Astounding Ascents ✘ Dara Henrickson

Les fêtes bizarres et éparses du Vieux Gotham commençaient à connaître les fréquentations douteuses de la géante aux boucles de braise. La blonde aux tenues flamboyantes détonnait du décor, plus provocateur et déplaisant que bien d’autres membres féminins de l’espèce humaine. Or, sa silhouette plus féline, plus agile semblait trop svelte et sculptée pour la physiologie du peuple de la Terre. Trop facile à repérer, la pyromane ébruitait aux quatre vents un caractère insupportable, arrogant, hautain…


Et une susceptibilité sans égal. Chaque soirée arrosée se terminait en éclats sanglants, en retombées virulentes des flammes infernales de sa radioactivité. Elle sombrait dans un cercle vicieux : noyant l’amnésie dans les douceurs alcoolisées, noyant son identité inconnue aux plus tréfonds de ses débris de souveraine déchue.


Reculée, solitaire, désirable comme effrayante, la pyromane en cavale ne parlait plus un seul mot de la langue terrestre. Seules les syllabes décousues de sa langue natale, purement étrangère, tombait de sa gorge fébrile – faisant tout pour y cacher le vide sidéral de son manque de connaissances. Parfois, elle s’évoquait un masque miroir, des oreilles de chauve-souris, d’autres attraits confus… La créature féline dansait parmi autrui, plus dangereuse qu’un venin et aussi charismatique que le premier rayon solaire de l’aurore.



Mais, plus rien ne semblait percer l’opacité ténébreuse de son caractère épouvantable, semblable à un désert blanc figé dans une tempête de pluie verglaçante. Dans un état d’ébriété sans vergogne, Kory siffla un humain dans une volupté de syllabes grasses, chantées. Ce dernier semblait autant terrifié que fasciné par l’invitation de la géante. Vite, l’invitation des hanches sembla plus appétissante que de tenter de comprendre les origines loufoques de la blonde dont les pointes semblaient brûler selon ses humeurs plates, apathiques. Sans le moindre sourire, elle empoigna sa gorge avant de lancer un regard plus charnel et inhumain, affamé de chair et de vices, pour convaincre l’autre parti masculin de la poursuite de leurs échanges en privé.


C’est ainsi qu’ils sortirent du bâtiment sans toit, à la fête purulente de drogues et de bassesses, pour se réfugier au mur nord qui donnait sur une demi-ruelle surplombée de chats errants. Si un seul élément pouvait éveiller un seul semblant de familiarité chez la tête vide de la blonde, c’était les apitoiements adorables de ces petites bêtes. Une main sur le cœur, les yeux larmoyants, elle voulut se pencher sur l’asphalte pour recueillir un chaton roux à trois pattes qui boitait. Il voulait tellement l’approcher, câliner la paume de sa main de son oreille. Certes l’ami temporaire de Kory jugea l’intrus indésirable.



D’un coup de main, il envoya l’animal valser contre le mur : réveillant une rage meurtrière impossible à étouffer chez l’héritière en fuite. Regardant la bête se lamenter de douleurs nouvelles, les larmes percutèrent les tempes de l’Alien qui grommela d’autres syllabes chantées – hurla à l’injure au point de faire trembler le jeune homme qui ne devait pas excéder la mi vingtaine. Malgré son taux d’alcool très élevé, le métabolisme trop rapide de la créature lui permit d’ouvrir ses yeux verts sans frontières. Portant un pantalon de cuir et un bustier trop révélateur, le soupir de la blonde ne fit qu’annoncer le mal qui ne fit qu’exploser de tout son être.



Plus mortelle qu’innocente, Kory abattit un poing sur le corps de l’humain pour l’affaler au sol. Roulant sa tête de la gauche à la droite, d’autres mots sortirent dans sa langue natale. L’innocent commença à supplier l’étrange femme de le laisser tranquille, qu’il s’excusait d’avoir blessé l’animal et ses émotions. Un autre hurlement s’ensuivit quand le sang de Kory recommença à rouler sournoisement de son crâne, toujours en inflammation sur sa partie droite.


Les mains fines de la Tamaranéenne prirent une brique, prête à écraser le crâne de l’humain sans élégance, sans discrétion. Pendant ce temps, la petite bête handicapée continua d’exhaler dans les pleurs et l’abandon. Un abandon qui motiva Kory à déverser la tempête refoulée sur l’innocent. À une seconde près de la pire conclusion possible.

Gotham... Le Vieux Gotham... La nuit. Après une journée tranquille comme celle que je venais de passer, une journée satisfaisante même puisque j'avais trouvé la carcasse d'une vieille moto qui paraissait réparable si je trouvais la bonne personne. On m'avait soufflé un nom, celui d'une certaine Tara... Il paraissait d'après les renseignements du gamin qui m'avait filé le tuyau contre une ration, qu'elle était en capacité de me réparer ce genre d'engin pièces par pièces. Il ne me restait qu'à la trouver après avoir envoyé bouler le gamin pour cacher la moto dans une vieille cave, loin de tout et de tous.

Y'a plus qu'à espérer que personne vienne me la piquer.

Ca c'était moins sûr mais depuis le temps que je parcourais la ville, de long en large, je savais où planquer des affaires en toute sécurité, sauf qu'habituellement, il s'agissait d'un sac, pas d'un véhicule entier. Après, il fallait aussi y voir un espoir comme moi, plutôt qu'une vieille carcasse irréparable pour avoir envie de me piquer l'engin.

Enfin... Puisque j'en étais là et que je pouvais me féliciter de mon gain de la journée, acquis ou non, on n'en était jamais sûr dans cette ville, ce qui l'était au moins, c'était de trouver une petite fête pour me détendre enfin et qui savait... Ici tout pouvait arriver alors, le verre que je me servis en m'incrustant à cette fête où toutes les ordures de Gotham semblaient être les bienvenus, j'observais...

Ouais... Toute la plèbe de la ville et une partie de ses criminels probablement. Y'en a sur qui c'était écrit sur la tronche... Y'avait même pas besoin de savoir s'ils étaient armés ou non, rien que leur visage indiquait qu'ils étaient pas nets et devaient avoir des morts sur la conscience... Mais tant qu'ils faisaient que boire des coups...

"Elle m'a l'air bien chaude la pépé là bas... Héhéhé"

Un inconnu me toucha l'épaule en lançant cette vanne graveleuse. Inutile de répondre ou de jarter sa main en secouant mon buste, le type s'élançait déjà vers une jolie blonde venitienne... Enfin, aux cheveux de... feu ? J'n'avais bu qu'un seul verre pourtant... Mais ils semblaient légèrement flamboyer... Ou c'était les spots ? En tout cas, elle était aussi jolie que géante. Elle mesurait bien deux têtes de plus que lui mais ça n'empêcha pas l'homme éméché de se frotter à celle-ci. Elle ne semblait pas farouche. Mais fortement alcoolisée...

"Et merde Dara...

Bon, c'est bien ce que j'étais venu chercher, de l'action mais était-ce une réelle bonne idée que de suivre le couple au dehors pour s'assurer que le compagnon que cette demoiselle semblait avoir choisi de son plein gré ?

Elle est bourrée Dara. Et tu sais comme sont les hommes de Gotham.

Ca oui, je le savais. Mais je ne m'attendais justement pas à ce que j'allais voir en les rejoignant. Cette fille, elle baragouinait des trucs dans une langue incompréhensible, une brique à la main, prête à fracasser celui qui, sans aucun doute, avait dû aller trop loin en commençant à tâtonner son popotin avant qu'elle ne lui donne son accord ?

"Hey ! STOP !"

Mais c'était déjà trop tard, la femme perche abattait déjà un premier coup sur la face du bonhomme, me laissant à peine le temps de lui saisir le bras pour éviter qu'elle ne le frappe à nouveau.

"Fais pas..."

Grmlllelemale

Des étoiles obstruèrent ma vision, et du sang sembla couler de mon arcade pour ajouter à ma cécité temporaire. Complètement sonné, lorsque je rouvris les yeux, c'était pour voir le cadavre de l'homme, au crâne complètement explosé et cette fille qui, j'en étais sûre, n'avait rien de terrienne vu la langue qu'elle parlait, abaissée sur un chaton.

Bordel de merde...

Massant mes tempes pour reprendre mes esprits, avant de me relever avec difficulté, agrippant brique par brique pour me remettre sur pieds et aviser la jeune femme, en gardant mes distances ce coup-ci.

"Hey... Faut pas rester ici ! Tu viens de tuer quelqu'un."

Enfin, c'est pas comme si quelqu'un en aurait grand chose à foutre... Mais moi, même en sachant que ce gars devait être une ordure, j'avais du mal à regarder toute cette bouillie de cervelets, tout comme je ne comprenais pas pourquoi elle semblait peiné par la condition de ce jeune chaton.

Son regard se posa sur moi et j'avoue, qu'un instant, la peur qu'elle s'en prenne encore à moi me fit reculer de nouveau de quelques pas. Elle semblait habiter par le feu... Autant que ses cheveux.

"Moi pas te vouloir de mal. Toi parler ma langue ?"

Comme si je parlais avec une étrangère, j'agitais les mains dans le but de me faire comprendre.

Une Fin qui arriva sans élégance ou préavis pour ce pauvre inconnu, la brique que tenait Kory s’abattit sur son crâne dans une révérence digne de la Faucheuse. Certes un élément étranger, nouveau vint perturber leurs échanges intimes. Un visage aux traits durs, un regard sombre hanté de justice et de désespoir, sembla attirer l’héritière égarée vers des horizons encore plus ténébreux. Lorsque cet élément empoigna son poignet gauche, la créature au regard d’émeraude, sans pourtours et sans repères – aucuns signes de pupilles ou d’iris, fronça ses paupières avant d’enfoncer sa main libre contre son visage. Arrivé dans la spontanéité, Kory s’abandonna à son apprentissage mécanique de femelle guerrière.



Doucement, elle frappa une région de son front en recherchant autant la force que l’adresse. Elle l’envoya loin : ce problème nouvellement identifié d’espèce humaine. Avant de perdre le contrôle, Kory se remémora le coup de pied gratuit – complètement violent – sur la pauvre petite chatte qui traînait dans un recoin désormais. La brique défonça littéralement le crâne de son futur partenaire d’un soir, la créature demeura satisfaite du sang éparpillé avant de s’évoquer la chauve-souris. Encore. De trop.


Des tremblements sévirent quand Kory effectua un sauté arrière à une vitesse incroyable pour l’agilité homo-sapienne. Durement, ses mains percutèrent l’asphalte avant de s’y encastrer : la colonne vertébrale de la féline se réajusta au niveau du sol afin d’y écarter sa jambe droite revêtue de cuir noir et accroupir son autre membre inférieur. De plus, son postérieur sembla se cambrer afin d’annoncer une attaque potentielle.


Certes Kory pencha sa tête de gauche à droite, jetant bien malgré elle une foudre solaire sur sa victime décédée qui avait – quelques instants auparavant touché l’épaule du jeune humain au comportement héroïque – afin de le réduire  en cendres en quelques minutes. Longuement, Kory assimila les prochaines syllabes de l’être humain à ses côtés. Elle le fixa avec une passion digne des carnivores avant de s’adoucir. Un seul clin d’œil au petit félin suffit à lui attirer des larmes sèches, pire, des traînées de flammes sur ses tempes avant de comprendre que le petit quadrupède respirait encore. La créature armée de ses défenses naturelles s’apprêtait au pire, un poing rythmé à la suite du suivant.  


Bouleversée, passionnée, la descendante de l’espèce féline qui vénérait X’Hal, s’approcha du petit pelage d’une rousseur - digne des carottes cueillies des jardins secrets de Tamaran - afin de le saisir entre ses doigts longs et fins. Kory caressa le petit animal à trois pattes avant de jeter un deuxième regard à l’humain. À l’exception du premier, sans sa position de combat, la créature sans mémoire sembla s’accommoder. Au fil de ses paroles décousues, la grande rousse sembla presque hocher la tête quand elle s’approcha au fil des pas du jeune homme qui se contentait de reculer à son avancée.


Avec virtuosité, Kory s’aventura auprès du jeune félin qui n’avait plus que trois pattes. Sans révérence, l’Alien atteignit sa petite carcasse qui respirait encore. Dans une douceur sans précédent, les tempes de Kory devinrent inondées de flammes quand elle prit le petit animal contre l’un de ses seins omniprésents. Le caressant de son index et de son majeur, la créature – toujours accroupie et abasourdie-  par l’intrus osa enfin répondre à ses paroles de courtoisie :


« Ton espèce s’entretue sans culpabilité selon la loi du plus fort… Du peu que j’ai pu observer. »


Au cœur d’un ton léger, d’une sensualité indéniable, la voix féérique continua de s’exprimer avec son accent fin – toujours vêtu de royauté- une sorte de merveille endiablée à écouter:



« Je parle plusieurs langues de la planète Terre. Mais, je n’ai aucun intérêt, aucune mission qui m’y oblige… Votre monde m’est une expérience étrange. Je ne veux pas être ici... J’espère seulement retrouver ma mémoire avant de m’éteindre sous les influences de vos drogues ou de vos viols – enfin, vos mauvais traitements. J’ai été l’esclave de ton espèce si longtemps…Vous avez profité de mon amnésie - de ma maladie-  si longtemps...»


Aux tréfonds d’un silence mortel, Kory dévisagea de nouveau l’invité spontané avant de serrer le petit félin contre son cœur. Les iris immenses de la jeune créature, s’épanouissant d’un vert acide jusqu’aux bordures de ses paupières inférieures et supérieures, se plissèrent légèrement avant de s’assouplir. D’ailleurs, un sanglot percuta la cage thoracique de la créature frigide.


Chamboulée, Kory, eut le temps de saisir ses tempes afin d’y accueillir les larmes froides avant de découvrir son chagrin plus profond, plus dangereux qu’elle ne l’imaginait. Trop influencée par l’alcool, par les drogues métalliques, la créature se releva afin de se reculer, palpant ses tempes remplies de gouttes liquides et dorées.



Certes elle aurait pu le tuer en un revers de main, mais elle se contenta de s’exprimer. Accusant l’effet des alcools encore présents dans son sang, Kory continua de pleurer sans la moindre restriction. Le chaton commença à se lamenter entre ses mains, avant de s’enfuir délibérément de son emprise éphémère. Il vint jusqu’à frôler les talons et les tibias du jeune humain de ses trois pattes aventureuses.


Pendant ce temps, Kory étouffa quelques syllabes dans la langue natale – celle qui demeurait incompréhensible à l’oreille humaine – avant de ressentir sa propre détresse intérieure. La géante se replia sur elle-même, dans l’unique espoir de disparaître de toute vue de l’espèce humaine.

C'était flou... Beaucoup trop, vu le sang qui s'écoulait sur mon arcade et qui continuait de m'obstruer la vue même après que l'effet "knock-out" de la brique qui s'était écrasé contre mon front soit passé. Mais je captais quand même ce qui se jouait autour de moi, le cervelet du type qui s'était éparpillé sur le sol avant que la miss ne se mette à faire des galipettes félines. On aurait presque cru un rêve... Si la douleur lancinante qui tamponnait mon front ne venait pas lui rappeler qu'il était dans la réalité et que cette fille venait de brûler le cadavre de ce mec juste devant ses yeux. On ne distinguait même plus la cervelle qui avait failli m'arracher un haut le coeur, il ne restait que cendres et poussières de ce type... Certes, l'un d'eux était tâché du sang qui s'écoulait du haut de son sourcil et c'est comme s'il y voyait à travers une pelle. Mais là non plus, il n'avait pas rêvé.

A croire que m'man a raison, t'es doué pour te foutre dans des bourbiers !

"Tu l'as tué bordel..."

Bordel, c'était le mot... Il avait cru bien faire de suivre cette espèce de mignonne grande perche en croyant jouer le sauveur si jamais l'autre alcolo en vienne à profiter d'elle et il se retrouvait à constater la mort de celui-ci et la folie... Ainsi que les pouvoirs et les cheveux flamboyants de la géante blonde vénitienne...

"T'es une grande malade..."

Difficilement, je me relevais, m'agrippant au mur, constatant la femme à l'attitude féline, un petit chat entre les doigts, apposé avec douceur contre sa poitrine.

Bordel Dara, c'est pas un rêve et pourtant t'en as vu à Gotham...

Alors tandis que cette créature ou cette méta-humaine avançait, encore dans le flou, même si peu à peu, je reprenais mes esprits, je reculais en la voyant avancer. Elle pouvait me brûler comme ce type que j'enjambais à tout moment... Et tandis qu'elle caressait la jeune bête, avant d'enfin répondre en anglais, je comprenais qu'il s'agissait d'une alien... Et pas du genre gentille vu ce qu'elle venait de faire et les mots, qui certes, dans le ton presque enivrant qu'elle employait, restaient durs et fermes.

De plus, l'empathie de Dara ne pouvait que jouer, en plus d'être attiré par cette voix si... Particulière... Aux mots, au vu de leurs puissances... Il continuait de reculer tout de même, doucement, sûrement, plus elle avançait. C'était paradoxal mais elle lui faisait autant peur qu'elle le fascinait, l'interpellait...

"Mon espèce ?"

De quoi parlait-elle ? Les terriens Dara, les terriens ! Evidemment, il n'était pas difficile à comprendre qu'elle venait d'une autre planète. Ma paume gauche se dressa devant elle, comme pour lui signaler que je n'étais pas un danger sans vraiment être sûr qu'elle saisisse l'intention de mon geste, malgré mes pas de reculs, qui diminuait petit à petit.

"Ecoute, je n'sais pas d'où tu viens, mais est-ce que sur ta planète tout le monde est pareil ? Mon espèce comme tu dis, contient tant d'individus différents !"

Je n'sais pas si c'était mon argumentaire qui avait fait effet ou, non. Juste non car elle avait semblé absente un moment. Mais la géante aux cheveux de braise avait fini par relâcher le petit être entre ses bras qui était venu se réfugier entre mes jambes, tandis que celle-ci le mettait davantage dans l'embarras en fondant en larmes.

On s'en fout de m'man, ton instinct te trompe pas, cette fille, peu importe ce qu'elle est, elle va pas bien.

Un brin coupable, c'est ce que je ressentais. Peut-être aurais-je dû me mêler de mes affaires ou peut-être pas ? Si je n'étais pas sorti, elle l'aurait quand même tué et elle aurait fini par pleurer seule ? Est-ce qu'elle se sentait coupable ? Ou était-ce tout autre chose ? Comme par exemple, ce qu'elle lui avait confié sans une once de gêne.

"Des gens t'ont fait du mal sur ma planète ? Ils t'ont drogués ?"

Ces questions le titillait même s'il n'osait pas s'approcher d'elle, par sécurité, préférant s'abaisser et caresser le chaton tripède pour éviter l'approche.

"Tu peux me dire tu sais. On est pas tous pareils ici. Y'a des gens mauvais et des jambons."

Je tentais un sourire, blagueur, en oubliant qu'elle n'était pas de cette planète et qu'elle ne comprendrait pas la vanne. De plus, dans une attitude toujours plus féline, elle semblait se recroqueviller sur elle-même. Ca m'obligeait à prendre ce jeune matou entre mes propres bras, le serrant contre ma poitrine et lui proférant quelques caresses pour oser l'approcher.

Puisqu'elle semble aimer les chats... Et en être une sorte...

J'osais enfin m'approcher et lui tendre la main, tandis qu'elle baragouinait dans la langue que j'avais entendu tantôt.

"Je m'appelle Dara et je suis né ici. Relève toi, ne pleure pas, tout va bien."

Il serra le chaton un peu plus contre sa poitrine, celui ci avait l'air blessé... Comme lucide, il faisait fi du tas de cendres qui était les restes d'un être humain pour montrer, l'humain justement, à une créature étrangère à cette Terre.

"On peut soigner cette petite merveille si elle est à toi. Je n'aime pas voir une femme pleurer."

Le jeune homme, bien qu’il semble légèrement plus âgé qu’elle, semblait dévasté par le meurtre et la crémation commis par la créature. Larguant sa tête de gauche à droite, Kory passa ses boucles d’or qui devinrent plus rousse, plus soyeuses qu’enflammées, derrière la pointe de ses oreilles aux multiples parures dorées. Tous les pourtours des pavillons externes de ses oreilles portaient de telles parures. Celles-ci semblaient serpenter sur sa chair, toutes munies d’or et de joyaux d’un vert impossible à classer dans les carnations humaines. Ses doigts et ses poignets semblaient en porter aussi, comme si ces biens semblaient lui apporter une certaine prestance…Un sentiment de royauté?


Puis l’inconnu effectua ses propres réflexions, pendant que son visage saignait au point de l’aveugler. La culpabilité rongea facilement le cœur de la guerrière sans repères qui se croyait toujours en guerre, toujours en fuite contre cette espèce étrange. Habituellement parée de ses défenses psychologiques très fortes, Kory devint  plus vulnérable à l’approche du terrien. Même si son poing s’était donné le droit et le devoir de le blesser sous le coup de l’adrénaline, le dénommé Dara ne semblait guère lui vouloir de mal…Lorsque sa main se releva entre eux, Kory prit congé de son attitude menaçante. Et il parla de nouveau, lui posant des interrogations que sa mémoire vide n’osait plus approfondir.


À la mention de sa planète d’origine, les perles dorées ne firent que redoubler d’ardeur, libérant autant des flammèches vert acide que des vapeurs dorées. Le regard si lumineux, si intense de la créature sembla pâlir, de même que son teint bronzé. Des prunelles semblèrent plus faciles à discerner quand Kory demeurait repliée sur ses habits de cuir, pressant son torse contre ses cuisses et voulant sincèrement disparaître entièrement de la surface de la Terre. Peut-être même de l’espace entier. Les sanglots continuèrent, doucement, libéré entre quelques…bruits quasi semblables à des miaulements. Elle fit un silence, très long et pénible, avant d’oser s’exprimer :


« Je ne sais pas…Je souhaite juste de trouver des gens comme moi un jour. Et ces chats sont les seuls à me comprendre. Je suis persuadée de partager leur sang. Je ne veux pas être ici…Je veux trouver les miens, mais…je ne sais pas comment je suis arrivée ici…Et je n’arrête pas d’oublier tout : les villes, les gens… Je ne devrais pas te »



Parler. Non. Elle ne devrait pas. Et si la femme que Kory aimait le plus au monde, et aussi la plus cruelle, décidait de venir tuer tous ceux qui osaient lui montrer de la compassion? Détruire cette planète et ses habitants? Dans un deuxième silence noyé des pleurs devenus silencieux de la créature, la silhouette écouta les questions suivantes de l’humain avec une nouvelle méfiance. Peut-être était-elle blessée dans son orgueil? Passant une main aux multiples bagues et aux ongles vernis de pourpre sur ses paupières de feu, Kory répondit d’une voix tremblante :


« Je me souviens d’être une esclave sur la planète des Hommes-Reptiles : leurs traitements, leurs expériences…Notre guerre… Sur Terre, je me souviens d’un réseau d’esclaves démantelé par une chauve-souris...C'est confus pour moi. »


Ses mains tremblèrent sur le regard qu’elle tentait de cacher, avant de fixer le sol en demeurant accroupie. Les encouragements de Dara semblèrent faire plier sa volonté, ses défenses, toujours plus. Kory était à quelques secondes de flancher : carboniser l’âme bienveillante qui devait probablement essayer de la manipuler à son tour, prendre la poudre d’escampette. Certes la vue du petit chaton entre ses mains, serré dans ses bras sembla la rassurer. Profondément. L’agressivité de la blonde devint une douceur, une délicatesse incroyable. Ses traits se détendirent comme si le simple fait de respecter les félins de la Terre autorisait Kory à lui faire confiance. Le sourire, même éphémère, sembla éveiller sa curiosité.  


« Qu’est-ce qu’un homme-jambon? Et pourquoi les hommes goûtent mauvais? Je croyais que c’était une viande prise chez les cochons.»


Certes, même sans comprendre son humour, Kory ria brièvement. C’était étrange de voir cette expression faciale chez elle, comme si elle ne riait plus depuis la nuit des temps. Ou qu’exprimer quoi que ce soit lui était sincèrement nocif pour son ego. Ensuite, l’humain se présentait, cherchait à annihiler cet état de tristesse encore imprimé sur ses tempes. Incertaine, méfiante et lassée de l’errance en plein isolement social, la créature vit cette main comme un affront.


Avant de l’accepter, de la prendre pour se relever sans y mettre de poids. Une chair de soie, une chaleur étouffante et magnétique. Trop fleur bleue, trop délicate, Kory sentit ses larmes s’évaporer tant sa chaleur augmenta drastiquement. Un dernier regard fut jeté au petit chaton quand Kory reprit un brin de contenance.


Malgré le fait qu’elle demeura saoule, la créature lâcha rapidement la main de Dara comme si elle ne voulait plus afficher sa détresse émotionnelle. Sa chevelure recommença à onduler de petites flammes dorées, y laissant autant le roux et le blond s’y fondre dans une nuance unique. L’opacité de ses écrans carnassiers redevint d’une verdure phosphorescente, dure à tolérer.


« Elle ne m’appartient pas…Mais, je vais certainement la ramener dans mon repère pour la protéger. J’en ai trouvé une dizaine dans les rues…Une humaine m’avait dit de les tuer ou de les manger, mais je ne suis pas cannibale. Est-ce normal pour votre espèce de manger les chats? J’imagine que je serais une bonne viande pour vous si c’est le cas. Mais, oui, s’il est possible de la soigner, je t’en serais infiniment reconnaissante. »


Redressée dans toute sa hauteur, Kory croisa les bras sous sa poitrine avant de sortir un mouchoir de sa poche. D’un pourpre sombre et d’une texture autant soyeuse que robuste, des symboles y étaient brodés – en compagnie du prénom de la créature : Kory. Sa main lui donna d’emblée, désignant son front d’un coup d’œil rapide.



« Je suis désolée, Dara. Je promets de ne plus recommencer. »


Parlait-elle des meurtres ou de le frapper? Qui sait. Kory s’éloigna de quelques pas, semblablement fragilisé par l’alcool et les drogues. Qu’importait, l’authenticité de ses révélations, de sa personne, de sa promesse semblait invulnérable. La féline passa une main sur sa nuque avant de remonter les pans de sa veste en cuir sur ses épaules.

C'était horrible, même à gerber, cette odeur de brûlé, de cendres et de chair... humaine. Si la brutalité de Gotham ne m'avait pas forgé à assister à ce genre de scène surréaliste, j'aurais probablement renvoyé le peu de choses que j'avais réussi à avaler aujourd'hui, ma bière en premier. Si j'n'étais pas aussi courageux, j'aurais fui en voyant de quoi cette géante était capable également. Mais son attitude et mon caractère me firent effectuer l'inverse, me plongeant dans quelques songes... Pourquoi ? Après tout, il l'a sûrement mérité vu ce que tu as entendu dans la boîte. Ce loubard a mal choisi sa proie et celle-ci était bien plus dangereuse qu'il l'avait pensé...

Oui, elle était dangereuse, mais aussi curieusement attrayante. De par sa voix, sa stature... Mais aussi son comportement inexplicable qui avait bien vite calmer les ardeurs du défenseur du droit des hommes que j'étais. Son physique et ses larmes également, qui semblaient briller dans la nuit et le fouetter en plein coeur comme ceux d'une petite créature prise dans un piège...

"Tu ne devrais pas me ?"

Parler de ça ? Probablement. Mais pourquoi encore une fois ? Elle continuait d'attiser sa curiosité. Rien que ces quelques mots après l'avoir vu adopté une attitude féline. Sa propre attitude avec ce chat, comme si elle tenait plus un bébé qu'un simple animal de compagnie en mauvaise santé...

Persuadé de partager leur sang. Venant d'une autre planète. Mon imagination partait dans tous les sens mais une chose était sûre, elle n'était pas kryptonienne. D'un autre univers ? D'une planète de celui ci. De celle d'un autre univers ? Tant de questions qui n'aurait de réponses que si je les lui posais.

"Une chauve souris ? Un homme déguisé en chauve souris ? Batman ?"

Les membres de la Justice League étaient-ils de retour ? Si oui, j'avais des raisons de sourire mais pour le moment, c'était le comportement de l'extra-terrestre qui me perturbait et réveiller mon empathie. Curieusement, je voulais que cet inconnu, malgré l'exaction qu'elle venait de commettre et que je condamnais fermement, aille mieux...

"Laisse tomber..."

Lâchais-je pour éviter de perdre davantage son interlocutrice. Le petit chaton entre mes mains, je préférais m'approcher prudemment de celle-ci pour qu'enfin, elle arrête de se recroqueviller ainsi. Elle semblait être prise d'un mal-être si profond qu'il me rappelait ce jour où maman m'avait abandonné quelques temps chez mes grands-parents.

"Un homme jambon... C'est..."

Perdu dans ma propre vanne que je peinais à chercher à expliquer à une étrangère mais rassurer par le sourire qu'elle me servit quand même, je s'accroupis à mon tour. La petite boule à trois pattes ronronnant entre mes bras, elle, ne répondant pas à toutes mes interrogations tant elle semblait perturbé, ou plutôt y répondant sans que je n'y trouve réponse. Ainsi préférais-je continuer de tenter de détendre la créature et de lui faire feindre ce joli sourire de nouveau.

"C'est rien du tout en fait, c'est une blague terrienne. Il y a les gentils et les jambons. C'est un dérivé. Une autre manière d'aborder la blague. On compare les gens à une viande qu'on trouve difficilement depuis le Blocus... Mon espèce peut aussi chercher à être drôle parfois. Visiblement ça marche pas avec toi."

Je lui souris tout de même en continuant de passer ma paume dans les poils du félin estropié. Un instant, j'arrivais même à se saisir de sa main, quelques instants pour me présenter. Une main chaude... Bah oui Dara, elle crache des flammes, t'es con ou quoi ? Des flammes qui recommencèrent à perler dans ses cheveux, me poussant à un mouvement de recul pendant lequel le chat s'échappa de mes bras pour aller se réfugier à nouveau auprès de la blondirousse aux cheveux de braise. Puis ses yeux semblaient comme me brûler lorsque je captais son regard, étrangement verdoyant alors, baissant la tête, je poursuivais tout de même.

"Laisse tomber tout ça également !"

Tandis qu'elle se redressait, j'en faisais de même, captant finalement son regard, malgré les picotements aux iris qu'il me filait.

"On ne mange pas les chats. Y'a que les tarés qui font ça, depuis et même avant le Blocus. Ils sont nos partenaires." Répondit-il, sincère, se souvenant du petit Tigrou que possédait ses grands-parents adoptifs et qu'il adorait étant gamin. "Tu es une jolie créature mais personne ne te mangera tant que je serais là."

Un clin d'oeil et de nouveau, je lui tendis la main sans forcer à l'obliger à ce qu'elle s'en saisisse. C'était à elle de me faire confiance et également... A tes risques et périls mon bon Henrickson. Si maman savait qu'tu jouais avec le feu...

"C'est un peu ce que tu fais, "marmona-t-il pour lui même avant de secouer la tête. "Si tu me fais confiance. Alors oui, je peux t'accompagner à ton repaire et t'aider à soigner cette petite bête."

C'était à elle de voir. Est-ce que j'avais réussi à lui démontrer que mon espèce, comme devait l'être la sienne, était pourvu d'êtres mauvais, comme d'êtres bienveillants. Je n'escomptais pas la forcer, si elle voulait fuir seule avec ce petit matou, alors je la regarderais partir. Mais si les quelques talents que j'avais observé chez sa mère me permettait de bander le petit être, alors, je me devais de faire qu'elle accepte. Il me fallait un environnement stérile et fermé, pour éviter que la bête ne tente de s'échapper au vu des soins qui lui serait probablement désagréable. Là aussi, je prenais le risque de me faire brûler aussi vif que le corps encore chaud du bandit au vu des émotions instables de la non-terrienne. Mais je n'pouvais s'empêcher de l'aider, c'était contre mes principes.

En même temps, une femme qui pleure et tu fais tout c'qu'elle te dit... Ta gueule !

"T'as pas à être désolée. Pas pour moi en tout cas." Concluais-je en attrapant le mouchoir qu'elle me tendait, m'attardant sur l'inscription et sur son tissu... Particulier. C'était à la famille de ce tocard, si tant est qu'il en avait une. "Mais il faudrait mieux éviter de recommencer cela dit." Repris-je, la main toujours tendu. "Alors... Kory. Qu'est-ce que tu décides ?"

Toutes les cartes étaient entres ses mains. Elle pouvait m'abandonner là, me brûler vif en pensant je ne savais quoi. Elle pouvait tout aussi bien m'attirer dans un traquenard mais ses pleurs de non humaine semblaient bien trop réelles pour cela. Même si le traquenard venait peut-être de ma propre personne, en lui proposant de la suivre...

Pour la princesse déchue, les conséquences de ses foudres solaires semblaient communes – pire, anodines. Respirant la fumée nauséabonde comme s’il s’agissait d’un parfum comme un autre. Un fait demeurait certain au contact de la créature : elle avait tué dans son passé, elle tuait depuis longtemps, peut-être ses premières années d’existence? Doucement, lors de leurs mains jointes, Kory demeura stupéfaite lorsque Dara recula en démontrant un ressenti d’appréhension. Ébranlée, la créature en redressa son menton, sensiblement encore affectée par son ivresse : de voir l’humain apeuré sembla lui confirmer ses craintes.


Toute l’espèce humaine était destinée à la craindre : elle et sa nature étrangère de la Terre. Laissant des perles liquides de couleurs vertes s’épandre sur ses tempes avant de s’évaporer en fumée, la géante n’en fit aucun commentaire. Quelque chose quitta sa gorge : une sorte de son félin impossible à définir. Une vibration? Une plainte mielleuse et sourde? Certainement, il s’agissait d’un type unique de grondement. Certes l’émotion n’en restait guère agressive, mais assez mélancolique.


Or, les gestes du dénommé Dara, un humain de surcroît, à l’égard du petit félin charmèrent la nature profonde et l’intuition de Koriand’r. Penchant la tête d’un côté, la chevelure de la créature commença à roussir : devenir davantage bronzée, mais sans y perdre sa nature solaire, dorée, énergique. De même que son regard sembla perdre de son agressivité, de sa chaleur extrême : des prunelles aussi enflammées que les astres commencèrent à s’y dessiner dans des vagues étranges de tons presque impossibles à discerner. Kory songea à répondre à son interrogation sur les chauves-souris, mais son explication de jambon et d’humour terrien la laissa envisager de tenter de comprendre son monde à lui.


Lorsque la petite bête revint entre ses jambes, Kory l’observa boiter avec compassion. Passant sa botte contre son flanc, la créature ne put retenir un sourire éphémère dans la direction du félidé. Toutefois, les mots de son interlocuteur vis-à-vis des races félines brisèrent l’ego de la princesse en fuite. Ses épaules, si hautes, semblèrent trembler au creux de leur prétention toute royale. Personne ne la dévorerait tant que Dara était là? Était-ce vrai? Pouvait-il exercer une telle magie sur ses pairs?


La guerrière sans repères observa cette main tendue une fois son mouchoir accepté par l’humain, se penchant pour pêcher le chaton du sol. Écoutant sa dernière proposition, Kory le regarda encore dans un mutisme étrange, presque une transe. Les rebondissements explosifs de sa personne semblaient se calmer comme une méditation profonde et lourde. Les dernières remarques du jeune homme semblèrent affecter la créature qui comprit bien malgré elle les allusions cachées dans ses mots aux cendres fraîches et fumantes à leurs côtés.


« Dara, ton âme semble bienveillante. Je t’ai promis de ne pas recommencer…Je ne briserai pas cette promesse. Je ne peux pas. Je trahirais mon honneur. »


Contre toute attente, Kory tendit sa main vers celle du jeune homme afin de l’y déposer. Ses phalanges étaient d’une chaleur douce, soyeuse. Quelques tremblements semblaient témoigner d’une nervosité nouvelle. Ses yeux sans frontières, sans délimitations semblèrent vitreux. Kory semblait refouler d’autres émotions, d’autres tendances folles conséquentes de ses dépendances aux substances chimiques les plus horribles qui soient.


« Si les tiens me droguent ou me blessent encore, je risque de perdre le souvenir de cette promesse. Ça m’est arrivé plusieurs fois de perdre mes souvenirs, de confondre la réalité et mes rêves. Certes, si je te fais confiance, mon intuition ne pourra pas effacer cette impression. »


Lentement, sa main se resserra sur la sienne, mais sans y dénoter une seule once de force surnaturelle. Sa gorge gronda de nouveau d’une tristesse immense, empêchant de tout son orgueil ses larmes de rouler sur son visage.


« Je te fais confiance, Dara. »


Les mots franchirent ses lèvres vermeils avec mélodie, tandis qu’elle le toisait longuement de son regard fier. Une sorte de deuxième promesse à son égard, peut-être pour tenter de ne pas oublier une autre personne. Parce qu’elle ne désirait pas oublier ce moment : chaque seconde durant laquelle la créature pouvait ranger sa méfiance dans l’ombre. De même que Kory donnait sa confiance à grande sœur, Komand’r, dont le visage et la chevelure continuaient de hanter ses pires cauchemars et ses rêves éveillés.



Enfin, Kory déposa le chaton à trois pattes dans la pochette de son veston de cuir qui se situait au-dessus de son sein droit, l’y laissant s’y glisser avec compassion. Puis la rousse rabattit sa capuche sur son faciès aux traits fins, tendres afin de le dissimuler. Toutefois, ses yeux continuaient d’y rayonner comme deux lueurs délicatement prédatrices. Toujours en tenant sa main, la créature se détourna de Dara pour l’emmener à son repère du moment.
Et elle espérait sincèrement ne pas trop l’effrayer avec sa nature extraterrestre. Certes, au fil des marches qu’ils descendirent afin de se fondre dans la foule avant de sortir par l’entrée en ruines du bâtiment à demi-ciel ouvert, la silhouette agile de la féline semblait gérer ses mouvements avec une élégance non feinte, toute naturelle.



Un quart d’heure plus tard, ils arrivaient au pied d’un ancien bloc résidentiel gratte-ciel dont les multiples bombardements semblaient avoir laissé des locaux en hauteur, impossibles à accéder sans une grande échelle ou…des ailes. Se faufilant avec agilité au cœur des débris, Kory ne lâcha guère la main de Dara comme si elle avait peur qu’il s’envole en fumée. Dissimulés dans les méandres de ce qui fut certainement un immense bloc résidentiel entre les cases démolies, ou intactes et très hautes, Kory se retourna vers le jeune homme avec un sourire doux.


« Cette semaine, je traîne là-bas. »


De sa main, elle désigna le bloc le plus haut de tous avec une candeur instinctive…Même avec un grappin, il aurait semblé très ardu d’y monter. Or, Kory sembla prendre les devants de nouveau avec le jeune humain à ses côtés. Se penchant à sa hauteur pour enlacer Dara de ses bras forts, la silhouette de la créature semblait émaner une énergie, une chaleur omniprésente. Sans être inconfortable ou menaçante, il était impossible d’embrasser le froid de la nuit à son contact. Elle s’excusa, penchant son visage vers le sol, alors qu’ils s’envolaient. Rapidement.


En vérité, le temps de déplacement fut si léger que quelques secondes suffirent à les ériger au sommet des méandres de ces lieux. Franchissant la porte et libérant enfin Dara de son emprise sur le bout de corridor en place au seuil de l’entrée, Kory le traîna à l’intérieur avant de découvrir si cette méthode de placement lui avait donné la nausée ou non. Ouvrant la porte de l’appartement abandonné, mais dans un état impeccable et légèrement poussiéreux, une dizaine de chats errants se révélèrent aux yeux des nouveaux intrus. Les félins semblaient en bonne santé, nourris et hydratés. La créature leur montra le petit chaton, se récoltant divers types de réponses mécontentes. Puis leur maîtresse gronda à son tour pour les faire taire en fronçant les sourcils. Certes, la seconde suivante, Kory demanda candidement à Dara, un sourire timide aux commissures de ses lèvres en lui tendant le chaton blessé :


« Que doit-on faire pour la soigner? »

Je continuais de tamponner le sang qui perlait lentement du dessus de mon sourcil avec ce mouchoir brodé au prénom de la jeune fille ou peut-être était-ce celui d'un membre de sa famille, ce qu'elle ne manquerait pas de m'indiquer, au vu du peu de filtre qu'elle semblait avoir dans la parole, lors de ma tentative de l'appeler par celui-ci... Qui passa comme du beurre dans le fond d'un plat pour éviter que le gratin colle....

Kory donc... Ca fait pas très... Extraterrestre.

J'en avais pas rencontré des masses non plus mais la légende disait que le vrai prénom de Superman était Kal-El. Ou un truc du genre. Mais il avait selon ce qu'il avait entendu un prénom bien particulier qui indiquait qu'il était pas né sur Terre. Ca se savait. Mais Kory, c'était plutôt courant, autant sur la planète que dans notre pays, justement. Enfin, ça s'écrivait beaucoup plus avec un C ici, mais ça changeait rien à la sonorité du truc ? Si ? Non, là, non plus, elle ne l'avait pas repris.

"Bienveillant, je n'sais pas..."

C'était peut-être mon côté modeste mais je me sentais plutôt humain, juste humain. Après, peut-être qu'en plus de brûler des types, elle avait la capacité de scanner les âmes humaines... J'm'imaginais un genre de couleur, une aura. Mais c'était sûrement de la simple hallucination. Elle avait dit "semble bienveillante" en attrapant finalement ma main. Ca au moins c'est signe de confiance mon pote.

"C'est honorable de ta part."

Faire fi de ces histoires d'honneur tout en utilisant un synonyme pour la remercier de prendre en compte ses conseils. Paradoxal. Mais bon, elle n'était pas d'ici, ça n'amusait que sa propre personne intérieurement.

Enfin, quand nos doigts se joignirent réellement, je sentis comme une douce pression sur les mains qui m'arrêta avant que je ne sache si elle allait finalement réellement m'emmener. Elle semblait pour autant avoir accepter, mais... Y'a toujours un mais...

"Personne te fera du mal ! J'te promets comme tu l'as fait ! Sinon comment pourrais-je t'en vouloir si tu en perds le souvenir, ça voudra dire que je n'ai pas tenu la mienne."

Je lui offris mon plus beau sourire, rassurant, bienveillant. Elle sera un peu plus sans pour autant y mettre la force surnaturelle avec laquelle elle m'avait envoyé valser en un coup de brique avant de poursuivre, solennellement.

Elle le touchait réellement au plus profond de son coeur. De tout son être. Entre ses capacités, son attitude féline et tellement... Bizarre. Semblant passer de la colère à la tristesse pire au gré de la coloration de ses cheveux et de ses yeux... Qui perlaient comme son sang mais de billes étranges, des larmes.

"Tu peux." Lui assura-t-il en la laissant leur doigts se quitter pour que la géante range le petit félidé blessé dans ce qui la couvrait du froid de la saison.

P'tet qu'elle a pas de chaleur intérieure même si elle crache des flammes...

Sinon elle pourrait s'balader à poil, comme les chats qu'elle semblait dire être de sa famille. Enfin, j'm'égarais, c'était peut-être de remarquer qu'elle était vraiment jolie en l'oeillant se préparer qui m'faisait divaguer dans les pensées débiles de gamin du gamin de quinze ans que j'étais. "Est-ce que Batman se transforme en chauve-souris comme Dracula ?", qu'est-ce que j'avais pu agacer maman avec mes questions....

"Tu me fais confiance hein ? Alors redonne moi la main et passons comme des amoureux qui quittent la fête. S'il avait des amis dans le coin, il ne serait pas bon qu'il nous repère, d'accord ?"


Sans encombres. C'était tant mieux. Nous étions sortis, nous avions traversés des allées sombres de Gotham et rien ne s'était passé. La ville semblait éteinte ce soir ? Même pas un pillard sorti de nul part agitant son couteau rouillé alors qu'il tenait à peine debout par la faute d'une bouteille de whisky qui traînait dans son autre main.

Enfin, je n'allais pas m'en plaindre, car même si j'aimais neutraliser ce genre d'individus pour éviter que justement, ils tombent sur des innocents, là, je craignais plus pour la vie de ce genre de gars si Kory venait à tomber dessus. Mais nous arrivions enfin dans son antre, enfin, devant l'entrée de son antre... Qui était impraticable.

"Euh... Ca fait pas un peu haut ? Là bas..." Repris-je en ses termes avant de faillir la rejeter en la voyant s'approcher comme pour m'offrir un câlin. "Oh, c'est un traquenard pour me... Wooooooooooh

Non, rien à voir avec un traquenard pour me voler, me kidnapper ou pire encore, des trucs que j'préférais pas imaginer vu la ville où nous étions. Les femmes étaient autant capables d'atrocités à Gotham que les hommes. Mais non, c'était pour me faire grimper avec elle dans l'endroit indiqué. Très rapidement, à peine m'avait-elle saisi que nous étions déjà en haut.

"La vache..." Elle savait voler en plus de ça ? Mon regard se dirigea vers le bas, déglutissant à l'idée qu'il ne valait mieux pas tomber de cette hauteur si on souhaitait rester vivant. Éberlué par celle-ci comme par la façon dont nous étions monté si haut. Vous avez tous ces pouvoirs sur votre planète ?

Ou elle était un être exceptionnel ? Comme les métahumains ?

"Salut vous !" Fis-je en présentant ma paume à la vision de tous ces chats entassés dans le même appartement.

Ca fait beaucoup... Ca tombe c'est sa famille ?

Après tout, elle avait dit plus tôt se sentir des leurs ? Ou alors ses enfants, vu la façon dont elle les gronda, à la façon d'un chat, sans s'y méprendre. Mais avec une tonalité plus... Ah là j'ai pas l'mot. C'était la première fois que j'voyais une fille grognait comme un animal sans que ce soit pour tenter d'me faire rire ou de faire rire un autre public. Sauf que là, ça n'avait rien de comique.

"Alors, qu'est-ce qui lui est arrivé, je dois déjà savoir."

Elle entreprit de me raconter le récit des mésaventures du chaton, la façon dont l'homme l'avait chassé et que c'était ce qui l'avait poussé à... le brûler vif et rapidement, que je parle franchement.

"Pour sa patte malheureusement, je ne peux rien faire..." Commençais-je. Qu'il ait déjà été comme ça ou l'ait perdu avant, à part une prothèse, je n'voyais rien d'autre. Ma mère pouvait peut-être lui en trouver une ? Malgré le blocus. Elle restait une médecin réputée et avait sûrement des contacts mais lui poser la question releverait du suicide. Je l'entendais déjà. Alors maintenant tu joues au super avec les animaux également ? Une remontrance que je souhaitais éviter en inspectant la créature, qui commençait à se débattre pour filer de mes bras. Chut ma petite.

L'inspection avait déjà déterminée le sexe de l'animal. Et aussi l'endroit où elle avait été brièvement touché, le sommet de son crâne. Une croute se formait déjà sur celui ci.

"Elle n'a rien de grave," assurais-je à l'extra-terrestre en lui rendant son sourire, "mais elle sort de la rue, je pense qu'il faudrait désinfecter la légère plaie qu'elle a sur la tête. Tu as de l'alcool et de la gaze ici ? Oh... Et tu vas devoir la tenir pour moi si je lui prodigue des soins, elle risque de souffrir un peu sur le moment mais ça lui évitera une infection qui pourrait la tuer dans les jours suivants."

La dernière interrogation de Kory résonnait encore dans son esprit, alors qu’elle tenait le petit chaton au poil orangé-blond. S’évoquant des images parsemées de leur trajet, la souveraine déchue par son propre destin s’interrogeait sur beaucoup de mots utilisés par son interlocuteur. Certes lorsqu’il confirma une seconde fois son offre de protection par l’auréole d’une promesse, la jeune fille retrouva un calme des plus profonds. Un simple sourire avait suffi à répondre à ses répliques, alors qu’elle se montrait docile lors de leur trajet. Une fois au pied de son repère haut perché, la rousse fut déstabilisée par les frayeurs de l’humain.


Avant d’user d’un brin de sa propre empathie : elle avait réduit en cendres un humain, montrait des pouvoirs étranges et inconnus à son espèce, etc. Une fois sur le seuil de son repère éphémère, comme cette soirée improvisée, Dara déposa une interrogation qui déstabilisa davantage la créature dont le regard félin dévoila une surprise immense face à sa curiosité à l’égard de ses dons maudits.


« Non... J’ai été…torturée par des scientifiques après mes six ans d’esclavage. Ils voulaient observer combien d’énergie solaire mon corps pouvait absorber avant d’exploser…Et je… Qu’importe. »


Au milieu de son entrée, la jeune créature dévoilait des informations sur son passé tragique. N’étant plus habituée de fréquenter d’autres êtres vivants sans les brûler, ou même entretenir une conversation, la rousse recourba ses épaules fières vers l’arrière, croisant ses bras pour montrer son inconfort. N’arrivant pas à finir sa dernière phrase sous le coup d’une émotion trop brute, Koriand’r se détourna de l’humain pour entrer dans l’appartement sans s’attarder une seule seconde supplémentaire sur ce sujet. Vite fait, ils rentrèrent, laissant Kory s’interroger sur les premiers soins à apporter à des félins tout en allumant quelques chandelles blanches.


Tandis que l’armée de chatons vint accueillir le jeune homme en quémandant des récompenses. Pour la première fois, la princesse déchue éclata de rire devant la petite armée qui exigeait de l’affection. La créature sembla reprendre ses défenses peu à peu, même que son état d’ivresse semblait s’être évaporé au fil des minutes… Déposant le chaton sur la table du salon, Kory balança sa veste de cuir dans la chambre des chatons avant de retourner écouter le vétérinaire en herbe qui procédait à une inspection délicate.


De plus, elle portait un corset de cuir noir dont le dos révélateur laissait entrevoir de larges cicatrices. Bien que leurs reflets semblent légers, peu visible sur son grain de peau porcelaine, certains rayons dorés semblaient en révéler l’ampleur. Ces vestiges de son passé d’esclave, tous les aurores à subir des coups de fouets innombrables par sa grande sœur avant ses autres tortures quotidiennes.


Quelques explications sur les circonstances de l’accident suffirent à aligner leurs prochaines étapes. Puis la grande féline cessa d’observer Dara tenir le petit animal afin d’aller chercher le matériel requis. Au début, elle emmena une immense bouteille de vodka avec un torchon avant de comprendre à son expression qu’il voulait autre chose. La rousse semblait réellement enjouée de jouer à ce jeu.


À la suite de plusieurs échecs comptant de savon à lave-vaisselle et de la confiture aux abricots, Kory emmena une trousse de premiers soins à son nouvel allié. Doucement, elle ouvrit la boîte en plastique blanche afin d’en tirer une gigantesque bouteille d’alcool et des tissus blancs enveloppés de papier certifiant la stérilité des outils. Relevant un sourcil, la féline sembla enjolivée d’avoir enfin trouvé ce que Dara désirait.


Pendant ce temps, l’armée de petits félins décida de snober les nouveaux arrivants pour dormir en petit regroupement au milieu du lit de la chambre à coucher. Dans la cuisine se trouvait une quantité phénoménale de conserves et d’aliments séchés emballés précieusement. Une fine couche de poussière reposait sur ces derniers comme si Kory n’y touchait jamais. Un seul coin de ce comptoir dispendieux d’une autre époque comportait de la nourriture pour chat et d’autres délices exquis pour ces félins.


Une vingtaine de bouteilles d’alcool traînaient aussi dans les placards, montrant que la créature semblait principalement se nourrir de ces vivres maudites. Ce vice semblait être au cœur de sa nouvelle existence à l’exception de son refuge de fortune pour les petits chats d’Oldtown. La rousse dont la chevelure demeurait rousse, malgré ses pointes blondes qui flambaient par moments, demeurait assise au bout de la table les bras croisés. Son interlocuteur tenait tant bien que mal la petite bête.


Certes le chaton s’échappa à une vitesse phénoménale avant de réussir à grimper sur la Tamaranéenne. Éclatant de rire, le félin joua dans le feu de ses cheveux avec candeur. Ce qui demeura stupéfiant fut le fait que l’animal ne fut aucunement blessé par l’énergie émanant des pointes ondulées d’or de la créature. Kory finit par déposer le fautif sur la table, alors qu’elle arrêta de s’amuser.


Retrouvant une expression neutre, un brin glacial, le regard vert s’immobilisa sur le félin qui demeura tranquille tout d’un coup. Les mains de Kory se déposèrent sur le petit corps qui se lova aussitôt dans ses paumes très chaudes. De plus, sa silhouette entière semblait dégager une chaleur incroyable, même à cette hauteur dans le ciel et en l’absence d’électricité. Le salon semblait alimenté par le calorifère que son enveloppe charnelle semblait contenir.



« Tu peux continuer, Dara. »


Un léger sourire accompagna son encouragement quand Kory rajouta d’un ton plus doux, plus émotif :


« Merci à toi. »


Sur ces mots, ses pupilles d’un vert solaire et enflammé se détournèrent vers le pelage clairsemé de la petite bête.

Ca lui faisait un peu mal d'avoir posé cette question, ça le faisait même rougir. Elle répondait avec une normalité déconcertante à cette question qu'il aurait dû éviter de poser. Enfin, il avait sa réponse. Ce n'était pas comme ce qu'on disait sur la race de Superman donc, elle était un être à part, même pour les gens de sa planète. Et ça, Dara savait ce que c'était. Tous ses proches n'hésitaient pas à lui rappeler qu'il fallait être sacrément fêlé pour vouloir venir en aide à tout à chacun en étant prêt à risquer sa vie pour en sauver une autre.

"Ah... Lâchais-je simplement, un peu hagard. Destabilisé. Par la réponse et son ton, toujours alors il lui demanda de quoi soigner l'animal et en profita pour rassurer la bête qui ronronnait tant que j'évitais soigneusement de toucher sa blessure. "Ca va aller petite bête.

Me voulant rassurant et surtout peu curieux, je restais planté comme un piquet au milieu du salon où tout les Aristochats avaient décidé de rester, tout en s'éloignant dans leur petit coin et retourner, probablement à la tranquilité antérieure à leur arrivée. Avant de voir Kory revenir d'une autre pièce avec le sourire.

Une fois la précieuse trousse entre mes mains, j'imbibais mes propres mains de quelques gouttes d'alcool pour stériliser celle-ci avant d'empoigner l'un des tissus après avoir retiré ce qui le protégeaient et l'imbiber également d'alcool. Seulement, il n'était pas chose aisée de s'occuper seul d'un animal, même à plusieurs, en général, les chatons comme les chiens devait être anesthésié ou immobilisés à l'aide d'outils adéquat pour éviter qu'il ne s'échappe.

Peut-être était-ce ce côté félin dont elle parlait mais effectivement, lovée dans ses mains, le petite créature s'apaisa assez pour qu'il puisse réaliser les soins dont l'animal avait besoin pour guérir rapidement, même s'il ne pouvait rien faire pour sa patte inexistante maintenant, depuis plusieurs années, il n'était pas magicien, ni extra-terrestre doté de dons extraordinaires.

"Ne me remercie pas, c'est normal et puis ma mère est médecin,  donc je l'ai vu faire ça des tonnes de fois."

C'était un mensonge sans en être réellement un. Roxana était médecin et même s'il ne l'avait jamais vu pratiquer, sa curiosité l'avait souvent  poussé à poser des questions. Ca et le fait qu'elle lui ait appris à soigner seul toute sorte de blessures minimes à force de le savoir jouer les gentilhommes dans la rue. Des conseils qui s'avéraient utiles, autant pour les autres que pour lui. Même si par contre, pour le coup, le reste de ces conseils qui consistait en "une fois que tu as fait ça, tu reviens rapidement à la maison Dara que je t'osculte moi-même"... Et nia nia nia Me moquais-je de maman intérieurement. En tout cas, grâce à cette géante aux cheveux de braise dont les flammes ne semblaient pas avoir touché l'animal et qui par ses yeux verdoyants, avait immobilisé la bête curieusement calme au vu des soins que je finissais de prodiguer en finissant par lui confectionner un petit bandage qui lui entourait la tête comme une chausette, à défaut d'avoir de quoi faire un pansement plus correct.

"Il faut lui retirer demain matin, s'assurer qu'elle n'y touche pas pendant la nuit, j'ai essayé de serrer au maximum mais j'ai peur de lui faire davantage mal qu'autre chose. Ensuite, tu refais la même chose durant trois jours, normalement, son pelage devrait déjà repoussé à cet endroit, tu verras."

Concluant en un sourire, je relevais enfin la tête pour détailler davantage l'appartement sans oser m'y aventurer et commencer à tourner autant le corps qu'à l'intérieur des pièces où elle ne m'avait invité.

"C'est pas mal ici." Finis-je par déclarer en ancrant mon regard au sien et en souriant davantage. Un sourire sincère pour une déclaration hypocrite. Ca avait dû l'être, comme la plupart des appartements de cette ville, mais aujourd'hui, l'appartement était plutôt défraîchi en réalité. "C'est ta planque ? Tu comptes rester longtemps habiter ici ?"

Parce que l'extra-terrestre m'intriguait, qu'elle me touchait même sur certains points. Je comptais bien la revoir. Seulement, sans les téléphones et autre outil utilisant un réseau, les moyens de retrouver quelqu'un qui bougeait beaucoup était difficile depuis le Blocus. La seule qu'il parvenait toujours à trouver, c'était sa mère. Et elle savait aussi où le trouver lorsqu'il travaillait. D'autres habitants proches avaient été inventifs pour développer des moyens de communiquer entre amis, familles...

"Je te demande ça parce que si tu as encore besoin de soigner l'un de tes amis à poils, tu me trouveras "Chez Jimmy's". C'est un bar sur la 16ème de Crime Alley. Je n'y suis pas toujours mais tu finiras bien par m'y voir derrière le comptoir."

Il souria encore davantage en lui tendant la main, comme pour conclure un deal. Le deal étant donc qu'elle passe le voir en cas de problème. Mais est-ce que ça pouvait ressembler à la drague lourde qui avait transformé ce type en tas de cendres ? Dans le doute, il préfèra préciser.

"En tout bien, tout honneur, attention."

Les paumes relevés comme s'il était menacé d'une arme. Au fond, elle en était une à elle toute seule, il suffisait qu'elle lève les mains et il se demandait s'il aurait le temps de sentir sa chair fondre sous les pouvoirs de la créature.

Les craintes de l’Alien demeurèrent évidentes : brillantes dans les actes du jeune humain qui semblait lutter pour ne pas s’évader des lieux à tout prix devant la présence du monstre qu’elle composait. Silencieuse, Kory avait noté que ses réponses semblaient désarçonner son interlocuteur : la simplicité de sa réaction, la teinte de ses tempes. Le malaise s’était installé entre eux, et ne trouverait aucune porte de sortie. Ni d’un côté, ni de l’autre.


Qu’importait. Koriand’r laissa le jeune humain soigner le chaton, avant d’écouter attentivement ses instructions. Probablement la version des premiers soins pour l’humanité. Balançant sa tête de la gauche à la droite, la rouquine goba chacun de ses mots pour tenter de ne pas les oublier.


Puis Dara brisa le silence entre eux, se voulant réconfortant pour le chaton handicapé qui le fixait toujours de ses petits yeux verts aux pupilles en fentes. La jeune femme tenait la bête sans y mettre de force, caressant à l’occasion une côte ou son petit ventre poilu. Son nouvel allié de circonstance refusa ses remerciements oraux, mentionnant sa mère qui était médecin. Kory hocha la tête, laissant le petit animal trouver son chemin sur le canapé aussi grand que vide.


C’est ainsi que Dara sembla observer le repère temporaire de la géante, lui posant divers questions. Hésitante, Kory pausa un moment de silence avant de répondre à contrecœur – toujours intimidée par ces coutumes terriennes très étranges et les malaises permanents qu’elle causait par ses gestes et paroles:  


« J’ai une douzaine de repères en rotation. Je ne reste jamais longtemps quelque part : je ne voudrais pas attirer de problèmes aux humains qui entourent cet endroit. Ces pauvres civils souffrent assez sans devoir avoir un monstre tel que moi comme voisine. De plus, beaucoup d’êtres de ton espèce veulent me tuer - m’asservir. J’attire les problèmes, mais tu le devines déjà. »


Trop honnête? Kory ne connaissait pas les mensonges blancs, ou la malhonnêteté du tout. Seule la vérité seyait sa bouche couleur vermeil. Le jeune humain continua de parler, tandis que Kory se levait pour prendre un sac de sport vide et aller le remplir dans la cuisine. Des bruits métalliques retentirent, même si la rousse écouta d’une oreille lointaine les paroles bienveillantes.


Lorsque Kory revint avec le sac plein sur une épaule, Dara lui tendait la main en compagnie d’un sourire grand, réconfortant. Elle commençait presque à laisser tomber ses défenses, à se laisser aller à la confiance. Comme celui qu’il avait donné au petit chaton blessé. La jeune créature s’apprêtait à sourire quand la nervosité de son invité revint confirmer ses craintes. Les mains en l’air, jurant sur l’honneur et le bien, comme si Kory était une mitraillette sur deux pattes.


Comment pouvait-elle le blâmer? Elle-même était constamment apeurée de ce monde qui la rejetait, la classait à part comme un danger effroyable…avant même qu’elle n’ait bougé le petit doigt. La terreur s’entretenait des deux côtés, tandis que Kory observa le jeune homme un long moment les mains déposées sur ses hanches dressées de cuir.



Seul un soupir put franchir ses lèvres. La créature dévisagea Dara en essayant de former une phrase. Des mots qui s’évanouirent avant même de naître en ce bas monde. Enfin, Kory invita Dara à la rejoindre vers l’entrée. Délicatement, elle s’approcha de l’humain. La créature l’accompagna jusqu’au sol devant les montagnes de ruines. La rousse jeta le sac au sol, se retournant déjà vers son repère haut perché sans avoir prononcé un seul mot par rapport au deal proposé par le jeune humain. Lui tournant le dos, sa chevelure toujours enflammée et ondulant d’or, la voix douce brisa enfin la tension présente entre eux :



« En tout honneur, en tout bien, fais attention. Et tiens-toi loin de moi. Je ne ferai jamais la requête de poursuivre ton aide : mon ego ne me le permettrait pas. Je ne t’attirerais que des problèmes. »


Ses derniers mots marquèrent clairement le tremblement de sa voix quand Kory ajouta :


« Ma différence est dangereuse. C’est tout ce dont tu as besoin de te rappeler. Le reste, ça ne vaut rien. J’espère ne jamais retomber sur toi. »



À ces mots lourds, la créature s’envola en un éclair de flammes jusqu’à son nid. Bientôt, les flammes disparurent du paysage quand les épaules dorées de la jeune femme devinrent albâtres, trop pâles pour être colorées. La porte sembla s'ouvrir et se refermer sèchement de là-haut. Le sac fit quelques bruits de conserves, semblant rempli de victuailles non périssables. Le quartier semblait abandonné au trois quarts, ne laissant que des mendiants et des orphelins en chemin. Dans l’intimité de son repère, la féline redevint ivre, trouvant un refuge émotionnel en nourrissant un par un ses petits minets. Qui, tout comme elle, n’étaient que des indésirables abandonnés dans un monde chaotique et étrange.