When we are drunk and angry

Y a un truc de marrant avec Dara, si tant est qu’on peut vraiment trouver ça drôle, c’est qu’il ne réalise jamais vraiment que, pendant nos soirées, je ne bois pratiquement pas. En tout cas, plus depuis deux ans. Outre le fait que j’ai plus vraiment les moyens pour ça, contrairement à lui, je ne peux pas me permettre de laisser échapper quoi que ce soit sur la double vie que je mène. C’était déjà le cas avant mais, depuis le blocus, c’est encore pire. Et quelle que soit l’affection que j’ai pour Dara, ou justement parce que je l’apprécie beaucoup, il ne doit pas savoir. Pour sa sécurité.

Alors ouais, j’ai appris à avoir l’air ivre, sans trop de difficulté. Je me demande si Bruce faisait de même, pendant les soirées mondaines où moi je descendais les flûtes de champagne en douce. Je me souviens des remontrances que j’avais pu avoir, surtout quand on devait enfiler nos costumes au beau milieu d’une de ces fameuses soirées. Bref, j’ai l’air donc d’avoir bien bu, beaucoup trop même, comme Dara. Et j’ai un rire quand il me fait sa déclaration fraternelle, lui tapotant l’épaule. « Ouais redis-moi ça demain mon grand, ce sera drôle. »

J’ai une affection toute particulière pour Dara. Probablement parce qu’il est la dernière trace de « normalité » de mon existence, alors que tout le reste a volé en éclat avec la disparition des supers. Si tant est que j’avais une vie normale, ce qui reste à prouver. Alors ouais, forcément, j’apprécie ce genre de soirées, même si elles sont particulièrement rares et même si j’ai toujours mal aux côtes après mes dernières mésaventures.

Et j’avoue que je regrette presque de ne pas avoir vraiment bu. Juste pour oublier, quelques heures, pour croire, même un instant, que je ne suis qu’un gamin de 22 ans sans responsabilités, qui n’a pas à se soucier du reste du monde Je suis à deux doigts d’envoyer bouler mes bonnes résolutions et de proposer à Dara d’aller dans un autre bar pour continuer la soirée.

Sauf que, bien évidemment, ça se passe jamais comme je voudrais. J’entends les insultes et les cris. Et je me fige, espérant vaguement que Dara ne va pas entendre et ne va pas se précipiter comme… « ah bah pas comme ça donc… » J’ai parlé tout seul, dans un soupir, alors que je le suis avec un temps de retard, observant mon environnement avec attention pour savoir comment m’en servir si… quand les choses vont déraper.

En vrai, j’ai même pas le temps de me demander quand ça va arriver, vu que Dara prend la parole. Et, sans pouvoir me retenir, je pouffe de rire, plus nerveusement qu’autre chose, quand il les traite de pédales. Il est pire que Jay et moi en fait quand on est de sortie. Je réalise qu’il y a deux autres types derrière le grand baraqué qui s’avance vers Dara et je toussote, juste histoire de rappeler qu’il est pas tout seul donc. « Bon, les mecs, vous allez être intelligents et rentrer chez vous avant que ça dérape. On est genre des adultes responsables et tout non ? » Ahaha… on est dans la merde hein. Surtout quand je vois que les mecs derrière ont des bras qui sont aussi gros que mes cuisses. Alors ouais, je suis pas bien épais, je le sais bien, même si je suis tout en muscles et que je peux les mettre KO sans trop de problèmes. Va juste falloir trouver le bon équilibre pour que Dara ne se mette pas à imaginer des trucs, ce serait con.

Dara me fait marrer quand même. Je vois à sa tête d’offusqué qu’il s’attendait pas à ce que je lui réponde ça. Et je suis à peu près sûr qu’il est sincère dans sa déclaration d’amitié. Je me suis vraiment attaché à lui avec le temps et il reste le seul ami « normal » que j’ai encore aujourd’hui. Je me suis détaché de tous les autres, c’était pas plus mal au final, surtout vu la vie que je mène maintenant. Et puis, on va pas se mentir, la plupart des petits cons friqués que je fréquentais ont mis les voiles dès que ça a commencé à puer pour eux. C’est pas plus mal, parce que je pense qu’ils auraient passé un sale quart d’heure. Mais je me demande quelle tête ils feraient à me voir là, à galérer pour faire deux repas par jour, à enfiler un costume élimé pour aller combattre un crime qui a fini par gangréner absolument tout.

En vrai, je me demande aussi quelle tête ferait Dara s’il savait. Parfois, j’ai envie de lui dire, mais j’ai peur que ça l’incite à faire de même, qu’il risque sa vie alors qu’au final, on est grave dans la merde. Et qu’il a pas besoin de ça.

Je devrais probablement me marrer quand il me dit que je suis con et que lui est chaud pour la bagarre, mais c’est nerveux. Je crois. Sauf que, visiblement, ça plait pas trop aux trois autres que je me marre. J’aurais dû m’en douter. Et je souffle, sans réfléchir. « Vous allez pas faire vos susceptibles quand même non ? » Oui, oui, j’aurais dû me taire. A croire que le côté imprudent et grande gueule de Dara est contagieux.

La demoiselle au sol semble attendre que quelqu’un valide son droit à déguerpir et je hoche la tête, lui désignant la rue bien plus éclairée. « Et dépêchez-vous. » Des fois qu’elle manque encore de bol et retombe sur un groupe du même genre. Ce qui arrive malheureusement trop souvent pour qu’on puisse parler de de coïncidence. A croire qu’ils se donnent le mot.

Je penche la tête sur le côté quand je vois Dara foncer sur le type et lui balancer une vanne qui lui vaut un plaquage en bonne et due forme. Enfin non, c’est pas hyper réglementaire comme façon et je grimace quand j’entends les os craquer. « Merde, ça va ? » Bon, vu qu’il continue de le vanner, je suppose que oui. J’ai un soupir alors que, d’un mouvement vif, je me saisis d’un couvercle de poubelle pour en asséner un grand coup sur le premier type qui m’approche. Il se retrouve direct sur le cul, totalement sonné, alors que l’autre se fige en me regardant. J’ai un sourire malicieux à son attention alors que je vois dans ses yeux qu’il comprend. Qu’on est pas juste des petits branleurs qui jouent aux chevaliers servants et qu’on sait se battre. Enfin, pour Dara, je suis pas sûr à 100% de cette affirmation mais pour moi… « T’es sûr que tu veux jouer à ça ? » Je le vois se redresser, la mine fermée et les poings serrés. « Okay… tu pourras pas dire que t’étais pas prévenu. » Et j’inspire longuement, lançant mon couvercle de poubelle sur le côté et prêt à me battre. Il va passer un sale quart le mastodonte. J’ai pas peur de types comme ça, ils sont pas assez mobiles et agiles pour vraiment être inquiétants. De la force brute, rien de plus. Enfin, faut quand même éviter de se prendre une bonne droite, parce que ouais, ça pique un peu.

Je commence à connaitre Dara depuis le temps et je pensais pas qu’il serait du genre à se jeter dans la baston comme ça en vérité. Faut dire qu’il est plutôt du genre … gentil. Mais pas dans le sens péjoratif hein, c’est une des rares personnes sympas qui vivent encore dans le coin et qui se font pas manger par les boss. Donc forcément, je suis un peu surpris de le voir se battre. Bon, c’est clairement pas un pro et je songe vaguement à trouver un moyen de l’entrainer. Ou l’orienter vers des gens qui lui fileront des cours, histoire de pas trop lui montrer ce que je sais faire. Encore que, je peux très bien avoir des compétences en tant que pupille oisif de Bruce Wayne qui n’avait rien de mieux à faire de ses journées.

Je me prends une droite qui me sonne quelques secondes et je me rends compte que je suis un peu trop perdu dans mes pensées. Je secoue la tête pour me ressaisir avant de glisser sous le mastodonte qui m’a attaqué, entre ses jambes. Forcément, il reste con et j’en profite pour lui asséner un coup de coude au niveau du bas du dos, ce qui le fait trébucher avant que je lui assène un coup de genou en pleine face. Là, il devrait être KO quelques minutes au moins. « Ouais, ouais, ça va ! Et toi ? » J’ai pas eu trop le temps de faire attention à Dara pour le coup et il a l’air en mauvaise posture.

Je ramasse de nouveau mon couvercle de poubelle, prenant une inspiration alors que je me précipite vers lui. Il est en train de se faire tabasser, fait chier, j’aurais dû faire plus attention que ça. J’assomme le … nounours qui était en train de le rouer de coups et je suis soulagé d’entendre Dara prononcer mon prénom. « Cool. T’es pas mort. » Enfin une bonne nouvelle. Je tends la main pour l’aider à se relever, avant de sursauter quand il crie qu’il y a des renforts. « Ah merde. » J’analyse rapidement la situation et, même si je pense que je pourrais gérer, je me dis que ce serait une mauvaise idée de maitriser une dizaine de types l’air de rien. Et que, même s’il a bu, il risquerait pas d’oublier de ça de sitôt. Sauf que, bien évidemment, ils nous bloquent la sortie. « Hey mon pote, tu veux jouer à l’acrobate ? »

Parce que ouais, faut se tailler. Alors je saute sur un des containers pour attraper l’échelle de secours et la faire descendre. « Amène-toi ! On se taille de là ! » Par les toits, ça devrait le faire non ? Et puis, au pire, s’ils montent, ce sera un par un, là on pourra donner l’impression de gérer. Je m’accroupis, tendant la main en direction de mon ami pour l’aider à grimper sur le container. J’espère que ça va aller pour lui quand même. Mais si on prend de la hauteur, je saurais gérer sans problème.