Chevalier en carton et princesse de tourbe

J’allume une clope alors que je regarde l’entrée du bâtiment, un rien dubitatif. Si je me suis pas planté, ils sont là ce soir, à faire leur petite fiesta. Et vu que je me trompe jamais, ils sont donc forcément dans le coin. J’ai juste eu un peu de mal à jauger combien ils étaient. Fondamentalement, c’est pas une bande de petits branleurs qui ont décidé d’invoquer Satan, sa mère ou la leur qui va me poser problème. Mais j’aime quand même bien savoir où je mets les pieds.

En soit, la façon dont ils occupent leur soirée, je m’en cogne totalement. Mais ils seraient foutus de réussir leur invocation et nous faire poper une saloperie digne d’un mauvais film de série B. Et j’aurais deux fois plus de taff, d’autant que je parie que certains seraient assez cons pour se faire posséder. Donc autant prévenir que guérir ou un truc du genre.

Je finis par prendre une grande inspiration et par monter les escaliers en silence. L’effet de surprise y a que ça de vrai. Et il ne me faut pas longtemps pour arriver dans la pièce principale, celle où il y a donc des types encapuchonnés en train de psalmodier une prière en latin dont je serais prêt à parier qu’ils ne saisissent pas la portée. Putain, je vous jure, faudrait les assommer à coups de bouquins derrière la tête avant même qu’ils apprennent à lire. Ca les calmerait.

Je plisse les yeux, alors que j’analyse au mieux la situation. Ils sont cinq, un sur chaque pointe du pentacle dessiné en rouge sur le sol. Je me demande s’ils ont utilisé du sang, difficile de le voir ou de le sentir à cette distance. Et si c’est le cas, celui de qui. Au moins, y a pas de vierge offerte en sacrifice au milieu de tout ce joyeux bordel, ça devrait rendre le rituel vachement moins efficace. Enfin bref… je continue d’observer avant de me figer. Le rituel s’est brusquement arrêté et j’arrive pas à piger pourquoi. L’espace d’un instant, j’aurais presque cru qu’ils m’ont repéré mais, quand même, je suis John Constantine putain. Pas un petit branleur paumé qui sait pas ce qu’il fout là.

… ce qui a pas l’air d’être le cas de la blondinette qui se croyait bien planquée dans son petit coin. Je réprime une bordée de jurons alors que je me dis qu’elle va me compliquer un peu la tâche. Pas que j’aime pas les challenges mais, avec le bol que j’ai, ils vont me l’égorger sur le pentacle et appeler un démon qui sera vénère parce qu’elle était pas vierge. Ou une merde du genre.

Du coup, je me dis que je vais devoir probablement intervenir plus tôt que prévu. Je me rallume une clope et j’attrape mon fusil à pompe sagement accroché dans mon dos et je sors de l’ombre, le chargeant tranquillement avant de siffler dans leur direction. Ouais, je sais siffler avec une clope dans la bouche, ça vous épate hein. Y a un paquet d’autres trucs que je sais faire, mais la plupart peuvent pas se raconter à tout le monde. « C’est une réunion du Ku-Klux-Klan ou quoi ? Nan parce que, c’est passé de mode les mecs. La cagoule, tout ça, c’est franchement plus tendance sérieux. Mais ce serait toujours moins casse-couille que le plan B. » Et je désigne le pentacle du bout de mon fusil tout en parlant. J’ai réussi à attirer leur attention, même s’ils se sont rapprochés de l’autre pendant ce temps-là. Chaque problème en son temps.

Je vous le demande moi, pourquoi est-ce que je me fourre toujours dans des situations de merde ? Bon, okay, c’est mon boulot qui veut ça de base. Et en plus, j’ai l’impression d’être un aimant à emmerdes mais quand même, j’arrive à tomber sur une bande de tarés qui font appel à Satan et qui en plus, rameutent des invités qui ont rien demandé. C’est donné à qui ce genre de conneries ? A part moi j’veux dire.

… ouais on est d’accord. Le karma est une belle salope. Et je parle même pas de Dieu de la destinée ou des conneries du genre. Outre le fait que je sois un adepte sur libre-arbitre et que j’aime pas trop qu’on décide pour moi, je trouve ça encore plus insupportable que les mecs décident d’appeler des démons faire la fiesta alors qu’ils ont déjà pas besoin de ça pour venir casser les couilles.

J’arme mon fusil alors que je guette leur réaction et, quand je les vois sortir leurs armes, j’ai un profond soupir. « Putain. Pourquoi vous choisissez TOUJOURS la mauvaise option ? Non mais, qu’on soit d’accord. A chaque fois je tombe sur des branleurs comme vous et, vous savez quoi ? Je suis toujours en vie. Eux, pas forcément. Vous voyez pas un truc qui cloche dans vos méthodes ptet ? » A croire que non, vu qu’ils recommencent encore et encore. Je me frotte le visage de ma main libre alors qu’ils commencent à avancer vers moi, décidés à en découdre. Ou plutôt à se prendre une bonne branlée qui les renverra chez leur maman en espérant que ça les calme dans leur envie d’appeler Satan. « Parce que vous savez au moins que ce que vous faites c’est de la merde ? Que ce qui va en sortir va jouer avec vous, vous posséder et, au mieux, vous aurez de la chance si vous sortez vivants de tout ça ? » Je sais, je sais, je parle dans le vide.

Je claque des doigts alors que l’un d’eux se rapproche un peu trop près et une flamme apparait au bout de mes doigts. J’aime bien ce genre de petits tours, ça les freine toujours un peu. Encore plus quand je balance la flamme à ses pieds, pour l’empêcher de faire un pas de plus. « T’es vraiment sûr de vouloir m’approcher mec ? »

Je suis sur le point de commencer à faire le ménage et, l’air de rien, je me rapproche suffisamment pour briser le pentacle d’un frottement de pieds. On sait jamais, des fois que leur truc soit vraiment efficace. Sauf que, alors que je compte mentalement le nombre de types et que je réfléchis à la façon dont je vais me sortir de ce merdier sans abîmer mon trench, je sens… un tremblement ? « Depuis quand y a des tremblements de terre dans cette ville de merde ? » Putain, je le savais, j’aurais dû me tirer de là dès que j’en avais l’occasion. Au lieu de chercher la magicienne qui se planque je ne sais où. Et, alors que je commence encore une fois à me perdre dans mes pensées à cause de Zatanna, je vois à la gueule du mec qui a arrêté de me regarder qu’il se passe un truc.

Je me retourne doucement pour me figer en voyant le mur qui se fissure. Tout autour de la môme. « … putain de merde, c’est QUOI ça ? » Non parce que celle-là, je l’avais pas vue venir j’avoue. Pas plus que la coup que m’assène le mec pendant que j’ai le dos tourné. Des vraies petites putes ces invocateurs de Satan, je vous jure. Je laisse filer une bordée de jurons alors que mon fusil tombe au sol. Okay, va falloir faire à l’ancienne. Mais bordel, avant, je veux piger ce qui se passe. Alors je lance, en direction de la blondinette, non sans cogner le type violemment. « T’es qui toi ? T’es… quoi plutôt ? » Je me demande s’ils vont la choper pour ça et là, ça risque d’être moins marrant. Déjà que c’est pas terrible. En plus, je crois que j’ai plus de clopes.

Dans l’idéal là, je devrais pas faire de vagues, surtout qu’il y a pas vraiment de risques surnaturels au final. Pas de petite vierge offerte en sacrifice et j’ai foutu en l’air leur rituel. Donc je pourrais me tirer. J’irais pas jusqu’à dire que je pourrais tenter de me faire passer pour un touriste paumé dans le coin, serviette à la main, à la recherche de la plage la plus proche, ce serait pas crédible j’en suis bien conscient. Mais, vu comment les choses sont en train de déraper, je songe quand même vaguement à réclamer un mojito et un bon cigare. Putain, ça fait combien de temps que je me suis pas posé comme ça, sur un transat en plein été, à admirer un soleil couchant sans avoir à gérer une crise quelconque ? Je me rappelle plus.

Bref, c’est pas pour tout de suite de ce que je peux en voir. Et comme la bondasse a l’air d’être du genre première de la classe, elle se dit ptet que rabattre sa capuche va lui permettre de disparaitre. « C’est pas la putain de cape de Harry Potter gamine ! On te voit toujours ! » Quoi ? Je me sentais obligé de préciser vu qu’elle a l’air aussi maligne qu’un pagure à la recherche de sa coquille. Evidemment, si je la vois, c’est aussi le cas des autres branleurs et, alors que je l’interroge vite fait, elle a aussi attiré leur attention. « Personne ? Mon cul ouais. » Ouais, ouais, je suis doué pour mon sens de la répartie, vous le saviez pas encore ? Un vrai feu d’artifices de mots intelligents, pas vulgaires et dignes des plus grands salons. Son attention m’interpelle un peu plus et heureusement pour elle que je suis pas du genre à voir un papillon au lieu de me concentrer sur ma mission du jour. C’est quoi ma mission du jour au juste ? On va dire la sauver. Ou éviter que l’immeuble nous tombe sur la gueule. Les deux n’étant pas totalement incompatibles visiblement. Je me retourne et j’éclate le petit bâtard à coups de poing. Je déteste ça. Ca fait mal aux mains et j’ai des marques après. Mais c’est assez violent pour freiner l’autre type qui s’amenait vers moi. Il reste à une distance salutaire, grand bien lui fasse.

Sauf qu’ils parlent de la choper. « Bande de crétins dégénérés. » J’inspire longuement et je souffle, à mi-voix. « Circulus ignis… » Comme par… ouais, par magie – ahaha, qu’est-ce que c’est drôle la vie des fois… bref, je disais quoi ? Ouais, un cercle de feu qui entoure la môme donc. Ce qui les bloque totalement. « Bon, vous allez arrêter les conneries ou quoi ? » Et je pointe la blondasse du doigt. « Ca vaut aussi pour toi. ARRETE DE FAIRE TREMBLER CET IMMEUBLE. » Elle va m’écouter ou je vais devoir l’encastrer comme le mur pour que ça rentre ? Remarquez, ça me dérangerait pas plus que ça, parce que toute cette histoire commence à m’agacer un peu. Pire encore, maintenant j’ai envie de picoler. Enfin, encore plus que d’habitude. En plus, si ça se trouve, je suis totalement à côté de la plaque et c’est pas elle. Mais je me trompe jamais. Je vous jure. Jamais. Question de principes.

Okay. Ceci est une putain de journée de merde. De soirée plutôt. Bref. Vous avez saisi l’idée. J’en ai connu hein des journées pourries et je vous garantis qu’il y a pas de saison calme quand ça concerne les démons. Mais je crois que celle-là vu comment ça se goupille, risque de finir dans mon top 10 des moments moisis de la joyeuse vie à Gotham. C’est dans un moment pareil que je me dis que je ferais mieux de repartir en voyage à l’autre bout de la planète. Avec un peu de bol, je tomberais en plein été, il fera CHAUD, il fera BEAU, et même si je devrais probablement affronter une horde de touristes, des hôtels bondés voire porter un maillot de bain pour éviter de finir en taule pour atteinte à la pudeur, je serais pas en train de me prendre la tête avec une putain de post-ado en crise qui va probablement finir par provoquer l’apocalypse. Ou une merde du genre.

Je continue de me débattre avec les autres branleurs qui, à nous entendre gueuler, se figent et nous regardent comme des méduses mortes. Eux hein, pas nous. Enfin, à ce train-là, on sera peut-être morts aussi dans pas longtemps. Fait chier, j’ai encore un paquet de trucs à faire moi. Je lève les yeux au ciel à la réponse de la môme, ignorant royalement les vagues d’appréhension qui commencent à me submerger. « Putain mais EVIDEMMENT que tu peux y faire quelque chose putain ! Ca vaut mieux pour toi si tu veux survivre à ce merdier ! Et vous CASSEZ-VOUS ! » Je me suis tourné vers les derniers membres de la secte du camping du coin qui semblent hésiter un instant. Avant que le morceau de mur me tombe juste à côté de la gueule, faisant de leur pote de la bouillie. Enfin, je suppose. J’avoue que j’ai pas vraiment envie d’aller voir comment ça se passe en-dessous.

Je soupire longuement, me passant une main sur le visage alors que le reste de la petite troupe se dissipe en moins de temps qu’il ne faut pour dire Hippalectryon. « Putain la môme, je sais pas ce qui t’arrive, mais faudrait voir à te calmer avant qu’on en crève tous. » Enfin, tous les deux, vu que les autres ont pris la tangente donc. Je lève les deux mains vers elle, sans bien être sûr qu’elle peut me voir avec les volutes de poussière soulevées par la chute du mur. Et je claque des doigts pour dissiper le feu qui l’entoure, essayant de retrouver un semblant de calme là où, chez elle, la tension monte encore d’un cran. Respire Constantine, va falloir être intelligent si tu veux pas finir en bouillie toi aussi. J’inspire longuement, m’approchant d’elle, alors que j’essaie de capter son regard. Sauf qu’elle a l’air sur le point de … tomber dans les vapes. « Et merde… » Ouais, voilà, j’ai rien de plus intelligent à balancer dans l’immédiat. Quand je vous le disais que c’était une soirée de merde.

A quel moment j’ai cru que c’était une bonne idée de vouloir lui filer un coup de main ? Je me rends pas compte. Parce que là, de suite, j’ai juste envie de me tirer en faisant un joli doigt d’honneur à toutes les personnes présentes et d’aller me saouler un bon coup en oubliant à quel point la vie peut être moche. Et autant dire que je suis pas sûr qu’il y ait assez d’alcool dans ce bouge pour que ça marche.

En tout cas, au moment où je me dis que ça pourrait pas être pire, v’la qu’elle tombe dans les vapes la blondasse. Les derniers branleurs prennent peur, crient au démon et je peux pas me retenir de lâcher, d’un ton amer. « Mais c’est pas ce que vous vouliez bordel ? Un démon qui pète TOUT ! Bande d’abrutis dégénérés. » Je balance encore quelques boules de feu sur eux, plus pour le principe qu’autre chose mais je m’arrête bien vite. Parce que d’un, ils se tirent pour de bon et de deux, je commence à être un peu à sec.

Je me rapproche de la gamine, me confortant dans l’idée que ouais, elle est vraiment pas vieille, alors que je commence à la secouer pour la réveiller. Sauf que ça marche pas. Et le coup de la belle au bois dormant, j’apprécie moyen. Je lui en colle une pour voir si ça fait quelque chose, couplé à toutes les insultes qui me viennent. Pas très efficace non plus. Ouais, ouais, ça commence sérieusement à me gonfler, je confirme. J’avise un seau d’eau dégueulasse et, plus pour me défouler qu’autre chose. Sauf que ouais, étonnamment, je le vois commencer à remuer. Ca tombe bien, j’étais à deux doigts de lâcher l’affaire et de me tirer. En l’abandonnant sur place. Oh, j’aurais pu la porter mais franchement, vu la catastrophe ambulante qu’elle a l’air d’être, j’ai pas envie plus que ça de me la coltiner.

Je lève un sourcil quand elle reprend la parole et je laisse filer, d’un ton bourru. « T’es en vie. C’est bien. Je suppose. » J’ai pas vraiment une gueule à dire de rien, j’espère qu’elle le prendra pas contre elle. Mais bon, vu qu’elle a essayé de me faire tomber un immeuble sur la gueule, je sais pas trop à quoi m’attendre comme réaction. Je laisse filer un ricanement quand elle reprend la parole. « Perso nos échanges de politesse m’emmerdent profondément. Mais j’ai besoin de réponses à mes questions. Je te préviens, si t’essaies de jouer à la fille de l’air, je vais moyennement apprécier. » Et je suis du genre rancunier quand je m’y mets. Je tends quand même la main pour l’aider à se lever, sans bien me soucier de si elle la prendra ou pas. « Et toi ? T’es pas un peu jeune pour te retrouver au milieu d’un rituel sataniste qui essaie d’invoquer je ne sais pas quel branleur de démon ? » Elle m’a traité de vieux. Sérieusement ? C’est un peu vexant quand même. Je sais que je suis pas de première jeunesse, mais quand même, le respect est mort je vous jure.

Y a vraiment un truc louche chez cette nana. Ouais, ouais, je sais, j’aime bien pointer du doigt les évidences mais, en fait, ce qui me dérange c’est qu’elle a l’air… normale. Pas démoniaque ni rien. C’est ptet une méta, pour ce que j’en sais, mais à cet âge-là, sont pas supposés connaître leurs pouvoirs ? Ou alors elle est comme moi, avec des « compétences » mais qu’elle ne maitrise pas totalement. Dans tous les cas, du peu que je peux voir, ça peut vite partir en couille si c’est pas contrôlé. D’autant que je suis pas sûr d’avoir vraiment pigé ce qu’elle a pu faire. Alors ouais, forcément, des questions, j’en ai à peu près un milliard. Et outre le fait que c’est déjà en train de me filer mal au crâne, je sens qu’elle va me casser les couilles rapidement.

… ouais j’ai un bon instinct pour ces trucs-là aussi. Je lève un sourcil quand elle m’appelle papa et je lâche d’un ton désinvolte. « Je dirais bien que j’en ai sauté des plus jeunes que toi mais, en vrai, je crois que je pourrais vraiment être ton père. » J’agite une main dans les airs avant de reprendre, non sans lever les yeux au ciel. « Comment on peut se perdre au point de se retrouver dans une mouise pareille ? C’est du talent ou tu te fous vraiment de moi ? » Je la fixe longuement quand elle continue, avant de laisser filer un silence à sa réponse. « Ça aurait ouvert un portail. Fait venir un type pas particulièrement fréquentable. Et ça aurait foutu une sacrée merde. J’aime pas ça. Quand les démons viennent bousculer les choses. On a déjà assez d’emmerdes sans qu’ils viennent mettre leur grain de sel dans l’équation. » Je parle du ça en partant du postulat qu’elle sait elle aussi. Sinon, elle en parlerait pas comme ça non ?

Je resserre mon trench contre moi quand on sort et que le temps dégueulasse de cette ville de merde se rappelle à nous. Ouais, je suis plutôt du genre jovial comme mec. J’suis surpris qu’elle reprenne la parole et j’ai un rire silencieux. « Ce sont pas mes potes mais plutôt les tiens gamine. » Je regarde autour de moi avant de désigner ce qui ressemble vaguement à diner’s. Ca devrait en être un sacrément classe fut un temps mais là, c’est tout juste si je me demande quand est-ce qu’il va tomber en décrépitude. « J’ai faim. Pas toi ? Je te propose un deal. Je te paie à manger et tu m’expliques comment t’as réussi à faire trembler les putains de mur de ce putain d’immeuble. Et ce qu’ils ont pu voir en toi pour avoir envie de te dévorer comme un steak bien saignant. » Parce qu’elle dégage un truc la gamine et ça en serait presque flippant si j’avais encore une quelconque notion de peur. Je plisse des yeux en la regardant avant de soupirer et de virer mon trench pour lui poser sur les épaules. « Tiens. J’ai l’impression que vas me claquer entre les doigts sinon. Fouille pas dans les poches par contre, tu risquerais d’avoir de mauvaises surprises. » Pour une fois que j’ai un pull au lieu de mes chemises habituelles alors je devrais pas mourir de froid dans l’immédiat. Je suppose. Bon en vrai, ce serait toujours moins pire que de crever après être passé entre les pattes de ces petites putes de démons.

Des fois, je me dis que je devrais tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler. Et après, je me rappelle que je me fous totalement de la réaction que peuvent avoir les gens en face de moi. Parce que je n’ai pas l’intention de faire semblant. Pas le temps pour ça, surtout avec toutes ces saloperies qui rôdent autour de nous et qui menacent de faire basculer le fragile équilibre qu’il y a sur terre. Alors si en plus, je dois faire gaffe à ce que je raconte ou aux sensibilités des gens que je croise, j’aurais jamais le temps de faire tout ce que j’ai à faire.

Je peux quand même pas m’empêcher de remarquer la gueule de la demoiselle et je songe vaguement à faire un plus gaffe. Avant d’oublier aussi sec quand elle reprend la parole. « Mes fringues t’emmerdent gamine. Ce trench vaut une blinde et je porte que des chemises de luxe. Pas mon problème si tu sais pas voir ce qui est de qualité. » Bon okay, les chemises sont usées jusqu’à la corde, comme le trench. Pas vraiment le temps de faire les boutiques ces derniers mois et je tourne avec toute ma vie dans une pauvre valise. Les lessives dans les lavabos des motels, c’est festifs, je vous le garantis.

Au moins, la situation s’est stabilisée. J’ai plus l’impression qu’elle va m’exploser entre les pattes et je me détends un minimum. Assez pour lui proposer de discuter de cette histoire autour d’un repas plus ou moins potable, ce qui reste rare dans ce patelin maintenant. « Quel enthousiasme… promis, y a pas d’arnaque. J’ai autre chose à faire de mon temps. Si ça te plait pas, tu te casses, je vais pas te courir après ou essayer de t’agresser dans une ruelle sombre. Dis-toi que tu viens de passer quelques minutes dans les vapes et que t’as toujours tes fringues et ton portefeuille. Enfin, si t’en avais un. Ce dont je sais foutre rien. » Et je m’en branle donc. Mais je crois qu’elle a pigé le message.

Ma voix se fait plus douce à sa réaction quand je lui pose le manteau sur les épaules. « C’est pas parce que c’est habituel jusque-là qu’il faut que ça le reste. » Je lui tapote le sommet du crâne avant de souffler, à mi-voix. « Et c’est la peine. Si on laisse tomber tout le temps, le peu d’humanité qu’on a encore s’envolera et les démons auront toutes les portes qu’ils veulent pour entrer. » Je sais, je suis pas hyper crédible pour me justifier. Mais je vais pas lui dire qu’elle m’attendrit quand même ? Ou pire, qu’elle me rappelle Zee à sa façon, que j’aimerais que quelqu’un s’occupe de ma magicienne comme je m’occupe de la gamine. Qu’elle soit pas seule, où qu’elle se trouve actuellement.

J’ai un bref froncement de sourcils et je toussote avant de m’éloigner. « Garde-le jusqu’au resto, si tu chopes la mort, on pourra pas causer. » Voilà, là je me remets dans le personnage. Et je la guide jusqu’au restaurant avant de me poser à table avec un soupir de soulagement. Qui se mue en grimace devant le panneau interdit de fumer. « Gé-nial… » Je joue avec mon paquet de clopes et je la fixe longuement en silence avant de finir par hocher la tête. « Ca me parait un deal acceptable. Ca marche comment ? Une question chacun ? » Et j’attrape le menu avant de lever un sourcil. « … oh, la formule ptit dej, ça me botte ça. » Même si c’est pas l’heure. Je vais pas m’arrêter à des détails pareils. Je continue, comme si de rien était. « On est d’accord que c’est toi qui as fait trembler les murs. C’était volontaire ou pas ? » Et, surtout, est-ce qu’elle le contrôle. Ca impactera un peu toute la suite de cette discussions.

Je lui rends un regard cryptique, sans faire de commentaire. J’peux piger que la gamine cherche l’arnaque. Je ferais probablement la même chose à sa place. Mais bon, faut savoir être pragmatique et se dire que, si j’avais envie de lui faire du mal ce serait déjà fait. Et, surtout, je me casserais pas le cul à lui proposer de bouffer. Je lève un sourcil quand elle grogne en réponse au reste. Okay, c’est encore une sauvage celle-là. A croire que ça court les rues dans le coin. Faut dire que, depuis le début du blocus, doit y avoir un paquet de cinglés en liberté. Pas que je la classe dans cette catégorie hein, même si la question est légitime, mais ouais, faut encore plus faire gaffe aux vivants qu’avant.

Bon et puis, j’ai grave la dalle en vrai. Ca creuse de lutter contre des entités démoniaques et, surtout, de devoir gérer une gamine aux supers pouvoirs. J’aurais quand même bien fumé une petite clope mais, la vie étant une garce, ce sera pas pour de suite. Oh, j’suis tenté mais, quand je vois la gueule de la taulière, je préfère m’abstenir. Ce serait un coup à ce qu’elle me fasse bouffer ma clope et les cendres qui vont avec. Le pire ? C’est que visiblement, notre état choque personne. Et je souffle, pensif. « Ce qui est marrant avec tout ce bordel, c’est que plus personne ne pose de questions. Ca m’arrange mais, quand même, ça me surprend encore des fois. Pas toi ? » J’suis pas sûr d’attendre vraiment une réponse à ma question. D’autant qu’elle m’a proposé un deal intéressant.

Je me cale contre mon siège, remontant les manches de ma chemise et laissant dévoiler de nombreux tatouages sur mes avant-bras. « Donc tu contrôles pas. Tu les as depuis longtemps ? » Ca peut être dangereux, encore plus quoi. Donc va falloir faire quelque chose à ce propos. Elle continue avec ses propres questions et je lève une main à son attention alors que la serveuse s’approche. « Formule petit dej pour moi. Avec double supplément bacon. Mes artères ont besoin d’être bouchées par un truc pas sain, ça devient vital. » J’ai un large sourire alors que je laisse la gamine passer sa commande et j’ajoute, avant que la serveuse ne parte. « Et du café aussi. » Je me penche vers Tara avant de souffler, à mi-voix. « Je suis exorciste. Chasseur de démon oui. Et… mon boulot, c’est d’éviter qu’un camp ou l’autre l’emporte. Si quelqu’un doit bousiller l’humanité ce sera l’humanité elle-même. J’aime pas trop l’idée qu’on soit des simples pions pour eux. Alors, je fais chier le monde. » Un sourire ponctue mes paroles, alors que je sais pertinemment que mes propos vont soulever encore plus de questions. « T’es toute seule gamine ? » Je sais, je lui ai déjà demandé des trucs mais j’avoue que je suis curieux.

N’empêche que, je m’en grillerais bien une mine de rien. Surtout maintenant que la tension est retombée. Pas que je sois trop du genre stressé hein, faut pas déconner non plus. Mais voilà, ce serait cool. Enfin, en attendant, la gamine en fasse de moi m’intrigue, à défaut de me rassurer quand je me rends compte au fil de la discussion qu’elle maitrise vraiment pas ses pouvoirs. Vu le potentiel que j’ai pu voir, y a de quoi baliser sévère.

On passe commande comme si de rien était, alors que j’essaie de me persuader que le bacon en sera vraiment et que ce sera pas un truc super glauque. Bref, je vais éviter de penser à ça vu que là, de suite j’ai grave la dalle. Je la fixe une fois que la serveuse est partie et je souffle à mi-voix, en écho à ses propres paroles. « Un moment hein… » Pas très précis mais ça veut dire beaucoup de choses. Ca a l’air déjà beaucoup trop long à son goût, surtout quand je vois sa gueule.

En tout cas, en ce qui me concerne, j’ai pas de problème à lui raconter qui je suis, ce que je fais. Pas comme si c’était vraiment un secret, surtout dans le milieu de l’occulte. Et elle a pas l’air franchement convaincue parce que je lui raconte. Je me fends d’un ricanement quand elle parle de compagnonnage et je hausse les épaules, me penchant vers elle alors que je la fixe longuement sans rien dire. « J’ai du mal à croire qu’une chouette môme comme toi soit toute seule. Que t’aies pas de famille, j’veux bien. Mais t’as pas des potes ? Des gens qui veulent t’avoir comme animal de compagnie ? N’importe quoi ? Et déconne pas, je connais beaucoup trop de monde qui veut collectionner les gamines à pouvoirs pour pas te poser la question. » Et je m’arrête quand je vois la serveuse approcher au loin, deux assiettes remplies à ras-bord entre les mains. J’ai un bref sourire à son attention alors qu’elle les dépose et qu’elle verse du café dans nos deux tasses. Avant de désigner mon manteau à la gamine. « La poche intérieure. Y a une cartouche de cigarettes. Ca ira comme paiement ? » La serveuse a l’air ravie et hoche la tête en soufflant, d’un ton amusé. « Vous aurez même de la tarte à c’tarif. »

Et moi je souffle, fataliste. « Et j’ai probablement gagné deux minutes de vie sur cette charmante terre. Parfait. » J’attends que Tara paie notre repas et je reprends, d’un ton plus sérieux. « Je cherche une amie. Qui a disparu depuis près de deux ans. » Et je lève une main vers elle, comme pour l’empêcher de me répondre. « Je sais ce que tu vas dire, elle est probablement morte. Mais y a des choses qui s’expliquent pas. Et le fait que j’sois persuadé qu’elle est en vie en fait partie. Donc je m’arrêterais pas tant que je saurais pas. » Je commence à manger avant de hocher la tête. « Mais j’confirme, c’est complètement con. Mais difficile de faire pire qu’ici. Vu que les gens se mettent sur la gueule, ça excite les démons qui voient là des multiples possibilités de foutre un peu plus la merde. Donc j’essaie de… réguler le trafic. » Je bois quelques gorgées de café et je fixe mon attention sur la gamine. « Tu vas faire quoi, en sortant d’ici ? » Question importante non ? D’autant que j’aurais ptet de quoi l’aider à y répondre. Pas par charité ou bonté d’âme hein, faut pas déconner. Juste parce qu’elle devrait pouvoir répondre qu’elle est pas seule quand on lui posera la question.

Je la fixe, curieux, alors qu’elle se contente de sourire à mes questions. Pourtant, on peut pas dire que je sois le mec le plus entouré du monde. J’veux dire, les gens à qui j’ai eu le malheur de m’attacher sont tous tombés comme des mouches. A une exception près. Donc forcément, le poissard que je suis a tendance à vouloir fuir les gens. Sauf qu’elle est jeune et même si ses pouvoirs sont sacrément merdiques – surtout si elle les contrôle pas – et rester seule dans ce merdier… c’est clairement pas une bonne idée. Mais vu que je suis pas son père, je vais pas commencer à la faire chier pour ça alors que je la connais depuis 10 minutes.

Je lève un sourcil à la voir manipuler mon paquet de clopes et je ricane quand la serveuse s’éloigne. « Fais pas ta précieuse. T’as l’air persuadée du contraire mais mon trench et moi on se lave souvent. Plus que beaucoup de gens dans cette ville dégueulasse. » Au reste, je bois quelques gorgées de leur pseudo café, grimaçant au goût et je hausse une épaule à ses paroles. « Ouais, sinon tu serais déjà enfermée vu les spécimens du coin. T’as eu du bol jusque-là. Et t’inquiète pas, ça changera pas avec moi, j’suis pas le genre à crier ce genre de trucs sur les toits. Tant que tu fous pas la merde, je te causerais aucun problème. » Au reste, je laisse filer un silence avant de verser du sucre dans ma tasse. Pour ce que ça changera. Ce sera juste dégueu mais sucré. Youhou. « Dommage. T’as pas l’air insupportable pourtant. Tu devrais. Trouver des gens qui t’entourent. C’est important. » Ah merde, j’ai fait mon vieux con. Bon, tant pis, je devrais m’en remettre.

Je commence à bouffer et à sa remarque, j’ai un sourire. « C’est juste une amie… Mais je note pour le bonne chance, j’vais en avoir besoin. » Je soupire longuement, non sans la fixer, perplexe, quand elle me répond. « Et euh… faire comme si t’avais pas manqué de te faire buter et de faire s’écrouler un putain d’immeuble ? » Je hoche la tête, non sans me marrer. « Dans le genre sang-froid, tu te pose là ma grande. Donc tu vas faire ta vie et… rien d’autre ? » Je suis un peu sur le cul, j’avoue. Mais c’est dangereux si elle continue comme ça. Sa question m’étonne et j’ai un temps, fixant mon assiette pour souffler, à mi-voix. « Je la connais depuis des années. C’est un peu comme une sœur. » Bon, pas vraiment, mais c’est bien trop compliqué et Zee est bien trop de choses pour moi pour que j’arrive à la définir en un seul mot. « Disons que c’est la gardienne de mon équilibre. Si je la perds… » Je vais péter les plombs. Pour de bon. Autant je peux passer des semaines, des mois sans la voir ou lui parler, autant imaginer un monde sans qu’elle existe c’est juste pas possible. Je continue de manger, pas mécontent qu’elle fasse de même et je reprends, comme si de rien était. « J’peux… T’aider. Si tu veux. Avec ton petit problème. » Pourquoi je dis ça exactement ? J’en sais foutrement rien. J’suis pas vraiment le genre bon samaritain pourtant, ça se saurait. Mais qu’elle soit toute seule, je sais pas, ça me renvoie un peu trop à moi-même je crois. Ce qui est pas forcément une bonne chose. Surtout pour elle.

Je retroussais les manches trop longues de son trench. Je n’étais pas certaine de le croire quant à son hygiène, mais j’étais qui pour juger de ça ? L’eau courante devenait rare, les gestes du quotidien, si ordinaire auparavant, était un luxe. Et puis si j’étais un tout petit peu honnête, il fallait avouer que son manteau ne puait pas tant que ça. Cela dit ce n’était pas une excuse pour me faire chercher dans ses poches dégueu.
Mes épaules se soulèvent lorsqu’il me dit que j’ai de la chance. Je le savais, je n’étais pas si conne, ne pas être capable de maitriser cette saloperie, à moitié insomniaque, amnésique partielle et hantée par des cauchemars, il ne voyait même pas la moitié du bordel que j’étais et à quel point j’étais un ramassis de débris usés et cassés. « C’est déjà assez compliqué comme ça, j’veux juste avoir la paix. » Et c’était vrai, mais c’était comme si elle me fuyait, comme si je n’y avais pas droit. Cette sensation tenace d’être sur le fil, que tout pouvait basculer d’une seconde à l’autre au moindre faux pas, qu’on me rattraperait, seulement pour me jeter dans un enfer pire encore, tout cela me taraudait au quotidien et m’épuisait. J’étais soulagée de l’entendre confirmer qu’il allait garder tout ça pour lui, je ne voyais pas trop l’intérêt qu’il aurait à me mentir et faisant toute cette mascarade.

Je sentais la fatigue peser sur moi, la raideur coutumière prendre place dans chaque fibre de mes muscles. Je voulais rentrer chez moi, mais la conversation était loin d’être finie. Au moins, ce repas me donnerait de quoi tenir jusqu’au garage, le reste, un sommeil réparateur suffirait, si j’avais la chance de ne pas cauchemarder. « Dangereux surtout. » Je lâche ça du tac au tac, presque vexé qu’il me pense si stupide.
J’étais un putain de monstre de foire, nocif pour moi et sans aucun doute pour les autres, qui serait capable de gérer ce que j’étais, les ombres qui se trainaient derrière moi ? Personne. Quiconque un minimum normal qui aurait été au courant, finirait par me balancer. Pour de la bouffe, pour du chauffage en hiver, pour survivre. Parce que j’étais un monstre, plus totalement humaine, de ceux qu’on pouvait dresser et que de plus gros croquemitaines se sentaient en droit, et avaient le pouvoir, de tenir en laisse.
Non, vraiment, j’étais mieux seule, j’avais déjà offert ma représentation, autant rester dans l’anonymat maintenant.
« Et ? Tu veux que je fasse quoi d’autre ? Me rouler en boule en chialant ? » Je donnais assez pendant mes crises d’angoisses et terreur nocturnes merci bien. « Ce truc me pourrira la vie quoi que je fasse, je me suis faite une raison. »
Je mastique sans trop penser à ce que je mange, profitant de la chaleur du manteau, de celle de la nourriture. Cette conversation, étrange, avec ce type insupportable, n’était pas aussi horrible en fin de compte. J’avais hâte de pouvoir me coucher, de m’oublier dans le sommeil, mais je savais aussi ce qui y rodait. L’un dans l’autre, il n'y avait pour moi, ni paix, ni répit.
Jamais.

Sa proposition sortie de nulle part me stop dans mon geste, je le regarde soudain suspicieuse. « On y arrive … Tu veux quoi en échange ?»
Parce que finalement, il s’agissait toujours de ça, une transaction. Si je lui faisais confiance, il m’utiliserait comme tous les autres. Mais j’en étais à un point ou je me demandais si j’avais réellement le choix. Tout dépendait du marché, même si je n’avais clairement aucune envie de mouiller là-dedans. Sans compter sur le fait que je ne voyais pas bien comment il pouvait m’aider…. Avait-il aussi des capacités cachées autres que celle de ressembler à un clochard ?

Je lève un sourcil en la regardant, me retenant d’un commentaire bien senti en voyant qu’elle a pas l’air convaincue de la propreté de mon trench. Et de la mienne par extension. Mais les gens ont zéro respect de nos jours, c’est une catastrophe. Bon, j’épiloguerais là-dessus plus tard, avec un bon verre de mauvais whisky et tout seul dans mon canapé. Je fais ça super bien. En attendant, elle m’intrigue la gamine, surtout qu’elle a quand même un sale caractère. Encore pire que ce que je pensais au premier abord. Du coup, j’aime bien.

Je laisse filer un silence à sa réponse avant de souffler, plus doucement que j’ai pu le faire jusqu’à présent. « On a jamais la paix petite. Quand on rentre pas dans le moule. Ca marche jamais. Je peux te garantir que j’ai essayé. » Ca vous poursuit jusqu’au bout. Alors j’ai pris le parti d’assumer depuis longtemps, même si ça fait de moi le roi des connards. Tant qu’à faire, au moins, je me protège. Au reste, je hausse une épaule. « Tout est devenu dangereux, alors un peu plus ou un peu moins…. Non ? » En tout cas, perso, je suis plus à une emmerde près, sinon je l’aurais laissée moisir dans l’immeuble à moitié en vrac.

Je finis mon assiette avant de tousser un rire quand elle me demande ce qu’elle peut faire d’autre. « Te sortir les doigts du cul. Voir ton truc autrement que comme une malédiction. Apprendre à le contrôler. A en faire une arme qui te permettra d’envoyer péter quiconque voudra te faire du mal. Un truc du genre. Mais si tu veux faire ton bébé et chialer dans un coin, fais toi plaisir. Je te donne pas cher de ta peau par contre. » Parce que si elle a tenu jusque-là, j’suis clairement pas convaincu que ça continuera. Un jour, elle tombera sur un vrai connard qui voudra l’utiliser. Qui essaiera de la mettre en cage et d’en faire un animal de compagnie. Je connais des mecs assez tarés pour ça.

Je bois quelques gorgées de café et, je sais pas pourquoi, je lui propose de l’aider. Sérieusement, je sais foutrement pas pourquoi j’ai dit ça. J’ai assez de merdes à gérer pourtant. Et me rajouter une gamine aux pouvoirs incontrôlables et au caractère aussi pourri que le mien, je suis pas sûr que ce soit super pertinent. Pourtant, sa réaction me fait marrer. Je hausse une épaule et je la fixe longuement. « Ouais, rien n’est gratuit dans ce bas monde, je sais. Pourtant… » Je grimace tout en fixant mon paquet de clopes. « J’veux rien. Enfin si, éviter de me prendre de nouveau un immeuble sur la gueule si tu pètes un câble et que je suis dans les parages. Eventuellement quelqu’un pour bosser avec moi sur les coups un peu délicats mais ça, c’est du bonus. » Je soupire avant de me frotter le visage. « Ecoute petite, au risque de te vexer, tu m’intéresses pas. Mais je sais ce que c’est d’avoir des pouvoirs et de pas savoir les contrôler. D’avoir peur de tuer tout le monde qui m’entoure. D’avoir envie de me foutre en l’air parce que c’est ptet la seule option intelligente qui me reste. Alors je dis pas que je vais te trouver une solution miracle mais… ce serait pas si mal que t’arrêtes de devoir gérer tout ça toute seule non ? » Merde, si on m’avait dit qu’un jour, je balancerais un truc pareil. Je me ramollis je crois.