Back to basics: arlequin, poussin et batman

Elle est furieuse. Enragée. Folle de rage. Elle avait retrouvé sa hyène blessée, plaie ouverte à la tempe. Ses hurlements ont résonné dans le quartier, ce qui explique sans doute pourquoi elle n’y trouve âme qui vive quand elle sort en trombe avec Bud. Elle tire de force celle-ci par le collier, Bud a beau rechigner, elle ne l’a jamais mordue, pas plus que Lou, pour la traîner jusqu’à la voiture et disparaître du quartier. C’est fréquent que les hyènes se battent, depuis le temps Harley sait exactement où trouver le vétérinaire du coin. Ils se connaissent désormais, même s’il n’a pas pour habitude de traiter des hyènes, mais il n’avait pas eu tellement le choix lorsqu’elle les avait emmené la première fois. Elle s’était montrée intraitable, les vétos ça court pas les rues. De l’hypothèse qu’elles s’étaient bagarrées, il lui avait fait comprendre, bien embêté d’avoir à le faire, que sa blessure ne présentait aucune trace de morsure.

Autrement dit, quelqu’un s’en était pris à Bud. Sur le retour, elle avait pété tout ce qui se trouvait sur sa route, exprimant sa rage à grand renfort de menaces à celui qui oserait s’en prendre à ses hyènes. Elle avait refait 2 ou 3 fois le tour du quartier pour s'époumoner à nouveau à la recherche du coupable. Personne n’était sorti. Alors elle avait cogné à toutes les portes, à la recherche de témoins, de gré ou de force. De fait, elle y a passé tout son temps jusqu’à obtenir ce qu’elle voulait. Résultat, elle se morfond dans ses émotions dans le jardin de sa maison, un méga pot de nutella entre les jambes, à dévorer cuillères sur cuillères. Une chance que le gouvernement daigne bien leur livrer ce petit trésor sucré.

Le regard cristallin se dirige brièvement en direction de la maison quand elle entend des cris, elle reconnaît la voix. Joker. De sa position, elle ne perçoit pas clairement les mots, seulement qu’il braille. L’arlequin rive son regard sur la piscine, transformée en bassin pour poissons divers et variés, elle ne veut pas le voir. Etat d’esprit que Bud et Lou doivent ressentir puisqu’elles se placent devant elle en position de défense, il lui demande de les rappeler. Elle s'enfonce une cuillère de nutella en bouche au lieu de s’exécuter, la bonne excuse de la bouche pleine. Ca ne l’empêche pas de venir s’étaler à côté de son transat, elle ne le regarde toujours pas, mais elle l’entend. Ah… Ton audition… J’en déduis que ça s'est bien passée…

Il en avait vaguement parlé, son obsession de retrouver Batman. Quitte à se procurer un faux. Quelle idée stupide, comme si les gens allaient se précipiter pour se faire massacrer par le Joker en déguisement de chauve-souris. Visiblement, il est tout de même parvenu à trouver des “volontaires” et un remplaçant. Il l’interpelle, déçu qu’elle ne réagisse pas comme il le voudrait. Super ! Un faux Batman pour ramener un semblant d’ordre aussi faux que lui. On va s’éclater dis donc… Fait-elle sans grande conviction avant de se prendre une nouvelle cuillère de nutella. Harley est têtue quand elle veut, et bien décidée à ne pas le regarder, ne pas oublier qu’elle est fâchée après lui. D’un geste de la main, elle invite Bud à la rejoindre sur le transat, pas de bandage, mais les points de suture sont visibles, ce qui n'échappera pas à celui qui l’a blessé.

J’ai appris quelque chose d’intéressant tout à l’heure, ta voiture aurait percuté Bud ? Elle lui laisse le bénéfice du doute. Elle espère vraiment, vraiment, que le témoin se trompait et que Joker n’aurait pas laissé sa hyène blessée sur le bas-côté avec la face ensanglanté. L’arlequin ne le regarde toujours pas, redoute la réponse et la réaction en conséquence.

Elle ne supporte pas que l’on touche à ses bêtes, ses hyènes, ses bébés d’amour. Bud et Lou sont toujours de bonne compagnie, ils ne lui crient pas dessus, ne lui disent pas quoi faire, quoi dire, ils écoutent ce qu’elle a à dire et ne rechignent pas à lui faire des câlins à volonté. Si elle n’était pas si amoureuse de Joker, elle vivrait parfaitement avec ses hyènes sauvées de la captivité du zoo. Tout c’était joué au regard, elle se promenait tranquillement, guillerette et ronchon à la fois, en maudissant l’humain et son besoin d’avoir des animaux en captivité pour amuser la galerie, tout en étant reconnaissante qu’ils travaillent à préserver les espèces en danger.

Un état d’esprit tout en contradiction comme à son habitude. Elle s’était arrêté à l’enclos des hyènes, qui avaient cessé de se chamailler pour s’approcher de l'intrigante aux couleurs vives, un échange de regard et la jeune femme avait décidé de les sauver pour les adopter. Ca avait fait beaucoup de grabuges, mais à l’époque les forces de l’ordre avaient autre chose à foutre que récupérer des bêtes à la folle du Joker. De toute façon, les hyènes sont bien mieux avec elle, en liberté.

La jeune femme ne décompte plus le nombre de disputes qui l’a opposé à Arthur au sujet de ses bêtes, le droit de monter sur le canapé, le lit, ou à contrario de devoir rester dehors, mais au final, elles font bien ce qu’elles veulent, quoi qu’ils décident. Que voulez-vous faire contre deux paires de crocs prêts à mordre ? Harley s’y est déjà risqué plus d’une fois pour faire preuve d’autorité et ne reproduira plus l’expérience. Alors que la blessée, Bud, vient se lover contre la jeune femme, celle-ci se penche pour l’embrasser entre les oreilles en attendant la réponse d’Arthur.

Cette histoire avec le faux batman, elle s’en tamponne le coquillard, encore une de ses lubies pour tuer l’ennui. Et le pire c’est qu’il aurait trouvé un volontaire pour remplacer Batman, ça ne va pas durer 2 jours avant que le type termine à la morgue, du moins ce qu’il en reste. Elle ne croit pas une seconde que le vrai puisse être de retour, ils sont tous partis. Elle se concentre donc sur le sujet de ses hyènes et le témoignage qu’elle a recueilli, personne ne peut résister à une furie prête à tout casser et elle n’a pas l’intention de dévoiler la balance au Joker.

Quand il avoue avoir percuté Bud au cours d’un créneau, son sang ne fait qu’un tour, mais les sons restent coincés dans sa gorge qui émet un gargouillement inaudible. L’arlequin vient de lever les yeux, alors qu’elle s’était promis de ne pas le faire, ce qu’elle voit la laisse pantoise. Recouvert de suie, l’odeur aurait dû la mettre sur la voie, mais elle ne prête pas attention à tout ce qui l’entoure lorsqu’elle est contrariée. Elle aime ses hyènes, mais elle aime aussi cet homme en piteux état. Poussin ? S’exclame-t-elle enfin, elle se relève du transat, affolée, tout en éjectant ce qui se trouve à proximité, nutella, cuillère et Bud. Ils règleront ça plus tard.

Sous toute cette couche noir, elle apercoit le sang et se précipite sur lui. Elle s’empare de la cigarette pour la jeter par-dessus son épaule dans la piscine, puis s’empare d’une main pour le traîner à sa suite jusqu’à la maison qu’ils occupent. Sa fureur se dirige ailleurs, moins sur celui qui a blessé sa hyène, plus sur celui qui a blessé son amoureux. Je vais arracher les yeux de celui qui t’a fait du mal. Mon maillet va frapper si fort ses roubignoles qu’il en perdra la voix ce bâtard de fils de ... Qu’est-ce qu’il s’est passé là bas ? Qu’est-ce qu’il t’a fait ? Tenant fermement sa main, elle le traîne jusqu’à la salle de bain, là seulement elle le relâche pour attraper des serviettes qui s’éparpillent dans tous les sens dans sa hâte d’en prendre une. Elle en imbibe une d’eau, le regard furibond, avant de passer le linge sur le visage noirci du Joker, histoire de voir l’ampleur des dégâts.