However long the night, the dawn will break... | Babs

J’ai un sourire fatigué alors que je recouvre un Jason qui ronfle à moitié sur le canapé déplié du salon d’un plaid un peu miteux. Et je pose une main sur son front avant de poser à côté de lui de la nourriture et une boite de médocs. J’ai réussi à avoir des trucs intéressants et ça devrait leur permettre d’aller mieux cette fois. Même si j’aurais préféré ne pas avoir à suivre Roxana dans sa tournée de malades. J’avoue que si on a une vie difficile, la sienne est pas beaucoup mieux. Et retenir des forcenés pendant qu’elle essaie de faire une anesthésie, fait pas partie du top 10 de mes meilleures journées.

J’ai une grimace alors que je masse ma joue plus par réflexe qu’autre chose. J’ai pris une jolie droite mais c’est pas la première malheureusement. Ni la dernière. Il leur faudra encore quelques jours avant que ça aille bien et qu’ils soient d’attaque. Mais déjà, ils vont beaucoup mieux, c’est ce qui compte le plus.

Je me redresse avant de me diriger vers la chambre de Babs et j’ai un temps d’hésitation, réalisant que je rougis tout seul comme un crétin juste à l’idée de rentrer et ce que je pourrais y voir. Et je pose ma main sur la poignée avant de soupirer longuement, de la relâcher et de me traiter intérieurement de tous les noms. Je finis par poser un sachet par terre juste devant avant de m’éloigner doucement, sans faire le moindre bruit. Je devrais profiter de ces quelques heures pour dormir, mais je suis trop sur les nerfs pour ça. Et ça impliquerait de pousser Jason qui s’est étalé au milieu du canapé.

Rien que d’y penser, j’ai un soupir et je décide de grimper sur le toit, passant par la fenêtre par laquelle je suis arrivée. Il reste quelques heures de nuit et, coup de bol, je bosse pas demain. Enfin, pas le matin en tout cas. Au pire, je pourrais grappiller quelques heures de sommeil à ce moment-là. J’avoue, je commence à être un peu à bout. Mais je dois tenir pour eux, laisser de côté tout ce qui m’angoisse sur ce qui pourra bien se passer demain et me concentrer sur eux. Le reste, on verra en temps utiles. Comme la discussion qu’on aura tous les deux dès qu’ils iront vraiment mieux.

Une fois sur le toit, j’attrape la couverture que j’avais laissée trainer là il y a quelques jours et je m’enroule dedans, m’allongeant à même le sol avec un bâillement. Le seul point positif à ce blocus, c’est que le ciel est vachement moins pollué. Et qu’on voit sacrément bien les étoiles. Pour un peu, je pourrais m’endormir, mais c’est sans compter le bruit que j’entends. Quelqu’un qui monte à l’échelle.

Et je lève un sourcil surpris en reconnaissant la silhouette de Babs qui se rapproche de moi. « Je t’ai réveillée ? » Je me rassois et j’écarte la couverture, l’invitant à la partager vu le froid qu’il fait. On est pas début novembre pour rien hein. Mais ça me dérange pas plus que ça, d’autant qu’il fait pas assez froid pour neiger. « Tu devrais te reposer toi. J’espère que t’as pas marché sur ton … diner ? Ptit déjeuner ? Je sais plus trop là… » Et j’ai une grimace à cette pensée, non sans la fixer avec une certaine curiosité.

Réveillée dans un sursaut, je me redresse avant de laisser échapper un juron en portant la main sur ma blessure. Un cauchemar, c’était juste un cauchemar. Les images m’échappent déjà, et je ne cherche aucunement à les retenir, pas alors que cette sensation de malaise et de terreur m’entoure encore. Je ferme les yeux et inspire lentement, faisant refluer les vagues de douleur et de détresse qui subsistent de ce rêve. Tout va bien. Je me rallonge lentement, repoussant les couvertures aux pieds du lit et je ferme les yeux.

… Laisse tomber, t’arrivera pas à te rendormir. J’ai un soupir et je palpe les plaies, plus par réflexes que pour m’assurer que tout va bien. C’est encore douloureux, mais ça devient supportable, tant que je ne ferais pas de sauts périlleux. Je devrais pouvoir retourner travailler rapidement. Et Dick ne sera plus obligé d’être alerte presque H24, comme s’il devait gérer une colonie de vacances tout seul. Il ne sera plus obligé de subvenir aux besoins de trois personnes en s’esquintant la santé. J’ai un sourire en me disant que c’est quand même moche de ressortir une des expressions de vieux de mon paternel. Je grimace et me dis qu’il faudrait que je demande à Dick de retourner le voir, ne serait-ce que pour le rassurer et lui dire que je me remets de cette méchante grippe…

Fixant le plafond sans vraiment le voir, je tends l’oreille, rassurée d’entendre Jason marmonner et ronfler dans son sommeil dans la pièce à côté. C’est pas de tout repos, loin de là, mais… C’est pas si mal de ne pas être toute seule. Bon, la situation est pas idéale, que ce soit l’appart trop petit ou le fait insupportable d’y être coincée toute la journée – toute la journée ! – avec Jason, mais… C’est pas si mal. Je tourne la tête, sans bouger, en entendant du bruit. Dick. Je vois son ombre se dessiner sous la porte, y rester un moment, et s’éloigner. Et si c’était pas lui ?… Ce serait encore plus bizarre. Hmmm. Non, Jason ronfle toujours. Si ça se trouve, il ronflerait encore si l’immeuble se cassait la gueule. Ignorant soigneusement les battements de mon cœur, je finis par le redresser pour aller ouvrir. Évidemment. Je récupère le sachet en esquissant un sourire, sourire qui s’agrandit en voyant le contenu.  

J’enfile gilet et basket, récupère deux-trois trucs, et je passe par la fenêtre encore ouverte qui mène au toit. J’ai vaguement l’impression – trop familière – d’être un touriste plus habitué à la farniente qu’à faire du vélo en pleine canicule, mais ça va. Je fais une mini pause en haut, faisant mine d’admirer le ciel étoilé, qui est magnifique soit dit en passant. Je le rejoins et secoue la tête. « Je dormais plus, j’ai… Je me suis réveillée il n’y a pas longtemps. » J’ai une seconde d’hésitation en voyant son geste, m’asseyant finalement à côté de lui. Qu’importent les papillons et autres coccinelles qui s’en donnent à cœur joie en sautillant dans mon ventre. Je lève le sachet. « Non m’sieur, j’ai fait attention, même si j’ai un instant pensé que ça pouvait être une bombe étant donné la précaution et le silence avec lesquels ça a été posé devant ma porte. » Je lui jette un coup d’oeil moqueur et le pousse un peu de l’épaule. « Et toi, tu as mangé ? "Mangé, évidemment que j’ai mangé voyons, je pense toujours à moi étant donné que je bosse 18 heures par jour, le contraire serait stupide et inconscient"… » Je souris, super fière de mon imitation plus que réussie, avant de laisser filer un soupir en sortant la tarte aux pommes, ainsi qu’un couteau et une bouteille de jus de fruits, hautement coupée à l’eau, que j’ai rajouté en passant. Je lui mets une généreuse part entre les mains, avant de croquer dans la mienne. « Manque plus qu’un feu de camps. Ce serait top. » Je me lèche les doigts avant d’en foutre partout, les serviettes étant visiblement devenues une denrée aussi rare que le reste. Les yeux rivés sur les étoiles, légèrement appuyée contre lui, je reprends la bouche pleine. « Tu sais que tu dois te reposer aussi  hum? »

J’aimerais bien qu’on soit en été. Outre le fait que je serais pas en train de me geler sur ce toit, on aurait moins de problèmes pour manger. Besoin de moins de calories quand il fait plus chaud. Remarquez, avec le bol qu’on a, c’est un coup à se choper une canicule et à galérer comme pas permis pour trouver de l’eau. Décidemment, quand on est un héro en cavale, y a pas de saison pour le farniente. Tout se perd. Et ça risque pas de s’arranger dans les prochaines semaines, même si nos discussions me redonnent un peu d’espoir sur la suite. On va peut-être arriver à faire quelque chose, malgré tout. C’est bizarre en fait. J’ai l’impression d’avoir un paquet de sentiments contradictoires qui se disputent la place, mais je suppose que c’est surtout parce que je suis crevé.

Pour un peu, j’arriverais presque à m’endormir ici, ce qui serait une très mauvaise idée. Mais je vois la silhouette de Babs se dessiner et se rapprocher de moi. Elle se fait pas prier pour me rejoindre, ce qui ne fait qu’en rajouter un peu plus dans les vagues de sentiments qui se bousculent chez moi depuis des semaines, pour pas dire des mois. « Tu dormais plus ? Bin voyons. Comment ça se fait ? » Je fronce quand même les sourcils à voir qu’elle a mis un peu de temps à arriver, mais je fais pas de commentaires. Pas la foi de me prendre la tête sur leur état de santé une fois de plus. « J’suis comme un groom dans un hôtel. Tout apparaît comme par magie, sur commande. C’est pas beau la vie ? » En vrai, je me rends compte qu’Alfred faisait pareil avec moi quand j’étais plus jeune. Tout apparaissait sans que j’ai vraiment à le demander, c’était chouette ça. « Ou alors je suis un ninja. Je saurais pas dire ce qui serait le plus cool. Mais j’ai beau avoir été silencieux, vous avez pas été dupes. Jason a continué de faire semblant de ronfler mais je te parie que son sachet est déjà vide. J’espère qu’il aura pensé à prendre ses médocs cette fois. Et toi ? Tu les as pris ? » J’ai un sourire en coin quand elle me pousse un peu et je lève les yeux au ciel quand elle reprend. « Tu m’as habitué à mieux niveau imitation. Et non, j’ai pas mangé. Comme tu t’en doutes. » Pas vraiment eu le temps ou l’envie. Pas comme si je pouvais me permettre de jouer au touriste ces derniers jours et de me poser sur un transat, les doigts de pieds en éventail. Remarquez, à la réflexion, depuis que je suis entré dans le manoir Wayne, c’est jamais arrivé.

Je louche sur la part qu’elle vient de me poser entre les mains, songeant vaguement aux jours anciens où on mangeait des trucs non rassis ou à l’origine non douteuse. Le bon vieux temps. Je pense que j’ai été celui qui a le moins bien vécu la transition. Faut dire que passer de 8 ans avec les bons petits plats d’Alfred, vu qu’il continuait de me remplir le frigo de tupperwares l’air de rien quand j’étais parti, à … ça… c’est compliqué. J’ai toujours du mal en tout cas. Mais je croque dedans, plus histoire qu’elle me sermonne pas qu’autre chose, avant de souffler un rire à sa répartie. « Et puis quoi encore ? Une plage ? Un feu d’artifices en fond et des cocktails ? Remarque, ce serait le top ouais. » Mon regard s’attarde un instant à regarder les étoiles avant que je finisse par tourner la tête vers elle. « C’est malpoli de parler la bouche pleine, on te l’a déjà dit ? Et… je me reposerais quand vous serez d’attaque. Enfin, j’en ferais moins. Mais là, c’est pas possible, on le sait tous les trois. » Et je sais que ça commence à leur porter sur les nerfs. Moi je suis juste crevé, donc ça me touche un peu moins. « Elle est bonne cette tarte au moins ? » Je suis hyper subtil pour changer de sujet non ? Ouais, je m’épate moi-même. Et l’air de rien, je remets la couverture sur son épaule, l’effleurant juste un peu en passant.

Les dernières semaines ont été quelques peu… compliquées. Il n’y aurait eu que moi, ça aurait déjà été le cas, ça avait déjà été le cas suite à mon échec contre l’autre cinglé, mais là, c’est encore pire. Devoir composer avec la mauvaise humeur de Jason en plus de la mienne revenait un peu à vouloir éviter la noyade sans savoir nager. C’était pas sa faute, ni la mienne, mais être blessé, forcé à l’immobilisation, était insupportable. D’autant plus en étant donc tout le temps avec quelqu’un d’autre. Sans parler de Dick et des horaires monstrueux qu’il faisait pour nous. C’était encore pire que le reste je crois. Chaque jour, je le vois s’épuiser un peu plus, chaque soir, nuit, moment où il rentre, je le vois s’écrouler telle une méduse sur une plage en saison estivale.

Et dire que je me sens coupable serait un putain d’euphémisme. D’un autre côté, plutôt que de dormir, peut-être pour ne pas déranger Jason, il se réfugie sur le toit. On serait en été je dis pas, c’est plutôt sympa, mais là, il caille un peu non ? Je hausse les épaules à sa question. « J’ai fait un cauchemar, et j’arrive pas à me rendormir. Et non, je m’en souviens pas, juste… j’arrive pas. » Je m’installe à côté de lui, mon sourire s’agrandissant en l’entendant. « Comme par magie. Ce serait cool ça ! Quoi que le ninja, c’est pas mal non plus. Ça collerait déjà plus, c’est dans tes cordes ça ! » J’ai un rire, avant de grimacer en levant la tête vers les étoiles. « Il fait bien semblant, avec les ronflements, on s’y croirait !… On s’est tous habitués à ne dormir que d’une oreille, je suppose que ça va de pair avec l’ambiance. » Je lui jette un coup d’œil. « Je vais bien. Je préfère les garder, pour au cas où. Parce qu’il y aura malheureusement toujours une autre fois. » Même si j’espère qu’on arrivera à éviter que ce soit aussi limite. Et je ricane en secouant la tête. « Ah non, cette imitation était parfaite ! Je m’entraîne beaucoup, tu devrais être ébahi de ma prestation digne d’un grand parodiste de camping ! » Je lui donne donc une généreuse part de tarte plus très fraîche. « Tu sais ce qu’on dit ? Si le médecin tombe malade, il n’y aura plus personne pour soigner et ça ira de mal en pis. » Je suis bien consciente qu’il n’a pas vraiment le choix dernièrement, mais je sais aussi, que même avant tout ça, ce n’était pas sa priorité. Sauf qu’il doit.

Si j’ai déjà croqué dans la tarte, qui me donne plus envie que le hamburger de l’autre fois, je ne peux que sourire devant son scepticisme. C’est pourtant lui qui l’a ramené, elle ne doit pas être si mauvaise. Et elle est mangeable. Mais ça ne vaut certes pas les petits plats d’Alfred… Il devrait être habitué depuis le temps, mais visiblement, non, c’est difficile… Comme si le reste ne l’était pas. Mais il mange et je laisse filer un soupir de contentement sans y penser. Il fait froid, j’ai encore mal, on vit dans une ville de dingues, mais… C’est pas si mal. « Un feu d’artifices et un mojito ! Ce serait trop cool ! Des transats, je suis sûre qu’on peut se dégoter des transats ! » Ce serait mieux qu’être installer par terre… Même si je pourrais pas être installée contre lui comme ça du coup. Hum. « Ou des coussins au moins. » Ouais ça, c’est bien. Je lui rends son regard, croquant de plus belle dans la tarte. « T’es en train de sous-entendre que mon père m’a mal élevé ? T’es sûr de toi là ? Il est plus redoutable que Bruce, t’en as conscience aussi hein ? » Et vu qu’il a quand même raison, je finis d’avaler ce que j’ai en bouche et je le fixe un peu plus sérieusement. « Je sais. Mais ça change rien. Tu dois prendre soin de toi. M’oblige pas à te faire les gros yeux pour ça. » Et tout aussi subtilement qu’il tente de changer de sujet, j’en profite qu’il remette la couverture sur moi pour me glisser sous son bras et m’installer contre lui. L’air de rien. En ignorant la teinte qu’ont dû prendre mes joues, vu qu’il fait nuit, ça doit passer. Et je hoche la tête en me léchant les doigts. « Elle est super bonne. » Je pousse ce qu’il reste vers lui. « Mais tu dois manger. Et j’ai plus faim surtout. Je vais retourner bosser. Tu te reposeras donc, pas vrai ? »

Je mentirais si je disais pas que c’est compliqué en ce moment. Ca l’est depuis près de deux ans mais là, j’ai plus l’impression d’être un type au bord de la noyade qui attend qu’on lui lance une bouée pour l’aider à tenir bon. Sauf que les deux seuls qui pourraient le faire sont en train de se remettre tant bien que mal de leurs blessures. Je vais pas leur jeter la pierre, loin de là. Déjà, ils ont pas été grièvement blessés et c’est pas comme s’ils s’amusaient à jouer au touriste pendant que je bosse. La situation leur pèse, même si elle est temporaire. Enfin, heureusement, on va pouvoir avancer, ensemble. Y a encore beaucoup de trucs à faire, à réfléchir, à mettre en place. Et j’ai comme l’impression que le farniente, c’est pas pour demain. Mais c’est cool. Vraiment. J’aimerais juste pouvoir dormir un peu plus. Ou au moins, souffler sans avoir à me soucier de quoi que ce soit pendant quelques heures. En vrai, je suis pas sûr que ce soit possible.

… encore que… là, de suite, sur le toit. J’ai pas à penser à demain ni même à ce qui va se passer dans deux minutes. J’ai pas à me demander comme on va gérer, vu qu’on fera ça ensemble plus tard. Et quand Babs arrive, je suis heureux de la voir, même si j’aurais préféré pour elle qu’elle finisse sa nuit. J’ai une moue à sa réponse et je la fixe un instant. « Un cauchemar ? Ca t’arrive souvent ? » Je suppose que oui, comme moi. Jason doit en faire aussi, même s’il est pas trop du genre à en parler. « La magie c’est compliqué et risqué. Mais ninja ouais, ça je saurais faire. Tu vois un papillon devant toi et hop, j’ai disparu ! Ou un truc du genre quoi. »Je hoche doucement la tête au reste. « En effet. Et puis, on a jamais été de gros dormeurs non plus. » Même si ouais, là j’avoue que si on me propose de m’allonger dans un transat et de dormir les 24 prochaines heures, je signe. Même par terre. Même dans un hôtel miteux du centre-ville bondé de types louches. J’ai un temps avant de piger qu’elle veut pas prendre ses médocs, avant de soupirer. « T’es assez grande pour gérer ta douleur. Mais fais pas comme moi quand j’ai cru pouvoir jouer à l’acrobate avec des côtes cassées. » Un vrai feu d’artifices de douleur quand j’ai compris de la pire des façons que c’était pas une bonne idée et que je gérais rien du tout. Toujours est-il que je lève les yeux au ciel quand elle reprend. « Un camping ? Je vois que tu tapes dans le haut du panier dis donc. Va vraiment falloir vous trouver des activités hein… » Et j’attrape la part de tarte, grimaçant un rien, que ce soit à la regarder ou à écouter Babs. « Mais ça va, d’accord ? Je suis pas malade. Juste… crevé. » Je crois que c’est la première fois de ma vie que je dis ça. Ou que je le ressens autant. Comme quoi, tout peut arriver.

J’ai un rire alors que je fixe l’horizon et qu’elle en rajoute une couche. « … les étoiles, c’est sympa aussi. Y a moins de pollution qu’avant, on les voit beaucoup mieux je trouve. Mais des coussins, ça doit pouvoir se trouver oui, si madame baisse ses prétentions et arrête d’avoir des goûts de luxe. » Tu parles, c’est surtout moi ça. « J’oserais jamais critiquer la façon d’éduquer du commissaire Gordon, je tiens à la vie. Mais quand même, t’en as foutu partout. » Je soupire quand elle insiste et je souffle, en secouant la tête. « Tu lâches jamais rien hein... » La reloue quoi. Je croque dans un morceau, plus pour qu’elle arrête de réclamer que je mange qu’autre chose, avant de me figer quand elle s’installe contre moi. Ce serait le moment de reparler de cette histoire de petits amis ou pas ? Je me rends pas vraiment compte en fait. J’ai pas spécialement envie de casser l’ambiance, parce qu’on est bien là, tous les deux.

Tellement que je souffle un « attends, c’est pas pratique pour manger en fait. » Et, sans vraiment lui laisse le temps de répondre, je bouge un peu et je m’installe en tailleur dans son dos, la ramenant contre moi en l’attrapant par la taille et l’entourant de la couverture. « Là, on aura pas froid non plus comme ça. » Et je garde le silence de longues secondes, mon menton posé sur son épaule alors que je regarde la ville devant nous. « Tu crois qu’on va y arriver ? A la sauver ? » Tout en parlant, j’attrape le morceau de tarte que j’ai entamé et, sans bouger plus que ça, je commence à manger. Si ça la dérange, je suis à peu près sûr que j’aurais droit à une remarque. Mais là, j’avoue que je suis plutôt bien en vrai.

Malgré tout ce qui se passe, malgré tout ce qu’on a encaissé, je me dis que je fais quand même partie des chanceux. Je sais, à voir ma gueule, c’est pas hyper crédible. Mais je vais bien, j’ai un boulot, j’ai de quoi vivre et oui, vu la situation actuelle, c’est plus que la plupart des gens. Je suis en vie, et puis, surtout, j’ai toujours mon père, et je les ai eux. Le reste est secondaire non ?  D’autant que les coups et les blessures, c’est Batgirl. Je veux dire, c’est parce que j’ai choisi de l’être, parce que j’ai décidé de continuer et de me battre. Alors… ça va.

Et parfois, j’arrive presque à oublier tout ce qui ne va pas. Ou tout du moins à passer outre et à me convaincre qu’on gère et qu’on s’en sortira. Avec eux, c’est plus facile. Avec Dick, j’arrive à me sentir bien. Je lui rends son regard et hausse les épaules. « Tout le monde en fait. C’est plutôt bon signe dans un sens. Nos peurs, nos désirs… Les cauchemars sont un genre de parafoudre. C’est plus facile de les affronter en rêve, on imagine le pire pour pouvoir y faire face dans la réalité, pour pouvoir la neutraliser. Enfin quand on se réveille, c’est que c’est trop violent et qu’on arrive pas à les assimiler, mais… » Je me tais et grimace un sourire d’excuse. « Désolée, j’ai dû lire un bouquin de Freud à un moment ou à un autre. » Je plisse le nez avant de sourire . « Un truc du genre. Mais j’aime bien la magie moi, je trouve ça super classe. » J’acquiesce au reste, même s’il y a une différence entre ne pas être un gros dormeur et ne plus dormir que d’une oreille, à se réveiller à chaque courant d’air. J’esquisse un sourire. « Je t’ai suffisamment engueulé pour ne pas faire comme toi. Là, ça va, ça tire un peu mais c’est normal. Si j’ai mal, je les prendrais, promis. Et puis, je ne fais des acrobaties pour amuser la galerie moi. » Je lui souris et souffle un rire. « J’ai toujours eu des objectifs démesurés je sais. Je travaille dur pour ça ! » On va surtout ressortir et reprendre une vie un peu normale pour pas devenir cinglés oui. Je le dévisage fronçant un peu les sourcils à le voir grimacer. « Pour que tu l’admettes, ça doit avoir dépassé ce stade depuis longtemps… » Je me mords la lèvre et me penche pour l’embrasser rapidement sur la joue. « On va mieux. On va prendre le relai et toi, tu vas lever le pied et te reposer, d’accord ? »

La bouche pleine de tarte aux pommes, je souris et hoche la tête, le nez levé vers le ciel. « Oui. Même si ça vaut pas les nuits en pleine campagne. Ce sera donc la mission de Jason, de trouver des coussins dont des XXL super confortables ! » Je secoue la tête, ne lui jetant un regard amusé que pour le principe à la mention des goûts de luxe. « J’en ai pas foutu partout ! » Je ramasse le morceau qui est tombé sur mon sweat, le faisant disparaître avec toutes les autres preuves. Et encore heureux qu’il critique pas l’éducation de papa, manquerait plus que ça… même si c’est sans doute à lui que je dois d’être aussi têtue. Je le fixe, les yeux plissés, en attendant qu’il mange, laissant filer un léger grognement d’approbation en le voyant faire.

Et vu qu’il est distrait par mon air sévère, j’arrive à me faufiler contre lui l’air de rien. Enfin, presque. Je le sens qui se fige et je retiens une grimace, continuant quand même de papoter un peu. Sauf que j’ai visiblement été trop loin et que j’ai tout gâché. Fait chier. Je me fige à mon tour, essayant de ravaler la moue de déception que je dois avoir sur le visage quand il parle s’éloigne.
Et sans trop comprendre, je me retrouve de nouveau contre lui. Vraiment contre lui, dans ses bras. Oh, ça, pour pas avoir froid, ça risque pas. Je sens sa chaleur irradier contre mon dos et m’envelopper bien plus que celle de la couverture. Il me faut quelques secondes de plus pour réussir à me détendre, vu que son visage est bien trop près du mien et qu’il a l’air bien trop à l’aise. Genre, il a fait ça comme ça sans que ça le perturbe ? Et moi, ça me perturbe ? Dans un sens oui. Je suis beaucoup trop bien comme ça. Je ferme les yeux un instant, posant ma tête contre lui, ma main serrant son bras qui m’entoure toujours. Oui, je suis carrément bien.

Je finis par regarder la ville et j’esquisse un sourire. « On a pas le choix. Et puis, quoi qu’il se passe, on se battra pour ça, non ? » J’inspire et ma main effleure le bord de ses lèvres. « T’avais un peu de… » Mon pouce frôle sa bouche. « Tu comptes m’embrasser ou t’avais vraiment que l’intention de manger en me mettant des miettes partout ? » J’ai un mince sourire et je me penche vers lui pour remplacer mon pouce de mes lèvres. Mon cœur bat trop vite, je n’aurais peut-être pas dû, c’est peut-être pas du tout ce qu’il voulait, peut-être que… Je grimace un sourire et je souffle en m’éloignant un peu, juste un peu, de lui. « J’aurais dû te demander avant, pas vrai ? »

Une pause comme ça, presque hors du temps, ça fait du bien. Oh, ça fait pas disparaitre tous les problèmes qui nous attendront quand on redescendra du toit, mais ouais, c’est toujours salutaire. Ça permet de relativiser, de se rappeler ce qui est important. Et pour être parfaitement honnête, les deux personnes les plus importantes pour moi aujourd’hui sont là, à quelques mètres de moi à peine. C’est grâce à Babs et Jason que je tiens encore debout. Pour eux. Je sais pas si ce qu’on va essayer de mettre en place va fonctionner ou pas, si on va pas se planter méchamment mais, au final, ce qui compte vraiment, c’est qu’on essaie non ?

Et je suis content de partager ce moment avec la rouquine. J’ai un rire quand elle commence à me parler des cauchemars et je lève les yeux au ciel, non sans me faire taquin. « J’aurais trouvé ça étrange que tu saches rien là-dessus de toute façon. » Un vrai petit génie. Jay et moi, on est loin d’être bêtes, mais elle c’est un niveau au-dessus. « T’as encore le temps de lire des bouquins ? » J’aimerais bien, mais ça doit faire des semaines, si c’est pas des mois, que les rares livres que j’ai encore prennent la poussière. Ça me manque ça aussi. Je réprime un soupir avant de hocher la tête. « J’aime bien aussi. Même si des fois, ça m’énerve de pas comprendre le truc quand on voit des magiciens. » Ça me rend toujours un peu dingue de pas avoir les réponses de toute façon, pas uniquement quand je vois un tour de cartes particulièrement bien ficelé. Si je suis pas convaincu quand elle continue, surtout qu’on est des adeptes du fais ce que je dis, pas ce que fais, je peux pas faire autrement que lui faire confiance sur ce coup-là. « Tu sais que je vais t’observer pour être sûr que ça va hein… » Et j’ai un sourire en coin à son rire. « La prochaine fois, tu vises quoi ? La tente toutes options ? »

Si je pousse un soupir à sa réaction, je me fige une demi-seconde à son bisou sur la joue, chassant la possibilité que ça ait la moindre signification, avant de soupirer doucement. « On va dire que oui, que je suis vraiment fatigué. Mais c’est pas juste… ces derniers jours. » Je lui tapote le genou avec un sourire que j’essaie de rendre convaincant. « Ca va aller mieux oui. Vous avez passé le plus dur, on a des projets plus ou moins réalistes et… ouais, ça va aller. » Si je le répète encore, je vais réussir à m’en convaincre non ? Même si lever le pied, c’est pas vraiment une option envisageable, on le sait tous les deux.

Je prends une longue inspiration, regardant les étoiles pendant quelques instants. « Tu crois que Jay va jouer au larbin ? » J’ai un rire en secouant la tête. « Si tu veux des coussins XXL va falloir les chercher toi-même ma grande. » Et je la regarde, amusé, quand elle fait mine de rien avec les morceaux de tarte. « Non, évidemment, tu manges comme une princesse. » Un truc du genre. J’ai pas le temps de continuer et de me moquer de son air sévère qu’elle vient se blottir contre moi. Et c’est cool. Je crois. Enfin non, c’est vraiment cool. Je suis pas vraiment sûr que ce que je fais après soit vraiment très malin mais, pour une fois, j’arrête de trop réfléchir. Et à sentir sa tête posée contre moi, je me dis que c’est pas la pire idée du monde.

Je sais pas trop combien de temps on reste comme ça, alors que je finis ma tarte en regardant cette ville pour qui on serait prêt à tout. Et je souffle, à mi-voix. « Quoi qu’il se passe oui. C’est ce qu’on fait depuis des années, on va pas s’arrêter maintenant. » Même si j’aimerais bien qu’on s’en sorte un peu mieux, même sans lui. Sauf que cette pensée est un peu parasitée par la suite, que je vois carrément pas venir. Pourtant, elle est sympa, elle me prévient. Je cille quand son pouce effleure ma bouche, la regardant sans trop comprendre. Et je suis sur le point de répondre une connerie, comme toujours, sauf que je sens ses lèvres sur les miennes. Okay. Je crois que là, il se passe un truc important. Je la serre un peu plus contre moi quand elle fait mine de s’éloigner et je souffle, dans un murmure. « Ça aurait gâché l’effet de surprise de demander non ? » J’embrasse son nez avec un sourire avant de reprendre, toujours sur le même ton. « Je voulais t’embrasser, je savais juste pas si c’était une bonne idée. Mais te mettre des miettes partout, c’était pas mal aussi. » Et cette fois, c’est moi qui vais chercher ses lèvres des miennes, m’attardant longuement, alors que je la garde tout contre moi. Je suis toujours pas sûr que ce soit une bonne idée, encore moins maintenant. Mais si demain il doit nous arriver un truc, autant ne pas avoir de regrets non ?

On pourrait penser que c’est une solution de facilité. De se cacher ici, de fuir un peu cette réalité trop lourde, plutôt que de l’affronter tout le temps. Et c’est sans doute vrai. Mais sans ces petits moments, je ne suis pas sûre qu’on puisse tenir. Il faut bien qu’on puisse souffler de temps à autre. D’autant que c’est pas vraiment le cas non plus, les fantômes continuent de tourner autour de nous, même si on parvient à le repousser en général.

Et que oui, ça fait plus de bien que je ne l’admettrais de passer un moment seule avec lui. Je grimace quand il rit, avant de hausser les épaules avec une moue contrite. « Non. C’était il y a quelque temps… quelques années. » Je pourrais donner la date exacte, le nom et l’auteur du bouquin, mais on va éviter de faire encore plus bizarre. « Et les bouquins, c’est essentiel ! Faudrait que j’essaie  d’aller à la bibliothèque, voir ce qui est encore là, mais à chaque fois, j’ai peur de ce que je vais trouver. Ou ne pas trouver justement. » Je hausse de nouveau les épaules, tachant de faire taire ce pincement douloureux. Je me dirais qu’on a perdu pire que des bouquins dans tout ce drame, mais une part de moi me souffle qu’il n’y a rien de pire dans un sens et je ne peux pas totalement la contredire. Je souffle un rire alors qu’on parle de magie. « C’est pour ça que c’est de la magie. Parfois, il n’y a pas d’explications, juste… de la magie. » En vérité, je n’aime pas particulièrement non plus, ne ps comprendre, mais il y a tellement de choses inexplicables qu’il faut bien en tirer son parti non ? Je lui tire la langue  avant d’arborer un air plus que suffisant. « Observe donc, tu verras bien. Je suis moins inconsciente que certains, je ferais attention. » Encore plus vu qu’il fera vraiment attention du coup. Mon sourire revient rapidement, mais je me contente de lever les yeux au ciel.  

Et je tente de ne pas prendre mal sa soudaine immobilité quand je l’embrasse sur la joue, chassant cela plus loin. Pas trop difficile en l’entendant. « Hum. Et c’est pas juste de la fatigue physique. Tu sais que t’es pas tout seul, que tu l’as jamais été. Que le poids du monde ne repose pas sur tes frêles épaules, etc, etc. Je t’ai pas déjà tenue ce discours ? » J’attrape sa main et la serre un peu. « Ça ira mieux. J’ai des idées, Jason aussi, même si je risque de vouloir mettre mon veto sur quelques-unes, et on veut tous que ça marche. Je sais qu’on peut y arriver. Qu’on est assez fort pour ça. Et tu sais aussi bien que moi que je n’ai jamais tort. » Je lui souris doucement tout en relâchant sa main et en lui tapotant le genou à mon tour.

Je plisse le nez. « Il m’a dit un coup qu’il pouvait rien me refuser. Mais je pense que c’était juste une façon de parler, tout en m’amadouant pour que je le nourrisse… » Je lui jette un coup d’œil. « Toi, tu m’aideras. C’est pour toi aussi après tout… Mais sinon je me débrouillerai. » Pas comme s’il n’en avait pas assez fait dernièrement.  Je souris, amusée. « Exactement ! » Comme une princesse. Et c’est pas grand-chose, mais la princesse que je suis trouve un peu de courage pour se blottir contre lui, l’air de rien. Ou presque. Mais il se sauve pas, au contraire, et je me sens étrangement bien au creux de ses bras.

Tellement bien en vérité que je ne fais pas attention au temps qui passe et que je me contente de profiter de son contact, laissant son odeur et sa chaleur m’envelopper dans un cocon. « Surtout pas alors qu’on se décide à mettre un truc en place. » Pas après tout ce temps. Jamais même. Quand bien même dans l’immédiat, la ville et son sauvetage passent un peu au second plan. Parce qu’en vrai, j’ai un peu plus de courage que pour juste me glisser contre lui. Je me dis bien que je devrais peut-être pas, que ça risque de tout gâcher, que je risque de perdre ce que j’ai avec lui. Mais… durant un instant, et vu qu’il m’a prise dans ses bras, je me suis dis que… Je déglutis quand il me serre contre lui et je hausse les épaules, un très léger sourire aux lèvres. « Sans doute… Mais le consentement marche dans les deux sens… » Non pas qu’il n’ait pas l’air d’avoir envie, ou qu’il ne veuille pas au final. Mon sourire se fait un peu plus sûr alors qu’il poursuit, et j’ai un rire silencieux en l’entendant. Rire qui meurt quand il m’embrasse. J’agrippe son pull avant de seulement oser monter une main effleurer sa mâchoire. Je sais pas trop combien de temps ce baiser dure, le temps semblant suspendu. Et à dire vrai, je ne pensais pas que ça pouvait être aussi doux.

Je reste contre lui, jouant avec ses lèvres, et j’inspire sans bouger, un sourire idiot aux lèvres. « Vu que c’est mon idée, c’est une excellente idée… » J’ouvre les yeux pour le dévisager, et j’ai un sourire, ou une moue, hésitant. « Ce serait une mauvaise idée juste parce qu’il paraît que ce serait idiot de s’attacher à toi ou… parce que c’est idiot de s’attacher à moi ?… Ou que t’es pas sûr de ce que tu veux ? » Enfin, après, c’est juste un – des – baiser. Peut-être qu’il ne veut rien de sérieux et qu’il veut pas non plus entacher notre relation, ou un truc du genre. Mais du coup, il m’aurait pas embrassé en retour. Sans trop lui laisser le temps de répondre, et sans trop me laisser le temps de réfléchir beaucoup trop, mes lèvres rejoignent les siennes. Ma main monte dans ses cheveux alors que je l’attire à moi de l’autre. Je me sens bien avec lui, plus que bien, et ce n’est pas récent, il n’y a pas de raison que ça change. Alors peu importe. Peu importe le reste, ce qui nous entoure ou ce qui pourrait arriver. Ça vaut le coup d’essayer non ?

Si je me sens épuisé ces derniers temps, ce petit break me fait encore plus de bien que je l’aurais cru. Et si j’ai pas la moindre idée de quoi demain sera fait, je me dis que, pour une fois, le présent est pas si mal là, de suite. Elle me fait rire à parler psychologie alors qu’on est perchés sur un toit au beau milieu de la nuit mais, d’une certaine façon, ce décalage lui ressemble bien et fait son charme. Parce que ouais, du charme, elle en a un paquet. Je me demande d’ailleurs pourquoi elle est toujours célibataire, même si les rencontres, au vu du contexte actuel, c’est plus la galère qu’autre chose. Et puis, ça m’arrange quelque part. « Je me disais bien que je t’avais pas vue lire ces derniers jours. »

Si j’ai un sourire, je grimace quand elle reprend. « … faudra aller y faire un tour. C’est mieux de savoir que de rester dans l’ignorance parfois. Tu crois pas ? Ils auront pas tout cramé si c’est ton inquiétude, on l’aurait su. » Par contre, la bibliothèque doit être dans un sale état, on va pas se mentir. Mais si ça peut lui servir, on sait jamais. Je lève un sourcil à son rire quand on parle magie. « Mouais, j’aime pas ne pas avoir d’explications, je confirme. Et puis ça me rappelle que moi j’ai pas de pouvoirs. C’est nul ça. » En réalité, je m’en suis toujours moqué et j’ai toujours fait sans. Au reste, je me contente de lever les yeux au ciel. « Je me sens pas concerné par cette accusation pas du tout subtile. » Bon, c’est vrai que j’ai abusé surtout avec mes côtes, mais ça va mieux maintenant. Et je fais gaffe pour eux aussi.

Je plisse des yeux dans sa direction. « Mes frêles épaules ? Vraiment ? Et… je sais. Mais quand t’as passé toute ta vie ou pas loin dans l’ombre de Batman, tu te dis que… j’sais pas… que j’aurais dû prendre le relai. Mieux que ça en tout cas. J’suis pas lui, j’en suis bien conscient, mais… » Je soupire longuement, sans trop savoir comment trouver les bons mots. « Ouais, je suis crevé. » Et mes doigts s’entremêlent aux siens alors que je hoche la tête quand elle continue. « Vous êtes là. Je sais. Vous avez des bonnes idées tous les deux. On se complètera bien. Et on pourra avancer. Même si je suis obligé de dire que tu as tort des fois Barbara Gordon. » J’ai un rire quand elle reprend. « Je vote pour le fait qu’il cherchait à avoir de la bouffe. Mais tu peux toujours essayer. Et ptet que je t’aiderais, si tu demandes gentiment. » J’ai un sourire avant de secouer la tête. Une princesse. Tu parles. Comme si elle avait le type princesse en détresse qui a besoin d’être sauvée. Un guerrière à la limite. Qui se blottit contre moi donc. Okay. Je gère. Je crois.

Et puis, elle reste dans mes bras, c’est plutôt bon signe ça non ? « J’ai pas envie qu’elle s’effondre pour de bon. C’est chez nous. » J’ai un rire contre ses lèvres alors qu’après m’avoir embrassé, elle me demande si elle aurait dû attendre mon consentement. Ou un truc du genre « Babs… tu crois que je t’ai prise dans mes bras comme ça par pure amitié ? J’étais plus que consentant… » Preuve en est alors que je l’embrasse une nouvelle fois, pas aussi timidement qu’elle a pu le faire elle. Et j’oublie tout le reste quand elle me rend mon baiser, alors que je la serre un peu plus fortement contre moi.  « Si ça avait été mon idée, elle aurait été aussi bonne ? » A ses questions, j’ai un bref soupir, frottant mon nez contre le sien. « … parce que c’est idiot de s’attacher à moi. Et je sais ce que je veux. C’est pas pour autant que c’est une bonne chose. » Rapport à l’objectivité sur le terrain, sur le fait de faire la part des choses, ce genre de trucs. Mais là, j’avoue que j’ai pas spécialement envie d’y penser. On verra plus tard. Si ça se trouve, demain matin, elle regrettera. Et ma main se pose sur son ventre quand elle m’embrasse de nouveau. Je me perds dans ce baiser, lui rendant sans réfléchir, me faisant quand même moins sage à mesure que passent les secondes, puis les minutes. On serait pas dehors, dans le froid, je sais que je serais déjà en train de déraper me connaissant. Et je finis par souffler dans un murmure, tout contre ses lèvres. « Alors… cette histoire de petits amis, t’en dis quoi ? » Ouais, ouais, je sais, j’avais dit que je verrais demain. Trop tard.

J’ai un mince sourire, teinté de tristesse, alors que j’acquiesce. Oui, ces derniers jours… Depuis quand j’ai pas pu me poser assez longtemps pour lire ? Depuis quand j’ai pas réussi à avoir une activité un peu normale ? Je grimace à cette pensée, tout en me disant que je devrais prendre le temps, quelles que soient les merdes autour. Encore faut-il que je trouve de nouveaux livres. Je laisse filer un marmonnement, avant de soupirer. « Oui, il faudrait. Ça permettrait de voir si on peut en faire une planque, même secondaire, je reste sur la tour de l’horloge moi… Mais j’aimerais bien y faire un tour oui. Tu viendrais avec moi ? » Mon rire reprend en entendant son ton faussement boudeur. « Comme si tu avais besoin de pouvoirs. Heureusement que tu n’en as pas, t’es déjà suffisamment arrogant. » Je souris de plus belle. « Et suffisamment doué sans ça. » Je lui fais un clin d’œil et secoue la tête. « Tant de mauvaise foi. Ce n’est pas de ma faute si tu te sens visé… »

Je hausse les sourcils en une expression d’innocence feinte. « Elles ne le sont pas ? Je demande à voir. » Quoi ? Non, okay, c’est plus avec Jason que je déconne en général, mais c’est sorti tout seul. Je chasse ça d’un signe de main et me refait plus sérieuse. « Mais tu es son disciple et son héritier. Je comprends, je suis la fille de James Gordon, j’ai grandi dans son ombre, j’aurais dû faire mieux aussi. Mais je sais qu’on a fait du mieux que l’on pouvait, dans les pires circonstances possibles, avec le peu de moyens dont on disposait. » Je le dévisage. « Comme tu le dis si bien, tu n’es pas lui. Et c’est tant mieux. N’essaie pas de lui ressembler, ou de faire comme lui. Richard Grayson et Nightwing sont parfaits tels qu’ils sont. Okay ? » Mon regard se porte sur nos mains et j’ai un léger sourire. « On avancere. Et je n’ai jamais tort, tu ne sais juste pas écouter convenablement. » Mon sourire s’agrandit et je hoche la tête. « Il a eu une boite de raviolis, ça a plutôt bien marché. Je ne suis que faiblesse que veux-tu. Tu m’accompagneras, c’est pour tes fesses aussi. » Fort jolies au demeurant, mais ce n’est pas la question. Pas trop. Pas directement.

Et si je n’ai pas plus envie que lui de voir Gotham s’effondrer, ce n’est plus vraiment ma préoccupation première dans l’immédiat. Je hausse une épaule. « La chaleur, tout ça, tu pouvais juste être gentil. » Il l’est toujours, gentil. Bon, d’accord, là, c’est plus que de l’amitié ça. Et moins sage aussi. Même si le fait est que, blottie dans ses bras, je n’ai plus du tout froid et que la couverture n’y est pour rien. Je souris contre ses lèvres. « Tu as parfois des bonnes idées, mais les miennes sont meilleures. Donc… Non. » Évidemment que si. « S’attacher à toi, oui, mais pas à moi, c’est ça ? Et si c’est ce que tu veux, je vois pas en quoi ça pourrait ne pas être… bien. » Bon, si j’ai quelques idées qui me trottent dans la tête, mais elles sont toutes stupides. Ou ne méritent pas d’être approfondies pour le moment. Pas comme si j’avais envie d’y réfléchir de toute manière. Ma main se crispe sur lui alors que l’autre se perd dans ses cheveux, et je me tends contre lui, oubliant le temps qui passe et le reste du monde qui tourne autour de nous. Le souffle court et le cœur tambourinant à tout rompre, je reste contre lui sans même ouvrir les yeux. J’ai un sourire contre ses lèvres et je joue avec avant de répondre. « Je pensais que le fait de t’embrasser était assez explicite. » J’ouvre les yeux, effleurant son visage du bout des doigts, suivant leur parcours du regard. « Tu veux de moi en petite amie ? » Je souris et me blottis dans son cou, inspirant contre lui, mon nez frôlant sa peau. C’est possible de se sentir aussi bien aussi vite ?

On a tous des trucs qui nous manquent depuis leur disparition à tous. A des degrés divers. Je saurais pas dire exactement ce qui est le pire pour moi mais, concernant Babs, entre les bouquins et l’absence d’internet, je crois qu’elle tient un sacré combo là. « Bien sûr que je viens. On pourra aller y faire un tour dès que tu seras d’attaque. Tu seras fixée pour les livres et on avisera si on peut avoir une planque de repli. » J’ai un sourire quand elle évoque de nouveau la tour de l’horloge. On a de grands projets, en espérant que ça se passe comme on le veut ou, en tout cas, qu’on soit pas trop contrariés pour arriver à enfin avancer pour de vrai.

En attendant, je plisse les yeux quand elle reprend. « Arrogant ? Moi ? Je suis juste réaliste quant à mes capacités, nuance. Tu vois, même toi tu le reconnais. » J’ai un sourire en coin avant de l’imiter et de secouer la tête à mon tour. « Tu parles. Tu es pire que moi quand tu t’y mets. » Et je lève un sourcil quand elle renchérit sur mes épaules, un peu surpris qu’elle sorte un truc pareil. Elle déconne jamais comme ça avec moi alors, forcément, je me retrouve un peu à court de mots et je la fixe comme un poisson mort. Avant de secouer la tête et de me focaliser sur le reste. Elle comprend ce que je veux dire quand on parle de l’héritage laissé par Batman ou, plutôt, le trou béant qu’il a laissé et que rien n’arrive à reboucher. « L’inspecteur Gordon est toujours là, même s’il doit se cacher. Il a fait de son mieux aussi. Je me suis demandé… si je devais pas prendre sa place tu sais… enfin pas vraiment la prendre mais me faire passer pour lui… pour pas qu’ils sachent qu’il était plus vraiment là. » Je fronce les sourcils, encore moins convaincu qu’avant par cette idée. « Je suis loin d’être parfait Bas, on le sait tous les deux. Mais… j’essaie. De mon mieux. » Même si ça suffit pas toujours. Je souffle un rire silencieux avant de secouer la tête. « Tu lâches jamais rien… » Avant de lever les yeux au ciel, mes doigts toujours entremêlés aux siens. « Il est tellement corruptible. Remarque, même moi tu m’aurais eu avec une boite de raviolis. »

Mais si l’avenir de Gotham m’inquiète, là, de suite, je suis totalement happé par le présent. Par notre présent même. Je me sens bien, même si je sais que j’aurais probablement mauvaise conscience quand je réaliserais à quel point je suis pas le mec qu’il lui faut. Mais en attendant, je profite de sa présence, de son rire et je souffle, taquin. « Je suis le mec le plus gentil du coin Babs, mais pas au point de prendre la plus jolie fille de Gotham dans mes bras juste avec des chastes pensées. C’est pas trop le genre de la maison. » Je l’embrasse de nouveau, non sans songer à quel point c’est naturel. Simple. Alors que d’habitude, rien ne l’est jamais. « Meilleures, meilleures… je demande à voir. Et… oui, c’est l’idée. Je suis bien moins fréquentable que toi. » J’ai une hésitation, effleurant doucement ses lèvres du bout du pouce avant de souffler, à mi-voix. « C’est parce que j’en ai envie que c’est une bonne chose pour toi. » J’ai pas envie de lui faire du mal ou qu’elle se retrouve coincée…ou je sais pas quoi dans le même genre. Y a tellement d’interrogations qui se bousculent avant de s’envoler quand on s’embrasse de plus belle. Ouais, on verra plus tard les prises de tête hein. J’ai un rire quand elle finit par me répondre, avant de murmurer, mon regard ancré dans le sien. « T’aurais pu juste… avoir envie de te faire embrasser par le pupille arrogant de Bruce Wayne. Juste pour voir comment ça fait. » Même si je sais bien que c’est pas son genre. « Ouais, j’aimerais bien. » Même si c’est pas du tout raisonnable. Et je resserre mon étreinte, inspirant longuement contre sa peau. « Je te préviens, si ça devient officiel, c’est pas moi qui avertit ton père. » Je tiens à la vie. Un peu.

Je hoche la tête avec un sourire, reconnaissante de la spontanéité de sa réponse. Il n’aurait jamais dit non, mais c’est agréable de l’entendre dire, on sait tous les deux qu’y aller pour évaluer la planque de repli n’est que secondaire dans l’immédiat. Même si avoir des buts, des projets me fait un bien considérable. Savoir qu’on va avancer et construire quelque chose tous les trois est plus essentiel que tout le reste en réalité.
Mon sourire s’agrandit. « Ce n’était que pour ne pas froisser ton fragile égo de mâle. » Tu parles. Je lui fais un clin d’œil, avant de lever les yeux au ciel. N’importe quoi, comme s’il m’arrivait de faire preuve de mauvaise foi, moi ! Qu’est-ce qu’il faut pas entendre. Bon, ça m’arrive aussi de dire des trucs qu’il fallait pas, genre là, comme quoi tout le monde a le droit à l’erreur. J’aurais pas dû sortir un truc comme ça, c’est noté. Je me racle la gorge en voyant sa tête, enchaînant sur le reste sans attendre. « Il est toujours là, mais son héritage n’en est pas moins lourd. » Je fronce les sourcils quand il continue. « Heureusement que tu ne l’as pas fait. Et il ne l’aurait pas voulu non plus. Tu suis ta propre voie, tes propres principes et tes idéaux. Même s’ils rejoignent les siens je sais. Tu n’as pas à être quelqu’un d’autre pour prouver ta valeur ou pour être important et essentiel Dick. » Et ça n’aurait pas empêché ce qui était arrivé. Les moyens et les gadgets de Batman avaient disparu avec lui, et si ça ne fait pas tout, on est plutôt bien placés pour savoir que c’était une partie non négligeable du boulot. «Je n’ai pas dit que tu es parfait, je dis que les deux pendants de ta vie le sont. Nuance légère mais importante. Faire de ton mieux est plus que suffisant. » Je sais qu’il n’est pas parfait. Mais il l’est dans un sens. Ouais, je sais. Crédibilité zéro. Je laisse filer un rire et je tapote sa main. « Je t’en retrouverais. »

Et c’est mes doigts emmêlés aux siens, que je me retrouve dans ses bras, dans tous les sens du terme. Je le fixe et ricane en secouant la tête. « Je te demanderais juste d’éviter ce genre de trucs. La drague à deux balles avec laquelle tu séduis toutes les filles qui passent devant toi. » Non parce que faut pas se leurrer, je sais pas combien, mais y en a eu un paquet. Je me demande quand même si ça marche vraiment ce genre de trucs… ou si c’est juste son sourire et le reste qui font office d’appât. Je me le demande durant une seconde, avant que ses lèvres n’effleurent à nouveau les miennes. Je fronce les sourcils avec une moue dubitative. « Et en quoi es-tu moins fréquentable que moi ? T’as été dans les meilleures écoles, tu as appris des meilleurs. Tu continues de te battre pour ce qui est juste, tu continues d’être la personne la plus droite, la plus loyale et la plus honnête que je connaisse. Alors vas-y, j’écoute. » J’embrasse son pouce avant d’attraper sa main. « Mais je ne le fais pas pour toi, enfin, pas parce que toi tu en as envie. C’est peut-être une bonne chose pour moi parce que moi, j’en ai envie…. Non ? » Depuis des années. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de me faire une raison. Je suis têtue, mais sur ce sujet-là, ça aurait été plus facile de ne plus le vouloir lui. Plus facile, moins douloureux. Surtout qu’au final, j’ai toujours des peurs et des interrogations qui tournent en boucle dans mon esprit, même si je parviens fort bien à les ignorer pour l’instant. « Juste pour voir… Les mecs arrogants c’est pas trop mon genre normalement tu sais. » Et je souris contre sa peau, une main perdue dans ses cheveux, l’autre effleurant son cou. « T’aimerais bien… Moi aussi… C’est plutôt un bon début ! » Je me fige et je me recule un peu, ne sachant si je dois rire ou m’offusquer. « Attends… Tu as peur de mon père ? Genre vraiment ? » Je le dévisage et souffle un rire, avant de poser mes lèvres contre les siennes, l’embrassant en riant toujours. « Même si c’est moi qui lui dis… » Je pose mes mains de chaque côté de son visage et prends un air sérieux. « C’est toi qu’il tuera. » Je hausse vaguement une épaule et frotte mon nez contre le sien, avant de me blottir de nouveau contre lui en frissonnant.

Bon, visiblement, on a déjà une idée de notre prochaine petite virée. Dans tous les cas, faudra bien qu’on voit quelle option est la plus viable avant de s’installer plus ou moins quelque part. Même si on sait tous les trois qu’on pourra jamais vraiment souffler, qu’il faudra qu’on reste constamment sur nos gardes. Comme c’est le cas depuis près de deux ans. C’est usant, on va pas se leurrer. Mais j’échangerais ma place pour rien au monde. Surtout maintenant qu’on va agir, qu’on va se battre et non plus juste survivre en espérant qu’ils reviennent. On a pas besoin d’eux, il faut qu’on arrête d’être dépendants. Surtout moi. Je réprime un soupir avant de lever les yeux au ciel quand elle se moque gentiment de moi. « Comme si c’était quelque chose qui te freinait en temps normal. Ca t’amuse de titiller notre fragile égo de mâle. J’me trompe ? »

Et j’ai un sourire un peu incertain à la voir faire un clin d’œil. Elle est sacrément jolie au clair de lune quand même. Je sais pas trop pourquoi je pense ça, mais j’ai vite l’esprit pris par le reste. « J’ai toujours eu peur de pas être à la hauteur tu sais. Qu’il soit jamais satisfait. Quoi que je fasse. » Je fronce les sourcils, alors que je repense au moment où j’ai claqué la porte et rendu mon costume de Robin. On n’en a jamais parlé Bruce et moi, même si ça flotté entre nous jusqu’à sa disparition. Je soupire doucement avant d’esquisser un sourire. « Mince, moi qui espérais que tu dirais que je suis la perfection incarnée.  Je suis déçu. » Mais je hoche doucement la tête à ses propos avant de lever un sourcil. « J’préfère des céréales à choisir. Avec du chocolat. » Quoi ? Je sais que c’est pas un repas à proprement parler mais, tant qu’à avoir des demandes improbables, autant aller jusqu’au bout.

Je pensais pas que ça déraperait comme ça entre nous. En tout cas, ce serait pas venu de moi. Je reste persuadé que je suis pas le mec qu’il lui faut, qu’elle mérite beaucoup mieux mais, l’espace d’un instant, j’ai juste envie de profiter d’un moment de paix. Et qui sait, elle arrivera peut-être à me convaincre que je suis assez bien pour elle. J’ai un rire à sa réaction. « Pas de compliment alors. Je note p’tit génie. » Et je l’embrasse sur le nez sans vraiment faire de commentaires sur le reste. Ce serait pas crédible si je jouais à l’offusqué vu le nombre de filles qui sont passées dans mon lit. J’avoue que je reste un peu con à tout ce qu’elle me dit et je pique du nez, un peu … beaucoup en fait… gêné. Avant d’inspirer longuement contre elle et de souffler, à mi-voix. « Je suis le pupille insupportable de Bruce Wayne, n’oublie pas. J’ai pas une… bonne image. Je risque ma vie tout le temps, demain je pourrais finir entre les mains du Joker. Et… tu mérites mieux. Mais si tu veux bien de moi, je vais pas me plaindre. » Je suis quand même dubitatif sur son raisonnement mais j’ai comme l’impression qu’elle va avoir beaucoup plus d’arguments que moi sur ce coup-là. Et comme dit, c’est pas comme si j’en crevais pas d’envie depuis des années. C’est ptet pour ça que je souffle, dans un rire. « Tu sais quand est-ce que je me suis dit la première fois que j’aimerais bien voir ce que ça fait de t’embrasser ? C’est quand on t’a sauvée du chapelier. Je t’ai trouvée super mignonne. » Ouais, ouais, ça fait des années. Après, ça m’est passé, comme une amourette de gamin. Sans compter le fait qu’elle était intouchable la môme Gordon. « Et tu vas supporter d’être avec un mec arrogant alors ? » Je suis pas sûr d’avoir envie d’entendre sa réponse à ce sujet.

Même si le reste est pas mieux. A sa question, je hoche la tête avec une moue penaude. « Toi aussi tu flipperais si t’étais à ma place ! Il est effrayant. » Mais mon regard accroche le sien et mes neurones s’entrechoquent un instant avant de que je pige ce qu’elle vient de dire. « … t’es bien la fille de ton père toi. » Et je la serre contre moi, l’embrassant doucement sur la mâchoire avant de froncer les sourcils. « T’as froid Babs ? » J’ai pas spécialement envie que ce moment s’arrête et qu’on rentre, mais j’ai pas envie qu’elle gèle sur place non plus.

Même moi, qui suis de nature bien plus solitaire qu’eux, je suis heureuse et soulagée de voir enfin quelque chose se profiler, de mettre quelque chose en place avec eux. Et quand j’y réfléchis, j’ai beau savoir qu’ils étaient à deux, je me demande comment ils ont tenus si longtemps, eux qui ont toujours été habitués à travailler en équipe, et avec lui… Mais c’est d’autant plus important de réussir donc, et de les aider à avoir un cadre dans lequel évoluer et un but à atteindre. Ouais, je sais, je me rends compte que je parle comme un parent, ou un prof, et que je me place un peu dans le rôle du responsable, mais j’y peux rien. Et Dick a suffisamment essayé de porter le monde sur ses frêles épaules donc pour que je prenne le relai. « C’est terriblement amusant, et facile, en temps normal. Mais je me sens d’humeur magnanime ce soir, profites-en. »

Il a pas l’air convaincu, mais peu importe, on enchaîne sur autre chose. Je le dévisage. « Tu as pourtant toujours été à la hauteur, et il a toujours été fier de toi. Mais vous êtes pas très doué pour dire les choses chez vous, je sais. » Il en sera pas convaincu, mais j’en suis intimement persuadée. Je lui retourne son sourire en haussant une épaule. « Personne n’est parfait. Encore heureux, faut bien de la marge pour pouvoir s’améliorer non ? Et puis, comme on dit, la vie serait horriblement ennuyeuse si c’était le cas. » J’ai un rire et je hoche la tête. « Des céréales au chocolat pour monsieur, c’est noté. » Je sais pas si j’ai envie de connaître le pourquoi du comment de cette addiction. Le chocolat, je comprends, mais les céréales ? Non que ce soit important, mais c’est quand même bizarre non ?

Moins bizarre que la suite peut-être. Comme quoi tout peut arriver, même ce qu’on attendait pas, ou plus. Pourquoi j’ai osé ce soir ? J’en sais trop rien. Mettons ça sur le compte de mon intuition féminine. Ou du câlin qu’il m’a fait juste avant. Mais  mon intuition c’est bien. Ça veut pas dire que ça marchera ou quoi, mais il faut essayer. Et puis, je me débrouillerai pour que ça marche. Je lève les yeux au ciel en secouant la tête. Depuis quand pas de drague à deux balles, c’est pas de compliments du tout ? Et combien de fois je devrais lui dire de pas m’appeler comme ça ? Je ne relève pourtant pas, on avisera plus tard. Et j’ai un sourire un peu amusé, un peu attendri, en le voyant piquer du nez quand je me contente d’énoncer des faits. « Hum… Mais moi je te connais. T’es insupportable, mais tu restes une des plus belles personnes que je connaisse. Cherche pas, tu me feras pas changer d’avis. Et pour le reste… ça vaut pour nous tous, on est tous des cibles, te crois pas plus importants que nous. » Je lui pichenette le nez et fronce un peu les sourcils. « Et personne ne décide à ma place, pour rien. » Non mais ! C’est n’importe quoi en plus, c’est ridicule de prétendre que quelqu’un vaut mieux qu’une autre personne. Enfin, si c’est possible… Mais pas lui ou moi en l’occurrence.

Et mes yeux s’écarquillent alors que je le fixe d’un air surpris. « Tu te fous de moi ? » J’ai un sourire en le dévisageant. « Je me souviens d’un gamin qui faisait des cabrioles aussi facilement que je créais des lignes de code. Il m’a tendu la main, un sourire sur le visage, en me disant que je n’avais plus rien à craindre, que j’étais sauvée. Je lui ai dit que je n’avais pas peur, parce que je savais que mon père allait tout faire pour me sauver. Il a froncé les sourcils et a souri d’un air bien plus arrogant en disant que c’était Batman et Robin qui m’avaient sauvé. Mais c’est mon père qui a demandé de l’aide à Batman. J’ai pris sa main quand il a dit qu’ils allaient me ramener auprès de lui. » Je lui jette un coup d’oeil en coin, alors que ma main est de nouveau dans la sienne. « J’ai poursuivi Batman après ça. Mais c’est le premier sourire du gamin, le sourire doux et rassurant, dont j’ai rêvé pendant un moment. » Bien trop longtemps. J’ai un nouveau sourire. « Tu l’as dit, j’aime bien titiller vos fragiles égo de mâles. J’arriverais à y faire face. »

Et le reste est encore bien plus drôle. Je tente, sans succès, de réprimer un rire et mon sourire. « Il est adorable. Il n'est effrayant que pour les méchants. Comme Batman. Et pour toi uniquement si tu me brise le cœur. Comme Batman. » Mon sourire s'agrandit encore, prenant un peu le côté arrogant du sien. « Ça c’est un compliment que tu peux me faire plus souvent. » Je me retiens de rire une nouvelle fois, avant que tout cela ne disparaisse quand il me serre dans ses bras. « Non, ça va. Je suis bien là. » Me tournant un peu plus vers lui, je me blottis davantage contre lui. Et puis, même si j’ai froid, j’ai pas envie de rentrer, j’ai pas envie que ça s’arrête.