Let's face the future...

Je me frotte les yeux et je prends une grande inspiration, essayant d’avoir l’air plus alerte que je le suis réellement. Faut dire que j’arrête pas depuis notre petite mésaventure avec Bane. J’ai demandé à faire des heures en plus au bar et j’ai trouvé des petits boulots à la con de livraison. J’avoue, je préfère ne pas demander ce que je livre, ça risquerait de pas me plaire. Mais faut au moins ça pour arriver à choper quelques médocs et de quoi bouffer pour trois personnes.

Parce que ouais, si j’en suis sorti avec quelques bleus, des bosses et un bout de matos en moins, pour Babs et Jay, ça a pas été la même histoire. J’ai eu peur. Vraiment. De les perdre tous les deux. Et les premiers jours, j’ai essayé de pas trop baliser, de pas me focaliser dessus. J’ai remercié intérieurement Bruce de m’avoir appris l’anatomie humaine en détail pour enlever des balles sans faire de conneries et j’ai surtout soupiré de soulagement en voyant qu’elles étaient pas mal placées, ça m’a évité d’avoir à chercher un bobard ou de devoir menacer un médecin. Ce que j’aurais fait si nécessaire. Je me suis vaguement rendu compte de quoi j’étais capable pour éviter qu’il leur arrive quoi que ce soit et j’avoue que c’est presque flippant. Mais ils sont tout ce que j’ai maintenant.

Et ils se reposent. Ca a été la galère pour les obliger mais je crois qu’ils ont rapidement pigé qu’ils étaient pas en état. Plus rapidement que moi la dernière fois, même si j’avais fini par le reconnaitre et par laisser Jason s’occuper de moi après notre rencontre avec l’autre taré. On a dégommé les stocks de bouffe et de médocs qu’on pouvait encore avoir à nous trois alors, forcément, au bout de quelques jours, j’ai dû me résoudre à mettre les bouchées doubles. Ca marche pas trop mal, même si je suis crevé comme je l’ai jamais été. Et j’ai malheureusement dû faire une croix sur les patrouilles. Faut dire que sinon, ça impliquait de ne pas du tout dormir. Déjà que je dépasse rarement les trois ou quatre heures par nuit ces derniers temps, ça aurait rapidement viré au drame. J’ai tenté pourtant, de tout cumuler les premiers jours. Et, quand j’ai commencé à remarquer que notre intervention avait eu bien plus d’effet que je l’aurais cru, je me suis dit que nous faire discret quelques temps, juste histoire de savoir comment nous comporter dès qu’ils iraient mieux, ce serait une bonne idée.

Parce que je me suis rendu compte que Jason avait raison.

… ouais, moi aussi ça m’a fait un choc. Je sais, je sais.

On peut bosser en équipe. On doit bosser en équipe. Faut qu’on arrête de penser individuel si on veut s’en sortir. Il l’a pas dit comme ça, mais c’est l’idée que j’en ai retenue. Et, si on a pas été aussi performants qu’on voulait pendant cette sortie, je pense qu’en bossant ensemble tout le temps, qu’en apprenant à le faire, y a moyen qu’on ait vraiment du poids, qu’on se rappelle à leur existence et, mieux encore, qu’on arrive à faire quelque chose de concret.

J’ai quand même attendu un peu avant de lancer la discussion. Qu’ils aillent mieux. Et je pense que c’est le cas là. J’espère en tout cas, surtout qu’ils auront bientôt la possibilité de retourner bosser, voler ou que sais-je encore, parce que je vais pas tenir longtemps à ce rythme-là. Et je grimpe les escaliers de secours, sautant d’un étage branlant à un autre pour me retrouver sur le toit, descendre par une entrée dérobée et me retrouver dans l’appartement de Babs. Pas très pratique, mais ça reste le plus discret. Je les retrouve tous les deux dans le salon et j’ai un sourire avant de déposer un sachet en papier sur les genoux de Jason. Il suinte de gras et pas besoin d’être devin pour deviner ce que c’est. Je fais pareil pour Babs après l’avoir embrassée sur le front. « Ton père te passe le bonjour. Il va bien. Il espère que c’est plus contagieux et t’as intérêt à venir le voir rapidement. » Et je m’assois par terre avec mon propre sachet. « J’ai des cocas dans le sac et des antidouleurs. Je crois qu’ils sont périmés donc faudra en prendre deux pour que ça marche un peu, mais c’est tout ce que j’ai réussi à… dégotter. » Je me frotte l’arrière du crâne, les yeux un peu écarquillés, essayant de pas trop les fixer pour pas qu’ils voient mes cernes et ma gueule de fatigué. « J’sais pas vous, mais j’ai grave la dalle. » Au final, on s’est bien retrouvés dans une pseudo-collocation. Mais je crois que Babs rêve de nous foutre dehors un peu quand même. Même si on a été sages. Je crois. « Comment ça va ? » Question importante hein. Tout en parlant, j’ouvre la feuille de chou imprimée par les malfrats du coin et je grimace en voyant un nouvel avis de recherche à notre attention. « Tiens, on commence à valoir du fric dites donc. » Je sais pas si je dois être flatté ou pas. Dans le doute…

Quand je ferme les yeux, j’entends encore les coups de feux, je vois encore les corps tomber. Je sais que si je me concentre assez, si je fais l’effort, je pourrais même m’arrêter sur chaque scène et les rejouer, je pourrais compter le nombre de victimes que j’ai vu s’effondrer au sol, et celles contre lesquelles j’ai trébuché. Et tout était de notre faute. Si on était pas intervenus, un tel drame ne se serait jamais produit. Je dirais bien qu’on ne pensait pas que ce serait aussi bondé qu’un hôtel en pleine saison estivale, mais ce serait mentir. Je ne regrette pas d’y être allée, loin de là, c’était nécessaire, obligatoire même. Et dans l’absolu, nous avons réussi. On a sauvé le maire et rappelé à tout le monde qu’on était toujours là. Un coup de pied dans la fourmilière. Il fallait le faire. Et on savait bien ce qu’on risquait, ce dont Bane était capable. On aurait dû… J’aurais dû prévoir et anticiper et faire en sorte que ça n’arrive pas.

Et comme si ça ne suffisait pas, il me suffit de tourner la tête pour me rappeler ce que j’aurais pu perdre, en plus du reste. J’ai peut-être été la plus sérieusement blessée, d’après eux, mais Jason n’est pas en reste. Enfin, je m’en fous, ça m’a permis de lui balancer que lui non plus n’était guère utile en l’état. Oui, je lui en veux, ou je lui en ai voulu, quand bien même avait-il raison sur le coup. Et puis, si on a assez de force pour se balancer des piques, c’est que ça va pas si mal.
Quant à Dick… Au final, je me dis que c’est lui qui va avoir le plus de mal à s’en remettre. Il a beau essayer de le cacher, ça fait des jours qu’il n’arrête pas et ne se pose pas plus de quelques heures. À ce rythme, il va finir par craquer, et ce sera pas qu’un peu. Mais à sa place, j’aurais fait pareil, c’est bien pour ça que j’ai évité de vraiment râler jusque-là. Vivre à trois est un peu plus contraignant et difficile qu’être seule, ou même à deux, et les stocks sont partis aussi vite que des transats en bord de plage dans un camping en été. Jason n’était pas plus en état que moi de bouger et de faire quoi que ce soit. Résultat, Dick a bossé pour trois. Mais il faut qu’il arrête. C’est bien pour ça que je dois retourner bosser… en espérant avoir toujours ma place au Mads. Bon, en vrai, malgré mes "congés" involontaires et impromptus, je sais que j’aurais pas vraiment de difficultés pour ça. Servir des mojitos à des mecs trop bourrés n’est pas si compliqué en soi, la plupart des serveuses ne tiennent pas vraiment la distance. Du coup, je suis une denrée rare et j’y retourne demain. Et je l’obligerais à souffler un peu.

J’ouvre un œil en l’entendant, réprimant un sourire quand il m’embrasse, fronçant les sourcils quand il me dépose un sac sur les jambes. Je le suis du regard et hoche la tête, enterrant une nouvelle fois la culpabilité que je peux ressentir quand il parle de mon père. Un jour, je lui parlerai… de tout ça… un jour.
lI s’assoit, continuant de parler comme pour combler le silence, et je le fixe, les yeux plissés, tentant d’évaluer la fatigue qui émane de lui. Je me penche, sans la moindre grimace malgré mon flanc qui me tire je suis fière de moi, et je lui prends le papier des mains, mes yeux rivés aux siens. « Mange. » C’est pas vraiment une demande ou une suggestion. Me réinstallant, je parcours l’avis de recherche en grimaçant. « Ah oui, c’est pas mal… On va le garder en collector celui-là. » Je le tends à Jason si ça l’intéresse, même si visiblement son hamburger retient plus son attention pour le moment. J’inspire, fixant mon propre sachet en essayant de me convaincre de manger. À défaut, je récupère un coca que je vide à moitié avant de reprendre l’air de rien.

« C’est gentil d’être allé voir papa. J’irai demain dans l’aprem, avant d’aller bosser, ça me laissera le temps de lui parler. » Tout en parlant, je déballe mon hamburger, découpant du bout des doigts des morceaux de pain que je grignote. « Ça va. J’ai eu envie de faire passer Jason par la fenêtre qu’une seule fois aujourd’hui ! Il y a du progrès. » Je souris à l’intéressé tout en parlant, lui faisant un clin d’œil, avant de me faire un tantinet plus sérieuse. « Maaaiiis je me dis que… Va falloir trouver une solution. Pas que je vous aime pas, mais à trois dans un appart comme ça, c’est pas possible. » Je croque dans mon hamburger. « Du coup, faudrait cherche un truc plus grand. » Là. Je les mets pas dehors, j’ai juste finis par admettre que oui, ce serait le mieux.

Je commençais à en avoir vraiment marre de rester alité. Pourtant, c’était le grand luxe. Je pouvais me prélasser sur le canapé toute la journée sans qu’on me fasse de commentaires, j’avais le droit aux douches chaudes et surtout à de la bouffe à volonté… Et j’avais même Babs rien que pour moi. Putain qu’elle était chiante surtout ! Bizarrement, dans l’idée que je m’en faisais, c’était beaucoup plus agréable. Ce n’était pas déjà la remarque que je m’étais fait la dernière fois que c’était arrivé ? Sans doute, oui.

Comment c’était possible d’être aussi susceptible et rancunière ? Moi, au moins, je m’étais barré sans demander mon reste dès que je n’étais plus en état de me battre. Je n’étais pas resté pour qu’on me ramasse ! Ca ne servait à rien d’en discuter avec elle. J’avais toujours tort, à l’écouter. Je commençais à me demander si on pouvait vraiment faire une bonne équipe, tous les trois. Et au-delà de nos disputes constantes, on s’était uniquement opposé à Bane et sa clique… Et ils nous avaient roulés dessus. Il avait des moyens que nous n’avions plus. Sauver le maire ? C’était notre seule victoire. On avait réussi à l’énerver un peu en lui mettant des bâtons dans les roues. Et surtout, on avait montré à tout Gotham que nous étions encore là. Dommage que c’était pour disparaître immédiatement ensuite, après ce coup d’éclat, hein ?

Je grognai quelque chose d’inintelligible en me redressant dans le canapé, à entendre Dick arriver. Mon épaule me gênait encore, là où la balle avait percée. En dehors de ça, je m’en sortais plutôt bien. Mon costume avait réussi à encaisser le choc pour m’éviter des côtes pétées. Par contre, ça devenait une sale habitude de me prendre des coups à la tête. Heureusement que j’avais le crâne dur. Il faudrait quand même que je m’y remette, même si c’était dangereux dans mon état. Dick essayait de jouer les super-héros du quotidien, et ça me saoulait encore plus que d’être convalescent.

Je baissai le regard sur sa trouvaille du jour, qu’il avait déposé directement sur mes genoux. « Un burger ?! Putain ! Ca existe encore, ça ? » Depuis que tout était parti en vrille, c’était bien le premier que je voyais. Je me jetai dessus sans attendre, avec une exclamation de satisfaction intense dès la première bouchée. J’avais encore la bouche pleine de mon propre burger quand je désignai du doigt celui de Babs qu’elle touchait à peine. « T’en veux pas ? Parce que sinon je le prends hein… » Je tirai le sac dans ma direction pour prendre un des cocas, en oubliant complètement les antidouleurs que Dick venait de mentionner. Il y avait des priorités dans la vie.

Je levai les yeux au plafond, exaspéré par les remarques de Babs, sans faire pour autant le moindre commentaire. J’avais la bouche pleine, de toute façon. J’attendis de finir mon burger pour avoir une main libre et récupérer l’avis de recherche que Babs me tendait. « Ah ouais… Je devrais peut-être me livrer pour que vous empochiez le fric, ça commence à valoir le coup. » Je souris, vaguement amusé. « Je me tire après, bien sûr. » Je faisais un bruit de dingue avec le fond de mon coca, quand Babs mentionna subitement son super-plan de collocation à trois. Je continuais à tenter de le boire alors qu’il n’y avait plus rien au fond du gobelet, un peu trop étonné pour trouver quelque chose d’intelligent à placer. « Attendez là… On n’a même pas les moyens de se payer toute la bouffe que Dick rapporte, et vous voulez un appartement plus grand ? » Je rigolai un peu. « Non mais si je vous gêne dans votre petit couple mignon, vous pouvez aussi me laisser tout le canapé. » Parce que ça devenait un peu ridicule, surtout à voir Dick lui embrasser le front pour ensuite jouer les timorés à la porte de sa chambre. « Mais plus sérieusement, on aurait surtout besoin de la Batcave ou d’un équivalent. On va devoir continuer à se cacher, plus encore maintenant… Et Dick a foutu en l’air sa ceinture. Mon costume n’est plus complètement pare-balles non plus. Bref, on est mal barré si on continue comme ça. » Je reposai le gobelet, avec un bref sourire. « Et en plus, on va peut-être avoir du renfort… Donc on ne sera plus seuls. »

Mon regard passe de l’un à l’autre alors que je sens une certaine tension dans l’air. Bon, faut dire que passer H24 ensemble pendant plusieurs semaines, ça réussit à personne, encore moins quand, comme nous, on est habitués à bouger constamment et à ne pas dépendre de qui que ce soit. « On dirait que ça se passe bien entre vous. » J’ai un sourire en coin avant de reprendre, un brin plus sérieux, même si je me doute qu’ils m’écoutent qu’à moitié. « Le calvaire sera bientôt terminé, vous allez beaucoup mieux tous les deux. » Et j’ai encore de quoi fournir des médocs quelques temps, au moins de ce côté-là, ça se passe mieux que je l’aurais cru.

Je lève les yeux au ciel quand Babs me dit de manger, plutôt content par contre de voir Jason se jeter dessus. « Ouais, ça existe encore. T’enflamme pas, y en aura pas d’autres de sitôt mais le type était tellement content qu’on lui sauve la mise que… » J’ai un bref haussement d’épaules avant de finir par lancer mon propre sachet en direction de Jay et d’aller chercher une boite de céréales sur le comptoir dans laquelle je pioche tranquillement. J’ai eu mon quota de chair fraiche pour la journée en fait, j’ai pas spécialement envie de bouffer de la viande, quelle que soit son origine douteuse.

A la remarque de Jay quand il regarde l’avis de recherche, je fais mine de réfléchir. « Ouais, c’est tentant. On va quand même attendre encore un peu, histoire d’amasser le jackpot. » Et je commence à boire mon coca, m’étouffant au reste des échanges. « Je… ne… enfin… on est pas… » J’ai un regard en direction de Babs avant de secouer la tête en toussotant. « C’est pas le sujet. L’appart est trop petit parce que vous y passez tout votre temps. Ca ira mieux quand vous sortirez. » Ouais voilà, je m’en sors bien non ? « Après, si tu veux nous jeter dehors Babs, c’est chez toi, je comprendrais, mais je pense que c’est plus sûr qu’on y reste tous ensemble. Et il est bien cet appart pour l’instant, non ? Si on continue de se marcher dessus alors qu’on aura repris nos activités, on pourrait trouver plus grand… ça vous va ? » Je me suis presque pas embrouillé, je suis assez fier de moi.

Je garde le silence quand Jason continue, avant de finir par hocher la tête. « Il a raison. On a besoin d’un coin sécurisé et… quoi ? Du renfort ? » Je tique seulement et je le regarde, un rien perplexe, avant de le fixer avec intensité. Avant d’ajouter, me faisant des plus sérieux et délaissant le paquet de céréales. « Tu nous expliques ? Mais avant… je voulais attendre que vous alliez mieux pour qu’on en discute mais… on va dire que c’est le cas. » Je les regarde l’un après l’autre avant de continuer, prenant une grande inspiration. « Comme je disais, Jason a raison. Pas que pour la batcave. On peut pas dire qu’on a été glorieux face à Bane, mais c’est parce qu’on bosse pas assez ensemble, même si on a atteint l’objectif de sauver le maire. Alors qu’on devrait. On se connait par cœur, on sait comment chacun de nous bosse, on connait nos réactions et… si on s’en donne la peine, ça peut marcher. En réparant nos équipements, en trouvant moyen de nous requinquer de ce côté-là aussi donc. » Je me frotte l’arrière du crâne, cherchant mes mots. « J’ai eu tort de penser qu’en restant dans l’ombre, qu’en faisant profil bas en se contentant de patrouiller comme on pouvait, ça suffirait. J’ai eu tort de croire qu’on pourrait rien faire sans… lui. On a besoin d’un peu plus de… » J’ai un sourire alors que je désigne Jay. « … de Robin. Et un peu moins de Nightwing. » Un peu plus de bordel quoi.

Je fixe un instant Babs, guettant ses réactions à ces premiers échanges. Elle est encore plus du genre à bosser en solo que nous, mais j’espère qu’elle se rendra compte aussi que c’est nécessaire de bosser en équipe. Et qu’on change un peu nos méthodes. « On aura besoin de toi aussi pour ça. » Histoire de rappeler l’évidence, qu’on a tous besoin les uns des autres, surtout en ce moment. Et je finis par fixer Jay, avec un sourire intéressé.  « Tu nous racontes, pour tes renforts ? Et si tu fouilles le fond du sac à dos, t’auras ptet une surprise. » Genre des barres de chocolat que j’ai trouvé dans un vieux distributeur défoncé.

C’est pas que Jason est désagréable comme colocataire, en temps normal, on s’entend même plutôt bien et c’est relativement cool avec lui. Sauf que là… Là, ça fait des semaines qu’on est coincés H24 ensemble – une éternité – et n’importe qui deviendrait fou. Alors il se passe quoi quand deux hyperactifs sont dans la même pièce ? Hein ?… Ouais, les termes grognon et agacé sont un peu en-deça de la vérité. Mais on fait ce qu’on peut. Je crois. Ça doit un peu ressembler à une colonie de vacances, mais on essaie de se tenir et de pas faire de vagues. Je lance un regard blasé à Dick quand il cherche à en plaisanter, me focalisant sur le reste, à savoir que j’allais pouvoir sortir et recouvrir un tant soit peu de liberté.

Et la bouffe, parce que comme d’hab, il a quand même ramené de la bouffe. Contrairement à Jason, je ne me jette pas dessus, alors que je m’interroge sur la capacité de mon estomac à encaisser autant de calories et de gras d’un coup. Je grogne malgré tout contre lui quand il fait mine de penser pouvoir me le prendre. Non mais sérieux, il croit quoi ? Je laisse filer un soupir en voyant Dick lui balancer le sien pour se rabattre sur des céréales. Je me moquerais bien de lui, mais je l’ai déjà tellement fait que ça en devient aussi habituel que des papillons autour d’un feu de camps en été.
Retenant un rire en voyant Jason lever les yeux au ciel, je croque une bouchée dans mon hamburger. J’ai raison pourtant. Il y a du progrès, je deviens plus patiente faut croire, et surtout, je déconne pas vraiment en remettant l’histoire d’un appart plus grand sur le tapis. Je souris à leurs remarques. « Ou je vous livre tous les deux et je me paie un hôtel 5 étoiles avec la mise ! Ça se tente aussi. » Et si je commence à froncer les sourcils en l’entendant, je le dévisage en mode poisson mort quand il se marre et poursuit. « Je… Hein ? Quoi ? » Je lance un regard à Dick, croisant malheureusement son regard dans l’affaire, et je cligne des yeux. C’était quoi ça ? Je fronce les sourcils en piquant du nez, mes cheveux tombant en cascade autour de moi à point nommé pour cacher le rougissement de mes joues. « Mais vous arrêtez oui ? » Je relève la tête en les dévisageant à tour de rôle. « J’ai aucune envie de vous foutre dehors, sinon je vous l’aurais dit. Le fait est que si on veut continuer comme ça, si Jason me supporte une fois qu’on reprendra un semblant de vie normale, on aurait besoin d’au moins une chambre supplémentaire. Vous allez pas squatter le canapé ad vitam, ça rime à rien ! Et bien sûr que si on peut se démerder pour payer, je le paie bien seule celui-là ! Dick galère parce qu’on farniente comme des touristes en bord de piscine… Après, ça ira mieux. » Voilà. Rien de plus simple. La contrariété a remplacé la gêne, c’est parfait.

J’acquiesce en grimaçant. « Évidemment qu’il a raison. Le mien n’est plus pare-balles depuis un moment… » Je stoppe et dévisage Jason en même temps que Dick. « Du renfort de quel genre ? » Je reporte mon attention sur Dick quand il enchaîne, me renfrognant d’office. Pas glorieux, c’est peu dire. Les sourcils froncés, je continue de mâcher mon hamburger sans vraiment y penser, essuyant mes doigts sur une serviette qui traîne. Je sais pas trop quoi penser de ça. Pas du fait que ça puisse marcher ou qu’on peut, qu’on doit faire davantage, ça, c’est évident. « T’es ni notre chef, ni notre mentor, t’es pas le seul à avoir pensé ça, t’es pas responsable. On a tous pensé que… qu’on devait juste tenir en attendant qu’ils reviennent tous. Qu’il revienne lui. Sauf qu’en effet, ça suffit pas. On s’est laissé dépasser, mais c’était pas uniquement ça Dick. On a plus les mêmes moyens, on a même plus de quoi communiquer, j’ai même plus d’ordinateur et de réseau ! » Ouais, c’est le drame absolu ça, pour de vrai. Je lève les yeux au ciel avant de les regarder chacun leur tour. « Néanmoins… Je ne le répéterais jamais, mais… Vous avez raison. » J’ai un sourire avant de soupirer. « Trouver une des planques de Batman, avec des réserves de costumes et de matos serait le top, mais on a déjà cherché. On a besoin d’un endroit à nous, où on peut se retrouver en tant que… groupe. On a besoin de pouvoir communiquer en tant que Robin, Nightwing et Batgirl. Je peux bricoler des oreillettes et un système, seulement il va me falloir du matos … que je sais où trouver, même si ce sera pas simple. » Je les regarde de nouveau. « Plus de Robin ? Plus de flashy et d’impertinence dans nos actions ? Ça me va. » C’est là où je rappelle mon aversion des armes ou pas ? Je me rends pas trop compte…

Je replie mes jambes et me tourne un peu vers Jason, non sans lui désigner le sac à dos. « Je veux une surprise pendant que tu nous racontes. »

J’haussai mon épaule valide, à la remarque de Dick. Si ça se passait mal entre Babs et moi ? Pas tellement. Elle était chiante, comme d’habitude quoi. C’était juste encore pire depuis que j’avais eu le malheur de lui gueuler de se mettre à l’abri. Elle faisait preuve d’une mauvaise foi contre laquelle je n’avais même pas la force de lutter. « C’est juste une histoire d’ego, fais pas attention. » Elle était loin d’être en reste de ce côté-là ! Je secouai la tête négativement. « Je vais partir demain, de toute façon. Je devrais arriver à négocier quelques trucs. Tu pourras te reposer un peu plus. » Le troc pouvait rapporter gros, mais seulement quand on avait de quoi marchander. C’était là le problème. Je n’étais pas en état de me bastonner contre plus fort que moi actuellement, alors on pouvait oublier les vols spectaculaires, les discussions musclées et les courses-poursuites… Mais j’avais d’autres atouts dans ma manche, comme les effractions discrètes dans les bâtiments sans surveillance. Au pire, je fouillerais les poubelles. C’était loin d’être ma première fois. C’était encore le moins risqué… Puis je tournais en rond ici. Je n’allais quand même pas laisser Dick me donner la becquée comme à un moineau blessé encore longtemps non ?

Dommage, Babs venait finalement de croquer à pleines dents dans son burger. Mais tout n’était pas perdu, parce que Dick me laissa le sien en offrande ! « Toi, t’es un type bien. » Je venais à peine de finir le mien que je m’en emparai, de peur qu’il revienne sur sa décision initiale. Et ils réfléchissaient vraiment à empocher la prime en nous livrant provisoirement ? J’étais persuadé qu’ils m’auraient déjà tous les deux traités d’impulsifs irréfléchis, encore une fois, avant de rejeter l’idée en bloc.

Je poussai une exclamation dépitée à les voir tous les deux jouer subitement les timorés qui n’avaient pas compris. J’allais devoir tenir la chandelle encore combien de temps ? Longtemps, apparemment. Si Dick était partant pour ne rien changer, Babs insistait sur cette histoire d’appartement plus grand. « Mais on s’en fout ! » Je reposai mon coca, à moitié vidé, pour insister un peu plus lourdement. « On a besoin d’une planque, une base secrète, une batcave… Appelez ça comme vous voulez. Bref, moi je ne vais pas rester ici. Je vais me mettre en quête d’un endroit assez sécurisé, ou assez discret, pour accueillir mon équipement et pour gérer nos entraînements. » Ils avaient l’air d’enfin arrêter de jouer les tourtereaux en manque d’intimité maintenant qu’on parlait de choses plus sérieuses, tant mieux. « J’ai un pote, Gar. Il sait se métamorphoser en n’importe quelle bestiole à poils ou à plumes. Je pense qu’il ferait une super recrue, parce qu’il a un bon mental en plus de capacités innées intéressantes pour devenir un justicier, ‘voyez ? Mais pour moi, ce n’est que le premier qui nous rejoindra. On doit voir plus grand ! Si la Justice League a disparu, alors on en recréé une. Si on manque de monde pour nous aider ? Alors on en forme de nouveaux ! »

On avait besoin de sortir de l’ombre, comme le soulignait Dick… Mais pas n’importe comment. Il allait nous falloir du temps de préparation pour que les choses se passent au mieux, et pour nous éviter le même fiasco que contre Bane. « Notre priorité est de recruter, de continuer à s’entraîner ensemble, et de refaire notre équipement. On doit faire profil bas le temps de se trouver un lieu qui convient pour ça, ce sera un bon début… Et la prochaine fois qu’on sortira en groupe, je vous jure qu’ils vont pas rigoler. » On venait de se prendre une bonne dérouillée, mais c’était précisément le moment de rebondir. On avait l’air d’être tous d’accord là-dessus, eux aussi étaient remontés à bloc. Alors, on attendait quoi pour s’y mettre concrètement ?

Babs commençait à émettre des idées intéressantes, et là on rentrait enfin dans le vif sujet. « Il n’y a pas que Batman qui a des planques, tout comme Gotham n’est pas la seule cité à défendre. On doit chercher ailleurs. » Je connaissais mal les autres membres de la ligue, mais peut-être que Dick saurait nous en dire plus ? Je relevai la tête vers lui. « T’as des idées ? » L’idéal serait d’avoir un lieu qui serait resté intact les deux dernières années, parce qu’on aurait du mal à tout recréer à partir de rien. Et un système de communication ? Vrai que ça manquait aussi… « Gar est capable d’aller à l’extérieur du blocus et d’en revenir sans trop de difficultés, c’est un contrebandier qui gère pas mal. Il pourrait te trouver ça, même si ce ne serait pas sans risques. » J’avais encore un peu de mal à l’impliquer sans qu’il ne sache exactement dans quoi il s’engageait… Mais ça allait venir. J’étais sûr qu’il accepterait. « Je dois le tester dans les prochains jours. J’aurais sans doute besoin de toi, Dick, vu que moi je suis pas en état de me battre. »

A la répartie de Jason, j’ai une ombre de sourire qui masque ma fatigue l’espace d’un instant. « Je comptais pas faire attention. Et si tu te sens de bouger, c’est cool. Ca m’arrange. » On va pas se leurrer. Je sais qu’il va surement aller toquer chez des friqués et piquer des trucs mais là, dans l’immédiat, j’avoue que ça me pose plus vraiment de problèmes.

En attendant, je pique un peu du nez, me sentant un peu ridicule à l’idée que Jason puisse avoir pigé ce que je peux ressentir pour Babs. Mais il est du genre super observateur, on va dire que c’est pas aussi flag’ que ça. Enfin, c’est pas le sujet de toute façon, tout comme de trouver un appart plus grand. Je hoche quand même la tête en direction de Babs et je souffle un « on verra quand vous serez tous les deux bien sur pied donc. » Je me répète un peu mais là, y a un paquet d’informations à gérer dans tous les sens. Je me contente d’agiter la main à la réaction de Jason quand je lui file mon burger. Les céréales, c’est bien plus sympa.

Et je pioche dans le paquet, avant de hocher la tête à ses paroles. « Nous faut un coin sécurisé, on est d’accord. Me reste encore de l’équipement planqué, mais pareil que le reste, il est usé. Sauf que je me dis que si j’ai un endroit pour bricoler, je pourrais ptet faire des trucs dessus. » J’ai un soupir à cette pensée avant de me concentrer sur ce qu’il raconte et son pote. Gar donc. J’ai un temps de silence quand il parle de recréer une justice league, écoutant ensuite Babs qui parle du fait que je suis pas responsable. J’ai pas envie d’entrer dans un débat là-dessus et je me contente de grimacer, fronçant les sourcils alors que j’assimile tout ce qu’ils me disent tous les deux.

Avant de souffler, avec un sourire. « C’est pas tant plus de flashy et d’impertinence dans nos actions, même si ouais, je sais que je dois arrêter de tergiverser et … retrouver la voie de Robin. » Je fixe Jay un instant avant de continuer. « Mais c’est surtout agir de concert. Comme dit, notre prochaine sortie doit être spectaculaire. Et leur rappeler qu’ils ont pas gagné la partie. » Je me rends compte de tout ce qui nous attend et je récapitule, plus pour moi-même qu’autre chose. « Donc on crée notre propre groupe. On embauche Gar’. Babs se débrouille avec son cerveau de petit génie pour nous bricoler des trucs en montrant que, même sans moyens, elle est capable de tout. Et on trouve un local pour nous entrainer. » Je repose le paquet, fouinant dans le sac à dos pour leur balancer des barres chocolatées et me servant de nouveau un coca. « Okay. Pour le lieu… » Je fronce les sourcils, pensant à voix haute. « La tour de l’horloge ça donne quoi ? Sinon, sur le campus, y a pas mal de sous-sols assez grands pour être sécurisés autant que possible avec nos moyens et servir de lieux d’entrainement. J’avais commencé à regarder quand j’étais étudiant et à aménager un coin. L’avantage, c’est que ça circule dans tous les sens, jour et nuit. On passera inaperçus, même avec de nouvelles recrues. Ou la bibliothèque. Y a plus grand-monde qui y met les pieds et y a masse d’espace dans les sous-sols. On pourrait aller y faire un tour les prochains jours si vous êtes d’attaque. Mais pour moi, on doit rester à Gotham. Quitter la ville serait leur donner le champ libre pour de bon. Et c’est chez nous, pas chez eux. » Je me frotte l’arrière du crâne, esquissant un sourire quand ils échangent sur le matos et le moyen de le trouver. « On peut essayer de contacter les autres, voir s’ils sont toujours en vie. Batwoman, Black Canary. Ca fait des mois que j’ai pas eu de nouvelles perso. Tu crois que Gar’ saurait les trouver ? Y a aussi des gens que j’ai pu croiser au fil du temps. Qui voulaient jouer au héros mais qui sont restés dans l’ombre vu que savais pas quoi faire avec eux. » Je pense à Tara ou même à Rose, sans bien savoir comment ça pourrait se passer avec elles. Quand Jay parle de tester son pote, je hoche la tête. « Ouais pas de soucis. Tu peux compter sur moi. Je serais à tes ordres. » J’ai un sourire taquin avant de reprendre, un brin plus sérieux. « … alors. On va s’appeler comment ? Des idées ? Des suggestions ? »

Laissant les détails superflus de côté – comme notre entente presque parfaite avec Jason – je commence à manger tout en me retenant de dire à Dick que les céréales ne constituent pas un repas alors qu’il en aurait bien besoin. Comme quoi, je m’améliore. Je ne réponds même pas à  Jason quand il m’envoie un peu bouler, me contentant de lever les yeux au ciel. Encore.

« Oui, il faut un endroit sécurisé. C’est plus facile à dire qu’à faire aujourd’hui, mais on devrait pouvoir trouver ce dont on a besoin, même si ce sera jamais au niveau de la batcave. » Je réfléchis  à ce qu’il nous faudrait, point de vue superficie, localisation et autre. Le matos pour bricoler ne sera pas le plus dur à trouver, mais si c’est pour qu’on se le fasse piquer à notre tour, ou pire, qu’un des Boss nous tombe dessus en moins de deux… Un métamorphe. Ça c’est cool. Je souris devant son enthousiasme, hochant la tête pour marquer mon approbation. Oui, on crée un nouveau groupe. Et on trouve des candidats. Encore faut-il trouver des personnes en qui on puisse avoir confiance, des personnes ayant déjà les capacités de se défendre avant d’apprendre à protéger les autres, des personnes ayant la volonté d’aider… ou assez cinglées pour vouloir le faire. « Mon cerveau de petit génie n’a pas encore la capacité d’une imprimante 3D, j’ai besoin d’instruments et de matériaux tu sais. » J’esquisse un sourire avant de reprendre plus lentement. « On part sur un nouveau groupe, à nous, je suis d’accord. Malgré tout, je me dis qu’en parallèle de tout ça… Qu’on devrait faire renaître la peur primaire. Remettre des batsignaux sur les rails. Au stade, au commissariat… au Mad’s Cops, il y a des projecteurs. Il suffirait d’y coller des chauves-souris. Même en carton, on s’en fout, juste pour semer le doute. Pour qu’ils regardent de nouveau au-dessus de leurs épaules, même si c’est lui qu’ils cherchent et pas nous. » Je hausse les épaules. Ouais, ils vont peut-être pas valider. C’est pas stupide, mais effectivement, ce sera pas nous directement, ça rendra pas notre groupe… spectaculaire donc.

Du chocolat. Mes yeux s’illuminent de plaisir et j’ouvre la barre pour y croquer dedans avec bien plus d’enthousiasme que le hamburger. Je laisse filer un soupir de contentement avant de répondre. « Je rejoins Dick sur le fait qu’on doit rester ici. Gotham est chez nous. Il y a d’autres villes, mais on doit déjà commencer par protéger ce qui est à nous. » Je hoche la tête concernant le reste. « Le campus a trop d’accès, et même si on passe inaperçus, les sous-sols sont à mon avis trop surveillés. La bibliothèque… Pareil pour les accès, mais on peut jeter un coup d’oeil oui. Mais si je devais choisir… La tour de l’Horloge. Elle n’a que trois entrées, et on peut facilement condamner celle du rez-de-chaussée. Il restera les égouts et les toits, qu’on peut facilement sécuriser. » Je leur jette un coup d’œil en grimaçant un sourire. « J’y allais souvent, avant. C’était un chouette point de chute et je me disais qu’un jour… Je me dis que ça ferait un bon QG. » Mes doigts tapotent sur ma cuisse alors que je continue de croquer ma barre. « En vrai, il faudrait pas grand-chose, mais j’ai pas réussi à vraiment détourner les bloqueurs qu’ils utilisent… En même temps, ce sont de Wayne Industries je pense, alors… Donc il faut que j’arrive à les contourner sans que ce soit visible. Et qu’on puisse se servir du réseau, au moins à courte et moyenne portée… » Je me mordille en réfléchissant, commençant à faire mentalement la liste de toutes les étapes..« Je ferais une liste. » Je hausse un sourcil. « Black Canary fait partie de la Ligue déjà… Mais ce serait bien, elle est trop cool. » Je souris en les entendant parler de Gar avant de les regarder à tour de rôle en haussant les épaules. « Pas encore réfléchi, mais je suis toute ouïe. »

Donner dans le spectaculaire encore la prochaine fois ? J’aimais bien l’idée. « Il va juste falloir travailler davantage nos plans. » Je ne disais pas ça parce que le précédent était mauvais. Enfin si, un peu… On s’y était vraiment pris à l’arrache. En même temps, Bane ne nous avait pas trop laissé le choix. Je savais bien que Dick et Babs auraient voulu réfléchir un peu plus longtemps à comment s’y prendre également. On avait grillé nos cartes également. Nous n’avions plus nos entrées à la prison, un peu par ma faute. Je ne regrettais pas pour autant, et eux non plus sans doute. Pourquoi ? Je serais sans doute mort si je n’avais pas profité de la sortie dérobée. Il y avait autre chose qui me perturbait beaucoup sur cette soirée, même si je n’en avais pas parlé plus tôt. « Tu sais si tu as fait des victimes dans leurs rangs, Dick ? » C’était le risque. Bane nous avait poussés dans nos retranchements. Je ne voulais pas l’en blâmer mais… « Je dis ça parce qu’il y a quelqu’un que je connais dans la milice de Bane. » Je grimaçai un peu. Je n’avais pas spécialement envie d’en parler plus en détails maintenant.

Je pris une longue inspiration pour me concentrer de nouveau sur l’essentiel : Le recrutement, la création d’un groupe de supers-justiciers, l’établissement d’un repère… Dick avait des idées vraiment bonnes sur ce dernier point. « La tour de l’horloge ? Ce serait super comme endroit ! Personne ne penserait à aller fouiller à l’intérieur, et on aurait une vue imprenable sur tout Gotham. » Je me tournai vers Babs, qui abondait dans ce sens également. « L’affaire est entendue, non ? L’horloge peut nous servir de QG. Et on pourra toujours prendre la bibliothèque comme cache secondaire. Ca nous fera un point de repli et une zone d’entraînement. » Mieux valait être prudent et avoir plusieurs lieux à disposition. Batman non plus ne se reposait pas uniquement sur la Batcave.

Bien entendu, on devait recruter de nouveaux potentiels, mais aussi reprendre contact avec ceux qu’on pouvait. « Si on arrive à se bricoler des talkies, ce sera plus simple pour refaire notre réseau. Ce n’est pas si évident de les retrouver… Ils ont tendance à se cacher aussi. » Batwoman, Black Canary… Ce serait déjà pas mal. La Batfamily serait presque au complet comme ça. « C’était toi qui était en contact avec Batwoman pour la dernière fois, Dick, pas vrai ? Et tu devrais savoir où trouver Black Canary, Babs, non ? » Je m’occuperais plutôt de Gar. Il y avait déjà pas mal à faire. Il ne restait plus qu'à se trouver un nom qui claquait un peu. « Les Titans ! Ca vous dit pas ? Franchement, on peut éviter les dérivés redondants avec les chauves-souris… Batman n’est plus là. Et les autres se sentiront mieux intégrés, non ? » J’avais fini de manger. Je me sentais d’attaque pour n’importe quoi, subitement.

Bon, j’ai l’impression qu’on commence à être d’accord sur les grandes lignes. Après, les détails, on avisera au fil de l’eau. Mais j’avoue que j’aime cette sensation en train de naitre au creux de mon estomac. Cette impression qu’ils ont réussi à raviver cette flamme qui semblait sur le point de s’éteindre. Je sais que ce sont eux qui m’ont fait tenir ces deux dernières années. Et que c’est avec eux que j’arriverais à faire quelque chose. J’irais pas jusqu’à dire qu’on a pas besoin de la Justice League ou de Batman en personne mais, au moins, on peut peut-être enfin arriver à faire quelque chose, à montrer de quoi on est capables.

Alors je hoche la tête, un sourire incertain naissant sur mes lèvres à mesure qu’on continue d’échanger. « J’suis déçu petit génie. Mais va falloir qu’on réfléchisse à te trouver du matériel. Nous faudrait aussi de quoi rafistoler nos tenues. Si on a le matos, je pense que je peux arriver à faire quelques trucs dessus. Ca vaudra pas du neuf mais ce sera mieux que de recoudre des trous à l’arrache au fond d’une ruelle. » Et mon sourire se fait plus large quand Babs parle des batsignaux. « Je pensais aussi à des tags aussi, tout simplement. Rester dans l’ombre en attendant qu’on s’organise mieux mais, en attendant, piquer un peu partout, juste pour commencer à les faire flipper. »

J’ai un temps à la question de Jason, fronçant les sourcils avant de hausser une épaule. « J’en sais rien. J’ai… j’ai fait exploser ma ceinture pour gagner du temps. J’ai vu des types de Bane tomber, je sais pas s’ils se sont relevés ou pas. » Je pique du nez, pas très fier de mon coup. Je suis pas comme les boss, tuer me poser vraiment un problème et c’est encore jamais arrivé volontairement. Sauf que là, c’était le seul moyen que j’ai trouvé pour les aider. Et tous les deux comptent plus que tout. Même si, à la réflexion, j’aurais probablement dû agir autrement. « Tu connaissais qui ? » Je suis pas sûr qu’il me réponde, d’autant qu’avec Babs, ils ont l’air d’approuver mon idée rapport à la tour de l’horloge.

Et je me sens rassuré de voir qu’on est sur la même longueur d’ondes. « On ira y faire un tour alors. Pour nous approprier les lieux, pour être sûrs qu’on peut s’y installer. Et bonne idée la bibliothèque comme point de repli. » J’ai un temps, pensif, alors qu’ils rebondissent sur le reste. Les idées fusent et j’ai l’impression que cette chape de plomb que j’ai sur mes épaules depuis près de deux ans semble carrément moins lourde à porter. On aurait dû faire ça avant, plus tôt. Mais peut-être qu’il nous fallait ce temps pour comprendre ce qu’on voulait faire exactement, pour comprendre de quoi on était capables. Maintenant qu’on le sait, on va pouvoir avance. Et leur rappeler qu’ils ne sont pas chez eux ici. Je hoche la tête quand il parle de Batwoman. « En effet. On avait discuté de moyens de communiquer si elle était dans le coin. Je vais essayer de la retrouver. J’ai croisé aussi une fille… avec des capacités particulières. A l’époque je l’avais un peu rembarrée, je voulais pas qu’elle prenne de risques inutiles. Faudrait que je vois si je retrouve sa trace. Elle s’appelait… Tara Markov je crois. Un truc du genre. » Je fronce les sourcils, plongé dans mes pensées, avant de relever la tête de mon paquet de céréales quand Jay fait une proposition. « … les Titans ? » J’écoute sa justification et j’ai un mince sourire. « Ca me plait ça. Vraiment. Babs ? T’en dis quoi ? » D’autant que ouais, autant repartir sur de bonnes bases pour tous ceux qui voudront se joindre à nous. Et il y en aura. C’est obligé.

Je tire la langue à Dick, avant d’acquiescer en souriant. « Des tags et des faux signaux. Que du vandalisme, mon père serait fier de moi. » Je souris de plus belle, avant de me refaire un tantinet plus sérieuse. Évidemment qu’on sera davantage préparé et que – dans la mesure du possible – nos plans le seront aussi. Là, on avait fait aussi bien qu’on avait pu dans les délais impartis par Bane, c’est-à-dire très peu de temps. Et si je sais qu’ils sont un peu plus impulsifs, spontanés que je ne le suis. En temps normal, je ressemble plus à Bruce, même si je n’ai pas un million de plans différents pour chaque situation, j’aime savoir dans quoi je m’engage. Mais le fait est que c’est une chose compliquée par les temps qui courent. Je fronce un peu les sourcils en regardant Jason, attendant de voir s’il répond ou non à Dick.

Mais la conversation repart aussi vite et j’avoue qu’avoir de de nouvelles idées en tête – un but ! - c’est carrément cool. Je souris. « Alors va pour l’horloge ! Doit déjà y avoir un peu de bordel à moi, des bouquins ou autres, mais rien d’importants… » J’ai une moue, avant de hausser les épaules et de sourire de nouveau. « Et la bibliothèque comme coin de repli, c’est pas con. Je dois pouvoir vous dessiner des plans basiques déjà, pour les accès et les souterrains. A voir si aucun tunnel ou autre ne s’est effondré. » Mais mette en place l’accès à plusieurs endroits, et les sécuriser un minimum, c’est un bon début.

J’acquiesce au sujet des talkies, esquissant un sourire désabusé au reste. Tout le monde se cache, il faut survivre non ? Je grimace en réfléchissant. « Elle a jamais aimé faire dans la discrétion, mais on entend plus trop parler d’elle dernièrement. J’essayerais de faire un tour aux endroits qu’elle fréquentait oui. » Ce serait chouette d’arriver à la retrouver et à la convaincre. Black Canary, Batwoman et Gar donc. Et peut-être cette Tara aussi. Ce serait carrément un bon début. « Les Titans comme ceux qui ont été défaits et détruits par les Dieux de l’Olympe ? » Je les regarde tour à tour. « Ça fait très… costaud et… viril, dans le genre "j’en ai une plus grosse que toi". Les TI-TANS. » Je prends la grosse voix de présentateur radio, avant de souffler un rire. «  Ouais, ça me plaît ! Ça claque et ça ne définit personne en particulier. Je valide ! » Je hoche la tête d’un air convaincu, finissant d’engloutir ma barre. Nouvelle planque, nouveau nom, nouveau départ. Oui, ça me plaît carrément.