La flamme de l'espoir finira-t-elle par s'éteindre ?

Au bout de combien de temps devrait-elle s’avouer vaincue, et cesser de les rechercher ? Cela faisait plusieurs jours déjà. Elle était peut-être trop discrète, pas assez téméraire. Elle pourrait leur faire passer un fort message. Il lui serait facile de faire apparaître aux yeux de tous le signal de son cousin, comme un pied de nez aux ordures qui contrôlaient Gotham. Mais elle ne prendrait pas ce risque – le message pourrait être perçu de mille manières, et surtout, il pourrait bien trop attirer l’attention sur elle. Revenir était déjà un énorme risque, inutile d’en rajouter. C’est pourquoi elle rodait dans les différentes planques – passées ou actuelles – du Batgang. Oh, elle ne les appelait jamais ainsi à haute voix, mais c’était le nom qu’elle leur donnait, dans sa tête. Elle devrait peut-être réfléchir à mieux.

Bref, à la tombée de la nuit, elle se fondait dans la noirceur de Gotham – quoi que, de manière générale, la ville ne soit plus très lumineuse à ses yeux -, faisant des ombres ses amies, et retraçant les pas qu’elle attribuait à ses anciens compagnons d’infortune et de lutte. Elle finirait bien par tomber sur un lieu occupé par eux ? Ou alors ils répondraient aux messages qu’elle avait laissés. Messages cryptés, évidemment : elle n’allait pas crier sur tous les toits que Batwoman recherchait Nightwing et ses acolytes. Elle n’était plus là depuis plusieurs mois, ce n’était pas pour attirer l’attention sur son retour, alors même qu’à Métropolis, elle couvrait ses traces et faisait preuve d’une grande prudence.

C’est d’ailleurs pourquoi elle essayait de passer incognito, bifurquant de ruelles sombres et vides autant que faire se peur, fuyant la compagnie des autres et portant une tenue sombre. Hors de question, évidemment, de porter son costume de Batwoman. Autant mettre une tenue rose fluo et épingler directement une cible sur son dos, si elle faisait ça. Accélérant le pas, elle tourna au coin d’un immeuble, se hissant jusqu’à l’escalier de secours à la force de ses bras.

Quand y avait-elle déposé un message ? Deux, trois jours plus tôt, peut-être. C’était comme un rituel, de retourner sur les lieux où elle s’était rendue, mais jamais deux jours de suite – elle ne voulait pas y attirer qui que ce soit de malintentionné, déjà, et elle voulait laisser le temps au Batgang de lui répondre. A supposer qu’ils le feraient, sans se dire que quelqu’un avait vendu la mèche et qu’on les espionnait. Et, bien sûr, la réciproque était vraie. L’inquiétude de Kate allait croissant – après tout, elle était revenue parce qu’elle avait glané des informations comme quoi ils étaient dans de sales draps. Informations peu fiables, qui l’avaient incitée à venir voir par elle-même. Et s’ils s’étaient fait capturer, si, par malheur, on avait réussi à les faire craquer… Alors chacune de ces planques étaient compromises. Mais elle ne pouvait pas rester les bras croisés. Elle ne pouvait pas ne pas essayer. C’est pourquoi elle était là, vêtue de sombre et dissimulée autant que possible, à espionner à distance l’endroit où elle avait déposé son message, soixante-douze heures auparavant. Un endroit isolé, suffisamment éloigné pour qu’elle ne soit pas grillée, mais suffisamment proche et avec une vue assez dégagé sur ce qui l’intéressait. Un endroit où, normalement, on ne la trouverait pas.

Installé dans l’ombre, accroupi à même le sol, j’attends. Depuis combien de temps ? Suffisamment pour commencer à avoir des fourmis dans les jambes. Je réprime un soupir, levant les yeux vers le ciel alors que j’essaie de me motiver à attendre encore quelques minutes de plus. Ca coûte rien de toute façon. Et je dois en avoir le cœur net. Quelqu’un a laissé des messages aux planques habituelles qu’on utilisait avec Kate sauf que j’ai pas encore réussi à croiser cette personne. Je saurais pas dire si c’est elle ou quelqu’un d’autre, si elle est revenue en ville ou si quelqu’un a réussi à lui extirper notre façon de communiquer. Si c’est la deuxième option, autant dire que ça pue. Outre le fait que ça risque de nous mettre en danger, je m’inquiète surtout pour elle.

Alors, forcément, j’ai suivi les messages les uns après les autres. Avec la désagréable sensation d’avoir un train de retard à chaque fois. Ca faisait longtemps qu’elle était pas venue sur Gotham, plusieurs mois au moins et, si ça se trouve, j’ai mal mémorisé le parcours. Enfin, je vais être rapidement fixé de toute façon. J’espère en tout cas. Et que je suis pas tombé dans un traquenard. Je serre les eskrimas simple que j’ai ramenés avec moi et que j’ai entre les mains, bien paré à toute éventualité. Même la pire. Après tout ce qu’on a vécu depuis deux ans et même avant, on peut pas prétendre garder ces costumes si on est pas toujours prêts à ce qui pourrait arriver de pire.

Je me dis quand même vaguement qu’on pousse le bouchon particulièrement loin à avoir choisi un de nos points de contacts chez le Joker. Enfin, si on devait éliminer tous les lieux où un des boss à la mainmise, on irait plus nulle part, je sais bien. Sauf que là, c’est son parc d’attraction. C’est super animé à quelques dizaines de mètres à peine de l’endroit où j’attends, tapi dans l’ombre. Des hurlements de terreur qui ne sont probablement en rien liés à un amusement innocent. J’ai un frisson qui me parcourt l’échine avant que je finisse par réaliser que, si ça se trouve, elle aussi se planque dans un coin depuis un moment, attendant de voir ce qui se passe. Allez savoir pourquoi, cette pensée m’arrache un sourire amusé. Avant que je finisse par laisser filer quelques notes en sifflant. Une mélodie qu’on connait tous les deux, pour l’avoir sifflée à de nombreuses reprises quand on patrouillait ensemble, il y a des années de cela.

Et, vu qu’il faut bien se décider, je finis par sortir de ma cache, en espérant que je suis pas en train de faire une connerie. Mais je suis mon instinct et, une fois planté au milieu du toit, j’ai une profonde inspiration, me sentant bizarrement à nu vu que j’ai pas mis mon costume. « Fait pas chaud ce soir. » Ouais, façon comme une autre de lancer la discussion. Et j’entends des pas derrière moi. Je me retourne, les muscles tendus, avant d’esquisser un sourire soulagé. « Kate… » Sans la moindre hésitation, je franchis les quelques mètres qui nous séparent et je la serre contre moi. « Je suis content de te voir. » Il s’est passé tellement de choses ces derniers temps que j’ai eu peur qu’il lui arrive un truc, on va pas se mentir. Alors, forcément, la voir devant moi, en un seul morceau, ça fait un bien fou. Je finis par la relâcher pour la regarder avec attention. « Comment tu vas ? Quand est-ce que t’es revenue ? Quoi de neuf ? » Oui, oui, ça fait beaucoup de questions, mais c’est pas comme si elle était pas habituée avec moi.

Elle n’appréciait pas vraiment de rester ainsi sans bouger, mais elle n’en avait pas trop le choix, si elle souhaitait retrouver ses acolytes… Elle s’accrochait à l’espoir qu’ils ne soient pas morts. Après tout, leurs ennemis l’auraient crié sur tous les toits. Avoir réussi à vaincre le Batgang n’aurait pas été une mince affaire, et ils auraient pu mettre fin à toute tentative de rébellion future, anéantir tout espoir, toute volonté de survie, chez tous leurs détracteurs. En tout cas, Kate essayait de s’en convaincre, inlassablement, nuit après nuit, alors qu’elle observait ces lieux connus. Alors qu’elle s’aventurait de planque en planque. Qu’elle laissait des messages que – normalement – eux seuls pouvaient comprendre. Et si quelqu’un d’autre pouvait le faire… Elle n’aurait qu’à prendre ses jambes à son cou, ou faire son testament. Elle laissait échapper un rire jaune inaudible, sinon pour elle. Elle n’en aurait jamais le temps, si c’était vraiment le cas.

Mais après ces nombreuses tentatives, elle avait risqué le tout pour le tout – laisser un message à une petite distance d’un lieu revendiqué par le Joker. L’idée lui faisait froid dans le dos, tout comme la perspective de se faire repérer, mais… Personne ne pourrait connaître cette planque là, si ? Et surtout, surtout, aucun autre boss, aucune autre personne à leur solde, n’oserait empiéter sur ce quartier là. Se cacher en pleine vue… Peut-être qu’elle était là, la solution. Elle l’espérait, en tout cas, mais si elle commençait à trouver le temps long. S’était-elle réellement trompée ? Étaient-ils tous morts dans le plus grand silence, leurs morts destinées à ne jamais être connues ? Avouer leur mort consistait-il à en faire des martyrs ? Elle secoua la tête – bien sûr que non. Les boss qui régnaient sur la ville n’iraient pas jusqu’à avoir cette réflexion.

Un pincement au cœur la prit, en même temps qu’une chape de tristesse  s’abattait sur elle. Jusqu’à ce sifflement, cette mélodie connue. Elle releva la tête. Devait-elle se dévoiler ? Était-ce un piège ? Machinalement, et déterminée à tenter le tout pour le tout, elle reproduit les notes elle-même, restant sur le qui-vive malgré tout, alors que l’inconnu se dévoilait. Elle avait l’impression que c’était bien lui, mais dans la pénombre… Et la voix, cette platitude… Le doute n’était plus permis. Sortant entièrement de sa cachette, elle se dirigea vers Dick, d’un pas lent. Pour lui laisser le temps de comprendre qu’elle n’était pas une ennemie. « Et la nuit est très sombre. » Le ton moqueur n’y était pas, sa voix trahissait son soulagement. Elle se crispa légèrement sous l’étreinte, plus habituée, mais finit par sa détendre. Elle avait l’habitude et… oui, ça lui avait manqué. « J’ai cru que je ne vous reverrai plus… Quand je n’ai pas eu de réponse... » Inutile de poursuivre, il comprendrait bien. « Je suis soulagée, et heureuse moi aussi. »

Elle se laissa faire, alors qu’il s’éloignait et la dévisageait. Elle avait probablement encore maigri, avait peut-être une apparence décharnée, mais qui n’était pas dans cet état là ? « T’as l’air en forme. » Elle ne put s’empêcher de sourire en entendant toutes ces questions. « Trois semaines, presque quatre, je crois. Quand est-ce que je t’ai laissé le premier message ? Je vais… bien. Si on peut dire ça. Je devais venir voir comment vous alliez, après avoir entendu que vous étiez dans une sale posture. C’est pas mieux à Métropolis qu’ici… Les informations circulent pas trop mais, parfois, des bribes nous parviennent. Souvent fausses. Mais je ne pouvais pas laisser passer sans m’en assurer. » Elle inspira profondément. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Vous êtes tous vivants ? Comment vont les choses, ici? » Elle s’était retenue de dire « chez nous ». Elle n’oublierait jamais Gotham, mais n’allait-elle pas repartir à Metropolis sous peu ? Même si elle était plutôt désabusée de ses quelques mois passés là-bas, seule, sans vraiment réussir à s’allier à qui que ce soit.

C’est parfois difficile de lâcher prise. D’accepter cette prise de risque et de sortir de l’ombre sans avoir la certitude que les choses vont bien se passer. Mais il y a bien longtemps que, de mon côté, j’ai arrêté de croire que tout ira bien. Ou, tout du moins, je me prépare toujours au pire et j’essaie de faire au mieux pour l’anticiper, l’éviter, faire avec. Et, dans tous les cas, j’ai appris à accepter. Que je ne pourrais pas toujours tout gérer mais que je dois quand même prendre des risques.

Ce qui est le cas là, de suite. Faire un pas en dehors de l’ombre pour que Kate puisse faire de même. Et accepter que ça pourrait ne pas être elle, que ce pas pourrait me mener à ma propre perte. J’inspire longuement avant de me décider et je tente ma chance. Avant de sourire en voyant que j’ai eu raison. J’avoue, je suis soulagé mais je vais éviter de trop en faire quand même.

Je me fends quand même d’un rire quand elle en rajoute une couche sur le temps qu’il fait et je souffle, amusé. « C’est bien ce dont on a besoin pour ne pas se faire remarquer. Faut dire qu’on tire un peu sur la corde à se retrouver ici. » Mais je suis heureux de la voir en un seul morceau. Je sens bien qu’elle se crispe à mon étreinte, même si c’est pas ça qui va me freiner, je suis beaucoup trop heureux de la voir pour aller à l’encontre de mes habitudes. « Je sais, les dernières semaines ont été… compliquées. » Je lui rends un large sourire, comme pour dédramatiser mes propos, même s’il est évident que je vais devoir lui raconter ce qui a pu se passer.

Je l’observe avec attention, alors qu’elle fait de même et j’ai un bref hochement de tête. « J’ai eu de la chance oui. Pas comme Babs et Jay. Enfin, si on omet mes côtes cassées il y a quelques semaines. » Ou mois ? A dire vrai, je perds parfois un peu la notion du temps tellement je suis occupé à me focaliser sur le lendemain et rien d’autre. Je grimace alors qu’elle me raconte un peu plus de trucs et je soupire doucement, non sans me passer une main dans les cheveux. « Mmmh ouais ça doit dater de cette période. Sauf que j’ai toujours eu un train de retard sur tes messages, je me suis un peu raté sur ce coup-là. » J’ai une moue penaude et je finis par lui désigner le coin où j’étais tapi dans l’ombre. Rester dans la lumière, si proches du parc d’attraction, ça me plait moyen, même si je sais pertinemment qu’on ne risque rien. « Comment ça se passait à Metropolis ? Si mal que ça donc ? » J’espère que non, même si le peu d’infos qu’elle a lâchées ne me rends pas particulièrement optimiste. « On a… libéré le maire. Bane voulait l’exécuter. Alors on a tenté une opération de sauvetage sur l’ile. » Je me laisse tomber par terre avant de reprendre, non sans grimacer de nouveau. « On a eu de la chance, mais on était pas aussi bien préparés qu’on aurait dû. Babs et Jay ont pris une balle, leur tenue a permis d’éviter qu’ils soient HS mais ils ont quand même douillé. Moi je me suis fait un petit tête à tête avec Bane avant de réussir à fuir. Et le maire a été sauvé. » Je crois. A dire vrai, on s’est tellement faits tout petits après ça, que je serais bien incapable d’affirmer ce que je dis avec certitude. Et je reprends, lui jetant un regard en coin. « C’est pas… beaucoup mieux qu’avant tu sais. Mais... on a décidé d’arrêter de se contenter de survivre, de … faire mieux que ça. » Je l’observe avec attention avant de sourire. « … tu chercherais pas un job par hasard ? Non rémunéré, extrêmement dangereux et avec un taux de survie proche de zéro. » Je vends bien ma came non ?

Kate ne peut empêcher un sourire de fleurir sur ses lèvres – parce qu’après toute l’inquiétude qu’elle a ressentie, toutes les rumeurs glanées à demi-mots, de pire en pire au fur et à mesure que le temps passait, elle avait fini par croire qu’ils étaient morts, puis captifs et lobotomisés, réduits au rang d’esclaves incapables de se rendre compte de ce que l’on faisait d’eux. Et parfois pire. Toutes ces idées, en tout cas, se bousculaient dans ces têtes, alors qu’elle déposait inlassablement ces différents messages. Et si Dick ne s’était pas retrouvé devant elle ce soir-là, n’avait pas été si… lui, alors elle aurait sûrement douté. L’aurait questionné sur des choses que lui seul pouvait savoir. « Au moins, n’importe qui ne traînerait pas ici… Pas par hasard. Et si ça n’avait pas été toi… » Elle interrompit sa phrase. Elle espérait que, si tel était le cas, elle s’en serait rendu compte. Elle soupira malgré elle en l’entendant. « Au moins, tu es là pour me le raconter. Et les autres pourront faire de même, bientôt. »

Fronçant les sourcils, elle s’efforce de ne pas paraître trop inquiète – après tout, il essaye lui-même de diminuer les choses. Trop, probablement, par rapport à la réalité… mais inutile de rentrer dans le vif du sujet dès maintenant. Surtout alors qu’ils sont à découvert, et suffisamment visibles pour quelqu’un d’attentif. Saisissant sa main, elle l’entraîne dans l’obscurité, là où ils seront en relative sécurité. « Que s’est-il passé ? Pour tes côtés, et pour Babs et Jay? » Elle attend, évidemment, qu’il lui raconte tout. Qu’elle sache, réellement, ce qu’il s’est passé. Et qu’elle les aide, si elle le peut.

Elle hausse les épaules, alors qu’il doit avoir eu vent de ses messages avec retard. « Peu importe. On est là, maintenant, c’est tout ce qui compte. » Plus ou moins… Elle espérait que ce soit le cas, en tout cas. Que d’être à nouveau auprès d’eux aide à améliorer les choses pour elle. Et pour eux, autant qu’elle pourrait le faire. Hochant la tête, elle prit la parole. « J’ai l’impression que tout le monde est résigné, découragé… Je ne peux pas faire la leçon à qui que ce soit. Mais je crois que l’espoir est mort, là-bas, plus encore qu’ici… Ou peut-être que je veux simplement croire que Gotham n’a pas atteint le fond, je ne sais pas, mais… c’était intenable. » Et ça le serait sûrement davantage, quand elle y retournerait.

Elle écouta attentivement, écarquillant les yeux. Ils avaient risqué gros. Et ils avaient été inconscients. Ouvrant la bouche, elle la referma, secouant la tête. C’était trop tard, inutile qu’elle leur fasse la morale maintenant. Et elle était à peu près sûre qu’il l’enverrait bouler, parce qu’elle était pas là. Même si ça n’était pas uniquement de son fait, et que c’était pour ne pas laisser Metropolis à l’abandon. Elle se refusait à l’admettre, mais elle souffrait probablement un peu du symptôme du sauveur. « C’est… une bonne chose, que vous avez faite. Comment allez-vous, tous les trois ? Et Bane, dans quel état l’as-tu laissé…? » Elle voulait savoir à quel point ils étaient amochés, évidemment, mais aussi s’ils pouvaient craindre des répercussions prochainement. Après tout, Bane avait plus d’influence et de puissance qu’eux…

Elle ne put s’empêcher de laisser échapper un rire jaune, à sa question. Etait-ce vraiment différent de ce qu’elle comptait faire, à Métropolis ? Qu’elle n’avait jamais mis en place, se sentant seule au monde, mais… Et ce sourire qu’il avait, insolent et qui lui donnait malgré tout envie de le suivre… Après tout, ils étaient alliés avant, même si leur relation n’avait jamais été simple, parce qu’elle était aussi rigide qu’il était désinvolte – à leur manière, du moins. « Je crois que je suis revenue pour ça, inconsciemment. » Elle soupira malgré elle. « Mais avant ça… Je suis dans de sales draps. La personne qui me loge a été forcée de collaborer avec le Joker… pour construire sa propre Batmobile. Et… Il est tombé sur moi, peu après mon retour. Disons qu’il m’a dans le collimateur, et que je suis plus ou moins contrainte de l’aider. Surtout si je ne veux pas qu’il s’en prenne à elle en répercussions. Ou à moi pour la faire plier, mais je suis plus résistante qu’il ne le sait. » La bombe était lâchée.

Y a plein de trucs qui se bousculent alors que j’ai Kate en face de moi. La voir, c’est me dire qu’elle va pouvoir bosser avec nous, qu’elle va grossir les rangs de notre nouvelle entreprise complètement folle et qu’on pourra, à force de s’acharner, réussir à faire quelque chose de positif avec tout ça. Ca fait à peine quelques jours qu’on a acté ça mais déjà, ça avance. Et elle tombe sacrément bien. Alors forcément, je peux pas m’empêche de sourire de plus belle, malgré tout ce qu’on peut se raconter. « … je plains le pauvre type qui n’aurait pas été moi. » J’ai un rire avant de hocher la tête au reste. « Tout le monde va bien, Dinah aussi. On a de ses nouvelles par intermittence mais elle est toujours là. Et opérationnelle. » Façon de parler quoi. Si tant est qu’on soit réellement opérationnels dans ce qu’on fait quoi.

J’ai un temps quand elle me demande ce qui a pu se passer et j’avoue que je sais pas trop par où commencer. J’effleure mes côtes et je grimace, avec un sourire sans joie. « Cadeau d’Harley. Une longue histoire, rien de bien passionnant. Mais ça va, j’ai connu pire. » On le sait tous les deux. J’ai pas vraiment le temps de développer pour Babs et Jay que la discussion s’enchaine et je hoche la tête à ses paroles. Ouais, ce qui compte c’est qu’on soit là, elle a raison. Je grimace avant de souffler, sourcils froncés. « C’est… compliqué. De tenir bon. Surtout quand tu vois pas le bout du tunnel. Je pense que les gens auraient plus envie de se battre s’ils se disaient qu’il y avait une vraie issue à tout ça. Tu vois ce que je veux dire ? Et courber l’échine, ça les aide à rester en vie, je peux les comprendre. » Même si je cautionne pas vraiment. « Et, tu sais, si Gotham touche le fond, ça permettra de mettre un gros coup de pied au sol pour prendre de l’élan et pour remonter. » J’ai un clin d’œil alors que je finis par lâcher ma petite bombe. On a fait fort sur ce coup-là, même si c’était hyper risqué et qu’on l’a payé. Enfin, ça aurait pu être sacrément pire. « Babs et Jay se remettent mais ça va aller. J’ai un truc pour qu’ils aient des médocs, des anti-douleurs et tout. Et Bane… » Je hausse une épaule. « J’suis pas sûr de lui avoir bien fait mal. Mais il doit être furieux. » Contre nous donc. Ce qui est pas bon. « Pour ça qu’on fait un peu profil bas, histoire de récupérer et de laisser le soufflé retomber. » Comme s’il allait oublier l’affront. On l’a touché sur son territoire et on lui a piqué sa proie. Il nous le fera payer, d’une façon ou d’une autre.

Je croise les bras alors que je continue et que je commence à distiller une information bien plus importante. Mais j’ai une grimace quand elle continue. « Il t’a toi dans le collimateur ou Batwoman ? » La nuance est d’importance on va pas se mentir. « Après, ça peut aider à en savoir un peu plus sur ce qu’il fait, c’est pas forcément une mauvaise chose que ton amie soit en contact avec lui, même si elle est forcée. » J’en viens à me dire que coller une puce GPS sur sa bagnole pourrait être une super idée. Mais je mets ça de côté avant d’esquisser un nouveau sourire. « On sait que t’es résistante. Une vraie teigne quand tu t’y mets. Et… on a créé un groupe. Un nouveau. Pour bosser ensemble. Les Titans. » J’attends de voir sa réaction avant de lui proposer cash de bosser avec nous. On sait jamais, des fois qu’elle préfère continuer en solo.

Ca fait du bien. De la retrouver. Autant je suis habitué à voir Jay et Babs tous les jours ou presque et ils sont aussi essentiels pour moi que l’air que je respire. Autant les autres, c’est différent. Et voir Kate, savoir qu’elle va bien, qu’elle continue de se battre, ça fait un bien fou. Je me dis que l’espoir n’est pas éteint, même en dehors de notre petit trio. Même si elle n’a pas de bonnes nouvelles à m’annoncer. Mais le contraire aurait été surprenant. J’ai un bref soupir quand elle me dit que ce n’est pas mieux ailleurs et, si je laisse filer un silence, je finis par souffler, d’une voix douce. « Peut-être parce qu’au fond de toi, tu savais que tu n’étais pas tout à fait seule. Qu’on était là, tapis dans l’ombre. » Je sais, je dois paraitre totalement naïf quand je dis ce genre de trucs. Pourtant, je le pense et c’est ce genre de réflexion qui m’aide à tenir depuis près de deux ans.

Je finis par lui raconter les dernières nouvelles de notre côté. Il y a du bon comme du mauvais et j’ai un peu de mal à faire la part des choses. « Je crois qu’être honorable, c’est surfait ces derniers temps hein… » J’ai une ombre de sourire avant d’ajouter, d’un ton plus léger. « Et puis, tant que tu continues de leur faire les poches, c’est que tu es du côté des gentils non ? » Le reste est plus complexe et j’ai un léger froncement de sourcils avant de reprendre, à mi-voix. « Je pense que Gotham peut survivre à tout Kate. C’est ce qui fait sa force. » Je suis sûr de moi, parce que, sans cette certitude, tout s’effondrerait et rien de ce qu’on ferait n’aurait servi à quoi que ce soit.

Je me frotte l’arrière du crâne avant de hocher la tête à sa question, quand je lui parle des blessures de Babs et Jay. « Ouais. J’crois. Enfin tu sais, la fiabilité, c’est comme l’honorabilité, c’est un peu surfait. Disons qu’elle m’a sauvé la mise et qu’elle sait que je lui dois un service. C’est donnant, donnant. » Ca marche comme ça maintenant. Rien n’est gratuit. « Nope, pas vu, pas entendu pour le moment. Et c’est tant mieux. Je me dis aussi qu’il doit pas trop se vanter de s’être fait blouser par des petits pioupious mal équipés. » J’ai un rire, même si je me rends compte qu’on dirait qu’elle recule pour mieux sauter et m’avouer ce qu’elle a fait de son côté.

Je lève un sourcil quand elle finit par se lâcher et par tout raconter. « Tant mieux s’il n’a pas fait le rapprochement. Et… je comprends, que t’aies envie de tout saboter, mais ce serait en effet une très mauvaise idée. Sinon tu… » J’ai un temps, la fixant, les yeux écarquillés. « Une hyène ? Comme celles de Harley Quinn ? Et vous avez géré comment ? » J’avoue, là, je suis carrément curieux.

Je finis aussi par lâcher le morceau sur les Titans. Et je hoche la tête à sa question. « Ouais… enfin tous les quatre avec Black Canary et… tous les cinq ? Si tu veux bien bosser avec nous ? » Je la fixe, hésitant, avant de reprendre, à mi-voix. « … comme ça, tu pourras plus te sentir seule, quoi qu’il arrive. » Et c’est le principal non ? Ne pas oublier qu’on est plusieurs à lutter, envers et contre tout.