chose.

"Je le ressens, c'est humain. C'est un truc que certaines personnes de ma planète ont en eux. On appelle ça l'instinct ici. Et l'instinct de quelqu'un comme moi le trompe rarement Kory."

Enfin, rarement, c'était bien vite dit. Surtout le mien, encore une fois, d'après ma mère adoptive. Il paraissait, d'après c'que j'pouvais encore comprendre d'elle, que j'étais sûrement bien trop empathique ? Peut-être... Mais pour le coup, je savais à qui j'avais affaire. J'en avais la sincère impression. Même si elle était bizarre.

Ca faut s'l'avouer Dara, mais c'est c'qui la rend intéressante hein mon pote ?

Aussi l'entraînais-je, malgré le risque, auprès de moi, pour l'empêcher de fuir et d'aller continuer de broyer du noir, de se considérer comme une personne impure alors que j'en voyais plus que chez n'importe quel personne de Gotham. Elle était franche et honnête. Sans filtre. J'avais une certaine attirance... Pas physique, bien entendu. Ok, elle était jolie. Mais ce qui m'impressionnait, c'était surtout avec quel coeur elle semblait appréhender les choses, là où les gens de tout le pays, si ce n'était pas du monde entier, considérait un simple cadeau comme... Une chose uniquement bienvenue ?

"Hein ?"

Elle m'impressionnait vraiment, pour le peu que je l'avais côtoyée. Surtout concernant ce verre, on était bien loin du joli bijou de l'amoureux transit ou du cadeau d'anniversaire gigantesque d'un meilleur ami, rien qui ne méritait un retour en soit, sauf si ce n'était celui d'aller s'enquiller une bouteille qu'elle aurait trouvé par ses propres soins sur les quais de Gotham...

J'étais interdit devant ses explications. Entre cette flamme intérieur et l'expression terrienne dont elle s'était servie... J'avais jamais vu personne mourir de chagrin. J'avais vu ou lu dans des films ou des livres que c'était possible mais à mes yeux, ça restait de la fiction. Un choix scénaristique ou littéraire. A ces derniers, les gens qui mourraient de "chagrin", mourraient plutôt de faim, à force de se laisser dévorer par cette émotion, en se laissant aller. Mais ça, c'était terrien et sa race à elle, semblait pleine de mystère.

Pendant le blanc qui suivit, je ne pus m'empêcher d'attraper un bol de cacahuètes, y'avait plus qu'à espérer que là d'où elle venait, leur kryptonite ne soit pas l'arachide où j'aurais bien l'air bête si elle pensait que j'essayais de l'assassiner. Mais là... J'voyais qu'ça.

"Euh... Un peu de mélange, cacahuètes-noix d'cajou ?"

J'avais pas mieux devant sa détresse évidente... Mes cinq doigts vinrent tout de même se poser délicatement sur l'avant-bras sur lequel elle semblait se perdre. Elle ne m'avait pas repoussé la première fois, ses cheveux ne s'était pas enflammé et je comprenais pourquoi alors, je lui devais bien ça... Parce qu'elle m'avait écoutée avant de perdre le contrôle ce fameux soir. Parce qu'elle semblait vouloir me protéger alors, la réciproque, c'était un dû ? Comme il lui semblait qu'elle me devait une offrande pour un simple verre de vodka ?

Bon, j'vais me faire enculer par le patron... Mais bon...

"Accepter ta destinée ? Tu veux dire te laisser mourir à petit feu ?" Il n'y avait pas de blague, ni de jeu de mot, ou en tout cas, ça n'avait rien d'intentionnel. "Tu peux pas tout abandonner. Tu es une guerrière !" C'est bien ce qu'elle m'avait dit et les combattants, même ceux d'ici, ils avaient un code d'honneur, une sorte de fierté qui les poussait à vouloir se battre jusqu'au baroud d'honneur... Quand il n'était pas victime de stress post-traumatique ou d'un truc du genre. C'était presque ce qui semblait arriver à la "tamaréenne". Ou... Je n'savais plus bien. "Je sais pas c'qui s'est passé, je t'ai quitté des yeux et ensuite..."

Ensuite ça avait été le chaos, j'avais décidé que je n'avais plus rien à faire sur ce champ de bataille avec tout ces gens dotés de dons extraordinaires, combattant des hordes de gros bras et de quelques de leurs semblables. Si mes propres souvenirs étaient bons ? Toujours était-il que beaucoup de choses s'étaient passé ce jour-là, pour moi. Mais je me rendais compte que ce que je n'avais pas vu, l'avait plus affecté que je ne le pensais.

"Kory, regarde moi."

Je lui saisis de nouveau le menton pour capter son regard et son visage minois. De la main, j'envoie balader l'ivrogne qui a déjà fini sa choppe et en quémande déjà une nouvelle.

"Ecoute. J'suis peut-être qu'un étranger pour toi. Si j'dois être franc, tu l'es également pour moi. Mais si j'peux m'avancer sur un truc, c'est que tu mérites à être connue. T'es pas un monstre, t'es pas mauvaise... Et j'espère que c'est une connerie, cette histoire de chagrin qui va te tuer. Tu mérites de vivre, tu mérites beaucoup plus de choses que tu le penses Kory, crois moi."

Entre deux, l'autre continua de frapper sa choppe avec plus d'entrain. A m'en faire hérisser les poils.

"Bon c'est bon tocard ! TU VOIS PAS QUE J'DISCUTE !"

J'ai les sourcils froncés et l'poing qui s'sert. C'est les nerfs ça. Seulement, j'reporte mon regard sur la jolie géante qui semble aussi les froncer. Faudrait pas qu'elle s'énerve alors j'préfère me reprendre et lui offrir un joli sourire rassurant.

"T'en fais pas. S'il continue, j'appelle les gros costauds d'mon patron et il, va finir ici avec un coup de pied au cul."

Si c'était pas moi qui lui collait... Bordel !

Depuis leur première rencontre, Dara ne semblait guère remarquer l’étendue de la maîtrise qu’il pouvait exercer sur la créature. À ses mots, elle semblait obéir, une vieille habitude de ses années d’esclavage ou…une préférence à l’égard de quelqu’un.


Ce quelqu’un étant devant elle en cet instant. Sans même avoir la capacité de comprendre ce désir de soumission, Kory avait involontairement choisi Dara comme son prochain Maître. Elle serait probablement incapable de le formuler, de le comprendre au vu de sa nature passionnée et royale. Cet humain lui apportait un sentiment de sécurité, de réconfort. Et c’était plus important que le chaos de Gotham ou retourner sur Tamaran.


L’instinct. L’intuition? Kory cligna plusieurs fois ses yeux aussi rayonnants que des rayons radioactifs en pleine effervescence. Doucement, ses doigts s’entrecroisèrent. Elle se réajusta sur son siège, lissant la soie sur ses cuisses ou le cuir sur ses épaules. Dara affirmait qu’il avait un instinct capable de prévoyance, laissant Kory abandonner sa méfiance à l’égard de ses capacités. Elle rangea son mouchoir noir qui contenait un appareil technologique d’origine tamaranéenne dans les poches de son veston. Les mains livides et froides de la créature se portèrent vers Dara sans le toucher, simplement attentionnées dans l’attente.


Les réactions suivantes de Dara ne firent qu’émerveiller davantage Kory qui observa son manque de vocabulaire devant l’événement des offrandes. Cela se perpétua lorsque Kory expliqua la nature de son état, plongeant son interlocuteur dans des réflexions plus étranges. Certes Dara lui offrit un second cadeau : un bol rempli de petites pierres étranges, beiges, aux formes oblongues.


« Merci, Dara! »


Elle mordit sa lèvre inférieure, révélant sa teinte rouge sang, secouant ses boucles blondes avant d’oser exprimer son immaturité face aux cultures humaines :


« Qu’est-ce que c’est? Sont-ce des bijoux? Des pierres? »


La seconde suivante, avant la moindre formulation du jeune humain devant elle, Kory plaça une noix de cajou dans son oreille droite et attendit quelques secondes avant de hausser les sourcils devant son interlocuteur. Toutefois, la main sur son avant-bras la déstabilisa de nouveau. Kory observa la main de Dara longtemps. Puis, instinctivement, son autre main vint se placer sur la sienne. Ses doigts, glacés et porcelaine, se nichèrent entre les siens. Plus qu’un simple geste, Kory semblait confirmer sa confiance envers Dara par ce simple geste.



Ensuite, il s’interrogea, élabora sur leurs échanges : plongeant la créature dans une transe admirative. Kory fronça ses sourcils, redressant ses iris enflammés sur l’humain et formulant des abréviations dans une langue étrangère. Kory voulut répondre, mais le chaos qui avait parsemé leur rencontre précédente suffit à imposer le silence. La main de la créature se resserra sur celle de Dara, y laissant une caresse ou une empreinte de sa collaboration. Qu’importait sa pensée, le toucher de Kory avait cette pointe féline. Et, tout à coup, elle sembla se souvenir de lui comme s’il était la personne la plus importante de sa vie – son maître :


« Leurs balles m’ont aveuglé. J’ai vu des choses étranges. Ensuite, je te cherchais. Mais, tu n’étais plus là. Puis, j’ai cherché ta mère parce que tu semblais la chercher…Mais, je ne sais même pas qui elle est ou à quoi elle ressemble. Au final, la famille de chauve-souris est partie sans un mot, et les autres aussi. Il y avait tellement de gens, mais tu n’étais plus là. J’espérais que tu sois encore en vie…Et ta mère aussi. »


Toutefois, Dara ordonna à Kory de l’écouter, provoquant son silence immédiat. Tranquillement, les oreilles pointues de la créature s’abaissèrent légèrement vers l’arrière quand elle pencha son doux minois sur la droite afin de mieux l’écouter. Par la suite, la main de Dara saisit son menton de nouveau. Aussitôt, la main de la guerrière se dégagea de la sienne. Sujette à des révélations plus sensibles que les dernières. Kory demeura tranquille : trop attentive à ses paroles aussi spontanées qu’authentiques.


Des étrangers? Kory s’éloigna à ces mots : pire, elle sembla déboussolée, désorientée. S’éloignant davantage, la créature ressentit qu’elle ne pouvait plus placer une confiance aveugle envers cet humain. Du moins, c’était son ressenti avant d’être aussi perturbée par le tonneau alcoolique sur sa droite qui frappait machinalement sa choppe sur le comptoir. Kory retira ses gants de cuir, dévoilant ses avant-bras remplis d’hématomes bourgognes. De plus, sa gorge rayonnait toujours de sa lacération vermeille semblable à un coucher de soleil.


Sur-le-champ, Kory se retourna de son bol de pierres en bois – le mélange arachides, noix d’cajou- afin de déposer sa main dégantée sur son avant-bras gras et au poil hirsute. Aux premiers abords, l’armoire à glace aux cernes creux montra sa stupéfaction. Les minutes qui suivirent dévoilèrent des talents insoupçonnés de l’espèce de Koriand’r. La jeune créature commença à parler deux langues différentes : ou plutôt, deux dialectes issus de quatre langues d’origine terrienne.


La première, un mélange de russe et indo-aryenne, la blonde aux boucles cendrées élabora un monologue bien rempli qui provoqua la surprise chez le client du bar Chez Jimmy’s. Au sein d’allures naturelles, Kory réussit à saisir l’épaule de l’étranger avant de le laisser aller tranquillement. L’alcoolique énervé sembla retrouver un brin de calme, ressentant une impression de sa terre natale en ces lieux erratiques, sans véritable identité. Il saisit l’épaule de Kory qui lui offrit un sourire chaleureux avant de se retourner vers Dara.


« Il y a longtemps, le prince Ryand’r, mon petit frère, a disparu. Ma mère, la reine Luand’r, a failli mourir. Elle a passé dix-huit cycles sans pouvoir sortir de son lit. C’était son émotion : se laisser mourir de chagrin. Je vis un sentiment quasi-semblable. Mais, tu ne pourrais pas comprendre la nature de mes émotions. Ma race vit de la passion : loin de la raison des hommes. »


Désormais, la jeune Alien parlait sans réviser sa traduction : tous ses mots n’étaient que la vérité la plus profonde de son âme. Observant le poing serré de Dara, la main tiède de Kory vint prendre la sienne entre ses phalanges chaudes, douces – en dépit du comptoir entre eux. Ses boucles d’or, sans fin, tombèrent sur le comptoir, vinrent presque frôler son contact.


« Je suivrai tes ordres, Dara. Donner des coups des pieds au cul, ne pas tuer, tu n’auras qu’à le dire. Je le ferai. Mais, je t’en prie, sois honnête avec moi. Je ne tolère pas le mensonge. »


En dernier, Kory se retira : aussi calme qu’à l’écoute, aussi dangereuse que malicieuse.

Pour le peu que je la connaissais, Kory avait cette tendance à m'impressionner, me surprendre ou même me pousser dans mes retranchements. Il était dur de dire ce qui me fascinait chez la jeune femme aux cheveux brillants, tantôt blonds, tantôt semblant se consumer comme un feu crépitant de cheminée. L'extra-terrestre m'éberluait. Peut-être un peu trop, vu que j'en oubliais les clients du bar et qu'une de mes collègues profita d'un instant pour me bousculer du bassin et me rappeler que j'étais là pour bosser. Comme simple réponse, je lui jete un regard noir avant de retourner la tête vers la tamaréenne.

"De rien Kory !"

Je lui sers mon plus beau sourire et l'observa ranger un mouchoir qui me parut bien étrange, rien à voir avec celui qui portait son prénom, puis, sachant bien qu'il ne s'agissait que d'un détail, mes yeux, déjà rabaissés, se relevèrent de nouveau vers la créature qui ne put que m'arracher un rire en enfonçant les arachides dans ses tympans.

"Woh ! Non ! Arrête tes bêtises ! Ce sont des aliments ! Ca se mange. Regarde."

J'avale un peu de ce qui orne le bol pour lui montrer avant de reposer ma main sur le comptoir. Là où nos doigts s'entrelacent et nos regards se mêlent. Elle semblait avoir froid, mais elle semblait aussi m'admirer. Me laissant interdit un instant, avant que je remarque que je faisais la même chose. Nous nous étudions, comme des chiens se reniflant, mais avec une douceur déconcertante. Elle continua de l'être, me faisant alors arquer un sourcil en parlant dans une langue qui m'était grandement inconnue. Ses doigts, sa main, quittèrent enfin celle qui m'était propre, avec cette façon déconcertante, comme un petit chat qui vient poser sa patte entre vos poignets...

"Batman. Batman Kory... Je sais bien tout ce qui s'est passé. Quand tu t'es enflammé, que tout est parti en vrille, j'ai pas eu le choix..."

Je m'arrête un instant, la laissant comprendre que je suis désabusé, avant de lui saisir le menton et de me voir envoyer paître.

"Excuse moi. Je n'ai juste pas retrouvé ma mère ce soir là. Et je n'sais toujours pas où elle est..."

Maman avait clairement disparu pour le moment. Ca m'inquiétait, mais comme elle me le rappelait souvent. Comme elle me l'avait rappelé avant tout ça, elle savait se débrouiller, j'espérais... En attandant, mon principal soucis était cette alien. Cette gentille alien. Qui semblait ailleurs, qui enlevait ce qui lui recouvrait les mains et me dévoilait des ecchymoses... Pourquoi sa peau semblait faite d'or comme cela ? Une question à ne pas poser maintenant...

"De toute façon, elle sait se soigner..."

C'était une façon de me rassurer. De me dire qu'elle allait bien même si elle n'était pas rentrée. M'man était intelligente. Si elle n'était pas retourné à son domicile, c'était obligatoirement pour rester en vie non ? J'espérais...

"Ma mère va bien..."

Ma mère va bien !

Une façon de me rassurer, sans doute. Je pouvais pas avoir la tête à ça...

En tout cas après son recul, cette façon qu'elle avait d'être tout un coup distante, je préfère attraper un chiffon et faire semblant de nettoyer un comptoir qui de toute façon, ne continuerait de s'encrasser jusqu'à la fermeture et me débattre frénétiquement sur une fausse tâche. Jusqu'à ce qu'elle ne se mette à s'exprimer quand un client impatient m'obligea à reprendre la parole.

"Bon c'est bon mec ! Tu veux qu'on so..."

Sortir ? Pour se foutre sur la poire ? C'était pas mon boulot ça... Kory, qu'elle le comprenne ou non, attrapa le bras du type avant qu'il ne réplique, s'exprimant dans une drôle de langue qui m'était inconnue.

Du tamaréen hein ?

Sûrement ? Qu'est-ce que ça pouvait être d'autre ? En tout cas, la réaction du gros bourrin me fit tiquer quelques minutes. Il avait juste fallu qu'elle le touche et l'homme s'était directement apaisé. Le type lui avait même sourit... Pour le coup, j'pouvais plus retenir toutes mes interrogations, mais la créature m'arrêta avant même que je ne la questionne.

"Hein ?"

Toute ces explications me paraissaient... Etrange. Sur Terre aussi, on pouvait mourir de chagrin, mais ce qu'elle me décrivait... Ca dépassait tout entendement. Je comprenais peut-être un peu mieux ce qui la rendait si particulière et un poil féline. Un poil, jolie peut-être aussi, c'est ce qui me fit sourire quand elle vint de nouveau saisir ma main, même si j'avais masqué un léger mouvement, par peur que ce soit pour me l'agripper avec plus de méchanceté.

"La raison des hommes, tu sais, pour ça faudrait qu'on en soit tous capables."

Je soulève nos doigts entrelacés et lui offre encore un sourire très chaleureux. Je les lève bien devant nous, avec douceur. Je m'apprête à lui exposer, avec sincérité, mon ressenti, face à ses paroles, face à tout ça.

"Je suis désolé pour ta famille. Je ne sais pas quoi te dire. Tout a l'air si différent entre toi et moi. On vient de deux races différentes et je pense que nous n'avons pas les mêmes ressentis face aux choses."

Ca c'était sûr. Ses expressions et les miennes semblaient totalement différente. La mention de sa mère me rappelait ce que j'essayais de ne pas me rappeler. Que la mienne avait disparu, pour le moment.

La créature continuait de me fasciner autant qu'elle m'inquiétait pour le moment. En m'avouant être prête à m'obéir comme un vulgaire toutou. Ce n'est pas ce que je demandais. Même si cette proposition et venant de celle qui me la faisait me faisait cogiter, me perdant un instant, en faisant volte face vers les chopes vides posées sur le comptoir avant de soupirer et d'ancrer ses yeux au mien, resserrant l'étreinte entre nos doigts entremêlés.

"Pourquoi crois-tu que je te mentirais Kory ? Jamais ! Tu es une belle personne et tu dois le savoir !"

Je relève nos mains et dépose un baiser sur son poignet. Par une humaine, cela pourrait être pris pour de la drague, mais la blondirousse n'en est pas une, je ne risque donc rien à lui montrer l'affection et l'inquiétude que je lui porte en cet instant.

"Tout ce que je veux, c'est que tu ne meurs pas chagrin, jamais ! Jamais je ne me le pardonnerai et jamais je ne veux te mentir, par peur de te décevoir. Je veux juste..."

Mon sphincter au niveau de la gorge se serre. J'ai du mal à l'idée d'exprimer ces mots mais en même temps, depuis ma dernière relation, aucune femme ou fille n'a su me faire lever autant les yeux et l'air de rien, je sens comme une connexion entre nous après tout ces mots échangés.

"Tu ne dois pas suivre mes ordres Kory, juste, m'écouter. Je sens bien que nos cultures sont différentes. Et si on s'apprenait chacun les nôtres ? Qu'est-ce que tu en dis hein ?"

Elle reste une alliée potentielle si maman ne rentre ou ne me donne toujours pas de nouvelles dans une semaine. Elle reste aussi, pour une alien, une fille qui me perturbe, ainsi qu'une fille très jolie... Peut-être que le charme qu'elle a semblé opéré sur le grand costaud me prend moi aussi ?

"C'est toi qui voit. Mais sache que tu es une plus belle personne que celle que tu penses et je veux te le montrer !"

Mes doigts quittèrent enfin les siens quand un nouveau client m'alpagua, mais mon regard et mon rictus lui, malicieux, certes, reste rivés sur la belle alien tandis que j'appuie sur le manche pour sortir une pression, espérant, qu'à mon retour, la créature n'ait pas de nouveau les yeux dans le vague.

Décidément, le dernier cadeau de l’humain intriguait Kory au point de faire relever ses sourcils. Lorsque la collègue de Dara lui donna un coup de bassin, Kory crut qu’une bagarre commençait. Mais, elle se trompa et se contenta de hausser les épaules sans comprendre la situation. Lorsqu’elle enfonça une noix dans son tympan droit, Dara eut une émotion étrange: un rire qui provoqua l’intérêt clair et net de son interlocutrice. Il chercha à l’empêcher de mettre les noix dans ses oreilles, expliquant que cela devait se manger. Avant d’en avaler lui-même.


La princesse perdue de Tamaran le regarda comme si elle était complètement hypnotisée par la scène. L’instant suivant, leurs mains se rejoignaient, leurs doigts s’entrelaçaient, leurs regards se confrontaient dans ce choc de culture.


Et Kory éclata d’un rire franc. Face à la rigidité de caractère de la créature, ce rire maladroit et mélodieux semblait inédit chez elle. Son sourire tendre révélait une candeur insoupçonnée derrière ses allures autant félines qu’incendiaires. Puis Dara parla des événements de l’Asile d’Arkham – toujours confus pour la jeune blonde qui se contentait d’écouter entièrement son interlocuteur. Même ses oreilles pointues semblaient se hisser pour mieux le comprendre.


Tristement, Kory comprit que Dara attendait toujours le retour de sa mère : il ne semblait pas confiant à l’égard de son état de santé ou de sa position sur la planète Terre. La main de la jeune créature se resserra sur la sienne, tandis qu’elle releva son minois illuminé de fierté et de courage vers celui de son interlocuteur.


« Je t’aiderai, Dara. Si tu as besoin de moi. Je t'en prie, accepte-moi. »


Peu après, la distance semblait glacer leurs échanges. Les actes s’enchevêtraient les uns sur les autres, rendant leurs interactions de plus en plus nébuleuses et consommées par les regards des étrangers. Kory ressentait de plus en plus les regards lourds des humains qui passaient derrière le comptoir.


Ces derniers passaient auprès d’un Dara distrait : son état leur semblait dérangeant, presque autant que le matin durant lequel Koriand’r avait décidé de s’enfuir de son entraînement assassin pour admirer les fleurs luxueuses de la végétation printanière de Tamaran. Dara retourna travailler avec ses mains, semblant très occupé.


Lorsque Dara sembla éberluée par les talents de la jeune Alien pour calmer le client-armoire à glace, ce dernier sortit de sa nouvelle harmonie afin de formuler sur un ton ravi, serein :


« Je ne pensais jamais entendre ma langue natale depuis la dissolution de mon coin de pays…Mademoiselle, ce fut un plaisir. »


Les larmes aux yeux, l’homme fier s’en alla sans réellement comprendre ce qu’il venait de se passer. Son accent à la fois russe et indou indiquait ses origines mêlées et fort particulières. Kory étouffa un léger « Glourg’tak’rak » dans la langue de Tamaran en observant l’humain s’en aller sans la moindre pinte de bière. Or, son être semblait étrangement plus léger qu’auparavant.


Lorsque Kory rattrapa la main chaude de Dara, ce dernier sembla tremper dans l’hésitation un moment. Or, la main froide et porcelaine-dorée de la créature put attraper sa main encore. Appelait-elle à l’aide? Effrayait-elle encore le seul humain qui avait osé lui faire face? Certes le fait d’observer leurs mains relevées sembla pétrifier Kory dans un amusement des plus félins : la chaleur qui circulait sur ce bout de comptoir, et ce sourire, traumatisa certains, mais raviva le feu intérieur de la princesse égarée.


Un brin d’espoir germa dans le chaos de cette ville qui avait pourri l’âme de la Tamaréenne plus vite qu’un cancer insidieux de phase terminale. Le jeune homme continua ses manières, ses paroles porteuses de clarté et d’espoir. Réfugiée dans un mutisme des plus rares, Kory porta ses iris verdoyants et brûlants de larmes sèches dans sa direction. Tous les hommes n’étaient pas capables de raisonner; il offrait ses excuses pour la famille de l’Alien; leurs différences demeuraient omniprésentes.


Un regard vers les verres empilés suffit à ramener Kory à son statut de parasite dans ce bar remplis d’humains. Elle pensait s’excuser, s’en aller. Avant de sentir l’étreinte sur ses doigts se renforcir légèrement. Les prochaines phrases du jeune homme suffirent à plonger Kory dans les affres du désarroi.


De plus, la marque de tendresse placée à son poignet lui fit pencher la tête sur le côté – tel un félin devant de l’herbe à chat. Sans être surprise, la jeune femme tenta de comprendre la curiosité du geste en le mimant à son tour. Elle pencha ses lèvres à la base de sa main, laissant ses lèvres vermeilles s’y imprimer.


Ensuite, seul l’amusement sut cueillir l’âme et le cœur de la créature qui réprima un sourire presque juvénile. Aux phrases suivantes soufflées par Dara, Kory laissa sa main se perdre sur la sienne : ses doigts fins semblèrent plus tièdes, plus souples. Et, enfin, la voix brisée de Kory se confia sur ses insécurités, laissant son visage se pencher vers le comptoir sale et usé :


« Tes semblables…m’ont utilisée. Je ne pouvais même pas m’apercevoir de ça. J’étais ignorante de votre monde, je le suis encore… Je te crois, mais ça me fait peur de faire confiance à ton espèce... À ceux et celles qui ne sont pas toi. »


À l’exception de la déesse-chat de la planète Terre. Soudain, Dara libéra sa main de la sienne afin de retourner à son travail de servir des verres aux gens. La féline demeura un long moment à regarder ses mains vides, ses mains meurtrières. Et sa main qui cherchait de l’aide dans celle du jeune homme. Un peu plus tard, quand l’heure avança et que les clients devenaient moins intempestifs, Kory releva son regard iridescent de tons surnaturels pour confronter le regard de Dara de nouveau :


« Partageons nos savoirs, Dara. »


Lorsque Kory redressa son visage aux tempes dorées vers son maître qui ne voulait pas l’être, la féline sortit soudainement son intérêt vers le bar de plus en plus vide. La tranquillité d’être de la créature sembla s’estomper quand elle appuya son visage sur son poing dont la peau blanche marquait clairement des ecchymoses violacées à ses poignets. Ses doigts effleurèrent sa gorge porcelaine-dorée violentée, avant de se déposer délicatement sur le satin qui recouvrait ses cuisses, et d’y laisser un pli froissé de nervosité.


« Es-tu occupé après avoir rempli ta mission? Ou tes obligations? »


Pour une guerrière de cœur et d’esprit, le travail était une supercherie. Seules les obligations, les devoirs et les missions portaient la vérité de l’exécution. Même si les actes de Dara demeuraient très étranges aux yeux de Kory, elle songeait presque à voler toutes ces choppes afin d’attirer son attention de nouveau. Bien que son interrogation demeurait une façon indirecte de lui demander de passer plus de temps avec elle.

Elle était drôle, Kory. Drôle et perturbante. Y'avait qu'à voir ce qu'elle faisait avec l'apéritif que je lui avais servi pour continuer d'augmenter ma dette envers mon patron. Parce que j'allais devoir rembourser ces cadeaux que j'faisais, c'est c'qui m'faisait lever le nez par dessus mon épaule de temps à autre, que mes collègues et le boss lui même ne voit rien, ne savait-on jamais...

En tout cas, ça faisait plaisir de la voir enfin rire, même si celui-ci était aussi déroutant que son attitude, ça changeait vraiment avec l'état d'esprit dans lequel elle était arrivée, et j'pouvais en être que fier. A croire que la pauvre, même si elle ne m'avait pas reconnu aux premiers abords, m'aimait bien. Ou alors je me fourvoyais et c'était encore une différence de culture entre nos deux planètes ? Qui savait ?

Enfin, presque. Parce qu'elle jetait un froid en refusant mon affection. Mais je ne pouvais pas lui en tenir rigueur. La créature, l'alien, était bizarre certes, mais si naturelle, plus naturelle que les hommes alors, elle avait bien ses raisons. Même si sa main venait de quitter la mienne et qu'elle semblait osciller entre deux états d'esprit, je n'voulais pas m'en formaliser...

"Je t'accepterai Kory, je t'accepte déjà. C'est juste que c'est pas la première fois alors, j'essaye de me détendre. Tout ira bien, ne t'en fais pas."

J'essayais de m'en persuader. Ma mère adoptive était une débrouillarde. Cependant, même si je paraissais refuser son aide à l'instant, cette proposition ne tombait pas dans l'oreille d'un sourd. Vu ce que je la savais capable de faire, s'il fallait aller chercher ma mère même à l'autre bout du pays, je pourrais compter sur Kory... Et ça, ça réchauffait le coeur. Malgré ce chaud-froid que nous nous soufflions tout deux.

Et pendant que m'affairais à faire mon travail, celle-ci, échangeait, me faisant lever mes grosses billes sur elle avec surprise. Son aura, ou la langue qu'elle avait décidé d'utiliser, semblait apaiser ce gros costaud que j'étais à deux doigt d'cogner vu qu'il m'empêchait de travailler correctement. A discuter avec la belle alien, j'passais pour un glandeur alors mes gestes étaient plus rapides, comme pour donner l'mpression d'en faire plus.

"J'sais pas comment t'as fait mais merci !" Lui sortis-je en voyant le client fuir sans demander son reste. Alors que je m'apprêtais à retourner à mon service, quelque chose me fait encore m'arrêter, lui saisir la main. Curieusement, j'avoue qu'aujourd'hui, même d'un oeil en biais, je n'sais défaire mon regard ou ne pas revenir vers la blondirousse, je n'arrive pas à retenir ce qui me donne envie de continuer à lui donner du baume au coeur. Et je lui en donne, j'ai l'impression. Ses doigts entrelacés entre les miens et le baiser qu'elle me rendit me firent rendre compte du geste que je venais de faire. Durant quelques secondes, je reste figé sur place et mes joues rougissent un peu avant de reprendre une teinte normale et qu'elle me fasse froncer les sourcils en me confiant de nouveau ce que lui avaient fait les humains. "Je suis désolé... Mais tu sais, il y a d'autres gens comme moi, je n'suis pas le seul à qui tu peux faire confiance, crois moi. Il faut juste savoir les reconnaître. Je retourne à mon boulot mais promets moi de rester là hein ?"

Mon regard quitta enfin la tamaréenne pour retourner au boulot. Me démener à servir tout ces imbéciles de Gotham, d'autres bien moins imbéciles... Enfin, la routine quoi. C'était tout les jours, tout les soirs la même chose. Sauf que ces temps-ci, en plus de la routine, j'avouais que je passais souvent devant la maison familiale, pour savoir si maman était rentrée... Pour le moment, je faisais chaque soir chou blanc.

De toute façon, entre ça et mes envies de faire régner un peu d'ordre dans les rue de cette ville gangrénée par le crime et les Boss... Autant dire que je dormais peu actuellement. Alors quand le bar finit par se vider, petit à petit, agréablement surpris par le fait que Kory soit toujours présente, je retourna derrière le bar pour lui faire de nouveau face et la sortir de ses chimères, ou je n'savais bien ce qui pouvait se jouer dans sa tête... Commençant à reprendre la discussion arrêtait par mes tâches, elle me fit lever de nouveau de gros yeux bien ronds.

"Nos savoirs ? Je te parle d'échanger sur nos différentes planètes jolie princesse de..." Pour le coup, le nom de sa planète m'échappait totalement. "Enfin, de là d'où tu viens, Majestée." C'était comme ça qu'elle se faisait appeler ou avaient-ils un autre mot d'où il venait ? Je n'en savais rien du tout. C'est bien pour ça que je souhaitais m'intéresser à sa culture. Du moins, je préférais lui sourire et ignorer les traces que je repérais sur ses bras tandis qu'elle réajustait sa belle robe qui faisait briller la beauté qu'elle avait et ne devait soupçonner. "Non du tout ! Attends laisse moi quelques minutes ! Je reviens, promis !" Répondis-je à sa demande.

Son air perdue m'indiquait qu'il allait falloir que j'occupe l'extra-terrestre qui avait l'air de s'être embêté toute la soirée, ou alors, n'avoir fait que remuer nos échanges. Je la voyais bien chercher mon regard de nouveau. Peut-être douter de ma promesse ? Mais je comptais bien la tenir, quoi qu'il en coûte !

...

Ainsi allais-je m'arranger avec une collègue pour la fermeture du bar la semaine d'après. C'était un maigre prix à payer pour pouvoir passer une soirée avec la gracieuse jeune fille aux cheveux de feu.

"C'est bon, on peut y aller !" Fis-je en regardant ma collègue et en ajustant mon blouson.

"T'as pas intérêt à m'la mettre à l'envers Dara hein ! J'te laisse avec ta copine mais c'bien parce que..." Commença ma collègue...

"Oh ta gueule hein !" Hurlais-je en fronçant les sourcils avant de rattraper la main de Kory et de m'apprêter à l'entraîner à l'extérieur. "J'ai promis !" Lançais-je avant de plonger dans le regard de la tamaréenne. "Viens on y va." Lui soufflais-je en lui offrant un clin d'oeil amical.


Les mains entrelacées entre les siennes, j'avoue que j'en profitais... Qu'il était agréable de sentir l'air frais de la nuit, des nuages, de la pollution moindre qui surplombait le ciel de Gotham depuis le Blocus. Que ça l'était encore plus aux bras d'une belle rousse, qui semblait retrouver le sourire et s'intéresser à chaque détails, chaque anectodes que je lui racontais sur ma vie d'avant, sur les bâtiments qui nous entouraient...

"Et là ici ! C'est la première fois que j'ai lâché une énorme galette à cause de l'alcool ! Juste là, à nos pieds. Ma mère m'a défoncé quand je suis rentré dans cet état..."

D'ailleurs, on approchait du quartier où vivait m'man. On approchait un peu plus de davantage de souvenirs, mais curieusement, je m'arrêtais, lâchant la main qu'elle avait accepté pour lui faire face et m'interroger...

"Est-ce que tu veux voir là où j'ai quasiment grandi ?"

Quasiment oui... Mais la demande n'était pas anodine. Avoir Kory avec moi, c'était une valeur de sûreté... Peut-être que ça me faisait plaisir aussi, je n'savais pas. Cette balade était agréable... Et si je ne m'étais pas remis à penser à la disparition de ma mère... Peut-être en aurais-je plus profiter ?

L’héritière du trône de Tamaran pouvait se montrer puissante et indépendante. Mais, devant le jeune homme, la féline ne désirait que son approbation : un type de soumission passive presque semblable à la déesse-chat de la Terre – Catwoman. D'ailleurs, la géante à la beauté redoutable se demandait quelles étaient les missions de Sa Sainteté depuis les derniers jours.


En regardant Dara, Kory souriait légèrement : comme si ce geste lui avait toujours été interdit, il demeurait d’une réserve exceptionnelle. Certes lorsque son interlocuteur lui confirma verbalement son acceptation de son être, la créature sourit presque jusqu’aux oreilles de ses lèvres vermeilles et confiantes.


Penchant la tête à droite en regardant toujours avec incertitude les noix, Kory se concentra à essayer de se rappeler de quelles roches il s’agissait sur sa planète. Ou étaient-ce des graines? Dara retourna effectuer ses tâches, mais bientôt sa main trouva celle de la rouquine qui releva un sourcil de surprise. Certes cela ne l’empêcha guère de joindre ses doigts aux siens, en ressentant la chair rude de la paume.


Au geste répété par la féline sur le poignet de Dara, sa réaction causa le rire chez la créature qui fronça les sourcils par la suite dans un excès d’amusement. Aux mots du terrien, Kory lui rendit un minois des plus tristes, atteint d’une nouvelle résilience à l’égard de sa propre situation sur cette planète :


« Je ferais confiance à d’autres humains si tu me le demandes… Même si ce sera difficile. Je te promets de ne pas bouger d’ici jusqu'à ton retour. »


Pendant que Dara était occupé, Kory s’évoquait sa planète natale, la famille royale et l’armée. Plusieurs passages lui semblaient confus, mais la rouquine se concentrait. Elle obtenait quelques succès au sein de ses chimères étranges. Puis, tout à coup, Dara attira de nouveau son attention en lui adressant la parole. Il revint sur l’échange de savoir, oubliant littéralement le nom de sa planète. Avant de tenter de se reprendre en mentionnant son titre de princesse, et d’ajouter la mention sa majesté qui firent sourire malicieusement la rouquine.


Est-ce que Dara avait compris sa demande précédente? De traîner ailleurs une fois sa mission terminée? Il lui promit de revenir, ce à quoi Kory émit un petit signe de tête avant d’observer le jeune homme quitter son champ de vision. Elle pencha sa tête sur les noix, continuant de jouer avec la même comme si c’était un petit galet au lieu de la manger. Un peu plus tard, Dara revint telle une fusée vers Kory qui sembla surprise quand il lui prit la main avec hâte. Il réitéra sa promesse, laissant la créature sourire avec une candeur insoupçonnée. Elle le suivit en silence, encore plus fébrile devant la profondeur de son regard qui précéda son clin d’œil.



Par la suite, le jeune homme l’emmenait au cœur d’une promenade des plus inédites. Il passait son temps à parler, la traînant par la main et semblant admirer la nuit. Doucement, Kory hochait la tête à ses histoires, émerveillée de la moindre explication sur la vie anecdotique des habitants de la Terre. Bientôt, ses iris devinrent plus scintillants que menaçants.


Lorsque ses yeux retombaient sur son allié, ils devenaient plus intenses, plus admiratifs qu’agressifs. Puis, Dara lui montra un endroit sur lequel il se vantait d’avoir vomi, avant d’avoir mangé une raclée de sa mère. Soudain, Dara interrompit leur marche, demandant à la blondinette si elle désirait voir un nouvel endroit. Sur l’instinct, la rouquine explora son intérêt et libéra sa curiosité :


« Oui, Dara. »


Un silence suivit leurs échanges quand elle nota sa main de nouveau libre. Hypnotique, la silhouette féline de la créature se pencha vers son interlocuteur, relevant de son index son menton en le toisant longuement de son regard radioactif et iridescent de tons émeraude. Son minois s’approcha avec prétention du sien, révélant une longue cicatrice cachée dans son sourcil droit et des vestiges d’une griffure à la joue gauche. Trop sérieuse, Kory épela soudainement un mot :


« T-A-M-A-R-A-N. Tamaran. Je viens de la planète Tamaran, joli damoiseau. »


Œil pour œil, dent pour dent. L’orgueil de Koriand’r ne faisait que s’éveiller malignement. Délicates, ses longues boucles dorées tombèrent sur l’épaule de l’humain, tandis qu’elle se relevait déjà en laissant le bout de ses doigts effleurer l’os de sa mâchoire dans un geste aussi innocent qu’imprévu. Kory prit soudainement sa main : l’impression laissée par sa hâte semblait cacher quelque chose, un ressenti ou deux.


La féline semblait possessive de la main de son allié. Elle cligna des yeux plusieurs fois de suite, avant de réussir à lui donner un clin d’œil assez terrifiant. La princesse s’esclaffa avec un naturel foudroyant, avant de suivre son interlocuteur vers leur prochaine destination.


« Comment pouvons-nous échanger sur les différences de nos planètes selon les coutumes de la Terre? Je suis curieuse de vos méthodes. Sur Tamaran, nous faisons ça. »


D’un élan simple, Kory embrassa Dara avec douceur, légèreté en saisissant sa nuque pour seul appui.


Quelques secondes plus tard, la créature aux airs énigmatiques se redressa en libérant Dara de son emprise éphémère. Ce geste avait une signification différente pour les humains, mais Kory n’en tenue guère compte avant d’expliquer ce détail de son espèce :


« Par le toucher, nous pouvons assimiler les langues en partie. Mais, par l’acte de s’embrasser, nous avons une meilleure assimilation de la langue: ses expressions, ses subtilités, ses dialectes. C’est un partage des savoirs. »


Enfin, elle redevint plus sérieuse en regardant les immeubles aux alentours. Cet air candide, gamin ne cessait plus de quitter les traits fins de son minois éclatant de malice et de délices interdits.

L'air frais, la lune éclairant les allées empruntées, le parfum, la présence de la créature... Cette petite balade était des plus inspirantes. Surtout après une journée de routine supplémentaire, il n'y avait que libre que j'appréciais le temps qui s'écoulait doucement, comme actuellement. Ou peut-être qu'il s'écoulait beaucoup plus vite que je ne le pensais. Je n'en savais rien. Perdu dans mes pensées, à lui raconter tout et n'importe quoi. Comme des choses que des filles humaines auraient trouvé... Peut-être un peu sale...

Ouais, c'pas l'genre de trucs qui s'raconte normalement ça !

Sur Terre en tout cas, et bien qu'elle ne sembla pas plus écœurée que ça par ma déclaration, je changeais habilement de sujet, espérant continuer de voir cet intérêt, cette curiosité qui peinturait ses traits.

"Cool, c'est par là !" M'enjouais-je en tendant le bras vers une autre ruelle. Bon, c'était pas celle-ci, celle-ci, j'espérais qu'elle le comprenait, ça faisait un temps qu'on marchait et il nous faudrait encore un quart d'heure avant d'atteindre la maison de mon enfance. "Tu vas voir, on y est presque, c'est une petite maison par là." Signalais-je, en observant à chaque intersection qu'on prenait, que nous n'étions pas suivi. Nous continuons à avancer, dans un silence agréable. Trop agréable pour ne pas être suspect dans une ville comme Gotham mais, au fond, ce soir, je n'y prêtais guère attention... Curieux et souhaitant reprendre la conversation. Partager nos savoirs, comme elle me l'avait demandé, je m'arrêtais et plongeais mes iris dans ceux brillant de l'extra-terrestre. "Tu avais une maison ou tu habitais dans un palais sur Tamtamroum ?"

Je n'étais pas bien sûr de la prononciation que j'avais employée et lorsqu'elle s'approcha de moi, je dû me retenir pour ne pas esquisser un mouvement de recul. Kory était à la fois fascinante et dangereuse. Sa race également et rien ne me disait si me tromper dans le nom de son foyer serait considéré comme un affront par la belle. Mon souffle se coupa et j'embrassais son regard lorsqu'elle m'en épela l'appellation correcte.

"Ta-ma-rane ?" Répétais-je, mes billes roulant vers mes chaussures et mes joues rosissant légèrement à son curieux compliment. Est-ce qu'elle me charriait ? Probablement oui, pour le "jolie princesse" que j'avais utilisé plus tôt. "Tamaran !"

C'était une façon d'imprimer. Tamaran. C'était une tamaréenne ? J'allais poser la question quand elle pencha la tête, me rappelant la nostalgie de mes premières amourettes de collégien. Mon palpitant s'emballait quelque peu, j'devais l'avouer. Davantage quand elle ramena ses doigts pour caresser mon visage avec douceur. De ma main libre, j'en fis autant, passant le pouce sur son sourcil cicatrisé, sans pour autant oser lui demander ce qui avait pu lui arriver.

Y'a qu'à voir comme elle a l'air triste et perdue à chaque fois qu'elle cherche à se souvenir !

Dans le genre mauvaise idée pour lui faire perdre la flamme, sa flamme qu'elle semblait retrouver. A m'en faire frissonner par sa manière de me dévisager et de rire étrangement alors que je lui offrais une bouche en cul de poule, ébahi par cette oeillade pour le moins terrifiante sur l'instant. D'ailleurs elle continuait de m'faire me raidir sur place. C'était tout le paradoxe des sensations par lesquels elle me faisait passer depuis notre première rencontre. Elle soufflait le chaud et le froid sans s'en rendre compte.

"Comment ? Euh."

Par les livres peut-être ?

Je n'eus pas bien le temps d'y songer que son visage s'approcha du mien. Si j'avais voulu tenter un mouvement de recul, je n'aurais même pas réussi avec cette main qui avait glissé à l'arrière de mon cou. Une main douce, agréable et qui semblait enfin se réchauffer. Le baiser qu'elle m'offrit fût tout aussi agréable.

A nouveau, mes lèvres avaient formé un arc de cercle, me rendant parfaitement idiot, probablement, ou peut-être pas pour un être comme la rouquine. Des tonnes de questions me brûlait les lèvres, mon cerveau fulminait. Est-ce que c'était loin, Tamaran ? Comment était-elle arrivée ici ? Est-ce que toutes les filles étaient aussi jolie et spéciale qu'elle là-bas ? Mais surtout...

"C'est vrai ?"

J'en doutais pas vraiment, disons que c'était plutôt une manière de lui faire comprendre que j'avais adoré partager mon savoir... Si elle se moquait pas d'moi et n'avait pas fait ça par pur envie. Personnellement, je trouvais cette façon particulièrement agréable, me pinçant les lèvres en souriant, en me perdant dans ses globes.

L'espace d'un instant, j'eus l'envie d'accrocher de nouveau mes lèvres aux siennes mais, dans celui qui suivit, la lucidité me revint et par une nouvelle crainte de faire quelque chose qui pourrait lui déplaire, je continuais de lui sourire, avec le même air hébété. Avant de secouer la tête, d'empoigner sa main, encore et me mettre à courir cette fois, en lui faisant comprendre de faire de même avec douceur.

Lorsque nous arrivions sur le trottoir, face à la maison de Roxana, je lui fis de nouveau face. Observant la géante avec le même air taquin qu'elle m'avait servi après son acte.

"C'est là." Déclarais-je en tournant la tête et en désignant la bicoque du menton. "Est-ce que tu veux visiter ou tu préfères en savoir plus sur cet endroit en utilisant ta technique."

Un rictus m'échappa en la dévisageant. J'espérais qu'elle comprenne bien ou je voulais en venir... Un second baiser, si elle me l'autorisait, ne serait pas le malvenu, je devais l'avouer. En vérité, mon corps battait à tout rompre.

Oh puis allez ! Me dis-je ! Avant de poser mes deux paumes sur ses joues et soulever légèrement les talons pour lui offrir un baiser à mon tour... En espérant que cela lui plaise tout autant que ça m'avait plu.

"Chez nous, on fait ça pour montrer à quelqu'un qu'on l'apprécie beaucoup."

Enfin, si elle pouvait lire dans mes pensées comme je le supposais grâce à ce contact, alors elle comprendrait... Est-ce que ça m'faisait peur. Ou est-ce que c'était bienvenu vu le monde dans lequel on vivait. Un peu de douceur, que diable...