C'est une belle soirée pour une balade... non ? | Babs

Serrant les doigts de Babs entre les miens, je fronce légèrement les sourcils alors qu’un groupe « d’étudiants », passablement alcoolisé si c’est pas plus, passe à côté de nous en gloussant. Je me rappelle de l’époque où je passais ma vie ici, sur ce campus. Mes premières années d’études avaient été chouettes, vraiment. Elles avaient été le signe d’un énorme changement pour moi, tant pour mon avenir professionnel que parce que c’était aussi l’époque où j’avais décidé d’arrêter d’être Robin. Et si la période avait été un peu délicate parfois, je la regrette aujourd’hui. Ou plutôt, je regrette la période où ils étaient là.

Heureusement, on a réussi à tenir et, maintenant, on va de l’avant. On a décidé de bouger avec Jay et Babs, on prend notre destin en main au lieu d’espérer quelque chose qui n’arrivera probablement jamais. On a réussi à trouver une planque, en espérant qu’on ait pas à bouger de sitôt, qu’on puisse souffler quelques semaines, ce serait pas mal. Moi j’alterne entre cette nouvelle maison et… l’appart de Babs. Ca fait bizarre en fait. On passe beaucoup plus de temps ensemble qu’avant et je sais pas trop ce qu’elle peut penser de tout ça. Evidemment, je ne lui ai pas posé la question. Il faut dire qu’on n’a pas vraiment eu le temps de parler de nous avec tout ce qui se passe ces derniers jours.

Là encore, ce soir, on est pas vraiment en sortie en amoureux. On doit aller faire un tour à la bibliothèque, comme on l’avait évoqué en discutant avec Jay. Après de longues discussions, on a décidé d’y aller en civil. Au pire, si on se fait choper, on pourra dire qu’on cherchait juste un coin tranquille pour être tous les deux. Vu l’ambiance générale, je me dis que ça passera tout seul. Pour autant, je suis pas particulièrement rassuré, surtout en me disant qu’on est sur le territoire du Sphinx. Et je souffle, à mi-voix, en direction de ma rouquine. « Je vais jouer au vieux con mais, de mon temps, les étudiants étaient beaucoup moins… flippants. » Elle me désigne la bibliothèque et on traverse la rue, alors qu’une musique super forte résonne dans tout le quartier. J’ai l’impression qu’elle tambourine dans ma tête. Point positif, si on fait du bruit, ça s’entendra pas.

Comme on le supposait l’entrée principale est condamnée. Je sais qu’il y en a d’autres, que certains empruntent mais, à cette heure de la journée, de la soirée plutôt, elles sont toutes fermées. Va falloir jouer un peu aux acrobates. « On passe par une fenêtre derrière, c’est ça l’idée ? » J’avise la hauteur et j’ai un bref hochement de tête. Ca devrait le faire sans souci. Suffit de prendre son élan sur le petit muret, de s’appuyer sur le mur là et hop ! Ce que je fais d’ailleurs, m’accroupissant sur le rebord de la fenêtre avec un sourire. « Tu viens ? » Oui, peut-être que j’ai ma tête de petit con, surtout quand je fais des trucs pareils. Ca a l’air simple au premier abord, quand je le fais, mais en vrai, il faut un sacré entrainement pour y arriver. Enfin, elle en est tout à fait capable non ? Surtout que, si je lui tends la main, je vais avoir droit à un majeur dressé et une moue boudeuse. Alors j’attends, le regard pétillant, non sans remarquer que le carreau est déjà cassé. Pratique ça.

Est-ce que j’aurais fait mes études ici ? Peut-être. Même si elle n’était pas des plus réputés en droit, elle n’était pas si mal. En vérité, sans doute que non, j’aurais certainement obtenu une bourse pour aller étudier à Stanford, Harvard ou peut-être même à l’université de Pennsylvanie… Je ne sais pas trop ce que sont devenus les dossiers que j’avais complétés et envoyés avant… avant tout ça. J’en avais même pas vraiment parlé à papa, préférant attendre la réponse avant de me lancer dans un mélodrame de l’oiseau qui quitte son nid. Est-ce que je l’aurais vraiment quitté ? Parce que partir signifiait le laisser tout seul ici. Mais ça signifiait aussi laisser Batman. Dick. Jason. Laisser Batgirl. Est-ce que j’aurais pu ? Non, je l’aurais emmené, je me serais débrouillé… Même si toute seule ailleurs, cela aurait eu bien moins de sens.

Je secoue la tête en inspirant profondément. A quoi bon partir sur des si éventuels et improbables ? Pas comme si quoi que ce soit de ce genre avait encore de l’importance ou une chance d’arriver. On doit faire avec ce qu’on a. Ça  pourrait être pire. Ça peut toujours être pire. Et après tout, je ne m’en sors pas si mal. On avance enfin ensemble, avec Jason, on construit quelque chose. Certes, ce ne sera pas aussi flamboyant que la Justice League, faute de moyens tant techniques que financiers, mais on peut être tout autant efficaces. J’en suis quasi persuadée. On a pas de supers avec des pouvoirs de ouf, mais c’est Batman qui guidait la League en réalité, pas les autres, et lui c’est juste un mec un peu cinglé en costume de chauve-souris. Donc, on peut le faire. Et puis… Serrant un peu plus la main de Dick, j’esquisse un sourire un peu incrédule. Il y a ça aussi. C’est encore un peu flou, on a pas trop eu l’occasion ni le temps d’en parler, mais c’était plutôt chouette ces derniers jours.

Je souffle un rire en l’entendant, non sans observer les alentours et lesdits étudiants. « De mon teeeemps… Avec la voix chevrotante, ça marche mieux. » Et je reconnais les contours du bâtiment qui nous intéresse. « Tout était moins flippant. Dis-toi que les étudiants de ton temps sont toujours ceux qui continuent de circuler ici… Je devrais faire une étude sociologique et sociétale de ces dernières années. Ça deviendrait un best-seller en moins d’un mois je suis sûre. » Sauf que cela nécessiterait d’avoir accès à des bases de données, d’avoir un ordinateur en état, de pouvoir faire des recherches et beaucoup trop d’autres détails, comme être capable d’écrire un bouquin.

Je hausse une épaule en voyant la porte d’entrée, continuant de longer le bâtiment avec lui en cherchant une ouverture. S’il y a du monde un peu partout sur le campus, on se retrouve tous les deux en arrivant derrière le bâtiment. Faut dire que c’est pas le bâtiment qui doit le plus leur vendre du rêve, même si perso, je m’y installerais bien. Mais on en a parlé, pas assez sécurisé et trop exposé. En planque de secours ou point de retour par contre, ce serait parfait. Je stoppe et le fixe alors qu’il fait son numéro d’acrobate. Je ne sais pas trop ce qui devrait m’affliger le plus. Le fait qu’il continue de faire son sketch en trouvant ça follement amusant, ou le fait que son sourire de petit con continue de me faire naître des papillons dans l’estomac. Je soupire, me concentrant sur ce que je fais, histoire de ne pas avoir l’air ridicule après lui. Ce qui ne devrait pas être le cas, parce que je me débrouille super bien en temps normal. Il joue peut-être à ça depuis qu’il est né, mais faire de la gym pendant des années, sans parler des entraînements qui ont suivis, ne me place pas trop loin derrière lui.

Je me hisse à ses côtés, serrant les dents en sentant ma jambe tirer et mon flanc me brûler un peu. Donc pas loin derrière lui si l’on omet les balles que je me suis prises il y a peu. Mais ça va. Je lui souris et passe ma main à travers le carreau pour ouvrir la fenêtre. Sautant prestement et en silence à terre, j’inspire, mettant de côté les pulsations, et reste immobile quelques secondes. Pas de bruit, pas de mouvement. « C’est bon. » Prenant garde où je marche, je passe la porte et suis un couloir avant d’arriver dans une des salles d’études, qui n’y ressemble plus vraiment. Je grimace. « D’accord. Je pensais pas pouvoir me sentir aussi désolée après tout ce qui s’est déjà passé… Pour une bibliothèque. » Je lui jette un coup d’oeil avec un sourire navré. « C’est con hein ? » C’est pas si grave pourtant. Sans y penser, je commence à ramasser des bouquins. Juste pour le principe. Même si c’est aussi con qu’inutile.

Tellement de choses ont changé en si peu de temps que ça me file le tournis. Et, pour une fois, c’est plutôt dans le bon sens. Pas comme il y a deux ans où tout avait eu l’air de s’écrouler à mesure que les jour passaient. Là ce serait comme si quelqu’un avait enfin décidé de faire le ménage dans tout ce bazar et que je pouvais enfin recommencer à construire des trucs là où tout s’était effondré. Et quand je tiens la main de Babs, je me dis que ça peut être vraiment solide si on s’en donne la peine. Même si c’est flippant. Parce que j’ai beau avoir eu pas mal de petites amies, y a jamais rien eu de sérieux. Et, quand je croise le regard de la jolie rousse à mes côtés, là, c’est plus que sérieux. Je peux pas déconner avec elle. J’en ai pas envie.

Je retiens un soupir alors que la panique prend le pas, l’espace d’un instant, sur le plaisir que j’ai à être avec elle, même si les circonstances sont pas vraiment idéales. « Exactement jeune insolente. De mon temps c’était mieux ! » Je hoche la tête quand elle continue. « On devrait être contents qu’il y ait encore des gens qui étudient et que tout soit pas parti en fumée je suppose. Même si j’ai de sérieux doutes quant au contenu de leurs cours. Mais oui, ton étude serait intéressante. Si tu fais fortune, je pourrais vivre à tes crochets, ce serait parfait. » Comme si je squattais pas déjà chez elle la moitié du temps en bon SDF que je suis devenu. Ouais, il est loin le petit pupille friqué de Bruce Wayne hein. Je me demande quand est-ce que j’ai eu des fringues neuves pour la dernière fois. Déjà, je suis content quand elles sont propres, autant dire que j’ai revu mes standings à la baisse.

Je pose une main dans son dos alors qu’on se retrouve dans la ruelle avant de me marrer un peu et de jouer à l’acrobate. Quoi ? Je peux me faire plaisir de temps en temps non ? Le monde est devenu beaucoup trop sérieux ces derniers temps et moi aussi. Alors, forcément, dès que je peux déconner un peu, je m’amuse. Et mon sourire se fait plus large alors qu’elle me fixe, comme si elle hésitait à venir. Sauf que ouais, j’ai dû toucher son amour propre vu qu’elle me demande en effet pas d’aide. Mais elle s’en sort bien. « Pas mal Babs… » Un murmure soufflé alors qu’elle passe juste à côté de moi et que j’ai la vague impression qu’elle me snobe. Je saut derrière elle, tout sourire, non sans regarder autour de moi avec attention. C’est super calme, ça a même un côté flippant à n’entendre que le bruit de nos pas et vaguement, assourdi par les murs épais, les murmures de la rue au loin.

A sa remarque, j’ai un bref soupir et je vais embrasser sa tempe. « C’est pas con Babs. C’est… cet endroit, c’est le cœur même de la connaissance. Le voir dans cet état, surtout pour toi… c’est normal que ça te fasse mal. » Sans réfléchir, je fais comme elle et je souffle, regardant un des livres sans vraiment le voir. « J’aurais pas pu choisir pire pour une première soirée en tête à tête hein… » De là à dire que c’est un rencard raté, y a qu’un pas que j’ai pas spécialement envie de franchir. Et je lui désigne la porte d’à côté d’un mouvement du menton. « J’aimerais aller dans la salle principale, voir s’il y a des endroits intéressants pour se planquer. » On est là pour ça non ? Alors je continue ma route, d’un pas prudent, toujours un peu intimidé par le calme des lieux.

C’est fou comme de petites choses peuvent changer la façon de voir, d’appréhender une situation. Elles ne sont pas si petites certes. Après tout, décider de former un groupe et de se battre ensemble n’est pas anodin. C’est plus ou moins ce que l’on faisait déjà, mais ça prend une toute autre dimension en le décidant officiellement et en recrutant d’autres membres. Et puis… Même avec lui, c’est loin d’être anodin. Perso, j’ai jamais vraiment eu de copains, et certainement pas un avec qui je me sente aussi bien. Un que j’apprécie autant que… lui. Et de son côté ? J’en sais rien, j’ai peut-être pas envie de savoir vu le nombre de copines qu’il a déjà eu. Mais on s’en moque non ? Là, on est ensemble. C’est tout.

Les doutes et inquiétudes restants sont chassés pour le moment, et mon sourire s’agrandit à sa répartie, avant de se transformer en grimace à la suite. « Certains cours sont… intéressants dirons-nous. La plupart sont des injonctions à la révolte, pourris de répliques dignes de gourous de troisième zone. » Je laisse filer un soupir. « Riche et célèbre, avec un copain potiche, tout ce dont j’ai toujours rêvé. » Nouveau sourire et clin d’œil à son attention alors qu’on arrive près du bâtiment recherché.

Et comme toujours, il voltige. Et une part de moi admire – et jalouse oui – cette légèreté qui semble habiter chacun de ses mouvements. Mais j’ai pas besoin de son aide pour autant. Et oui, une autre part de moi adore le voir agir de la sorte. Parce que ça arrive bien moins souvent qu’avant, et que dans ces moments-là, il semble un peu plus… gamin, léger lui aussi. Cette partie immature et espiègle qu’il a trop abandonné ces dernières années… Que j’apprécie autant qu’elle m’agace aussi parfois, état donné qu’elle va de pair avec son insupportable arrogance. Comme là. Pas mal ? Je me contente donc de continuer de l’ignorer en entrant dans la bibliothèque.

Bibliothèque dont l’état me serre le cœur. Mais si je me sens idiote de prendre autant cela à cœur, après tout il n’a pas brûlé et ce n’est… qu’un bâtiment parmi d’autres, je tourne la tête vers lui, un mince sourire reconnaissant sur le visage. « Merci. » Je sais pas trop pourquoi je le remercie. Sans doute de me comprendre et de me connaître aussi bien. « Je venais ici, avant, depuis des années. Il y avait bien plus d’ouvrages qu’au collège, ou même qu’au lycée, et comme je me souviens de ce que je lis… J’arrivais à me faufiler parmi les étudiants et je me perdais dans les couloirs. Certains livres… » Je passe ma main sur la couverture de celui que je tiens et hausse les épaules. Avant de me figer et de me tourner vers lui, un sourcil levé, le livre serré contre moi. « Un tête à tête ?… C’est un rencard officiel ? » J’ai un sourire et je pose le livre avec les autres. Évidemment que j’y ai pensé, évidemment que pour moi c’en est un, même si rien n’y fait penser. Mais c’est cool qu’il le dise quoi. Je le rattrape et l’arrête un instant, pour déposer un bisou sur sa joue, le dépassant dans la foulée sans même tenter de dissimuler mon sourire ravi. Et idiot. Mais ravi. « Je suis pas sûre que la salle principale soit la plus indiquée pour se planquer. Quoi qu’il y a un recoin quasi invisible sous l’escalier menant à l’aile gauche. » Je murmure presque, comme pour ne pas troubler le silence des lieux, et fronce les sourcils en me rappelant les plans. « Et il y a une ou deux pièces dont les portes sont un peu dissimulées, ça pourrait faire l’affaire aussi. »

Je stoppe devant la porte de la pièce principale donc et me tourne vers lui, le dévorant du regard. « C’est donc notre première soirée en tête à tête ? Si j’avais su, j’aurais fait des efforts vestimentaires. Et je me serais maquillée. Ou pas, mais j’aurais tenté. » Je souris, agrippant son pull d’une main pour l’attirer vers moi. « C’est pas si mal comme choix t’en fais pas. » J’effleure ses lèvres et le relâche aussi vite pour aller ouvrir les portes.

Faudra qu’on prenne le temps. De discuter de tout ça. De nous deux. Mais on a déjà beaucoup à faire en plus de ça pour se rajouter des sujets trop sérieux. Pourtant ça l’est. Sérieux. Entre nous je veux dire. En tout cas, j’ai envie que ça le soit. Et je suppose qu’elle aussi. Je lui lance un bref regard, hésitant à l’idée de lancer cette discussion alors qu’on a à peu près un milliard d’autres trucs à penser où y a de fortes chances qu’on risque nos vies une fois de plus. Alors, on peut peut-être juste se contenter de moments comme celui-là, où on est juste bien et on verra plus tard ? Ouais, possible. Je sais pas trop.

En attendant, j’ai un rire quand elle continue. « Des injonctions à la révolte ? Mais contre qui ? Il n’y a plus de système en place, d’un mélange de tyrannie et d’anarchie que je pensais même pas possible au final. » Je secoue la tête, les yeux écarquillés avant d’esquisser un sourire mutin. « J’fais super bien la potiche, t’imagines pas. » Remarquez, je l’ai déjà fait plus d’une fois aux galas de charité où Bruce me trainait quand j’étais plus jeune.

Comme il m’embarquait ensuite dans la lutte contre le crime. Bizarrement, là, y avait pas besoin de me trainer, j’y mettais beaucoup plus d’enthousiasme. Comme je suis content de jouer à l’acrobate sans avoir à risquer ma vie, même si c’est juste pour atteindre une fenêtre en hauteur. Et je me fends d’un clin d’œil quand Babs passe à ma hauteur, sautant d’un bond silencieux à l’intérieur. Intérieur qui s’avère être plutôt impressionnant. Je sais que le silence dans ce genre d’endroit, c’est la base mais là, c’est carrément autre chose. Et il nous faut quelques minutes avant d’oser parler de nouveau, même si c’est dans un murmure. Je grimace en voyant l’état de Babs et j’essaie de la consoler comme je peux, même si je me doute que ça doit lui faire mal au cœur de voir tout ça. J’ai pourtant un sourire à son anecdote. « Je t’imagine bien avec tes nattes en train de te faufiler dans le coin. Petite tornade rousse. » Je hausse une épaule quand elle se fige et m’interroge. « … bin… j’sais pas. Oui ? Je… ‘fin c’est pas comme si on avait vraiment des endroits où sortir. Et c’est la première fois qu’on est tous les deux depuis… tu vois quoi. » Et j’ai un sourire idiot quand elle m’embrasse sur la joue avant de continuer ma route. « Faudra que tu me montres les cachettes dont tu parles. J’aimerais bien voir si on a accès à des plans de certains… coins de la ville. On a plus rien depuis que le manoir a brûlé et c’est compliqué de penser à des trucs à l’aveugle. Tu sais où on peut trouver ça ? »

Et, vu que je suis en mode super sérieux, j’avoue que je m’attendais pas vraiment à sa question. Ni à ce qu’elle m’agrippe le pull pour me ramener vers elle. Je bats des cils, me sentant un peu idiot vu que j’arrive même à connecter deux neurones pour lui répondre. « Je… » Ah ouais. Pas mal Grayson dans le genre loquace. Sauf qu’elle s’éloigne et que j’ai tout juste le temps d’attraper sa main pour la retenir. « … tu crois que tu vas t’en tirer comme ça ? » Je la ramène vers moi et je la fixe longuement, avec un sourire, alors que mes neurones daignent enfin se remettre à fonctionner. « T’es très bien comme ça Babs. Pas besoin de maquillage pour être jolie. Et content que ça te plaise alors. La prochaine fois, on pourra aller explorer le musée abandonné. » Tout en parlant, je l’ai embrassée sur le nez. Et je finis par aller chercher ses lèvres plus longuement qu’elle a pu le faire cette fois.

Ce n’est peut-être pas le moment. Sans doute même. On risque nos vies toutes les nuits, chaque journée amène son lot de difficultés et depuis deux ans, on survit plus qu’on ne vit. Une vraie gageure quotidienne… C’est sans doute justement pour ça que j’en ai besoin, et envie. D’avoir autre chose, quelque chose qui compte, quelque chose à la fois plus léger, plus doux, mais de tout aussi important.
J’ai un sourire alors que je hausse les épaules en secouant la tête. « Peu importe. Ils ne sont pas contents, les Territoires Autonomes méritent mieux, ils veulent plus. Tous les groupuscules sont pareils dans le fond tu sais. » Lui jetant un coup d’oeil, j’acquiesce d’un signe de tête. « J’ai souvenir que tu fais ça très bien effectivement. Et t’es plutôt sexy en costard, ce sera un plus. » Je détourne les yeux, le rouge aux joues. Pas tant d’avoir avoué qu’il était sexy – il le sait très bien et n’a pas besoin qu’on lui rappelle – mais parce que ça signifie que oui, je me souviens de lui lors de certains galas. Certes, je me souviens de tout, mais ça veut bien dire que je l’avais maté, non ?… Bref.

Et c’est toujours le cas, d’autant plus quand il semble aussi à l’aise et qu’il s’amuse. Ouais, son sourire de ptit con m’a toujours fait louper un battement, au point que c’en est ridicule. Pourtant, même ça passe au second plan alors qu’on avance dans la bibliothèque. Je souffle un rire presque silencieux. « Des nattes ?… Okay, j’avais des nattes. » Je le dévisage en souriant. « Depuis que je t’ai embrassé sur le toit ? C’est notre première sortie rien qu’à deux c’est vrai. » Toujours souriante, je hoche la tête. « Je vais te montrer oui, et je pourrais faire un plan grossier de la bibliothèque… Pour le reste, les cartes et les plans doivent être salle F, si tant est qu’il y a encore une salle F. On peut y aller aussi. »

Mais d’abord, les planques potentielles. Enfin, non. D’abord, juste pour être claire et qu’il comprenne bien que ça me plaît, et qu’il me plaît au cas où il aurait encore des doutes, je m’arrête pour le rassurer. Et l’embrasser. Mais l’un va avec l’autre non ? Évidemment.
Je hausse les sourcils quand il me rattrape et me ramène contre lui. Plissant le nez en souriant, je hausse une épaule. « J’espérais que tu sois trop lent oui. » Je lui rends son regard et je crois que je rougis de nouveau, esquissant un sourire presque timide qui se fait amusé alors qu’il continue. « J’ai toujours rêvé de visiter un musée abandonné et terrifiant la nuit ! » Et j’ai pas le temps d’en dire plus, j’oublie même ce que j’allais dire. Ça n’avait aucune importance de toute façon. Mes mains montent effleurer ses joues, avant d’aller frôler sa nuque et je l’attire vers moi comme pour prolonger ce baiser. Les battements de mon cœur s’accélèrent et mes doigts se crispent un peu sur lui. Je ne sais pas trop combien de temps il dure, je sais juste que je me retrouve à bout de souffle, contre ses lèvres, les yeux toujours fermés. Mon cœur bat bien trop vite et j’essaie d’inspirer lentement, une de mes mains allant se perdre dans ses cheveux pendant ce temps-là. « C’était… » Je souris en le regardant, sans chercher à m’éloigner de lui. « Je crois que c’est la meilleure soirée que j’ai eu depuis longtemps. » Je me passe la langue sur les lèvres, ramenant mes mains sur son torse, et je toussote. « Les planques, faut que je te montre les planques. » Ma main glisse le long de son bras pour attraper la sienne. « C’est par là. » Je lui montre une direction, réussissant tant bien que mal à m’éloigner un peu de lui.

J’avais lu un dicton tout pourri une fois. Du genre à chaque jour suffit sa peine. Je me dis que là, il est plutôt approprié en fait. Y a bien longtemps que j’ai arrêté de penser au lendemain, vu que c’est devenu tellement aléatoire, hypothétique et j’en passe, que c’est juste mission impossible de planifier quoi que ce soit. Et je devrais continuer. Sauf qu’avec elle, je me surprends, l’espace d’un instant, à penser à demain. Ce qui est une très mauvaise idée, j’en suis parfaitement conscient. Parce qu’on a une vie bien trop compliquée pour avoir de vrais projets. Comme celui-là. Comme nous deux. Alors quoi ? On laisse tomber et on y réfléchit quand les méchants n’auront plus le pouvoir ?

… tu parles. J’ai pas envie. Alors ouais, je me focalise sur chaque journée, en me disant qu’on verra demain pour le reste. Et ainsi de suite. Profiter de ce moment présent sans se prendre trop la tête, c’est dans mes cordes. Je crois. « Les territoires autonomes. Tu parles d’un nom à la con. » Je lève les yeux au ciel, avant de lui jeter un regard. « On dirait que t’as bien potassé sur le sujet. Enfin, tu potasses sur tout hein, petit génie. » Un clin d’œil pour appuyer mes propos avant que je ricane carrément au reste. « Bruce adorait me trainer dans ces soirées. Je suis à peu près sûr que c’était pour se foutre de moi avec mon look de pingouin. Mais pingouin sexy donc. Je pensais pas que tu t’en souviendrais, je suis étonné. » Parce que clairement, si c’était pas trop mon délire à la base, c’était encore moins le sien. Du coup, je la fixe, curieux, avant qu’on se retrouve à entrer plus ou moins par effraction dans la bibliothèque. « N’empêche que. Si on m’avait dit qu’un jour je ferais le mur pour aller lire des bouquins… » Venant d’elle, ça m’étonne pas, mais de moi, un peu plus.

J’ai un sourire en coin quand elle continue et je hoche la tête quand elle finit ma phrase. « Mais… hé ! Je t’ai embrassée aussi. T’attribue pas tout le mérite non plus. » Même si je suis pas sûr que j’aurais vraiment osé faire le premier pas. Elle est trop bien pour moi, j’ai du mal à me l’enlever de la tête malgré toutes les discussions qu’on a pu avoir sur le sujet. « … sinon, tu crois qu’on aurait un plan de l’asile ici ? Et de l’ancien parc d’attraction ? » Les coins des boss quoi. En gros. Hem.

Et je l’attrape pour la serrer contre moi un instant, comme pour mieux faire passer le reste. « Je me vanterais bien d’être super rapide, mais ça risquerait d’être mal interprété je crois… » Je lève un sourcil avant d’effleurer sa joue qui vient de prendre une nouvelle teinte de rose. « C’est noté pour la prochaine sortie alors. » J’oublie ce que je voulais dire quand elle me rend mon baiser. A dire vrai, je crois que j’oublie un peu tout ce qui n’est pas elle l’espace d’un instant. Instant beaucoup trop court à mon goût soit dit en passant. Je déglutis alors que notre baiser se termine et j’ai un rire quand elle reprend la parole. « C’était pas mal ouais… » Et je la fixe, un peu incrédule. « C’est vrai ? Je… en fait… » Je fronce les sourcils, pensif. « J’crois que c’est pareil pour moi. » J’aimerais bien qu’on reprenne là où on s’est arrêtés mais elle se rappelle des planques. Et moi aussi d’un coup. « Ah oui. C’est vrai. » Tu parles, elles peuvent cramer là, de suite, je m’en moque totalement. Mais je la suis, serrant ses doigts dans les miens alors que mon cerveau accepte de se remettre de nouveau en route. On atterrit sous les escaliers principaux et je la vois appuyer sur divers morceaux de bois sur le mur. Pour voir une petite porte s’ouvrir. Et je souffle, alors qu’on s’engouffre dedans. « Pas mal. T’as trouvé ça comment ? » Bon, ce serait vraiment un plan de secours que si on est grave dans le jus, vu où est placée la bibliothèque. Mais la petite pièce dans laquelle on entre est étonnamment propre. Dépourvue de tout mobilier et elle sent un peu le renfermé, mais on a connu carrément pire les dernières années. Enfin, il fait quand même vachement sombre, vu que l’ampoule au plafond éclaire pas des masses. Et ma main libre se pose sur la taille de Babs sans même que je m’en rende compte, alors que j’attends qu’elle me raconte comment elle a trouvé ce coin.

On apprend. Même lorsque l’on aime planifier et organiser sa vie, même lorsque l’ordre, les plans et le reste régentaient notre vie jusque-là. On apprend à vivre au jour le jour, et à profiter de ces moments volés. Carpe diem. Ou un truc du genre.

Je hausse les épaules, avant de lui rendre son regard, me faisant instinctivement plus défiante. Mais c’est Dick, ce n’est pas une insulte ou un reproche caché. Alors mon sourire revient, même si je grimace un peu. « Je lis beaucoup. C’est un mal qui devrait être plus répandu. » Je souffle un rire en réponse au sien et je hoche la tête. « Oh, il se moquait peut-être de ton air renfrogné. Mais je pense aussi qu’il… Ouais, qu’il était fier de te présenter tu sais. Et j’ai une très bonne mémoire, je me souviens d’un tas de choses inutiles comme celle-là. » Je lui souris, avant d’entrer dans la bibliothèque. Je le fixe et hausse un sourcil. « Ne dis pas ça comme si c’était la chose la plus étrange que tu aies pu faire. » C’est là que je lui dis que je le faisais déjà avant, quand j’étais môme ou pas ? Je me rends pas compte.

J’agite mon doigt en le toisant. « Alors si, j’ai le droit de le faire. Si je n’avais pas fait le premier pas, on serait morts de froid sur le toit en attendant… » Et il le sait, vu que c’est un idiot qui se met de stupides idées en tête. « Hum. Le plan de l’asile se trouve peut-être dans la section iconographie, ils y avaient rassemblé les cartes et plans. Le parc, je sais pas trop, il est plus récent et c’est principalement des cartes anciennes… Mais ça vaut le coup de chercher. »  

Comme on est pas là officiellement en tant que Nightwing et Batgirl, on peut prendre du temps pour nous et considérer ça comme un rendez-vous non ? Je déglutis, priant pour que le rouge de mes joues ne se renforce pas et j’ai un léger rire, un peu embarrassé. « Comme si j’avais l’esprit mal tourné. Ce n’est pas mon genre. » Je détourne les yeux une seconde. « Et donc, t’es super rapide ? » Okay, là, je suis rouge. J’aurais mieux fait de me focaliser sur la prochaine sortie. Mais ce n’est pas important, pas vrai ? Oui, rien n’est vraiment important en dehors de lui, là dans l’immédiat. J’ouvre les yeux pour le dévisager, un sourire ravi venant éclairer mon visage. « Pas mal. Oui, c’est évidemment ce que j’allais dire. Juste… Pas mal. » Je lui tire la langue, hochant la tête quand il confirme que c’est une très bonne soirée. Et une part de moi se dit que j’aurais dû continuer sur la lancée, tant qu’à faire. Mais le super ordinateur qui me sert de cerveau se rappelle à moi et me relance sur le but premier de notre visite. Ouais, c’est super pratique, je kiffe. Accessoirement, j’ai pas forcément envie que ça dérape de trop ici. Et que ça dérape sans que je n’ai pu lui parler avant…

Alors je l’emmène et je joue à la magicienne. Bon, j’avoue, c’est marrant aussi de lui montrer ça. J’écarte quelques vieilles toiles d’araignées et je regarde autour de moi. Rien n’a bougé, c’est dingue. Je me tourne vers lui quand il parle, me rapprochant de lui en sentant sa main sur ma taille. « J’ai trouvé un livre sur l’histoire de la bibliothèque. Il y avait tout un passage sur sa construction, avec des plans qui semblaient… imparfaits. J’ai cherché le nom de l’architecte. J’ai appris qu’il avait l’habitude de faire… des blagues, à base de casse-têtes visuels ou d’énigmes. J’ai trouvé cette cachette en premier. J’y venais pour lire de temps en temps, j’avais ramené des affaires, mais j’ai tout enlevé. Une autre derrière un rayonnage, avec une pièce pas plus grande. Et des pièces disons oubliées… » Je hausse les épaules en détournant le regard. C’est pas si étrange que ça en a l’air. Si ? Je fronce un peu les sourcils, avant de me pencher pour attraper un marque-pages usé, avec un dessin d’oiseau dessus. Je souffle pour retirer la poussière et grimace un sourire. Un rouge-gorge. Ça, c’était après mon sauvetage par Batman et Robin donc. Robin premier du nom. Lui là donc. Hum. Je lui tends et l’embrasse sur la joue, murmurant contre sa peau. « Faut m’en trouver un avec un oiseau bleu maintenant. »