Vade Retro Satanas | Constantine

Je grimace, alors que je regarde alternativement le fond de mon verre et de mon paquet de clopes. Autant je peux faire quelque chose assez vite pour le premier, autant je suis pas sûr de pouvoir survivre à la soirée avec aussi peu de cancerettes sur moi. « Putain de blocus… » Ouais, ouais, je peux m’en prendre qu’à moi-même. Rien ne me forçait à revenir dans le coin, si ce n’est Zatanna. Sauf que j’ai pas croisé son petit cul depuis près de deux ans et que ça commence à sérieusement me courir sur le haricot. C’est vrai quoi, ça l’aurait pas tuée de me laisser un petit mot. Je sais qu’on est pas des férus de correspondances épistolaires enflammées tous les deux mais merde, je pensais être suffisamment important pour qu’elle prenne au moins 30 secondes pour le faire. Juste un petit je suis hyper occupée tu voaaas, ça m’aurait suffi.

… putain, je crois que je suis de mauvaise humeur.

Je suis sur le point de m’avouer vaincu et de songer à ce fond de bouteille qui stagne derrière mon lit. Voire pire, de repartir à Gotham, histoire de retourner sur les traces de ma magicienne préférée. Sauf que visiblement, quelqu’un en décidé autrement. Une petite brune qui aurait pas dépareillé dans un clip de Marylin Manson qui se pose devant moi, comme si elle se croyait à la maison. Je lève un sourcil quand elle prend la parole et je souffle, sans la quitter des yeux. « Tu veux un bon point ? » Je sais que je suis connu, reconnaissable et j’en passe. Mais on m’aborde rarement aussi frontalement, sauf pour un problème que je suis le seul à régler.

Je sais juste pas si je suis d’humeur à ça ou pas ce soir. « T’es pas déjà en train de me parler fillette ? » Elle a quoi ? 20 ans ? A tout casser ouais. Si elle est plus vieille, je veux bien cramer mon trench. Bon, ptet pas, faut pas déconner. Mais je suis plutôt bon physionomiste de base, donc voilà quoi. Je regarde autour de nous, histoire de m’assurer qu’en effet, personne n’en a rien à branler de son arrivée à ma table. Et je fouille dans la poche de mon manteau pour en sortir une flasque que j’ouvre tranquillement. J’en bois une gorgée, histoire de m’assurer que je l’ai pas remplie de whisky dans un moment d’égarement, avant de lui balancer le reste à la gueule. Et je penche la tête sur le côté, attendant de voir si elle se met à fumer ou pas. Voyant que non, je la range, toujours aussi tranquillement, avant de reprendre, comme si de rien était. « On est jamais trop prudents. » Je suis presque déçu qu’il y ait eu aucun effet, j’avoue. « Paie-moi un coup à boire et peut-être que j’aurais la patience de t’écouter. » Je garantis rien, surtout si elle commence à me raconter que son chinchilla est possédé par le démon ou, pire encore, par sa belle-mère. Déconnez pas, j’ai déjà eu droit à ça et ça s’est fini assez salement. Vous saviez que ça pouvait imploser ce genre de bestiole ? En théorie, moi oui, mais en pratique j’ai failli gerber un peu. Bref, j’attends de voir ce que me veut la demoiselle donc avant de l’envoyer péter. Je sais, je suis formidable.

Je lève un sourcil à sa répartie et je souffle, avec un sourire narquois en me penchant vers elle. « Parfaitement. Une photo de moi complètement à poil en train de faire l’hélicobite. Ca rend mieux en gif mais l’informatique de nos jours… » Enfin bref. Elle a pas l’air décidée à me lâcher et je cherche même pas à réprimer le profond soupir que je laisse échapper en voyant qu’elle quitte pas la table. Je vous l’ai dit, je suis de mauvais poil ce soir. « Je confirme que t’es pas douée ouais. Mais bon, dis-toi que déjà je te réponds, c’est mieux que rien. » Quoi ? Faut être pragmatique un peu. Je suis ptet pas dans un bon jour mais, si j’avais été dans un mauvais, je me serais juste levé avec mon verre en l’ignorant royalement.

D’ailleurs, parlant de pragmatisme. Je lui balance un peu d’eau bénite, juste pour voir ce qui se passe. « J’suis presque déçu. Ca aurait mis de l’ambiance dans ce bar de merde. » J’ai un bref regard autour de moi avant d’allumer une clope et de me caler un peu plus confortablement dans mon siège. « T’étonnes pas si je te balance d’autres trucs du genre. Des fois que t’essaies de m’entuber. » Moi ? Parano ? Je vois pas ce qui dans ma vie pourrait justifier que je le sois devenu. N’est- ce pas ? Putain, ce serait pas du suicide et donc ça m’enverrait pas direct en enfer, j’aurais quand même bien envie de me jeter sous un bus juste pour plus avoir à réfléchir l’espace d’un instant. Mais parait que c’est un peu trop définitif, même pour moi. « Tu sais si les bus fonctionnent encore dans cette ville ? » Non parce qu’en plus, s’il y a plus de transports en commun, ça risque d’être plus compliqué.

… enfin bref.

Elle est toujours là donc. J’attends un instant parce que je me dis qu’elle doit vraiment avoir un truc important à me dire. Parce que vu comment je suis affable et chaleureux, je me serais déjà balancé mon verre à la gueule en me traitant de gros con à sa place. Je me fige quand elle reprend, me faisant un brin plus sérieux à ses propos et me penchant vers elle, les yeux plissés. « Alors gaffe à toi gamine. On joue pas avec ces trucs. T’es pas en train de me faire genre un trip émo-gothique où t’as voulu t’ouvrir les veines en appelant Satan et maintenant tu regrettes ? » Et oui, ça aussi, c’est comme les chinchillas, ça arrive plus souvent qu’on le croit. J’agite la main en direction du serveur et je nous désigne tous les deux. « La même chose. » Même pas besoin qu’elle me paie un truc, c’est dire. Parce qu’elle a l’air sérieuse la môme. Alors je reprends, toujours à mi-voix. « Tu as toute mon attention petite. Alors déconne pas. » Ptet que la soirée sera pas si merdique que ça au final.

Je la toise un instant, laissant filer un silence entre nous. Je suis plutôt du genre à … provoquer. J’en suis bien conscient. Et généralement… bon tout le temps même… la réaction des gens en face, je m’en branle totalement. En tout cas, c’est l’impression que je donne. Mais mine de rien, ça permet toujours d’en apprendre un peu plus sur nos interlocuteurs. La plupart prennent une mine offusquée quand je les cherche comme ça, comme s’ils étaient persuadés de vivre dans un monde sans sexe, où les coccinelles et les papillons donnent naissance aux gamins. Ah, c’est pas plutôt des choux et des roses ? Bref, on s’en fout.

Tout ça pour dire que la gamine-là, elle a de l’aplomb. Parce qu’elle se démonte pas quand je raconte mes conneries, qu’elle garde le fil de ce pourquoi elle est venue me parler. Et ça, j’apprécie. Pas autant qu’une bonne biture sur la plage devant un petit feu de camp à coup de mojitos bien dosés, mais on a pas toujours ce qu’on veut dans la vie. Encore moins en ce moment d’ailleurs. Je renifle un coup, un rien dédaigneux, avant de lâcher quand même, plus pour chercher la merde qu’autre chose donc. « Tu sais pas ce que tu rates. Ca aurait été feu d’artifices dans ta culotte. Enfin bref. » J’agite la main pour changer de conversation, me focalisant sur sa nature. Y a un truc qui me titille évidemment, mais je saurais pas mettre le doigt dessus.

Et l’eau bénite me sert à que dalle sur ce coup-là. Je hausse les épaules à sa répartie avant de regarder les mecs autour de moi. « J’sais pas trop. Le coin est pas spécialement bondé, t’es pas spécialement discrète avec ta gueule de paumée qui serait prête à vendre son corps pour une dose … sans offense hein… et ils aiment pas trop le surnaturel en général. Et… » J’ai un sourire amusé. « Ca rebondit parce que tu vas m’envoyer ton petit poing dans la tronche ou parce que c’est magique ? » Enfin, on devrait quand même pas trop trop faire de vagues dans le coin. Moi en tout cas. Je suis pas encore spécialement reconnaissable, même si le fait que la môme se pose à ma table comme si de rien était me fait penser qu’il va falloir que je prenne un peu l’air. Mais elle est pas foutue de me filer les horaires de bus, quand bien même ce serait un peu radical pour prendre l’air donc. Hem. J’arque un sourcil alors qu’elle se démonte même pas et je lâche, avec un haussement d’épaules. « T’as une gueule à faire du vélo. » Si tant est qu’on lui ait pas piqué. Je sais pas pourquoi j’ai dit ça ,mais faut dire que je me perds un peu facilement, parce que je me demande vraiment ce que je branle ici.

Sauf que là, elle m’intéresse. J’oublie mes conneries. A sa remarque, j’ai un sourire sans joie. « Pas forcément ma jolie. Un petit voyage en Enfer, un petit autographe en bas d’une page pour appartenir à Satan corps et âme et paf, il peut nous réexpédier en moins de temps qu’il te faudrait pour épeler rhododendron. » Elle continue de jacter et j’avoue que ce qu’elle me raconte me plait de moins en moins. Je me redresse sur mon siège, vidant d’une traite mon verre. Je suis pas con et qu’elle essaie pas de m’arnaquer. « T’es quand même pas en train de me dire… que t’es un. Putain. De. Portail. Pour un. Démon. Hein que t’es pas en train de me dire ça ? » Je plisse des yeux, comme si ça m’aidait à mieux la voir. Vous le voyez venir le plan de merde à des kilomètres ou pas ? Je me rends pas compte.

Y a pas à dire, j’adoooore ce genre de petite soirée, pleine de bonne humeur, de bonnes surprises et j’en passe. Pour un peu, ça vaudrait presque ces soirées d’été que j’ai toujours détestées. Mais si, vous voyez pas le genre ? Un hôtel bondé, des mojitos de mauvaise qualité coupés à la flotte et un mec qui s’amuse à hurler dans un micro. Je me suis toujours dit que l’enfer devait ressembler à ça en fait. A une soirée miss camping. Avec obligation de porter un maillot de bain. L’enfer je vous dis.

Bref… j’en étais où ? Ah ouais, ça pue un peu d’avoir cette gamine en face de moi. Et déjà que je passe des soirées de merde, je sens que ça va pas aller en s’arrangeant. Au moins, elle joue pas à la prude effarouchée et me fait pas la morale. On dirait même qu’elle essaie de pas faire trop de vagues même si, avec moi, c’est mal barré. « Ouais tu devrais t’en remettre. »

Bon, on arrête les conneries là, je suis pas là pour jouer au touriste, je suis là pour le boulot. Enfin non, au début je pensais avoir droit à mon petit quart d’heure farniente avec un bon verre bien mérité, mais vu que le monde s’échine à me casser les couilles, autant essayer de piger ce qui se passe. J’ai un large sourire à sa réponse et elle a même droit à un clin d’œil. « C’est mon charme naturel qui fait tout gamine. Le pire, c’est qu’ils en redemandent ces cons. A croire que je leur tape dans l’œil à chaque fois. » Un jour, je me ferais buter. Et bordel, l’enfer, ce sera rude. Parce que finir dans la taule où vous avez envoyé les trois quart des prisonniers, c’est pas une sinécure. En attendant, quitte à me foutre dans la merde, je continue à faire de mon mieux pour que ces fils de pute se croient pas dans une colonie de vacances tous frais payés par leur patron à pouvoir jouer avec les humains et leur destin. « Ton petit poing me fait pas peur tu sais. Tu devrais essayer la magie. » J’agite la main quand elle me dit ne pas savoir faire du vélo, comme si le sujet était déjà classé.

Et j’ai un bref sourire quand elle reprend, avant de hausser une épaule. « Il est prêt à perdre ce qu’il a de plus précieux. Son libre-arbitre. Et je peux te dire que je fais tout ce que je peux pour l’éviter. » Je plisse des yeux quand elle reprend. C’est qu’elle me prend pour un con là ? « Personne serait assez débile pour venir me parler tranquillement d’un putain de chat qui sert de passerelle à un démon. Tu devrais au moins être en panique si t’étais pas dans le coup. Ou un truc du genre… » Mon regard accroche alors le sien et je souffle dans un murmure, tapotant des doigts sur la table. « ut verum dicas… » Deux options, soit elle accouche et mon hypnose a fonctionné, soit c’est pas le cas et c’est elle la putain de passerelle. En attendant, je la fixe, plus sérieux que jamais.

Je bois quelques gorgées de mon verre, esquissant un sourire en coin à sa question. « A ton avis gamine ? Ils continuent de revenir alors qu’ils savent que je serais pas loin et que je fais tout pour les déboiter. Donc deux options, soit ils sont vraiment cons, soit ils sont masos. Dans les deux cas… » Je hausse une épaule, non sans me rallumer une clope. Je connais ma réputation et, si elle s’est assise à ma table, elle aussi. Pas comme le petit branleur de la dernière fois. Enfin je l’ai vite calmé le gamin. « Comme moi ouais. Après, faut quand même avoir des prédispositions même si tout s’apprend, suffit de le vouloir très fort ou une merde du genre. T’en as ptet va savoir. » Je la fixe, curieux. Loin de moi l’idée de chercher une apprentie mais, si je peux trouver quelqu’un avec qui bosser, pourquoi pas. Même si je me dis que du lait va sortir de son nez si j’appuie dessus.

Je lève un index à ses propos. « Judicieuse remarque gamine. Qu’ils crèvent parce qu’ils font de la merde, c’est en effet pas un problème. Qu’ils entrainent des innocents, qu’ils laissent des démons trainer dans le coin qui viendront foutre le bordel, là ça me dérange un peu plus. Ils pètent l’équilibre en agissant comme ça. Et mon boulot, c’est le restaurer. » Sauf que ces derniers temps, surtout dans le coin, autant dire que c’est un peu la merde. Et j’ai l’impression de jouer à Don Quichotte, l’acolyte en moins. Et la classe en plus, évidemment. Je m’adosse contre mon siège, levant un sourcil à la réplique. « T’en as qui ont la panique silencieuse, ça aurait pu être ton cas. Mais t’es bien trop maitresse de toi pour que ce soit pas louche. » Okay, avec moi, tout est louche ou pas loin. Donc je vais éviter de me focaliser là-dessus avec elle. « Donc, ça veut dire quoi ? Que t’es dans le coup ? Tu sais que tu vas devoir cracher un peu plus d’infos si tu veux des réponses acceptables. »

Je réprime un sourire en la voyant tiquer. Elle est en train de lutter contre l’hypnose, ça se voit, ça se sent. Et elle fait de sacrés efforts. Je hoche la tête, pour marquer mon approbation, alors qu’elle finit par reprend la parole et que j’arrête aussi sec. « T’es plutôt douée gamine. C’est génétique ou quelqu’un t’a entrainée pour résister à ça ? Nan parce que moi, j’ai dû apprendre avec les années. Au début, c’était la merde. » Mais j’ai plus trop de soucis à ce niveau-là. « Donc, vu que la méthode de connard marche pas, je vais y aller plus franco. Soit tu me donnes des infos plus palpables que mon chien est une passerelle démoniaque et je vois si je peux te venir en aide, soit je finis mon verre et je vais aller montrer ma baguette magique à la serveuse qui arrête pas de me faire des sourires depuis tout à l’heure et qui vient de m’offrir mon 3ème verre sans que je demande quoi que ce soit. » Je lève ledit verre vide dans sa direction avec un clin d’œil, bien décidé à disposer du reste de ma soirée comme je l’entends si la gamine me dit pas plus clairement les choses.

Je me fends d’un sourire en parfait miroir du sien. « Il y a une rumeur qui dit que je suis la seule âme que Lucifer souhaite lui-même récupérer. Je te laisse en déduire à combien ma tête est mise à prix. » je devrais avoir peur. Parfois, ça m’arrive. De m’inquiéter de ce qui m’arrivera, une fois que j’aurais cassé ma pipe. Mais le plus souvent, je mets ça de côté. Je n’ai pas la main dessus et, quelle que soit la vie que je mènerais jusqu’à ma mort, rien ne fera disparaitre la disparition de cette gamine de 15 ans. Je n’ai pas réussi à la sauver et même si je peux tirer d’affaire des centaines, des milliers d’autres, ça ne changera pas cet état de fait.

Je toise un instant la gamine avant de laisser filer un ricanement. « Bien sûr que si. Mais il faut trouver les bons livres. Et savoir s’en servir. Sinon tu te retrouves à transférer l’âme de ton père alcoolique et violent dans le… chat. Ce qui peut être… problématique. » Je lui décoche mon plus beau sourire alors qu’on se met… bon que je me mets à parler d’équilibre. Et ce qu’elle dit est pas con. « Tu es un peu trop sûre de toi petite. Tu sais pas pourquoi je bois, je fume ou j’en passe. Ptet que ça me permet d’oublier que, parfois, je dois mettre une balle dans la tête d’une gosse de 3 ans pour éviter qu’elle bouffe sa sœur. » Je me penche vers elle, brusquement plus sérieux. « Rien n’est blanc ou noir. Je ne suis pas un saint et je compte pas le devenir. Mais si on doit tout foutre en l’air, je tiens qu’au moins, ça vienne de nous. Que les hommes aient les couilles d’assumer que ce sont des merdes, sans qu’ils aient l’excuse des démons ou du mal incarné. Parce que parfois, y en a qui se démerdent pas si mal. » Ce qui n’est pas mon cas, on pourra jamais m’étiqueter de bon et je m’en branle. « Mon boulot, c’est de m’assurer que la partie est… aussi fair-play que possible. Quel que soit le résultat final. Tu vois l’idée ? »

Je retrouve mon sourire et elle a même droit à un clin d’œil quand elle repère ma tentative d’intrusion. Mais je me démonte pas. Il m’en faudrait vachement plus. « Entrainée depuis ta naissance donc. » Je hoche la tête, laissant filer un petit sifflement admiratif. « C’est pas donné à tout le monde. » Ca fait d’elle une cible de choix Ou un assassin ne puissance. Les deux n’étant bien évidemment pas incompatibles. Je lève un sourcil à sa question, attrapant une clope pour l’allumer et désignant nos deux verres vides à la serveuse. « Cette tournée est pour moi. » Et je laisse filer quelques secondes avant de reprendre, à mi-voix. « Les demi-démons, ça fout la merde. Ca fausse le jeu. Les démons essaient de venir en direct sur terre depuis des siècles. La possession ne leur suffit pas toujours alors, de temps à autre, ils tentent leur chance autrement et espèrent semer en route. En général, leurs gamins sont… mal barrés. Ils atteignent rarement l’âge adulte. En tout cas je me suis efforcé d’en empêcher un maximum d’y arriver. » Je parle d’un ton tranquille, même si j’ai bien pigé qu’elle parle d’elle. Elle a l’air, pour le moment, de se contrôler suffisamment pour qu’elle ne soit pas une source d’inquiétude immédiate. « Et après, ça dépend du paternel. Si celui-ci veut juste s’amuser à foutre la merde parmi les humains via son gamin ou … » Je m’arrête quand la serveuse revient et je bois quelques gorgées de mon verre. « … venir sur terre pour le faire lui-même. » Je la pointe du doigt, mon verre à la main. « T’en penses quoi de tout ça ? »

Pourquoi je ne suis pas étonnée ? Ce mec est imbuvable, tu m'étonnes que Satan l'adore. « Genre rendez vous amoureux satanique ? Ca vendrait presque du rêve » j'ironise évidemment. Je n'aimerais tellement pas être a sa place. J'avais déjà mon père aux fesses, alors le Roi des Enfers, non merci. Je pouvais m'en passer. Et si je jouais mal le jeu, j'aurais un putain d'exorciste boosté a l'adrénaline au cul. Ah...Pourquoi avais je pensé que venir le trouver était une bonne idée ? Peut être justement a cause de ce dont il me parle par la suite. La magie. Je sais que ça existe, ça oui, je m'étais retrouvée sur Terre par magie donc je ne pouvais nier son existence mais...J'étais persuadée que je ne pourrais pas y avoir accès. « Problématique pour qui ? La fille ou le père. Un chat, ça ne peut pas ouvrir une bouteille, ça règle pas mal de soucis. » Mais je voyais ce qu'il voulait dire. Mais il me donnait une info importante. Trouver les bons bouquins... Mmmh... j'étais tentée. Vraiment. Mais... Je ne devais pas me précipiter, pour l'instant, j'avais autre chose en tête.

Mais je ne peux pas m'empêcher de tiquer lorsqu'il parle d'équilibre. Si celui de la terre ne valait même pas celui de mon monde d'origine...Et Azarath n'existait déjà plus. Combien de temps restait il a la terre ? Et lui, pourquoi tenait il tant que cela a la sauver ? « Pour un combien de déjà perdu ? Honnêtement. Même ce que vous faite ne vous achètera pas un billet pour le paradis. Je comprends le principe hein, je serais même admirative en fait... Mais quand je regarde autour de moi..Même vous, vous avez pas le profil d'un sauveur de monde et, malgré vos efforts, l'homme ne se regardera jamais vraiment en face, je suis sûre que vous le savez. » je soupire un peu et l'image de Gar traverse mon esprit. « Cela dit...Il reste de la pureté ici bas, même dans la merde qu'est cette ville. » Je ne penchais pas pour un camp ou pour un autre. J'étais ce que j'étais, humaine, avec mes défauts, mes qualités. Si on oubliait mon sang démoniaque évidemment. « Ouais je vois l'idée, difficile de faire fair play quand les démons ne connaissent même pas ce mot. Combattre le mal par le mal...Je suppose que ça vous ressemble. » D'une certaine façon disons.

J'ai juste envie de lui dire d'aller se faire foutre avec son clin d'oeil alors même qu'il vient de tenter de briser ma volonté, même mon père n'a pas réussit a me briser, lui n'y arrivera pas. Mais, je ne le fais pas, parce que je suis sûre qu'il adorerait. Je serais presque flattée de son compliment, mais il me laisse un goût amer. Je m'abstiens de répondre et laisse même la serveuse me filer un verre d'alcool. Je n'y toucherais pas, mais il ne sera pas perdu, je suppose qu'il me suffira de le faire glisser vers mon vis à vis. Je n'aime pas l'alcool et surtout, rien de tel pour me faire perdre mon contrôle, ce qui serait très très con.Et puis je lâche ma bombe. Il sait que je parle de moi, mais ne le dit pas directement. Quant a moi, je suis tout ouïe...Avant de ricaner. « Je suis née dans un monde où il n'existe pas de Constantine. » Ouais aucun exorciste sur Azarath puisque sa religion n'avait rien a voir avec la chrétienté. Même si, avec le recul, je me disais qu'ils avaient vénéré une autre facette de Dieu. Je sais déjà qu'il ne passera pas a coté de ce que je viens de dire, mais a ce stade, je n'ai franchement plus rien a perdre. « Quant est il des nephilims ? » Il paraît que ça existe, mais ça je n'en suis absolument pas sûre. Peut être que c'est juste...une utopie. Mais bon, c'est plus de la curiosité qu'autre chose. « Qu'est il arrivé a ceux qui ont atteint l'age adulte ? » Sous la table, ma main froisse mon jean. La serveuse attire mon regard un instant, mais je ne perds pas le fil de la conversation.

Je pose mes doigts autour du verre que l'on vient de me servir. J'observe un instant l'éclat d'ambre sale qui en ressort. « Ce que j'en pense ? » J'ai un ricanement désabusé. « J'en pense qu'ils s'en foutent du moment que ça fout la merde. » D'une pichenette, je pousse mon verre vers lui. « Et je pense surtout, que je ne veux pas lui donner cette chance. » Encore une fois...Mais ça, je le tais. Quelque chose me dit que je me retrouverais vite fait avec une balle entre les deux yeux si j'avouais que mon père était déjà passé par moi. Me posséder quelques temps avant de s'incarner réellement. Juste par amusement. « Et si pour ça, il faut que je deale avec un mec capable de m'égorger en fumant une clope, alors je le fais. »

J’ai un sourire sans joie alors que je bois quelques gorgées. « Si par amour satanique tu entends le fait qu’il bave rien qu’à l’idée de tout ce qu’il va pouvoir me faire subir durant les prochains millénaires… on peut parler de romantisme ouais. L’avantage c’est que me forge une putain de réputation et certains ont peur de m’affronter. » L’inconvénient étant ce qu’il est, pas besoin de le dire à haute voix. Je suppose que personne n’aurait envie d’être à ma place, moi le premier. Avoir le nom de Satan tatoué sur la fesse gauche, ça pue. Je hausse une épaule quand elle m’interroge, même si je me doute bien que c’est plus pour la forme qu’autre chose. « Mon père a pas trop apprécié. J’crois. Mais le chat encore moins. Enfin, on s’en fout. Ce qui est important dans la magie, c’est d’apprendre que tu peux rarement défaire ce que t’as fait. Sauf en tuant les gens. »

Et je l’écoute avec attention, un sourire amusé flottant sur mes épaules. « Je le sais ça. Et rien n’achètera ma place au paradis. J’fais pas ça pour ça. Mais tu l’as dit toi-même, il y a un peu de pureté qui traine, même ici. Même planquée sous cette tonne de merde que sont devenues les villes du blocus. Je tiens pas à la sauver mais si je peux au moins éviter que les démons la bouffent, je me dis que j’aurais pas tout foiré. Tu vois l’idée ? Les humains sont bien assez cons pour se pourrir tous seuls, j’veux juste pas qu’on soit emmerdés par des trucs extérieurs. » Je sais bien, je suis le seul con à réfléchir comme ça, mais j’le vis bien. Ou en tout cas, je fais avec. Et je hoche la tête au reste de ses propos. « C’est l’idée oui. Vu qu’ils jouent pas le jeu, je vois pas pourquoi je le ferais. Non ? »

Bon, j’aurais peut-être pas dû tenter de l’hypnotiser mais c’était nécessaire pour me faire une idée de la fille à qui j’ai à faire. Si on peut la qualifier de fille, ce dont je doute fortement à mesure que je lui cause. Pour autant, elle est vachement intéressante et j’ai pas vraiment envie de la buter, pour le moment en tout cas. « Votre vie doit être triste et morne sans un mec comme moi. » Enfin, quand on voit que t’as encore des gamins qui savent pas qui je suis… le monde part en couilles, je vous le dis moi. « Pas de Constantine parce que pas de mec assez con pour essayer de renvoyer les fils de pute démoniaque en enfer ou juste… pas d’enfer où les renvoyer ? » La nuance est importante, on dirait pas comme ça. A sa question, j’ai un regard autour de moi, plus par réflexe qu’autre chose. « A part ce branleur hippie qui transformait la flotte en vin ? Remarque, il avait des pouvoirs plutôt cools. En vrai, j’en ai jamais vus officiellement. Probablement parce que les anges sont pas des queutards qui veulent absolument se reproduire. Ou parce qu’ils ont assez de respect pour la race humaine pour éviter ce genre de choses. Et s’il y a des hybrides de leur côté… ils seront plus dicrets… et je te dirais qu’on peut se poser la question avec des Mère Térésa, des Ghandi ou autre… tu vois l’idée ? »

Je garde le silence un instant à sa question et je finis par désigner une cicatrice que j’ai au niveau de la mâchoire. « Tous ceux que j’ai croisés, je les ai éliminés. Parce qu’ils donnaient l’impression d’être totalement incontrôlable et des menaces pour l’humanité. » J’ai un temps avant d’ajouter, le plus sérieusement du monde. « Jusqu’à présent. » Je me fais pas prier alors qu’elle pousse son verre vers moi et je reprends, mon regard ancré dans le sien. « T’es prête à vendre ton âme au diable ? »