I'm having a good time... | Laura

Je regarde la porte, cillant à plusieurs reprises, comme pour m’assurer qu’il est bel et bien parti. J’avoue, j’ose même pas bouger en vérité, alors que, dans ma tête, tourne en boucle la chanson qu’il a balancée juste avant de partir. Ca a un coté totalement improbable, tout comme la scène qui vient de se dérouler. Je serre le balai entre mes mains tellement fort que mes jointures sont en train de blanchir. Si je continue comme ça, je vais le péter en deux et … ah bah, voilà, c’est fait. J’entends le crac avant de réaliser vraiment ce que je viens de faire et j’ai un profond soupir.

Le silence qui règne dans le bar, interrompu uniquement par les gémissements des mecs qu’il a mis au tapis, a quelque chose de totalement improbable, surtout après ce qui vient de se passer. J’avoue, je suis un peu désemparé, je sais pas vraiment quoi faire ou comment. Y a une part de moi qui a juste envie de claquer la porte pour ne plus jamais revenir. Et j’avoue que j’ai beaucoup de mal à trouver des arguments pour ne pas le faire. Si ce n’est… Rouge donc. Mon regard se tourne dans sa direction et je me rends compte qu’elle était quand même vachement moins tendue que moi. Ou alors, c’est une sacrée bonne actrice. Difficile à dire.

Je renifle un coup, laissant tomber le balai alors que je me rapproche d’elle, non sans regarder tout autour de nous. « Je vais faire rouler les deux mecs en dehors du bar. Et après on pourra le fermer. Visiblement, je suis de corvée de ménage donc… » J’ai un haussement d’épaules. Le Joker a dit qu’elle pouvait se tirer, tout du moins c’est ce que j’ai compris. Alors rien ne l’oblige à rester elle. Moi je me dis que j’aurais besoin de la bouffe que je vais récupérer à la sortie, si tant est qu’il lui prenne pas l’envie de me retirer de ma paie tous les dégâts. Autant faire en sorte qu’il y en ait le moins possible déjà. Sans vraiment attendre de réponse de la jeune femme, j’attrape le premier poids mort qui grogne et s’agite vaguement. « Ouais, ouais, t’es pas content. Sois heureux d’être en vie déjà. Et ne reviens pas ici. » Je le tire sans trop de problème et je le fous dehors, me frottant les mains avant de dégager le deuxième. « Une bonne chose de faite. » Et je baisse le rideau avant de m’adosser contre lui dans un profond soupir. La scène sous mes yeux a quelque chose d’apocalyptique. Du verre partout, du sang, des bouteilles pétées, des tables retournées. C’est déprimant.

Et mon regard croise de nouveau celui de Rouge. On dirait qu’elle en a pas profité pour se tirer. C’est plutôt une bonne chose. Je suppose. « … ça va toi ? » J’aurais probablement dû demander ça avant mais j’avoue que je me sens un peu déboussolé là. Sans compter le soulagement d’être passé entre les pattes du Joker et d’avoir survécu sans qu’il se doute de rien. Je joue un peu trop avec le feu, j’en suis bien conscient. Et ce soir n’a pas fait exception.

C’était… inattendu. Surprenant et plutôt fun au final. Un peu flippant malgré tout, même pour moi. Mais bien plus amusant qu’autre chose. Après tout, il a beau être imprévisible, complètement barge et sadique, ça n’est qu’un homme, pas vrai ? Il n’est peut-être pas si différent de moi au final, ou je ne suis pas si différente de lui… Même si je reste bien plus classe et sexy, c’est évident.
Néanmoins… Je regarde autour de moi d’un air désabusé. Quelle pagaille… Il est vraiment parti en nous laissant faire le ménage ? Non mais je ne m’attendais aucunement à ce qu’il le fasse, ce n’est pas le propos, mais il aurait au moins pu nous trouver un idiot qui le ferait pour nous. Comme quoi on ne peut jamais faire confiance à un homme. Tous des menteurs.

Je tourne la tête vers Pinkie au craquement, mon sourcil se haussant en voyant les deux morceaux de balai. En plus, il me l’a fait stresser pour rien. Pauvre petiot. Laissant filer un soupir, je secoue la tête devant tout ce gâchis, qui n’est pas entièrement la faute du Joker on est d’accord. Bande de brutes sans cervelle. Je suis des yeux le gamin quand il s’approche et j’hésite, mais genre, vraiment. C’est tellement tentant de le laisser se débrouiller. Je n’ai aucune envie de nettoyer tout cela. Mon regard erre autour de nous. Et un soupir m’échappe. « Je ne vais pas te laisser tout faire, tu vas en avoir pour une éternité sinon. » Parce que ce boulot est utile malgré tout, et parce que j’ai besoin de conserver ce rôle de gentille demoiselle accessoirement. Alors pendant qu’il s’occupe de ceux pas encore morts, je commence à rassembler les bouteilles vides dans le bac. Il va falloir nettoyer le sang. Et la bière répandue. Les deux collent en séchant, je ne sais pas trop quel est le pire.

Je me tourne vers lui alors qu’il est adossé au rideau, l’air au bout de sa vie ou presque. Ce que je peux comprendre vu l’état du bar. Ça reste moins pire que ce à quoi je m’attendais quand même, maintenant qu’il n’y a plus de guignols à moitié morts et qu’il ne reste que les bouteilles cassées. Il a l’air encore plus jeune comme ça. Je referme le bac et grimace en relevant la tête vers lui, croisant son regard. « Ça va. » Je hausse une épaule, penchant la tête sur le côté. Non, ça ne suffira pas. J’attrape un torchon relativement propre et m’y essuie les mains en faisant quelques pas vers lui. « Disons qu’on est toujours en vie. Et entier, ce qui n’est pas négligeable. » J’ai un mince sourire alors que je le dévisage et que mes mains se mettent à trembler sur le torchon que je serre. « Et toi ? » Ma main monte et repousse une mèche qui tombe devant ses yeux. « Respire gamin, il est parti… Tu l’avais jamais croisé ? » Je hausse un sourcil avant de secouer la tête. « A deux, ça va aller vite tu vas voir. On remet les tables, on trouve un autre balai et on balance de la javel partout. Ce sera nickel et t’auras même le temps de te faire beau pour ta soirée. »

Je me sens épuisé. Comme si les deux dernières années que je viens de passer venaient de tomber sur moi. Et ça pique un peu, on va pas se mentir. Le pire ? C’est cette petite voix qui me souffle que Batman aurait dû tuer le Joker quand il le pouvait. Je sais que tuer des gens équivaudrait à nous mettre au même niveau, nous rabaisserait au rang des criminels. Mais avec tout le mal que le Joker a pu faire, j’ai du mal à comprendre pourquoi il n’a pas fait cette seule exception. Cet homme est beaucoup trop dangereux, trop instable. Et maintenant, il dirige même la ville.

A cette pensée, j’ai un profond soupir alors que je regarde un des types par terre. Au moins, y a pas eu de morts, je suppose que je devrais être content. Même si le mec amoché risque de s’en tirer avec des sales séquelles, surtout qu’on a plus vraiment accès à des soins médicaux de qualité. Mais quelque part, ce n’est pas mon problème, j’ai pas à avoir mauvaise conscience pour ça, surtout que j’ai vraiment pas du tout la main là-dessus. Je lève un sourcil à la remarque de Rouge et je hausse une épaule. « C’était le jeu non ? T’as gagné le droit de ne pas nettoyer ce bordel. Même si là de suite, je me dis que foutre le feu ne serait pas la pire des idées… enfin si j’avais pas à devoir revenir bosser demain quoi. » Mais en effet, même avec elle, ça va prendre un sacré moment.

Je la suis des yeux quelques instants avant de finir de virer les deux derniers types qui trainent dans le coin et je me frotte l’arrière du crâne juste avant de réaliser que j’ai du sang sur les mains à les avoir trimballés comme ça. « Super. » Manquait plus que ça. Je dois avoir une belle gueule tiens. Je la fixe alors qu’elle me dit que ça va, me contentant de hocher la tête en silence avant de commencer à ramasser les chaises qui ont volé. Je m’arrête quand elle se rapproche de moi et j’ai une grimace qui se veut être un sourire à sa remarque. « C’est ce que je me suis dit. Parce que c’était clairement pas gagné. » Les sautes d’humeur du Joker, je connais, je sais ce que ça donne. Mais en temps normal, je peux lutter contre lui. Et c’est ce qui m’a le plus dérangé ce soir. D’être incapable de faire quoi que ce soit. Pour ne pas me griller, pour ne pas tout foutre en l’air. Je louche sur ses doigts quand elle repousse une mèche de cheveux et j’ai un rire sans joie à sa question. « J’ai connu mieux. » J’inspire longuement, attrapant sa main sans trop réfléchir, probablement parce qu’elle tremblait la seconde d’avant. « Pas… comme ça. Tu vas pas me dire que ça t’arrive souvent de danser avec lui quand même ? » Je suis curieux. « Je m’occupe de faire l’homme fort avec le mobilier et tu me ramènes un seau plein de javel pour que je récure les tables ? » Au reste, je lève un sourcil, sans comprendre. « Ma soirée ? Parce que tu crois que j’ai quelque chose de prévu après ça ? Au mieux, je pensais te proposer une bière pour fêter notre survie à notre dernière danse. Mais t’as ptet un autre programme en tête. » J’arrive presque à retrouver cet air malicieux que j’avais en début de soirée, même si c’est loin d’être gagné. Parce que ouais, j’suis encore un peu secoué. Je finis par me rappeler que je lui tiens encore la main et j’ai un sourire désolé en la relâchant. « La javel donc ? » Le plus drôle, c’est que je sais toujours pas comment elle s’appelle. Mais Rouge, c’est bien.

Les êtres humains sont quand même de petites choses, à s’affoler et courir comme des poulets sans tête quand le renard entre dans le poulailler. De mon côté, ce genre de situation a plus tendance à me divertir et me stimuler qu’autre chose. Je suis le renard en général. Ce qui ne signifie pas pour autant que j’ai la moindre envie de nettoyer ce bazar. Je ne le fais déjà pas quand j’en suis à l’origine, alors pour une fois que je n’en suis que spectatrice, c’est encore pire. Malgré tout, comme je préfère conserver ce rôle de femme fragile, il faut bien que je fasse avec. Pourquoi me direz-vous ? Je pourrais devenir calife à la place du calife c’est vrai. Mais franchement, quel intérêt aurais-je à quitter mon anonymat ? À quoi bon risquer de me faire tuer par des Boss ou autres idiots ? Quand je veux quelque chose, je le prends et personne ne m’ennuie. Quand c’est moi qui m’ennuie, je trouve de quoi m’amuser. Toujours.
Et jusqu’à présent, je ne m’ennuie pas, au contraire, et j’ai de quoi m’amuser. Il est juste à porter de main. J’ai un sourire en l’entendant et je secoue la tête. « J’ai gagné le droit oui… Le feu est la réponse à tout j’en conviens, mais j’aimerais autant continuer d’avoir un boulot. Même si c’est ici. »

Il me ferait presque de la peine à être aussi perdu et désemparé. Je songe un instant qu’il en rajoute peut-être, avant de chasser cette idée. Je doute qu’il soit aussi bon acteur que moi. Alors c’est à moi d’en jouer pour parvenir à son niveau. L’angoisse, la peur ne sont pas des sentiments spécialement difficiles à reproduire, et la majorité des gens ne voient de toute manière que ce qu’ils veulent et s’attendent à voir. Une femme un peu chamboulée donc, qui fait face même si elle est encore affolée intérieurement. Je lui offre un sourire hésitant qui se veut rassurant et laisse filer un léger rire. « Non. Non, ça ne m’arrive pas souvent, je ne crois pas que je m’en remettrais sinon. Mais… Je l’ai déjà croisé oui, une ou deux fois. Crois-moi ou non, je préfère quand il est seul qu’accompagné de Harley Quinn. » Cette espèce de cinglée possessive, maladivement obsédée. Je fixe nos mains, serrant la sienne en inspirant, avant de relever la tête pour le regarder. « Durant une seconde, j’ai cru que t’allais me demander de faire cendrillon pendant que tu jouais avec les tables. Ramener un seau et de quoi laver, ça je peux. Je ferais les tables, tu feras le sol. » Elles sont moins dégueu vu qu’on venait d’ouvrir. Je hausse une épaule quand il reprend la parole, stoppant mon mouvement alors qu’il continue de parler. « Oh. » J’ai une légère moue amusée qui se transforme en sourire timide. « Je pensais effectivement qu’un mec comme toi aurait un agenda plein à craquer. Et à choisir, je préfère le whisky, comme celui que je lui ai servi et qui aurait malencontreusement pu disparaître avec les autres bouteilles. » Je souris un peu plus et l’observe un instant quand il relâche ma main. Je me penche pour l’embrasser aux commissures des lèvres, souriant contre sa peau. « La javel oui, j’y vais. »

Ce que je m’empresse de faire, avant que ça ne tourne n’importe comment. J’ai bien l’intention que ça tourne n’importe comment avec lui, ce n’est pas la question. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, non, je n’aime pas particulièrement m’envoyer en l’air dans le sang et la bière. Ça colle et ça tâche.
Je lui confie le seau, histoire d’au moins nettoyer les grosses traces au sol, m’attaquant aux tables. Et c’est bien plus vite fait que ce qu’il pensait. Plus mal fait aussi, mais détail. J’en profite qu’il termine pour aller me rincer les mains, et remplir deux verres avec ladite bouteille. Verre que je lui ramène en souriant. « A notre survie? » Je le déshabille déjà du regard, oui, et alors ?

Jusque-là, je m’étais jamais senti trop jeune pour ce que je faisais. A dire vrai, j’ai jamais vraiment eu le temps, l’occasion, de me poser la question. Trop de choses à faire, à penser. Mais là ouais, je me sens pas en âge de gérer tout ça, de l’affronter et d’en sortir grandi comme on dit. Je me sens, l’espace d’un instant, comme un gamin qui a juste envie d’aller se planquer dans le lit parental un soir d’orage en attendant que ça aille mieux. Sauf que je suis plus un gamin depuis longtemps. Que l’orage dure depuis trois ans. Et que j’ai ni parents, ni lit où me planquer.

… bref, c’est la merde quoi.

Au moins, Rouge a l’air de pas être du genre traumatisée. Je saurais pas dire si c’est une bonne ou une mauvais chose. A dire vrai, mon cerveau a un peu envie de se mettre en grève je crois. Mais je tourne la tête vers elle à sa réponse, haussant une épaule. « Est-ce que ce serait si grave que ça de perdre ce boulot ? Va pas me faire croire que tu pourrais pas en trouver un assez facilement. » Et dans un des bars du Joker, un accident est si vite arrivé. Depuis quand je me sens des instincts de pyromane ? Deux minutes très exactement. Et ça me passe comme ça me vient, alors que je commence à faire le ménage donc.

Et je grimace quand elle reprend, passant une main sur mes côtes plus par réflexe qu’autre chose. « Ouais, ouais, dans le genre impossible à suivre, elle se pose là. Elle m’a pété deux côtes la dernière fois qu’on s’est croisés. Pour le sport. » Pas dans mon top trois des mes meilleurs souvenirs à Gotham ça. Je me fends quand même d’un rire au reste de ses propos. « J’aurais bien appelé une équipe de ménage, mais parait que c’est plus trop la mode ici. Et je vais pas te laisser t’esquinter les mains, ce serait pas très… galant. » Vu qu’on va nettoyer du sang, de la sueur et de l’alcool, autant dire que la notion de galanterie c’est pas vraiment d’actualité. J’ai un temps d’arrêt quand elle continue et à son sourire timide. Genre, vraiment ? Je pensais pas que c’était le genre à sourire comme ça. Mais elle arrive à me déstabiliser un peu, que ce soit par ce qu’elle dit ou par ce baiser. Y a une part de moi qui se dit que c’est totalement contrôlé et qu’elle sait exactement ce qu’elle fait pour m’embrouiller. Mais l’autre se dit qu’on s’en fout, qu’on a déjà assez donné pour la soirée non ? C’est pas si grave si une jolie fille nous retourne un peu le cerveau non ? Je toussote alors et je reprends, d’une voix un peu enrouée. « Ouais. Le whisky c’est bien aussi. Et j’ai pas un agenda plein à craquer, loin de là. » Enfin techniquement si, mais pas comme elle l’imagine. Je me dis qu’elle ferait une de ces têtes si elle savait.

Je suis presque soulagé qu’elle aille chercher la javel. Et peut-être un peu, mais alors juste un peu, frustré de la voir filer comme ça. Je secoue la tête, me concentrant sur le fait de tout ranger et ramassant les derniers morceaux de verre, avant qu’elle revienne et qu’on s’y remette. Finalement ouais, ça va plutôt vite. Le sang a pas eu le temps de sécher et l’alcool de coller. Alors ouais, au bout d’une bonne demie-heure, ça commence à avoir de nouveau une gueule acceptable. J’ai un soupir quand je finis par reposer le balai-brosse et je me lave les mains avant d’accepter le verre avec une ombre de sourire. « Pas mal comme toast. » Je bois mon verre d’une traite et j’ai une grande inspiration avant de me pencher vers elle sans réfléchir et de l’embrasser. Ouais, pas comme elle a pu le faire tout sagement au bord des lèvres. Tant qu’à faire de la merde, autant y aller franco non ? Et je me recule, comme si de rien était. « Bon, on doit s’occuper du bar maintenant. » Nan parce que ça reste encore un peu un carnage mine de rien.

Je suis un peu impressionnée par l’effet que le Joker peut avoir. Heureusement que j’ai vu Pinkie à l’oeuvre avec les brutes juste avant, sinon il aurait juste l’air d’un gamin paumé et un peu effrayé. Ce qu’il est sans doute en réalité. Mais il reste drôlement sexy, ça compense. Et puis, je trouve ça plutôt divertissant.
Je lance un regard autour de nous, haussant les épaules à mon tour. « Je pourrais. Mais j’ai pris mes habitudes, je connais les gens avec qui je bosse, et on apprend tout plein de trucs utiles en bossant ici. Et puis, tu crois sincèrement que c’est mieux ailleurs ? » Bon en vérité, avec un Boss moins cinglé, c’est fort probable, mais qu’importe.

Je penche la tête sur le côté, suivant des yeux son mouvement vers ses côtes et mon sourcil se lève. « Pour le sport ? Qu’avais-tu donc fait pour mériter cet honneur ? De toute façon, dans son cas, pour être à ce point amoureuse de… lui, c’est plus que pathologique. » Et être maladivement jalouse dès qu’une femme s’approche de lui, alors que persoooonne ne voudrait de lui, même pas moi, c’est totalement psychotique. Je souris quand il rit, avant de me figer un peu. « Galant ? » Je le dévisage avant de laisser filer un rire. « Je ne pensais même pas que quelqu’un connaissait encore ce mot. Par galanterie… Mes mains et moi-même te remercions donc pour cela. » Ça ne change évidemment rien, je vais devoir m’y mettre aussi, mais c’est amusant qu’il ait utilisé ce mot. Un vrai chevalier servant. Oui, avec lui, j’ai plutôt intérêt à demeurer un plus Laura. Ce qui marche plutôt bien. Un peu de douceur et d’hésitation. Je suis presque aussi épatée qu’un garçon aussi gentil, et galant, soit encore présent à Gotham, que par la venue du Joker juste avant. Je veux dire, tout le monde a changé ces dernières années, se transformant en brutes ou en souris invisibles. Ceux qui avaient des valeurs, une éthique, et qui n’ont pas changé, sont devenus des exceptions. Ou sont morts. Mais pas lui. Mon sourire se fait un peu plus mutin à sa réponse, alors que je me retiens tout juste de glousser à sa voix enrouée. « Whisky donc. Et plein de temps libre à occuper, c’est noté. » Qu’est-ce qu’il faut pas faire je vous jure !

Après avoir nettoyé, mais il n’y avait pas tant à faire que cela. Et avec tout ce qu’il s’est passé, on l’a bien mérité notre verre, servi généreusement pour le l’occasion. Je bois quelques petites gorgées, m’arrêtant en haussant les sourcils quand je le vois le finir d’un coup, me demandant s’il va se resservir. Il va être frais après à ce rythme. Quoi qu’en réalité, il avait autre chose en tête. Je pose mon verre et lui rends son baiser, pas plus sagement que lui.

Je le fixe alors qu’il stoppe et se recule, reprenant comme si de rien n’était. « Le bar. » Je ne crois pas non. Jouer à la faible femme, c’est amusant un temps. Là, je n’ai plus envie. De toute manière, tout le monde sait que la peur et le danger engendrent bien d’autres réactions, non ?  
Sans vraiment de douceur, je le repousse jusqu’au mur en secouant la tête. Et au cas où il aurait encore un doute, mes doigts frôlent sa peau et lui retire son t-shirt que je balance dans un coin. Merde. Il est carrément plus que bien foutu. Mon regard dérive sur lui, mes ongles traçant des arabesques sur sa peau, effleurant les bleus et cicatrices qui lui couvre le torse. « Ça fait un paquet de traces… Tu vas dans l’arène ? Ou tu as des… relations un peu violentes ? » Je souris en le fixant, mes ongles griffant son ventre. J’en doute, mais si c’est le cas, ça doit pouvoir s’arranger. Je remonte une main derrière son cou pour l’attirer vers moi, mes lèvres retrouvant les siennes avec avidité et empressement, alors que mon autre main agrippe sa ceinture pour la défaire.

Je prends une grande inspiration, plus pour arriver à reprendre le fil qu’autre chose, essayant de pas trop croiser le regard de Rouge. Faut dire que là, elle doit me prendre pour un pauvre gosse paumé qui a peur du grand méchant Joker. Mais si elle savait… bon je serais toujours un gamin de 22 ans qui flippe mais pas tout à fait pour les mêmes raisons. J’ose même pas imaginer ce qu’il ferait à l’un de nous s’il nous trouvait. D’un coup, je me dis que je joue trop avec le feu, que je devrais pas bosser juste sous son nez, quelles que soient les informations que j’arrive à grappiller. Ou la bouffe que je récupère. « Mouais, si tu le dis. Et… tu crois que ça peut être pire ailleurs ? » Je lui renvoie sa question avec un mince sourire avant de hausser une épaule à mon tour quand on parle d’Harley Quinn. « Un truc du genre. Le gamin qui bossait avec moi a déconné, je me suis dit qu’elle le tuerait si elle devait l’affronter sur le ring. Du coup bah… j’ai été un peu con et je me suis porté volontaire à sa place. » Je lève les yeux au ciel avant d’ajouter, un brin amer. « Il va sans dire que ledit môme a disparu, qu’il a jamais fini son boulot et qu’il a même piqué des trucs. Autant dire que ça leur a pas plu. »

Je me souviens encore de la gueule du responsable, totalement en panique devant le résultat de la soirée. Ce soir au moins, on a l’excuse du Joker, c’est plutôt bon pour nous ça quelque part. Personne nous démolira demain. Ou alors il aura oublié ou pire, il aura envie de nous pourrir la vie, et ptet que si, on va prendre cher. A cette idée, je retiens un soupir avant de rire de nouveau. « Quoi ? C’est si inattendu que ça ? Ca me fait de la peine qu’une fille comme toi ne sache même plus qu’on peut être galant. » A dire vrai, j’ai pas vraiment non plus l’occasion de l’être. Alors j’apprécie un peu, surtout avec sa réaction, même si c’est juste pour plaisanter. Je suis quand même incapable de détourner mon regard d’elle quand elle glousse et fait sauter quelques neurones en plus. « J’ai pas dit plein de temps non plus… disons que je sais libérer mon agenda quand ça m’intéresse plutôt. » Et je me fends d’un sourire malicieux.

Avant qu’on se remette aux choses sérieuses. Finalement, c’est moins pire que ce que je pensais et l’odeur de sang, de crasse et compagnie finit par disparaitre. Mais forcément, au lieu d’être sage et de me dire que je vais pouvoir rentrer bientôt, je vide mon verre pour trouver le dernier petit coup de pouce qu’il me manquait pour l’embrasser. Bon, elle me rend mon baiser et je crois que ça lui plait autant que moi. Mais bon, je sais pas trop jusqu’où je peux aller et à quel point je peux déconner. Alors je continue, comme si de rien était.

Jusqu’à tousser un rire quand je vois sa tête alors que j’évoque le bar. « Non ? » Je cherche un peu la merde, j’en suis bien conscient. J’ai un temps quand elle me repousse jusqu’au mur et, si j’avais encore des doutes sur la façon dont elle envisage elle aussi de finir la soirée, ils s’envolent avec mon t-shirt que je vois voler dans un coin. « … j’espère que j’en ai un autre de rechange. Ca va faire désordre sinon. » Je baisse les yeux alors qu’elle effleure mes cicatrices et je souffle, d’un ton malicieux. « Disons que j’ai une vie… mouvementée. » J’ai un frisson à son contact et je lui rends son baiser sans réfléchir. Faut dire que ouais là, mon cerveau s’est bien fait la malle pour de bon.