Party hard... | Zatanna

Je pose une main contre le mur, reprenant tant bien que mal mon souffle, avant de grimacer quand je réalise que je viens de toucher une substance poisseuse non identifiée. « Putain, cette ville est vraiment devenue une poubelle. » Je m’essuie sur mon imper avant d’inspirer longuement, me retenant de cracher mes poumons au sol. « Et faudra que je songe à arrêter de fumer un jour. » Tu parles.

Je reprends ma course alors que l’ombre de ma cible se dessine dans la ruelle. Un cul-de-sac. Ce branleur s’est bien raté sur ce coup-là. A moins qu’il ait la capacité de sauter par-dessus les immeubles, ce que je ne peux pas totalement exclure malheureusement. Si la plupart du temps, ce sont des démons mineurs qui prennent possession des humains, ils arrivent qu’ils aient des grosses capacités qui continuent parfois, rarement, de me surprendre. Heureusement, ils arrivent à suivre certaines règles, à part certains gros rebelles qui ont plus les foies de retourner en enfer que moi de voir le monde devenir non-fumeur, et je me retrouve rarement avec du gros gibier. Bon, ça reste suffisamment casse-couilles pour qu’on me demande d’intervenir. Et puis, ça m’aide à gagner ma croûte. Faut au moins ça pour survivre dans ce coin merdique.

Je finis par m’arrêter devant ce qui, en théorie, ne devrait être qu’une gamine de quoi ? Seize ans max ? Ouais, pas plus. Mais la possession commence déjà à lui ravager un peu la gueule. Et le ravalement de façade, ce sera pas pour demain chérie, désolé pour toi. Ses parents l’ont trouvée bizarre quand elle s’est mise à dessiner des pentacles, à marmonner dans une langue qu’ils connaissaient pas… ce genre de trucs qui auraient pu faire penser à une phase émo-gothique un peu spéciale. Mais visiblement, qu’elle essaie de poignarder son petit frère pour en faire un sacrifice rituel leur a mis la puce à l’oreille. Ah les joies de la famille.

Une semaine que je suis sur le coup. Vu que la demoiselle s’est tirée dans la foulée. Heureusement, le démon qui essaie de s’installer est un peu con, voire pas très débrouillard. Ou la môme a plus de volonté que je le pensais. En tout cas, j’ai fini par la retrouver. Et ça fait donc une heure que je la course dans la ville. Autant dire que tout le monde autour de nous se fout complètement de voir un mec trois fois plus vieux essayer de pécho une gamine dans une ruelle dégueulasse. Quand je vous disais que cette ville partait en couilles, je déconnais pas hein.

Elle se fige quand elle réalise qu’elle est dans une voie sans issue et j’ai un petit sourire en coin alors que j’attrape un flacon d’eau bénite. Je commence à être en rupture de stock, va falloir que je fasse des recharges à l’occasion. « Salut le branleur. Pas besoin de me présenter j’imagine. Alors on va la faire courte. Tu la laisses tranquille et peut-être que je ferais ça rapidement pour que ce soit pas trop douloureux. » Si je peux voir, l’espace d’un instant, briller dans le regard de la môme de la vraie terreur, ça dure pas malheureusement. Et, malgré la lueur blafarde de la ruelle, je peux voir ses yeux briller d’une lueur rougeoyante et un sourire mauvais qui n’a rien à faire sur un visage comme le sien. « Viens me bouffer la chatte ducon. » Et je lève les yeux au ciel. « T’es sérieux là ? On dirait un remake foireux de l’exorciste… me fais pas le coup de la tête qui tourne à 360, ça risque de me mettre de mauvaise hum… » Pas le temps d’en finir plus qu’il/elle vient de me balancer un truc à la gueule. Du vomi démoniaque ? Ouais, sûrement. J’ai une moue vaguement dégoûtée alors que j’essuie mon imper et je soupire. « Okay. Tu veux la jouer comme ça. »

Alors je remonte soigneusement mes manches, non sans lancer une fiole d’eau bénite en plein sur la gueule, provoquant un hurlement de douleur jouissif. Et je la plaque contre le mur, mon regard ancré dans le sien. « C’est l’heure de l’expulsion petite enflure. » Là, normalement, j’aurais dû faire attention à mon environnement, ce genre de conneries. J’aurais probablement eu une sacrée surprise. Sauf que je suis concentré sur mon boulot là. Et je dois faire vite, avant que l’essence de la gamine ne finisse totalement bouffée par cette saloperie. Pas que ça m’importe vraiment, mais je suppose que je serais moins bien payé si je la ramène pas. Et dire que ça fait que deux semaines que je suis revenu à Gotham. Quelle vie de merde tien.

Sur le coup, ça ne lui est pas apparu comme l’idée de génie de l’année, plutôt comme un mal nécessaire… Mais en vérité, faire un pacte avec Ivy a été la meilleure décision qu’elle a prise depuis la chute. Dick, Barbara, Jason et les autres ne seraient sans doute pas d’accord et, oh, elle n’ose même pas imaginer ce qu’en penserait Bruce, mais le fait est qu’elle est là, à se balancer doucement au rythme d’une brise tropicale crépusculaire, chaude, en maillot de bain, à siroter un cocktail dans une noix de coco, pendant que d’autres sont à la rue, ou en train de faire elle ne savait trop quoi, mais sans doute pas grand-chose de joli joli… Elle a honte, un peu. Elle a honte, et en même temps, la désinvolture qu’elle affiche face au sort de Gotham, le sourire naïf qui est le sien quand, à genoux, elle prend soin de ses plantes sur le petit lopin que lui a concédé l’Empoisonneuse… Ne fait que trahir le profond trauma qui la détruit chaque jour un peu plus. Elle a peur, Zatanna. Elle est terrifiée d’à nouveau tomber entre les mains de la mafia, ou de qui que ce soit d’autre. La perspective d’être à nouveau asservie l’empêche de dormir la nuit, fait fonctionner sans interruption ses neurones à la recherche de moyens existants qu’elle pourrait détruire dans l’œuf, se débarrasser de la menace… Elle ne peut rien faire pour Gotham dans cet état, alors qu’elle n’est même pas capable de s’aider elle-même…

Mais dans l’Eden, c’est différent. Elle peut user de magie autant qu’elle veut. Ivy la connaît, et ses protections s’appliquent généreusement à elle aussi, malgré qu’elle ne soit pas l’une de ses gardiennes ou l’un de ses orphelins. Elle apporte sa pierre à l’édifice, et, depuis qu’elle n’a plus à traîner incessamment les rues, dans la recherche constante d’un nouvel endroit où s’abriter pour quelques heures, elle revit, un peu. Malgré les cernes de fatigues qui restent, elle a meilleure mine, presque bonne mine même, de pouvoir prendre le soleil. Physiquement, toutes ses plaies ont disparu, ainsi que toutes les plumes laissées par la malédiction. Ne reste que la blessure la plus profonde de toutes…

… A laquelle elle essaie de ne surtout pas penser. En fait, elle essaie de ne penser à rien, ses réflexions la tirant irrémédiablement vers le bas, et vers des monstres qu’elle n’a aujourd’hui absolument pas la force de vaincre.

« Ivy ! Ivy ! » D’un coup, ça crie dans l’Eden. On cherche la taulière, mais elle est absente pour le moment. Zatanna se redresse, pose sa noix de coco. « Tnemegnahc ed tnemetêv ! » Un éclair bleuté plus tard, elle est en jean, baskets et sweet noir, sa tenue habituelle d’errance dans la ville. Elle se dépêche de rejoindre les gardiennes. « Un problème ? » Elle demande, soucieuse de voir débarquer l’offensive d’un boss ou l’autre. « Oui ! Nous venons de voir un homme pourchasser une jeune fille ! Nous pensions que peut-être, Madame voudrait intervenir. » Zatanna hoche la tête. Elle hésite, à peine un instant, mais avant qu’elle n’ait eu le temps d’y réfléchir de façon rationnelle, ses vieux réflexes reprennent le dessus. « J’y vais ! » Elle lance, s’élançant, elle aussi, du même coup, à la poursuite du couple, baguette déguisée en taser en poche.

La poursuite dure un moment. Assez pour que la nuit tombe. A plusieurs reprises, Zatanna pense s’être trompée de direction, mais le bruit lui permet de retrouver les deux fuyards. L’avantage des villes américaines construites en blocs. Aucun doute que dans une ville Européenne, elle les aurait définitivement perdus. Elle finit par débouler dans leur ruelle… Au moment où la gamine, avec une voix d’outre-tombe, demande à l’homme de « lui bouffer la chatte »… La sorcière se fige, son cœur au rythme déjà rapide en raison de la course s’enflammant plus encore… Avec lenteur, un pas après l’autre, elle approche, et au fur et à mesure que les ténèbres se dispersent, les détails sont de plus en plus nombreux à lui sauter aux yeux… Le par-dessus, les cheveux blonds en épi… C’est John ! Ses yeux s’embuent, sa voix se noue. Sans doute au pire des moments. Elle ne voulait pas le distraire, raison pour laquelle elle ne fait aucun bruit, mais le démon, lui, la voit… Plaqué contre le mur, il se montre plus docile, juste le temps de laisser un sourire mauvais étirer ses lèvres… Et de violemment repousser John pour sauter sur Zatanna, qui se laisse surprendre et tombe au sol, s’assommant à moitié quand sa tête heurte le bitume, sentant comme son crâne se fêler sous l’impact. La douleur est lancinante, immédiate, mais moins urgente que le démon qui la domine avec un rire d’outre-tombe et, obscène, passe sa langue immonde sur sa joue… Par réflexe, dans la lutte, la sorcière sort sa baguette taser et colle une pleine décharge magique au démon, qui couine comme l’aurait fait un chien, se jette en arrière pour la relâcher. Mauvaise, Zatanna se redresse, et lui envoie une autre décharge qui, à la surprise du démon, fend les airs pour venir le trouver, ou plutôt trouver son épaule, parce qu’il a mis trop de temps à vouloir l’esquiver.

Il a peur de comprendre, le démon… Mais c’est trop tard. « Sniam te sdeip sévartne ! » Avant qu’il n’ait eu le temps de filer, le démon se trouve sur le dos, pieds et poings liés ensemble comme le seraient ceux d’un veau après un rodéo… Il se débat comme le démon qu’il est, mais Zatanna se relève, s’époussette… « Aucune chance que tu les brises, ceux-là ! » Elle les lance, en parlant des liens, avant de porter sa main à l’arrière de sa tête. Il ne l’a pas loupée, comme le démontre l’humidité qu’elle perçoit sous ses doigts, à travers ses cheveux. Quand elle les ramène devant ses yeux, elle les voit plein de sang… Et soupire, avant d’essuyer ses doigts sur son pantalon et de se tourner vers John, incapable de savoir si elle doit lui sauter au cou… Ou pas.

Y a des jours où c’est sacrément la merde. Et ça fait deux ans que ces jours-là, c’est tous les jours. Oh, j’arrive à m’en sortir, probablement mieux que les autres. Parce que, étonnamment, les gens apprécient moyennement d’avoir un de leur proche possédé. Le plus marrant étant quand même quand il s’avère que c’est pas le cas et que c’est juste un gros connard. Comme quoi, pas besoin du démon pour se comporter comme la dernière des merdes. Juste les joies de l’humanité quoi.

Enfin bref. Là je suis donc très occupé à me faire insulter et à réfléchir sur le fait que pratiquer un exorcisme en pleine rue n’est pas la meilleure idée de l’année. En vrai, j’ai juste envie de lui éclater la tête contre le mur et de le traîner dans un coin où je pourrais bosser tranquillement. Sauf que ça risque éventuellement d’endommager le corps de la môme. Et, même si je suis du genre patient, il m’a déjà bien gonflé à me faire courir de partout comme un con. Je pèse le pour et le contre alors qu’il semble se calmer un peu, oubliant, l’espace d’une seconde, d’être aussi attentif à mon environnement que d’habitude.

… grossière erreur ouais.

Je vole sur plusieurs mètres et j’atterris dans une poubelle éventrée, saluant un rat et sa petite famille qui avaient décidé d’installer leur villégiature dans le coin. Et je me relève tranquillement, essuyant mon trench avant de me figer en réalisant qu’il a pris quelqu’un d’autre pour cible. Enfin, c’est pas vraiment ça qui me pose souci, c’est déjà arrivé plus d’une fois. Mais c’est surtout…

Putain, c’est pas Zatanna quand même.

Je reste les deux pieds plantés dans des déchets à un stade de décomposition plus ou moins avancé, papillonnant des yeux comme un con alors que le démon surplombe… la fille. On va l’appeler la fille, parce que c’est juste impossible que ce soit elle. Je secoue la tête alors que je me décide enfin à bouger et que je continue d’observer la scène sans intervenir. Bien m’en a pris vu qu’en moins de temps qu’il ne faut pour parler des chaussettes de l’Archiduchesse, voilà que ma cible est toute bien saucissonnée et prête à être servie sur un plateau. Et j’ai reconnu sa voix. Je la reconnaîtrais n’importe où, n’importe quand. Mon cœur a même un arrêt quand elle a prononcé sa formule.

Sauf que c’est impossible.

Quand elle se tourne vers moi et qu’elle reste figée, je me rends compte, ENFIN, qu’il est temps pour moi de dire ou de faire quelque chose. Ignorant totalement le petit branleur qui marmonne des trucs dans la barbe qu’il n’a pas, je me précipite vers elle. Pour la plaquer contre le mur, ma lame sortie et posée contre sa gorge. « Ca me fait pas du tout, mais alors pas du tout marrer. » Ma voix tremble, tout comme ma main mais je déglutis, le visage totalement fermé. « Je sais pas lequel d’entre vous a eu cette idée de merde de vous faire passer pour elle… mais putain t’as intérêt à bien répondre à ma question, sinon, je vais me fâcher. » Je me retrouve à quelques centimètres de son visage, mon regard plongé dans le sien. Et je souffle, essayant de ne pas me dire que ce sont ses yeux, son nez impertinent, ce grain de beauté que je connais par cœur. Ce n’est qu’une illusion. Une putain de bonne illusion qui va me rendre dingue. « … alors je te le demanderai qu’une seule fois. Qui es-tu ? » Et putain, arrête de trembler Constantine, t’as l’air d’un amateur.

Elle ne sait pas trop ce qu’elle espérait, Zatanna, après tant de temps sans nouvelles. Un salut ? Un câlin ? Sans doute un câlin, sans savoir si elle aurait pu le supporter… Mais elle ne réalise, qu’en le voyant, visage fermé si pas haineux, foncer dans sa direction et sortir sa lame que ça a été bien naïf de sa part… John est torturé par les démons depuis toujours. Il ne l’a pas vue depuis plus de deux ans, et elle, elle débarque, comme une fleur. Erreur de débutante. Mais elle n’a plus l’impression de faire que ça, Zatanna, des erreurs de débutante… N’est-ce pas ce qu’elle est redevenue ? La magie, elle la sent toujours, elle peut toujours en faire quelque chose… Mais dans quelles conditions ? Demain, le branle-bas de combat serait sonné chez les Amazones, comme il y a quelques années, elle serait totalement incapable de reproduire ce qu’elle a déjà fait, même en sachant qu’elle pouvait y arriver… Même elle ne se reconnaît pas. Alors comment John pourrait la reconnaître ?

Ces réflexions filent comme la lumière à travers son crâne, qui heurte à nouveau douloureusement le mur, et fait gémir de douleur Zatanna, qui voit des étoiles. Ou plutôt, des points blancs danser devant ses yeux, occulter par endroits le visage furibond de John. Ses yeux, plutôt que marrons, lui semblent noirs ce soir. Comme si c’était lui, le démon… Il lui faut plusieurs secondes, à la magicienne, pour se recentrer sur les mots qui s’enchaînent hors de la bouche de l’exorciste. … qu’une fois… Elle a l’impression de sortir d’un aquarium. Quand, finalement, le bleu de ses yeux tombe dans le brun de ceux de John, elle a l’air terrifiée. Elle sent le froid de la lame sur son cou, cette lame qui l’entaille, pour le moment de façon superficielle, alors qu’elle commence à se débattre. « Lâche-moi s’il te plaît John… » Elle supplie, elle ne veut pas répondre à sa question, parce qu’il n’y a pas de bonne réponse. Elle aimerait lui dire quelque chose que des démons ne peuvent pas connaître, mais les démons savent tout, et la première chose que ferait un démon, c’est prétendre être elle, en constatant, sans trop de peine, à quel point ça le déstabilise. Alors Zatanna a peur. Elle a passé deux ans dans la peur, et ce soir, elle renoue avec le point culminant. John n’a pas ou peu d’état d’âme, il n’hésitera pas ou peu à la tuer s’il sent qu’elle le dupe… Le fait est qu’elle se dupe elle-même. Qui est-elle ? Elle-même n’en a plus la moindre idée !

Elle est comme un oiseau apeuré qui virevolte à s’en faire mal de panique, dans sa cage. Ses yeux sont fous, et les morsures de la lame sur son cou sont de plus en plus nombreuses, de plus en plus profondes. Le fil est tel qu’elle sent à peine sa peau se lacérer. « Lâche-moi John ! » Elle répète, la panique la gagnant de plus en plus, jusqu’à ce que, par réflexe, elle fasse parler sa baguette. Le taser ne touche pas l’exorciste, mais l’objet n’a de taser que l’allure. L’éclair bleu le frappe quand même, Zatanna regardant, horrifiée, le corps de John se voir parcouru des éclairs bleutés. C’est moi qui ai fait ça… Elle reste interdite, de longues secondes, à dévisager Constantine, qui s’est affaissé sur lui-même… Ses yeux sont grands ouverts. Elle sait qu’il est conscient, juste incapable de bouger. Libérée de son emprise, les veines saturées de l’adrénaline de la terreur, Zatanna essaie de se rassembler avec elle-même… Elle contourne le corps de l’exorciste, qu’elle prend le temps de redresser, et d’asseoir, dos au mur. S’accroupissant devant lui, le visage de la magicienne est déformé par la peine. « Je te demande pardon… » Délicate, elle écarte une mèche de ses cheveux blonds de son front, dépose un baiser sur sa joue, léger comme une plume… Et se retourne pour prendre la fuite. Depuis sa retransformation, la sorcière peine à se montrer rationnelle… Limite plus bête qu’humaine, elle obéit à son instinct, ici celui d’une biche aux abois, totalement morte de trouille…

Vous connaissez le principe des âmes sœurs ? Je parle pas de ces conneries romantiques qui donnent envie de gerber des arc-en-ciel ou des merdes du genre. Je parle de ces gens, de cette toute petite poignée de personnes que vous avez la chance de croiser sur votre route et qui vous donnent l’impression d’être entier ou, mieux que ça, que la vie vaut éventuellement la peine d’être vécue. Voilà ce qu’a toujours été Zatanna pour moi. Elle a été la seule en fait, autant dire que pour la poignée de personnes, je m’assois un peu dessus ouais. A la seconde où je l’ai vue, j’ai su qu’elle ferait toujours partie de ma vie, d’une façon ou d’une autre. Et que personne vienne me parler d’être amoureux ou d’un autre truc de branleur qui me donnerait envie d’encastrer quelqu’un dans un mur. Avec elle, je me sens moins… vide.

… je me sentais moins vide plutôt.

Alors ouais, maintenant que je l’ai perdue, je sais que je tourne plus trop rond. Enfin, c’était déjà pas terrible avant mais, quand on perd une des rares choses qui comptent bah, forcément, on a tendance à merder davantage. Forcément, ça me surprend pas plus que ça que ces fils de pute aient décidé de prendre son apparence pour m’embrouiller. En vérité, je suis même étonné que ce soit pas arrivé avant.

Sauf que je m’attendais pas à ça. La réaction de cette saloperie qui a pris sa place à elle n’est pas normale. Ma lame continue d’appuyer sur sa gorge alors qu’elle me… supplie. Qu’on soit d’accord, ces connards le font souvent, c’est pas le souci. Sauf que c’est pas comme ça. Jamais. Et j’ai pas vraiment le temps de piger ce qui se passe que je me prends un coup de taser dans la gueule. Enfin, de taser magique. Je me retrouve figé, les yeux écarquillés, incapable de réagir alors que mes tripes me hurlent que c’est elle, que c’est bien Zee. La mienne. Sans l’ombre d’un doute. J’ai du mal à respirer alors que mon cerveau n’arrive pas à assimiler l’information. Et je me laisse faire, incapable du moindre mouvement, quand elle m’assoit. J’essaie de parler, mais y a absolument aucun son qui sort de ma bouche. Et putain, j’ai jamais autant détesté devoir fermer ma gueule.

Si je me rappelle bien, j’ai encore quelques secondes de paralysie avant de pouvoir me lever. C’est dans un moment pareil que je me dis que le temps est une petite pute qui aime se faire relative au pire des moments. Je finis par sentir son emprise se défaire et, sans même un regard en direction de l’autre branleur qui continue de m’insulter en étant pieds et poings liés, je me précipite dans la direction prise par Zatanna. J’ai tout juste le temps de passer le coin de la rue que je la vois s’engouffrer dans une autre. Et ainsi de suite. Je sais pas combien de temps ça dure, combien de putain de rues de merde on traverse mais on finit par se retrouver dans un cul-de-sac. Et c’est tant mieux parce que je commence à être à bout de souffle.

Sauf que c’est encore un coup à ce que je me fasse foutre à terre sans piger ce qui se passe. Alors, je prends une grande inspiration et je souffle, en direction de la jeune femme encore à quelques mètres de moi. « Zee… dis-moi juste que c’est toi. Juste que… t’es bien là putain. » Et non, j’ai pas la voix qui tremble, c’est juste dans ma tête. Tout en parlant, j’attrape mon briquet et je murmure, puisant dans toute mon énergie, ma magie. « Murus ignis… » Un mur de flammes se dresse alors derrière moi. Il durera le temps que ça dure mais, au moins, elle sera freinée si elle tente de se barrer. Et je reprends, essayant de calmer le tremblement de ma voix. « Aucun démon serait assez con pour faire ce que t’as fait Zee et se barrer en s’excusant. Ou alors, ils sont devenus sacrément malins. » J’ai un sourire, mon regard essayant d’accrocher le sien pour que je sois sûr. Même si je suis tenté d’écouter cette foutue voix qui me souffle que, si c’est pas elle, c’est pas bien grave. Au moins, je la revois, même si je me fais couillonner par un démon ou autre chose. Tant que je peux l’entendre encore un peu, c’est toujours ça de pris. Mais sinon, je vais bien hein, je vous assure.

Elle panique, Zatanna. C’est John. « Son » John. Elle devrait lui sauter au cou, embrasser ses joues, pleurer de joie, le serrer contre elle… Sa présence devrait foutre des coups de pied dans la gueule de sa solitude et lui permettre de remonter, de sortir la tête de l’eau… C’est lui. Ça ne peut être que lui. Elle le revoit, aussi apparemment désinvolte que concentré. Lui qui passe son temps à prétendre qu’il n’en a rien à foutre de tout, tout en prouvant qu’il prend tout trop à cœur… Elle devrait l’enlacer, le remercier d’être là pour elle, simplement se réjouir de l’avoir retrouvé… Elle en est parfaitement incapable. La Zatanna qu’il a connue, qui aurait fait toutes ces choses, a été tuée dans l’œuf, remplacée par une version beaucoup moins rationnelle, beaucoup plus animale. La magicienne est une bête folle, dont tous les mécanismes ont régressés pour ne redevenir qu’instinctifs. Elle devrait être capable de se poser, et de savoir ce qui permettrait à John de comprendre que c’est bien elle, plutôt que de supplier comme si elle n’était capable de rien d’autre… Un petit tour de magie non démonique par exemple, ferait parfaitement l’affaire. Les démons sont capables de tout, mais pas autant qu’elle. Sauf que non. L’urgence de la situation, la menace de la lame sur la gorge éteint son intellect, l’affolant comme un oiseau après un coup de feu.

Elle le « tase », et elle court. C’est la seule réponse qui lui semble viable, dans son état, dans l’instant. Il ne faut pas longtemps pour qu’elle entende ses pas dans son dos. Ses yeux s’embuent. Intérieurement, elle le supplie d’arrêter, de la laisser partir et de reprendre sa route. Elle espère pouvoir le semer, sans avoir à user de sa magie. D’un revers de main, elle chasse les larmes qui roulent sur ses joues, et lève vers les fenêtres des buildings qui les entourent, autant que dans les rues, des regards inquiets. Elle ne retourne pas à l’Eden, parce que même si elle sait qu’elle y serait en sécurité, elle ne veut pas que les gardiennes d’Ivy fassent de mal à John, et elle ne veut pas que John sache qu’elle s’y cache… Il serait tenté de venir l’en débusquer. Distraite, elle court sans réellement faire attention à son itinéraire, essaie d’accélérer, mais John la talonne toujours.

Se retrouver dans une impasse fait choir le désespoir sur ses épaules, les contraignant à l’affaissement. Elle se retourne, prête à tenter de revenir sur ses pas, mais trop tard… L’exorciste est là, entre elle et la fuite. Acculée, comme la bête qu’elle est devenue, elle recule, darde sur lui un regard éploré, emprunt de terreurs sans nom, jusqu’à buter contre le mur. Elle tremble, et tremble plus encore quand il élève le mur de feu... Magnifique, impressionnant. « NON ! » elle hurle, sa voix se déchirant, face à ce spectacle aussi beau que terrible, qui la renvoie aux cauchemars qui ne la quittent plus depuis qu’elle est parvenue à s’enfuir. Est-ce ce mur qui l’effraie autant ? Non ! Plutôt les conséquences qui découlent de son apparition… Ses ongles griffent le mur derrière elle, comme le ferait un rat cherchant à s’échapper d’un endroit clos. Elle n’a rien écouté de ce qu’il lui a dit. De l’optique de la magicienne, Constantine joue avec le feu. Le regard qu’elle pose sur lui est fou. « Tu n’aurais pas dû faire ça John, arrête, je t’en supplie… » Elle secoue légèrement la tête en signe de négation. « Arrête, ou ils te trouveront, et ils te feront la même chose qu’à moi… » Visiblement, elle frémit, de tout son corps, jusqu’à sa mâchoire qui tremble… « Annataz elbignatni ! » La formule est rapidement bredouillée, le corps de la magicienne devenant dans l’instant étrangement transparent… Avant de se fondre dans le mur, disparaissant de l’autre côté, laissant l’exorciste, seul, dans l’impasse, avec son mur de feu…

Et merde, merde, merde, merde. Je sais pas vous, mais j’ai la vague impression d’avoir tout foiré. Dans ma tête, quand je repensais aux retrouvailles avec Zee, je m’imaginais… autre chose. En tout cas, tout sauf être en train de la courser dans les ruelles dégueulasses de Gotham en tout cas. Remarquez, c’est peut-être ce qui arrive à me faire croire que c’est peut-être bien réel, que c’est vraiment elle qui essaie de me fuir. Sauf que j’arrive pas à piger pourquoi. Okay, okay, je lui ai pas réservé le meilleur accueil qui soit mais bon, faut me comprendre, j’suis pas du genre optimiste et à croire que le destin peut être autre chose qu’une vieille salope avec moi.

Alors peut-être que, dans d’autres circonstances, j’aurais réfléchi avant d’agir. Qu’avec n’importe qui d’autre, j’aurais pesé le pour et le contre. Mais le cœur a ses raisons… un truc foireux du genre. Autant dire que la seule qui ait jamais réussi à me toucher comme ça, c’est elle. Et elle réussi à me faire faire toutes les merdes possibles et imaginables. Comme de rester dans cette ville pourrie jusqu’à l’os sans raison autre qu’espérer la retrouver. Je me fige à ce « non » qu’elle prononce. Jamais je l’avais entendue prononcer un cri aussi déchirant d’aussi loin que je me souvienne. « Zee… » Je suis incapable de dire quoi que ce soit de plus, alors qu’elle me regarde avec cette intensité qui me conforte dans l’idée que c’est bien elle.

… et qu’il y a un gros problème.

Je déglutis quand elle parle et je souffle, sans même savoir si elle va m’entendre. « De quoi tu parles Zee… de qui tu parles… » Et qu’est-ce qu’on lui a fait à ma magicienne pour qu’elle soit dans un tel état ? J’ai pas le temps d’en dire plus ou de me rapprocher qu’elle marmonne un truc inintelligible avant de disparaitre dans le mur. « … fait chier… » Je pose mon front contre le mur avec un soupir alors que mes mâchoires se contractent et je claque des doigts, faisant disparaitre le mur de feu, désormais inutile. « Pourquoi tu me fais ça Zee… »

Je finis par relever la tête et je me fige en voyant… une porte. Ah ouais Constantine, t’es un peu con quand tu t’y mets. Je me précipite fébrilement pour l’ouvrir et, bien évidemment, elle est verrouillée. Je l’ouvre à coups de pieds rageurs, avant de finir par atterrir dans un dépôt visiblement vide et plongé dans l’obscurité. Je saurais même pas dire si elle est toujours là ou si elle s’est déjà tirée. Mais dans le doute, je souffle, d’une voix tremblante. « Zee… dis-moi que t’es là… j’suis… désolé. Je… » Merde, je pensais pas me retrouver à bafouiller un jour comme ça mais j’avoue que là, je me sens désemparé comme jamais. Je me retiens tout juste de faire apparaitre une flamme pour y voir un peu mieux et je finis par m’adosser contre le mur, avec un profond soupir. « Zee… je veux juste savoir si tu vas bien. » On dirait clairement que non, mais merde, je suis supposé faire quoi moi ?

A peine entrée dans l’entrepôt, abandonnée à sa solitude… Zatanna éclate en sanglots. Ses pleurs, unique bruits dans toute l’immensité du building désaffecté, remplissent tout l’espace, accentuant à crever le sentiment de solitude et de petitesse de la magicienne, qui referme par instinct ses bras sur elle-même. La vie est dure, elle le sait depuis longtemps, mais elle ne se serait jamais attendue à ce que ça soit aussi dur. Elle aurait besoin de temps, Zatanna, pour tout encaisser, pour faire son deuil, pour se reposer… Mais jamais elle n’aura ce temps, en tous cas, pas tant que la zone de blocus existera, pas tant que les boss règneront sur Gotham, Starcity et Metroplis, pas tant que les choses ne seront pas redevenues… Normales. Elle pourrait le prendre, ce temps, si elle voulait. Elle pourrait se téléporter n’importe où plutôt qu’ici, sortir de cet environnement toxique, empoisonné, pour recommencer à zéro… Mais jamais elle ne le fera. Même rompue jusqu’aux os, même privée de sa magie, même s’il ne devait lui rester aucune substance, sa couardise ne sera jamais suffisante pour qu’elle parvienne à abandonner, sciemment, la population. Jamais.

Là, dans l’immédiat, elle est profondément ébranlée. Assez pour savoir que le mieux qu’elle puisse faire, c’est de se terrer dans l’anonymat… Parce que si d’aventure elle devait à nouveau être réduite à la captivité, cette fois ses geôliers s’assureraient que jamais plus elle ne puisse s’échapper, voire presseraient la poire de magie qu’elle est pour eux, jusqu’à sa dernière goutte de jus, avant que, d’aventure, elle ne puisse ne serait-ce qu’y penser… Zatanna se connaît, connaît ses propres limites et se ménage une marge de manœuvre confortable, quand elle le peut, quand elle lance ses sortilèges. Les mafieux et autres de même acabit n’auront jamais cette conscience, n’en auront jamais quelque chose à foutre… Ils la tueront, et réduiront leur part du monde à quelque chose de misérable, avec son aide…

Les coups frappés contre la porte la font violemment sursauter. Essuyant ses yeux d’un revers de main, elle murmure « Noitativel… » Et s’envole doucement vers les coursives supérieures, rendues inaccessibles par les mortels dénués de grapins et autres, faute d’escaliers. Sur son perchoir, la magicienne s’accroupit, sans un bruit, juste à temps pour voir la porte céder et John entrer, paradoxalement à la fois plus résolu et semblant plus perdu que jamais… Le voir ainsi, à sa recherche, aussi désemparé, est un crève-cœur. Les yeux humides, Zatanna observe un long moment son compagnon, sans faire de bruit, pesant le pour et le contre… Avant de redescendre lentement de son perchoir, pour prendre pied, toujours immatérielle, face à lui, à deux bons mètres. Le dévisageant avec une intense douleur, elle s’accroupit, prend ses genoux dans ses bras. « Tu peux pas rester là, John… » Elle affirme, avec une voix dont la fermeté se brise par instant. Sa lèvre inférieure tremble légèrement. Elle essaie de se contenir, d’arrêter de pleurer, mais est visiblement submergée par un trop plein d’émotions, beaucoup trop intenses, toutes, pour qu’elle parvienne à prendre le dessus. Elle déglutit péniblement. « S’ils t’attrapent… Ils te feront pareil qu’à moi… Et ça sera une catastrophe pour tout le monde… » Elle lui sourit, désabusée, pleine de douleur. « Qui aurait cru que ta puissance serait un jour ton principal ennemi, hein… ? »

Elle le dévisage, au bord de l’implosion, garde ses distances parce qu’elle sait que le moindre contact sera ce qui mettra le feu aux poudres. Elle a mal, pour John autant que pour elle, mais elle ne peut rien lui donner, ni rien lui prendre. Sur le point de dire autre chose, des bruits dans la rue attirent ses oreilles, lui font relever la tête comme la biche aux abois qu’elle est, et la font trembler d’appréhension. A l’oreille, plusieurs hommes, qui parlent fort, que Zatanna devine armés, et envoyés par un boss ou l’autre. « Ils ont dû voir ton mur de feu… Ils arrivent John… Sauve-toi… Vite ! » Elle le presse, prenant elle-même la fuite en se mettant à courir vers l’autre bout du hangar, avec l’idée évidente de passer à travers le mur dans l’espoir de semer leurs poursuivants.

Je pige pas ce qui se passe. Et dire que je déteste ça est un doux euphémisme. Déjà qu’en temps normal, quand j’ai besoin de me creuser les méninges parce qu’une situation me dépasse, j’apprécie moyennement. Mais là, c’est Zee qui est dans la ligne de mire. Et ne pas comprendre ce qui lui arrive, pourquoi elle réagit comme ça, c’est pire que tout.

Enfin non, y a pire encore. La voir disparaitre comme ça. Je me sens las d’un coup. Et le poids des années me retombe sur les épaules alors que je me laisse glisser contre un mur. A quoi bon continuer tout ça si c’est pour qu’à chaque fois, je me retrouve seul ? Si c’est pour avoir comme seule compagnie une bouteille de mauvais whisky et un paquet de clopes entamé ? Zee avait été pendant des années mon seul point de repère à peu près fixe. Depuis deux ans, tout est parti en couilles sans elle. Encore plus en tout cas.

Et là ? Je soupire doucement, cherchant vaguement des raisons pour me relever, sans en trouver aucune. Ce serait pas si grave de lâcher l’affaire non ? Je veux dire, j’étais là pour la retrouver. C’est fait. Et elle se tire. Alors pourquoi m’acharner ? Finalement, alors que les questions de merde se bousculent, elle finit par réapparaitre. Et par se poser devant moi. Comme un oiseau prêt à s’envoler si je fais le moindre mouvement. Forcément, j’arrête de bouger. J’arrête même de respirer alors que je la fixe longuement. « … bordel. Ils t’ont fait quoi Zee ? » J’ai tellement envie de tendre la main pour effleurer la sienne mais je me retiens, me contentant de la regarder. Et de froncer les sourcils quand elle continue. « Personne m’attrape moi. Tu le sais bien. » Les gens meurent, essaie de me tuer. Mais on a jamais essayé de me capturer vivant. Je vois pas pourquoi ça changerait. Je pige pas trop ce qu’elle rajoute et je souffle, d’un ton hésitant. « De quoi tu parles ? »

Je jure entre mes dents quand un autre bruit attire son attention. Je me dis que ça y est, les quelques instants que je pouvais avoir avec elle sont envolés. Et autant dire que je sais toujours pas quoi faire. Enfin si, je suis bien là. Alors, je hausse une épaule quand elle parle. « Pourquoi faire ? Si je retrouve pas, tout ça… » Je désigne les alentours d’un mouvement du poignet. « Ca sert à rien. Je m’en fous. » L’espace d’une seconde, je commence à me demander si elle est vraiment là au final. Avant de me dire que ça n’a pas d’importance. « Si ça se trouve, c’est comme ça que ça doit finir. Sans que j’arrive jamais à te dire tout ce que j’aurais voulu te dire. » Je suis même pas sûr qu’elle m’écoute vraiment vu qu’elle est déjà en train de se tirer. Et moi pour la peine, je m’allume une clope, sans me soucier des bruits dans la rue. Qu’ils entrent, peu importe à qui j’aurais à faire. Ca me défoulera peut-être un peu.

Se retrouver face à John est une véritable torture pour Zatanna. Lui, le magicien aussi exigeant qu’apparemment désinvolte, et elle, la magicienne qui a échoué. C’est même encore pire, compte tenu de leur passif, que de se retrouver face à Bruce. Elle a peur qu’il lui dise « Tu m’as déçu… » Ou même pire, qu’il ne lui dise rien du tout, mais qu’elle le devine dans son regard. Elle craint lire dans ses yeux ce qu’elle se répète en boucle. Comment a-t-elle pu échouer ? Comment peut-elle avoir laissé faire ça ? Pourquoi n’a-t-elle pas fait ce qu’il fallait pour neutraliser le Joker ? Elle se souvient, elle, du maelstrom qui a suivi le départ des supers, de la façon dont les hommes de Luthor l’ont traquée, comme une bête, pour la faire taire… Elle se souvient s’être sentie acculée, avoir été blessée, oppressée… Au point qu’elle en a trébuché, et qu’ils en ont profité pour le lui faire amèrement regretter. Malgré ses fantastiques capacités, Zatanna n’en est pas moins humaine pour autant. Aucun humain ne peut rester indéfiniment performant sous la pression… Des excuses, qu’elle se trouve. Des excuses devant lesquelles il est difficile de fuir quand c’est face à John qu’elle se trouve, lui qui sait très exactement, pour être également magicien, le coût de la magie. Si lui estime qu’elle aurait pu le faire, et n’a échoué que par paresse ou bêtise, elle ne sait pas si elle sera capable de s’en remettre…

Alors, plutôt que de faire face à ses responsabilités, à cette déception qui lui fait si peur, elle préfère fuir. C’est tellement plus simple. Se mettre des œillères, fermer les yeux, et tracer sa route jusqu’à soit manquer de souffle, soit que ses jambes la lâchent. En tous cas, c’est ce qu’elle est partie pour faire, jusqu’à ce qu’elle se fige en entendant les paroles de John, et le voit se griller une clope, suintant l’abandon… Dans la tête de la magicienne, ça lui semble durer des heures mais ça va très vite. Si elle le laisse là, ils vont débarquer et le torturer, pire encore que ce qu’ils ont pu le faire avec elle, parce que c’est un homme, et parce qu’ils n’ont plus la pierre… Elle repense rapidement aux quelques objets qui restent en possession de Falcone… Et frémit d’horreur. Elle prend sa décision. « Etrop eéudolb ! » Elle scande, main tendue vers la porte fracturée par John, avant de se précipiter vers lui. Une pensée suffit à étendre son sort d’intangibilité, pour qu’il l’englobe aussi. C’est à peine si elle a le temps de le prendre par les épaules et de le pousser à travers le sol, à travers lequel ils passent tous les deux, avant que la porte ne vole en éclat.

Zatanna le jurerait, ils l’ont vue. Au moins elle. Son regard a eu le temps de croiser celui de l’un des hommes de main, la glaçant jusqu’aux os. Il a eu beau se mettre à courir vers eux, au moment où il les a rejoint, la terre les avait déjà engloutis. La main de la magicienne venant se refermer sur les doigts de l’exorciste, elle le guide à travers la solidité du sol, jusqu’à ce qu’ils débouchent dans une coursive sous-terraine de l’usine, désaffectée en même temps que le reste. L’absence de lumière est totale. Sans la magie de son charme, il aurait été aisé pour Zatanna de perdre le sens du haut et du bas. Tous les deux hors du mur, elle murmure pour mettre un terme au sortilège, et relâche les doigts de John. « Erèimul ! » Elle murmure encore, une petite boule bleue émanant du creux de sa paume pour projeter un halo de lumière froide autour d’eux, brisant les ténèbres. Dès qu’elle a pu de nouveau voir le visage de John, elle l’a dévisagé, quelques courtes secondes… Avant d’abattre sa main sur sa joue, le giflant comme jamais elle ne l’a giflé. « John Constantine, tu es un crétin ! » Elle crie, émue de colère, d’inquiétude, de… Plein de choses. Sa voix résonne dans le silence du tunnel. « C’était quoi le plan ? Rameuter ces monstres et te laisser avoir ?? » Elle est visiblement en crise, au point de le repousser violemment contre le mur de béton. Elle serre ses petits poings, visiblement furieuse, et prête à le frapper de nouveau s’il a le malheur de ne pas lui dire exactement ce qu’il faut…

Finalement, ce serait si grave que ça de lâcher prise ? De laisser couler, pour de bon cette fois. Parce que tout ce qui a toujours compté semble s’effriter à mesure que passent les minutes. Zee a toujours été la seule personne à survivre à tout, à tenir bon dans mon entourage. Et là, j’ai l’impression qu’elle aussi m’échappe. Alors, à quoi bon continuer si l’espoir qu’elle incarne s’envole aussi ?

Donc ouais, je me pose, bien décidé à la laisser partir et à laisser ces fils de pute qui la cherchent entrer. Ne serait-ce que pour leur faire payer ce qu’ils ont pu faire à ma Zee. A ce mélange de petite sœur, de meilleure amie et qui aurait pu être bien plus dans une autre vie, dans d’autres circonstances. Même si elle est déjà beaucoup de choses. Beaucoup trop même. Alors, quitte à crever, autant les déboiter avant. Je ferme les yeux, prenant une grande inspiration. C’est quand même pas comme ça que je pensais que ça finirait. J’imaginais un truc un peu grandiose pour être honnête.

Je lève un sourcil alors que j’entends la voix de Zee et je finis par me décider à rouvrir les yeux. Elle s’est pas tirée ? Tiens, bizarre. Et je sens sa main prendre la mienne, même si tout semble devenir intangible. Putain, j’ai toujours détesté quand elle faisait ce petit tour de passe-passe. J’entends la porte qui explose au moment où on passe le sol et je sens Zee se tendre. Pas besoin d’être devin pour piger que ce sont ces types-là qui l’ont transformée au point d’en faire cette créature apeurée qui ne lui ressemble en rien d’habitude. Enfin dans mes souvenirs en tout cas. Mais ils sont ptet un peu faussés vu l’affection que j’ai toujours eue pour elle.

Je me relève tant bien que mal, tanguant sur place pour me remettre de notre petite traversée de l’enfer et j’inspire doucement alors que j’ai vaguement la nausée. Je pose une main sur le mur avant de lever les yeux vers elle. Pour me prendre une gifle magistrale. Je reste un peu con, battant des cils alors qu’elle se met à parler. Mais je la dévisage, la regardant me gueuler dessus alors qu’un sourire incrédule se dessine sur mes lèvres. Elle est là, elle est vraiment là. C’est elle. Quoi qu’ils aient pu lui faire, elle leur a survécu. Je trébuche quand elle me repousse, manquant tout juste de tomber. Je sais même pas comment je me rattrape mais, alors qu’elle serre les poings, prête à remettre ça, je me rapproche d’elle et je l’entoure de mes bras. « Frappe-moi autant que tu veux Zee, mais laisse-moi juste … profiter de ce moment. » Et j’inspire longuement, avant de l’embrasser sur le front, soufflant, dans un murmure à peine audible. « J’ai cru que je t’avais perdue. Pour de bon. Et quand t’es réapparue… j’ai cru que c’était quelqu’un qui voulait me toucher, avec la seule chose qui pourrait me faire mal. Alors ouais, ce plan-là était pas pire qu’un autre vu le contexte… » Je la serre un peu plus contre moi, sans me soucier de savoir si elle va encore m’en coller. Tant qu’elle disparait pas, tant qu’elle me laisse profiter de ce moment totalement improbable au milieu des égouts. « Tu m’as manqué Zee… tu m’as tellement manqué. » Je tremble un peu je crois. Mais merde, tout ce temps passé à la chercher en vain, à me demander ce qu’elle était devenue. Et manquer de la perde de nouveau, ça fait beaucoup pour moi là, de suite.

Il sourit… Il sourit, ce crétin… est la première chose à laquelle pense Zee, ce qui l’enrage encore plus… Avant que toute sa colère ne soit soufflée, comme une pièce se plonge dans le noir dès lors qu’on souffle une bougie. Bien sûr qu’il sourit quand elle l’engueule. C’est Constantine. John, Constantine, pauvre conne… La désinvolture incarnée, qui ne répond jamais qu’à ses propres codes, sa propre morale, qui semble à la fois variable selon la situation, et totalement rigide. Mais elle le connaît, Zee. Elle sait que, sous ses dehors d’ours mal léché adepte du « ce qui doit arriver arrivera », c’est un homme au cœur à la bonne place, qui se bat bec et ongles pour le salut des âmes terrestres. Alors, quand il la prend dans ses bras, elle ferme les yeux, et elle laisse faire. Elle ferme les yeux, et elle attend, les bras ballants. Elle inspire, fort, et expire tout doucement alors que ses mains viennent attraper sa chemise, ses doigts s’y crisper de nervosité. Sa chemise, parce qu’elle ne veut pas meurtrir sa peau et qu’elle a besoin de se défouler, au moins un peu. Autant que le tissu prenne. Elle ne répond pas à toutes ces gentilles choses qu’il lui dit, parce qu’elle ne sait pas quoi lui dire. Il lui a manqué aussi, mais elle ne veut pas se contenter d’un « moi aussi ». Elle aimerait partir dans une logorrhée interminable, lui dire que sa vie a été merdique sans lui… Mais la vérité, c’est qu’elle n’est pas certaine que sa présence auprès d’elle aurait changé quoique ce soit. Zatanna était seule face à ses épreuves. Démunie. Abandonnée. Elle ne nourrit pas la moindre hargne contre John d’avoir été absent, ne ressent pour lui rien d’autre que du soulagement de le voir entier, et une totale mortification de le savoir dans la zone de blocus, alors qu’elle l’aurait juré, il n’y était pas quand tout est parti en vrille… Mais elle peine à mettre des mots sur ce qu’elle ressent, alors, à défaut de parvenir à exprimer clairement ce qui peut lui passer par la tête, elle préfère se taire. Elle est comme ça, Zee. Elle croit au pouvoir des mots. Si un mot n’exprime pas exactement ce que tu veux dire, tais-toi, parce que mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, comme disait Camus.

Alors elle le repousse, gentiment, et faute de trouver comment s’occuper les mains, elle réajuste sa chemise, sa veste et son par-dessus, sans oublier sa cravate, pour poser doucement sa main sur son torse et lever ses yeux au bleu électrique dans sa direction. Elle le dévisage un moment, comme si elle allait dire quelque chose… « Nous devrions y aller… » Elle souffle, esquissant un maigre sourire, avant de se détourner de l’exorciste, suivie de près par la petite boule de lumière à laquelle elle a donné naissance un peu plus tôt. Elle regarde d’un côté, et de l’autre, incertaine. « Ils nous ont vus descendre, du coup, il est probable qu’ils viennent nous chercher… Je ne sais pas dans quelle direction est l’accès le plus proche, mais je te propose que nous changions de coursive. » Elle regarde en face d’elle, et vient poser sa main sur le mur. « Je peux nous faire passer à travers tout, mais si on ne sait pas dans quelle direction se diriger, nous finirons par nous perdre… le haut, le bas, le nord, le sud… » Elle vient poser son front sur la pierre froide. « Je suis un peu fatiguée, John… Tu as une idée ? » Elle demande, pleine d’espoir à la pensée qu’il les tire de là, sorte une solution miracle de son chapeau, qui ne les condamne pas à errer, tels des fantômes, sous terre pendant des jours, avant de finir broyés par la pression quand Zatanna arrivera à court de magie…

J’avais fini par perdre espoir que ce moment arrive enfin. Pouvoir la serrer dans mes bras, l’entendre m’insulter et essayer de me cogner. C’est ce qui rend cette situation improbable encore plus réelle. Elle m’a tellement manqué ma magicienne que jamais j’arriverais à trouver les mots qui collent vraiment. Alors je bafouille, alors que je ferais de me taire et d’accepter les cadeaux inespérés de la vie. Et c’est ce qu’elle est, malgré sa peur, malgré sa fragilité. Un cadeau de la vie. Pour la mienne en tout cas. Heureusement, elle répond pas et ce moment reste aussi magique que je l’avais imaginé. Même si ouais, je voyais pas trop ça dans les égouts. Comme quoi, le monde peut encore me surprendre.

J’inspire longuement quand elle me repousse doucement, mon regard rivé sur elle alors que je remarque enfin à quel point son visage est marqué. Et je sens une flambée de colère qui se réveille, alors que j’ai juste envie d’aller casser la gueule de ces mecs qui sont là, juste au-dessus de notre tête. Pour l’avoir cassée comme ça. Mais je me contente de poser ma main sur la sienne et je de souffler, avec un sourire convaincu. « Je te quitte plus des yeux. » Bon, ça pourra pas durer, je suis pas assez con pour croire le contraire. On peut juste attendre cinq minutes avant que les emmerdes recommencent. Histoire de comprendre ce qui s’est passé depuis deux ans.

Je fronce les sourcils à sa mine indécise, réalisant qu’elle est un peu paumée. Plus que ce que j’aurais cru. « Ils sont capables de venir jusque-là ? Putain, mais c’est qui ces types ? » Je sais, je sais, j’aurais pas la réponse à cette question. Pas dans l’immédiat en tout cas. Mais je retiens surtout qu’ils sont assez puissants pour la faire flipper comme pas permis. Sauf que moi aussi, je suis fort. Et, quand je la vois poser son front contre la pierre, je me rapproche d’elle pour embrasser tempe avec affection. « Evidemment que j’ai une idée Zee. Tu me prends pour qui ? » Je relève mes manches et je plaque mes avant-bras l’un contre l’autre, mes deux tatouages se touchant et crépitant alors que je sollicite ma magie. Je souffle alors, d’une voix décidée, mon regard illuminé d’une énergie nouvelles. « … dirige me in tenebris… »

C’est le moment où une espèce de fil doré, comme une flamme qu’on aurait étiré à l’infini, commence à sortir du bout de mes doigts pour se diriger sur la droite puis, vers le nord. Et je me tourne vers Zee, mon sourire habituellement narquois sur mes lèvres. « Direction ma planque du moment, si madame veut bien. C’est une chambre dans un hôtel miteux, mais ce sera toujours mieux pour fêter nos retrouvailles que dans les égouts. Même si ça manque pas d’originalité, ça je peux te le concéder. » J’ai l’impression que la retrouver m’a redonné mon énergie, que je ne vais plus continuer à me battre juste parce que c’est mon devoir, que c’est ce que je dois faire de part les dons qui m’ont été accordés. Parce que c’est ce que je fais, ces derniers mois, à essayer de me convaincre que j’y crois encore, que l’humanité mérite d’être sauvée même si Zee n’en faisait peut-être plus partie.

Le tumulte qui agite l’âme de la magicienne, doucement, se calme. Petit à petit, la peur et la colère s’estompent, l’angoisse se tait, face à la désinvolture, tellement normale qu’elle en soulage Zatanna, de Constantine. Elle, elle a beaucoup changé en deux ans. Elle le voit, par rapport à lui. Elle est brisée. Elle s’en rend compte. Des situations qui ne l’auraient jamais vue fuir auparavant la tuent de trouille à présent. Même le menu fretin, elle n’ose plus l’affronter, parce qu’ils l’ont déjà eue, ils l’ont déjà submergée, et qu’en résultat, elle a fini par passer plus d’un an de sa vie sous la forme d’un oiseau, à avoir l’esprit et le corps qui s’érodent un peu plus à chaque seconde, chaque minute, chaque heure… Ses dernières plumes ont mis des semaines à tomber. Certes, ils n’ont plus l’artefact qui leur permettrait de la changer… Mais elle les a vus faire, pendant plus d’un an. L’imagination de laquelle ils peuvent faire preuve pour faire souffrir est infinie, et Zatanna craint d’en payer le prix.

Mais John, lui, ignore tout de tout cela. Elle le voit, il ne comprend pas. Il est aussi énergique et apparemment désinvolte que ce dont elle se souvient… Et ça lui fait un bien fou. Par son intermédiaire, la magicienne a l’impression de frôler, du bout des doigts, ce qu’elle était avant tout ça… Si rien ne lui vient dans l’immédiat, elle sait qu’elle ne serait pas restée en retrait face à la situation, et qu’elle aurait pris le parti d’en rire aussi. Mais surtout, elle se serait battue, au lieu de fuir… Elle a honte, Zatanna, et elle a mal pour son elle passée, qui la regarde avec tristesse, comme l’oiseau aux ailes brisées qu’elle est devenue.

Alors, à sa façon, en restant lui-même, Constantine l’aide à se sentir un peu mieux. Quelque part, elle est contente qu’il soit toujours là, fidèle au poste, pour prendre les choses en mains quand elle n’est plus capable de le faire. Il a une idée, lui. Il va les sortir de là, lui. Elle n’est plus seule, elle. De façon visible, les épaules de la magicienne s’abaissent de soulagement, comme si elle n’avait plus à prétendre qu’elle détient une force aux abonnés absents, pour le moment… Et elle sourit, gentiment, à John. « Ce sont des égouts John… N’importe qui peut y venir. Même si nous, on ne fait jamais rien comme tout le monde… » Une plaisanterie ! Le temps va tourner !

Ça lui fait du bien, un peu de légèreté. Elle a moins l’impression de porter une infinité d’échecs sur ses épaules, l’espace d’un instant, au point qu’elle se laisse émerveiller, comme ce n’était plus arrivé depuis longtemps, par la magie de John. Quand la flamme apparaît, elle se rapproche de lui et vient glisser sa main dans la sienne, regarde le filament aux lueurs rougeâtre fendre l’obscurité, pour s’y enfoncer. « Il est possible qu’ils nous attendent à la sortie… » Elle annonce, oiseau de mauvais augure, d’une voix sombre. « Je pense que nous devrions nous y préparer… Et faire attention. » Elle ajoute, avant de relever son visage dans la direction de celui de Constantine. « Ce ne sont que des humains… Mais ils sont nombreux… Tellement nombreux… » Au point de lui donner le tournis, et de la pousser à s’accrocher plus fermement aux doigts de John, les malmenant sans le vouloir. « On ne pourra pas rester ensemble très longtemps, tu sais… Mais au cas où, je voudrai que tu saches que je suis contente de t’avoir revu… » Elle lui sourit, sincère, gentille, pleine de tendresse, même, pour lui qui a manqué mais de qui, comme tous les autres, le visage avait commencé à s’estomper en même temps que s’estompaient les arêtes de sa personnalité, contrainte dans le corps d’un oiseau beaucoup trop petit pour elle… « Allons-y… » Elle affirme, entamant la marche d’un pas décidé.

C’est bien ma Zee. Et pourtant, c’est plus tout à fait elle. Je peux le sentir dans mes tripes, sans être capable de vraiment définir comment ou pourquoi. Y a un truc qui s’est cassé chez elle durant ces deux ans, quelqu’un qui lui a fait du mal au point de la mettre dans cet état. Et il est hors de question que je reste les bras croisés. Je vais la réparer, leur fait payer, je sais pas trop. Moi qui me mêle jamais des histoires d’humains, je pense que je vais ptet faire une exception cette fois.

Enfin, en attendant, on doit sortir de ce merdier. Parce que visiblement, les mecs en face, ils sont pas du genre à vouloir  nous payer une petite tisane en discutant du bon vieux temps. Et face à la panique de ma Zee, je m’efforce de laisser de côté tout ce qui peut m’inquiéter. Elle a besoin qu’on prenne les choses en main pour le moment et ça, j’en suis capable. On verra après pour tout le reste. Je lève un sourcil à sa répartie, regardant autour de moi. « Ouais mais quand même, faut pas être net pour poursuivre des gens dans les égouts. Z’ont rien de mieux à faire ? » Et je la fixe longuement, soulagé de voir qu’elle peut encore sourire et plaisanter. « Mais je confirme, on a jamais rien fait comme tout le monde toi et moi, on va pas commencer maintenant. » J’effleure sa joue doucement avant de me focaliser sur le chemin à suivre.

Mais je grimace quand elle reprend. « Possible mais pas certain. Un peu d’optimisme Zee, c’est moi le blasé de la vie normalement. » Je sais qu’elle a raison pourtant, quand bien même on zig-zague suffisamment entre les tunnels pour paumer tout le monde, nous y compris. J’ai un temps d’arrêt quand elle reprend, fronçant les sourcils. « Va falloir que tu m’expliques tout ça hein, tu le sais. » Mon ton souffre pas vraiment la répartie alors que je serre ses doigts un peu plus fort. Et je souffle, à mi-voix. « Je te cherche depuis deux ans Zee. Si je suis resté dans cette ville de merde, c’est pour toi. Uniquement pour toi. Alors me fais pas le coup de t’envoler dès que j’aurais le dos tourné, je risque de pas super bien le prendre. » Je hoche la tête quand même quand elle nous dit d’y aller, l’entrainant avec moi dans les tunnels sombres, manquant de trébucher plus d’une fois avant que la flamme ne finisse par s’arrêter devant une échelle. « Okay. On devrait être pas mal. » Je pose un index sur mes lèvres alors que je commence à grimper et que je pousse la plaque d’égout. La ruelle est vide. Parfait.

Je tends la main pour attraper celle de Zee et l’aider à sortir de là, tout en continuant de guetter les alentours. « Ma piaule est au bout de la rue. On devrait avoir un peu de répit. » Enfin elle surtout. Même si j’ai comme un doute sur le fait que ce sera suffisant pour elle. Et, à la lueur de la ruelle, je me rends compte à quel point ses traits sont creusés. On dirait qu’elle est l’ombre d’elle-même et putain, ça me serre le cœur. Ouais, ouais, ça prouve que j’en ai un. Su-per. Je soupire doucement, sans lâcher sa main. « Suis-moi. » Je lui laisse pas vraiment le choix de toute façon et je m’arrête devant l’immeuble dont tout le rez-de-chaussée est condamné. « On monte par l’escalier de secours. Viens. Au deuxième étage. » Je la laisse passer devant, avant de lui désigner la fenêtre par laquelle entrer. Et j’ai un profond soupir quand on finit par entrer. Quelques minutes de répit. Quelques heures même. Mais je suis pas sûr qu’on aura beaucoup plus.

Le sourire de Zatanna est fugace, s’éteint sitôt que la main de Constantine a quitté sa joue. Ouais mais quand même, faut pas être net pour poursuivre des gens dans les égouts. Z’ont rien de mieux à faire ? Elle ne répond rien, mais n’en pense pas moins. Non, John… Ils n’ont rien de mieux à faire, parce que nous ne sommes pas des gens… Nous sommes de la magie, et que notre capture leur vaudra une vie de roi… Du moins à ce qu’ils s’imaginent. Elle regarde John, de ses grands yeux au bleu électrique, et s’étonne qu’il n’ait pas encore compris l’intérêt des magiciens dans un contexte comme celui-ci… Pour qui parvient à les retenir, ils sont des batteries, des cornes d’abondance. Ils sont tout et rien, mais surtout tout. Ils pourraient être dieu. Zatanna frémit, serre la main de John et se rapproche un peu de lui, tandis qu’ils marchent dans la pénombre des égouts, à peine légèrement dissipée par son globe de lumière et la flamme de l’exorciste. Falcone avait-il pensé, comme Jafar, à demander à la magicienne d’en faire un dieu ? Est-ce qu’il le lui a demandé ? Elle ne se souvient même plus…

Normalement, c’est lui le blasé, dit John. Zatanna sourit jaune. Elle n’aime pas ce qu’elle est devenue, cette petite chose craintive et pleurnicharde… Mais c’est plus fort qu’elle. Elle a peur. Elle est terrorisée. Et elle a vu ce que ça donnait quand elle réagissait, possédée par une peur viscérale. Avec la magie, si elle devait recouvrer l’essentiel de ses forces, ce pourrait être une véritable boucherie. La magicienne n’a pas seulement peur de ce qu’il y a dehors, mais elle a aussi peur de ce qu’il y a dedans. Si elle est honnête avec elle-même, elle en a toujours eu peur, mais c’était bien plus facile à cacher, à maîtriser, dans un contexte sain où elle avait des exutoires qui lui permettaient de garder le contrôle. Elle était assez forte, se sentait assez forte, pour se mesurer. Mais maintenant que la peur ne la quitte plus, parce qu’elle a peur en permanence, elle ne peut plus mesurer ses réponses. Zatanna, maintenant, joue sa vie à chaque nouvelle rencontre, et s’il y a bien une chose que ces revers lui ont appris, c’est qu’elle n’est pas prête d’arrêter de se battre pour vivre. C’est ça, au final, la combinaison qui risque de la faire imploser… Une peur pour sa vie, couplée à un instinct de survie surdéveloppé… Plutôt eux que moi… Elle se serine. Elle a tué un homme, lui fracassant le crâne avec un pied de biche, comme une véritable barbare, une sauvage, possédée… Que fera-t-elle avec sa magie ? John peut-il pousser la compréhension jusque-là ?

Il veut qu’elle lui explique, et serre ses doigts. Zatanna serre les siens en retour, mais elle ne répond toujours pas. Elle ignore si elle le pourra. Ou alors, certainement pas dans les détails. C’est con, pourtant. S’il y a bien une personne sur cette foutue planète qui peut comprendre les traces insidieuses que laisse la magie, c’est John. Elle ne sait pas, Zee, si elle ira au bout de son explication. Elle avisera le moment venu. « Je n’en ai pas envie… » Elle répond, desserrant à peine les dents, sans même le regarder, quand il lui demande de ne pas jouer les filles de l’air. Elle ne veut pas lui faire de peine. Elle lui dira au revoir, et ensuite elle s’en ira. Ils se donneront rendez-vous, elle l’espère, pour se retrouver, mais ils ne peuvent rester ensemble. Si les hommes de Falcone, ou de n’importe quel autre sbire, les prennent tous les deux… Pour la troisième froid, Zatanna frémit. Les choses horribles qu’ils leur infligeront pour les obliger, l’un comme l’autre, à faire ce qu’ils veulent… Pendant une fraction de seconde, le fantasme lui semble très réel, le cri de douleur de John lui vrillant les tympans tandis qu’elle voit des ombres le torturer, entailler sa peau à l’aide de différents outils de cauchemar. La magicienne est profondément mal à l’aise.

Finalement, la flamme de John s’éteint, et Zatanna fait disparaître son globe lumineux. Après quelques secondes, ses yeux se font à l’obscurité et perçoivent, au-dessus de leurs têtes, quelques infimes rais de clarté filtrant à travers les trous d’une plaque d’égout. Observant le silence le temps que John joue l’éclaireur, se tenant sur ses gardes, elle est soulagée d’entendre que la voie semble libre. Aussi rapidement qu’elle le peut, elle rejoint la surface, inspirant à pleins poumons un air à peine moins viciés que celui des tunnels, et suit, docilement, l’exorciste. Les escaliers de secours, indique-t-il encore, escaliers que Zatanna gravit aussi rapidement et silencieusement que possible, avant de passer par la fenêtre indiquée. Quand John l’a rejointe, elle observe les lieux d’un air critique, va jusqu’à la porte, qu’elle tente d’ouvrir, sans succès. Dommage, elle aurait aimé checker le couloir, et elle finit par revenir au centre de la pièce, jouant nerveusement avec ses doigts, adressant un sourire tout aussi nerveux à l’exorciste. Elle sait qu’il va lui poser des questions, mais elle ne sait pas lesquelles, ni dans quel ordre… Quant à savoir par quel morceau commencer… « Merci de m’avoir cherchée, John… » C’est un début. Le seul qui fasse l’affaire, selon elle. Dick aussi l’avait cherchée, le pauvre… Et elle ne les avait jamais récompensés, tous les deux, qu’en disparaissant. Elle avait le sentiment d’avoir fait de son mieux, et que tout était allé de travers, et maintenant, elle ne parvient pas à faire face à ses amis. Lui pardonneront-ils jamais de les avoir abandonnés ?

J’ai du mal à me dire que je l’ai vraiment retrouvée, que je vais pas me réveiller dans mon lit avec une gueule de bois carabinée, comme c’est déjà arrivé beaucoup trop souvent depuis sa disparition. Alors ouais, j’ai ptet un peu trop tendance à me retourner pour m’assurer qu’elle va pas disparaitre en un battement de cils. Ce serait un coup à déprimer méchamment. Enfin, encore plus que d’habitude quoi. Effleurer ses doigts, la sentir bien présente, ça m’aide à me dire que je suis pas totalement dingue et que je l’imagine pas totalement.

Sauf que ça veut aussi dire qu’il lui est arrivé de sacrées bricoles pendant toutes ces années. J’avoue, une part de moi aurait largement préféré qu’elle se soit tirée de là, qu’elle ait décidé de couper les ponts avec moi et tout ce foutu merdier pour boire des cocktails sur la plage et vivre sa vie sans peur, sans risques. Et sans moi donc. A choisir entre ça et me dire qu’elle a été torturée, j’aurais accepté de plus jamais la revoir pour son bonheur.

Je m’arrête un instant à sa réplique, quand elle me dit qu’elle en a pas envie. De parler ? De disparaitre ? Je saurais pas dire. Je préfère pencher pour la deuxième option alors je souffle, d’un ton plus assuré que je le suis vraiment. « Je compte pas te lâcher des yeux. » Bon, on sait tous les deux que c’est pas possible et que, si je suis bourré de défauts, je suis pas du genre à stalker les gens sans leur consentement. Même avec en vrai. Bref, on s’écarte du sujet.

Au final, on s’échappe des égouts sans trop de mal, pour se retrouver dehors. Et jamais l’air vicié de Gotham n’a été aussi agréable à respirer, c’est dire. Nous faut encore quelques minutes pour atterrir dans ma planque du moment et, une fois à l’intérieur je pose une main sur la porte qui s’illumine brièvement, les runes apparaissant dessus avant de retrouver son aspect normal. « On devrait être tranquilles. S’il se passe un truc dans le couloir, on sera les premiers au courant. Normalement, y a personne à cet étage à part une vieille et sa flopée de chats. »

Je la suis des yeux alors qu’elle a l’air aussi nerveuse que je dois l’être en fait. Parce que là, l’adrénaline commence à retomber et je me sens un peu con, sans trop savoir par où commencer. Finalement, c’est elle qui se décide et j’ai rire aux premières paroles qu’elle prononce. « Putain, ça fait deux ans que j’attends ce moment et là, j’sais même pas quoi te répondre Zee. » Je m’approche d’elle avec précaution et ma main effleure sa joue avec une douceur que j’ai jamais eue que pour elle. « Je t’aurais cherchée toute ma vie si besoin. Et si demain j’dois recommencer, je le ferais. Mais Zee, j’aimerais autant éviter que ça arrive. » J’ai un sourire sans joie avant de l’embrasser doucement sur le front et de m’éloigner avant qu’elle se crispe de trop. « J’ai de quoi manger, ça te branche ? » Rien de bien glorieux, une boite de chili négociée contre un petit rituel. Je la désigne avant d’ajouter, sans vraiment attendre de réponse. « J’ai la dalle en tout cas. Y a à boire dans le frigo. » C’est bien la seule chose dont je manque jamais. De l’alcool.

Et je laisse filer quelques minutes de silence, après avoir vidé la boite dans une casserole qui trône sur un réchaud de fortune. Ouais, niveau standing, on est descendus bien bas, je sais. Je finis par souffler, sans vraiment la regarder. « Tu veux en parler Zee ? » Peut-être qu’elle a juste envie d’oublier. Ca arrive, bien plus souvent qu’on pourrait le croire.  

Elle se souvient, Zee, du courage que ça lui aurait donné, avant, d’entendre Constantine lui dire qu’il serait là pour elle… Sans mentir, elle se serait sentie capable de bouffer le monde, de le soulever, elle se serait sentie absolument capable de tout, autant humainement que magiquement. Aucun rituel ne lui aurait fait peur, elle se serait crue capable de défaire n’importe quel démon, dusse-t-il avoir été Etrigan ou Belzébuth. Aujourd’hui, ça la fait à peine sourire, avec un petit pincement au cœur. Ses épaules sont lourdes de culpabilité. Son monde n’est plus que ça, et elle tente de le soulever, vaille que vaille. La protection magique, au moins, est un peu rassurante. Ils auront le temps de se téléporter s’ils le doivent, le cas échéant. Fuir… Discrètement, la magicienne a un rire amer en constatant que son quotidien n’est plus que cela désormais. De la fuite, qu’elle justifie, explique de différentes façons, mais dont la finalité demeure toujours aussi lamentable, aussi honteuse, et dont le poids en matière de culpabilité s’ajoute à tout le reste. « La magicienne » ne devrait plus être son surnom. « La bonne à rien » serait beaucoup plus adéquat.

Ses lèvres se pincent quand elle entend John lui confier qu’il la cherche depuis deux ans… Instinctivement, ses yeux se plissent quand sa main s’approche de son visage. Elle sait qu’il ne l’aurait pas frappée, pas lui, mais ses rencontres récentes et le reste des abus dont elle a été la victime ont modifié jusqu’à ses réflexes primaires. La honte, encore, et la reconnaissance à l’exorciste de ne pas pousser plus loin le contact, qui la laisse encore nerveuse. Même si c’est lui. Même si, elle le sent, elle aimerait le prendre dans ses bras et juste, rester là, comme ça, à le serrer, sans rien d’autre… Elle n’est pas encore prête. Plus tard, peut-être, s’il le veut bien, s’il accepte de l’étreindre et de la garder, sans bouger, comme s’il était le cocon dont elle avait besoin pour se remettre. Elle sourit, sans joie, espérant qu’elle non plus elle ne disparaîtrait pas à nouveau pendant deux ans, surtout pour ces raisons-là. « J’y travaille… » Elle répond, tout bas, avant de déglutir, stressée, amère.

Plus par automatisme que par réelle envie, et celle de ne pas vouloir contrarier John, la magicienne hoche lentement la tête en signe d’assentiment à sa proposition. Ce sera toujours ça de pris, un repas de moins pour lequel se battre. De la même façon, pour s’occuper les mains, elle va chercher deux bières dans le frigo, qu’elle décapsule sur le coin du plan de travail, et en dépose une à côté de l’exorciste, occupé à préparer un délicieux chili. « Santé. » Elle lance, sur une voix aussi éteinte que le reste, venant faire tinter sa bouteille contre celle de John, avant d’une boire une gorgée. L’ancienne elle aurait sans doute tapé sur le dessus, créé un genre d’effet ventouse pour faire mousser et déborder la bière, rien que pour enquiquiner Constantine et le faire râler… Mais ce soir, la plaisanterie l’amuse à peine, alors elle s’abstient. Elle se contente de boire en silence, se surprenant à regretter que le degré d’alcool ne soit pas suffisant pour la jeter en pâture aux bras de Morphée et à l’inconscience en quelques gorgées. Zee donnerait tout pour anesthésier son cerveau pendant quelques heures. Elle a une pensée pour Mills. C’est ce qu’il lui avait offert. Une parenthèse, hors de tout. Pas de conséquences, le temps suspendu, pas d’angoisse… Juste… La chaleur. La sécurité, au moins pour un moment. Elle crispe ses doigts sur son blouson. Elle veut revivre ça. Le pourra-t-elle seulement ?

Est-ce qu’elle veut en parler ? Non. Pas du tout. Elle hoche la tête en signe de négation. Comment lui avouer, à lui, qu’elle s’était laissée avoir et piéger comme une bleue ? Qu’elle avait failli tout perdre et devenir définitivement un oiseau ? Qu’elle avait passé des semaines avant que les plumes, dernières reliques de la force de la malédiction, ne finissent par quitter son corps de femme ? La honte, encore et toujours. La déception, la perte de confiance en elle-même… Elle ne veut pas le voir déçu, elle ne veut pas l’entendre lui dire qu’elle a été stupide, négligente… Elle le sait déjà, elle le sait assez. Alors non. Elle ne veut pas en parler. « Je suis désolée pour ton démon de tout à l’heure… » Elle hausse une épaule, histoire d’essayer de relancer une conversation, après l’avoir fermée de façon si catégorique. Elle est consciente que ça doit être difficile pour John de se voir repoussé, qu’elle lui refuse, pour la première fois, l’entrée de ses pensées alors qu’auparavant, elle pouvait les lui partager sans complexe… Mais c’est trop dur. Elle ne parvient toujours pas à avaler son échec, alors comment concevoir qu’un tiers puisse l’excuser ?

Elle est cassée. Quelqu’un a cassé ma Zee et l’a mise en miettes. Alors que je la pensais invincible. La colère commence à gronder doucement mais surement. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même et je me demande si ce sera possible de la réparer un jour, si je serais capable de l’aider ou si, à l’instar des rares personnes à qui j’ai pu tenir, elle finira aussi par disparaitre pour de bon. Cette pensée me tord les boyaux et me donne envie de hurler. Sauf que c’est pas le genre de la boutique et que je me dis qu’elle vraiment pas besoin de ça. Alors, je fais comme si de rien était. Comme si tout allait bien et qu’on était juste heureux de se retrouver.

Plus ça va, plus je me dis que cette promesse, c’est pas des paroles en l’air. Plus jamais je la laisserais loin de moi aussi longtemps, sans prendre de ses nouvelles. Plus jamais je laisserais qui que ce soit lui faire du mal. Et je parle même pas des connards qui lui ont fait ça. Ceux-là, je vais les choper et les démonter les uns après les autres. Ils auront mal, très mal. A son murmure, je retiens un soupir et je me contente de sourire, sans trop l’approcher. Le seul truc que je me suis permis, c’est d’effleurer sa joue et déjà là, j’ai eu peur d’aller trop loin.

Je grimace un sourire quand elle dépose ma bière à côté de moi et je l’attrape pour trinquer avec elle. « A nous. » Ouais, toast à la con, je sais. J’ajoute, plus pour moi-même qu’autre chose. « Je sais pas toi, mais va vite me falloir un truc plus fort perso. » Elle sait Zee. Elle connait les problèmes que j’ai avec l’alcool. Le sommeil. La vie en général. Elle a toujours été la seule à réussir à m’apaiser un peu, mais même elle, elle peut pas faire de miracles. Je lui lance un bref regard en coin alors que je commence à faire cuire la conserve, fronçant les sourcils à regarder les bulles qui commencent à poper à la surface. Evidemment, quand je lui demande si elle veut en parler, elle secoue la tête. Le contraire m’aurait surpris. J’inspire longuement et je souffle un « d’accord Zee, c’est comme tu veux. » Je finis par choper deux bols et j’ai un temps d’arrêt quand elle reprend. « Mon démon ? Ah. Merde. » Je l’avais oublié celui-là. « T’en fais pas, je retrouverais sa trace demain. Ou un autre jour. J’suis un peu le seul exorciste du coin, alors j’ai pas de mal à les courser. Et à me faire courser. » J’ai un haussement de sourcils avant de chasser cette pensée de mon esprit.

Et je finis par lui désigner le vieux canapé et la table basse. Je donne pas cher de son état à ce meuble, mais je me dis que deux bols, ça devrait tenir le choc. Je me laisse tomber dans un coin du canapé, lui laissant toute la latitude possible, avant de commencer à manger. Mais je m’arrête au bout de deux bouchées avant de m’allumer une clope. « Ecoute Zee. Je… j’sais pas ce qui t’est arrivé et si tu veux pas en parler, ça me va. Enfin non, ça m’va pas, ça m’emmerde profondément. Mais ça change rien. Je t’ai retrouvée et c’est tout ce qui compte pour moi. Et rien de ce que tu me diras pourra changer un truc. Tu m’as manqué. A chaque seconde. » Je tends la main pour effleurer son bras avant de me raviser et de me lever pour choper une bouteille de whisky que j’avais dans mon sac. Je suis même pas sûr que ce sera suffisant au final. « T’en veux ? Je te proposerais bien un câlin mais j’sens que je vais me prendre un râteau. » J’ai un rire sans joie et je continue, d’une voix toujours aussi tranquille, même si je bouillonne un peu de l’intérieur. « Et puis, j’suis pas sûr que ce serait suffisant pour que t’aies l’impression d’être en sécurité avec moi. » Nous deux contre le monde extérieur, ça le faisait. Avant.

John est gentil avec elle. Il est doux. Il l’a toujours été. Beaucoup le voient brut de décoffrage, et d’une certaine façon, il l’est. Peu de gens savent à quel point l’exorciste peut être attentionné, désintéressé, l’abnégation de laquelle il est capable de faire preuve… Et c’est ça, quelque part, qui brise le cœur de Zatanna dans leurs retrouvailles. Elle sait, au plus profond d’elle-même, qu’il est venu dans tout ce bordel pour elle. Elle le sait. Il n’était pas à Gotham quand tout est parti en vrille, mais il savait qu’elle y était, parce que la Justice Ligue, parce que Gotham était devenu « chez elle ». Ce n’est pas le hasard qui l’a amené dans le blocus. C’est elle, et la perspective qu’on puisse lui faire ce qui lui a été fait à elle la rend cinglée, meurtri son cœur de culpabilité. Des réservoirs de magie, c’est tout ce que nous sommes pour eux…, et le terrible des conséquences si jamais un boss ou l’autre mettaient la main sur eux, comme Falcone a pu mettre la main sur elle. Elle ne veut pas de ça pour lui. Elle ne veut de ça pour personne, mais avec la conscience aigüe de cette épée de Damoclès, qui a longtemps pendu au-dessus de sa tête, et qui maintenant pendait aussi au-dessus de celle de John, Zatanna se retrouve désemparée. Si elle s’écoutait, elle le jetterait à travers un portail pour le renvoyer à New-York, en sécurité, loin d’ici. C’est sa faute s’il risque sa vie. Comment, de ce fait, ne pas se sentir brûlée de honte par son contact ? Comment accepter l’intimité qu’il a l’air de vouloir faire renaître entre eux quand elle considère qu’il ne devrait même pas être là ? Quand elle porte cette responsabilité comme un fardeau ?

Bière en main, elle se prend dans ses propres bras, errant, un peu comme un fantôme, dans la pièce principale du refuge de John, se laissant happer un peu plus par les ténèbres de la culpabilité en voyant le chiche de l’endroit. Certes, John n’a jamais été friand du luxe et de l’opulence, mais entre le Ritz et la disette que lui imposait la vie dans la zone du blocus, il y a un monde de différence, un monde qui pèse sur les épaules de Zatanna, qui le porte de son mieux, telle Atlas. Elle entend le dépit dans sa voix quand elle refuse de s’ouvrir à lui, mais elle n’est juste pas prête à laisser partir sa torture… Parce qu’elle sait qu’elle va éclater en sanglots si elle commence, et elle n’en a pas envie. John lui dirait qu’il est venu de son propre-chef et ferait tout pour essayer de la déculpabiliser, sans y parvenir. Se sachant résolue, elle ne voit donc pas l’intérêt d’ouvrir son sac, et le garde donc fermé à triple tour. De même que son visage quand il répond à propos du démon. Dire qu’au final, c’est le cadet des soucis de la magicienne est un euphémisme.

Le canapé montré par John, elle va s’y asseoir, avec sa bière, qu’elle pose finalement sur la table pour prendre le bol de chili préparé par l’exorciste. Elle n’a absolument pas faim, malgré l’absence de souvenir de son dernier repas chaud, alors elle fait lentement tourner la cuillère dans le bol, avant d’en prendre une cuillère qui franchit difficilement ses lèvres… Et à la cuillère de retomber dans le bol quand Constantine reprend la parole. Les yeux que lève Zatanna dans sa direction expriment tout de la brisure de son âme. « Tais-toi, je t’en prie … » Elle lui souffle. « Tu rends les choses encore plus difficiles… » Elle murmure, reposant son bol sur la table, l’appétit définitivement coupé. Elle le voit, tenter un mouvement vers son bras, au moment où elle se rassemble sur elle-même, relève ses genoux contre sa poitrine et les enserre contre elle. Elle semble au bord de l’implosion, et finalement, la dernière boutade de l’exorciste l’achève.

La colère, venue d’un coup, la prend, et elle lui cogne le bras. Comme une brute. Elle veut lui faire mal. Autant qu’elle a mal. Mais elle n’est qu’une femme, menue, et plutôt mal alimentée alors l’effet ne doit pas trop y être. Elle tape. Et elle retape. Pour finir par se lever, et le taper encore. « T’es vraiment trop con, Constantine ! » Elle frappe, avec ses petits poings, incapable de s’arrêter. « Tu crois que c’est un sentiment de sécurité ?? » Elle hausse le ton. « Mais, bordel, regarde autour de toi ! » Elle tape, pousse. « Tu devrais pas être là ! Tu devrais pas manger ça ! » Dans un excès de rage, elle balance son bol de chili à travers la pièce, l’envoie se fracasser contre un mur et répandre son contenu, dégoulinant, sur le mur et au sol. « PUTAIN ! » Elle hurle, espérant que ça la délivrerait, mais non. Elle est encore plus fébrile, joues rougies, et tremblotantes. « C’est à cause de moi que t’es dans ce merdier, Constantine ! Dis-moi un peu comment tu te sentirais si les situations étaient inversées, hein ? » Elle shoote dans la table, et la renverse, les bières avec. En revenant à John, son regard est fou. « Il y a des mecs là-dehors qui vendraient leurs mères pour t’attraper, pour nous attraper et nous réduire en esclavage ! C’est CA la réalité, John ! C’est CA que tu dois comprendre ! » Au bout de sa colère, ses épaules finissent par retomber, la tristesse la rattrapant. Ses yeux se brouillent derrière des larmes. « Je fais quoi, moi, s’ils t’attrapent, hein ? » C’est ça la question… Que fera-t-elle s’ils lui enlèvent Constantine ? S’ils l’obligent, d’une façon ou d’une autre, à l’affronter… ?