Some things can only be seen in the shadows... [Intrigue I - Terminé]

Il pleut. Depuis des heures déjà. Mais ce n’est pas comme si ce n’était pas habituel à Gotham. Je n’y prête plus attention depuis longtemps à dire vrai, alors que je me glisse entre les ombres, me faisant aussi discret que possible tout en observant les rues de la ville. Elles sont loin d’être calmes et je me demande quand, pour la dernière fois, il y a pu avoir une nuit sans le moindre crime. A dire vrai, je me demande si c’est vraiment arrivé au moins une fois.

J’ai un bref soupir alors que je me relève et que j’escalade le mur de l’immeuble où je me planque pour pouvoir observer de son toit. La douleur de mes côtes est lancinante depuis plusieurs jours et, si j’étais parfaitement honnête avec moi moi-même, j’admettrais que j’ai du mal à respirer quand je fais trop d’effort. Et que les pics de douleur sont un peu trop nombreux pour que je ne me rende pas compte que j’ai des côtes cassées. Et pas simplement froissées comme je l’affirme sans la moindre hésitation. J’ai bien vu dans le regard de Jason ou de Babs qu’ils ne sont pas dupes. Mais, vu ma tête, ils n’ont pas cherché à mon contredire. De toute façon, je continue d’encaisser les coups sans sourciller, rangeant la douleur dans un coin de mon esprit, comme si ce n’était qu’une information parmi d’autres. Mais, une fois les entraînements terminés, je ne compte plus les fois où j’ai fini roulé en boule sous la douche, maudissant l’eau froide et mon incapacité à gérer ça en plus du reste.

Mon regard s’attarde un instant en direction de l’Opéra. Je me souviens encore des rares fois où Bruce a réussi à m’y traîner. Autant je ne peux nier que nous avons nombre de points communs, autant aller voir un opéra a toujours été une corvée que j’ai rapidement réussi à esquiver. Et pourtant, même ça, ça a fini par me manquer. Probablement pour ce que ce genre d’évènements pouvait représenter. Une bulle de paix, de bien-être, dans un monde où le mal commençait petit à petit à tout gangrener, tout ronger. Et je finis par détourner les yeux, de peur de trop m’appesantir sur ce qui n’est plus et ne sera probablement plus jamais. J’ai plus important à faire. Je suppose.  

Je ne sais pas combien de temps je passe comme ça, à aller d’un toit à l’autre, à observer, à écouter. Entre les prostituées, les dealeurs, les bagarres, difficile de définir ce qui est prioritaire de ce qui ne l’est pas. Comment décider que c’est une agression ? Comment dire ce qui est réellement consenti de ce qui ne l’est pas ? Surtout que, de nos jours, cette notion ne semble plus vraiment avoir la même signification qu’avant. Et qui suis-je vraiment pour décider qu’il est temps d’intervenir ou non ? Cette question revient en boucle de plus en plus souvent ces derniers temps, même si je la repousse à toutes forces. Parce qu’elle remettrait bien trop de choses en question.

La pluie tombe de plus en plus fort. Je passe une main sur mon front, songeant que la nuit est de plus en plus avancée et que, dans l’immédiat, je ne pourrais pas être utile à grand-chose. Autant rentrer et essayer de me reposer un peu avant que mon état ne s’aggrave pour de bon. Je redescends de l’immeuble où je m’étais perché par l’escalier de secours, m’arrêtant un bref instant sur un container avant de me figer au cri qui parvient du fond de la ruelle. Je penche la tête sur le côté, plissant les yeux pour essayer de mieux distinguer ce qui se passe dans l’obscurité. Avant de me précipiter en silence, sans faire le moindre bruit, en direction du cri que j’ai entendu.

Pour y voir un homme masqué penché sur un corps, probablement sans vie de ce que je peux voir. Surtout avec une lame plantée dans le diaphragme. « Merde... » Un juron murmuré entre mes dents, couvert par les bruits de la rue sans difficulté. Je ne connais pas cette silhouette, ce masque ne me dit rien. Je suis encore trop loin pour vraiment distinguer les choses. Mais je ne peux pas rester sans intervenir. Parce que si je ferme les yeux cette fois, quelle que soit la victime, il se peut que je ne sois plus capable de les ouvrir de nouveau. Et je ne dois pas lâcher prise. Je ne peux pas.  

La pluie goutte sur ma silhouette, baignée d’eau depuis le temps que j’attends là, immobile dans le noir. La capuche de ma veste de treillis noir rend un « tap-tap-tap » humide sous les trombes d’eau qui me tombent dessus. Je n’ai pas peur de prendre froid. Je m’en fiche. Et cela fait de toute façon bien longtemps que je ne suis pas tombé malade. J’ai besoin de calme et d’immobilisme pour ma nouvelle descente. Je connais les habitudes d’Angus Renard, un poivrot qui joue les gros bras dans le « restaurant » en bas de la rue. Il y gagne de quoi pouvoir continuer de s’empoisonner au bourbon du Tennessee, qui coûte une véritable fortune en rations ou en services. Son patron n’a rien contre un videur alcoolique ; le type est trop pochtronné pour inquiéter les filles et les enfants qui servent en petite tenue, et il est aussi trop obnubilé par son unique passion dans la vie pour vouloir autre chose que les bouteilles et les repas offerts par le patron, à chaque semaine de travail accomplie. Certains voient dans ce comportement l’exutoire dérisoire de celui qui n’a simplement plus rien à espérer du monde. Ils n’ont pas tout à fait tort. Mais il y a plus derrière le comportement de notre cher Angus.


S’il n’espère plus rien, c’est parce qu’il a perdu son emploi en même temps que sa femme et que ses deux enfants dans une explosion de gaz, au tout début de La Chute. Il dormait dans le même lit que sa femme. Ses deux enfants sont morts sur le coup. Pas elle. Et lui n’a rien eu. Un putain de miracle, qui a détruit la vie d’Angus, ancien agent des douanes. Il n’a pas donné sa véritable identité à ses nouveaux employeurs, qui l’auraient sans doute dénoncé à l’Epouvantail et notre ami aurait alors sans doute fini dans le fleuve, chaque pied lesté d’un parpaing. Mais non. Angus aussi ne savait pas se suicider. Plus malin que moi, sans doute, il avait alors choisi de le faire à petit feu.


J’allais abréger ses souffrances.


Malheureusement, Angus ne terminait pas à heures fixes. Deux heures du matin. Ca fait trois heures que je reste immobile dans la lueur de derrière, entre deux containers à poubelle. Flingue sur la cuisse de droite, poignard dans l’autre. Rien de plus lourd, ce soir, car l’homme est seul et ne sort jamais avec quiconque ; prendre du plus costaud m’aurait ralenti. Et faire trop de remue-ménage dans ces quartiers, c’était la porte ouverte à se faire salement démolir.


Alors j’attends. Sans un geste. Comme à Damas, il y a quatre ans. Une nuit, s’il le faut. Cagoule sous le masque, vêtements chauds sous les protections. Je suis trempé, mais je tiens bon. Comme toujours. J’attends.


A droite, ça tire un coup contre deux doses d’opiacés. Je laisse faire. Je reste immobile sous la pluie. Puis, deux clients du restaurant qui se battent en sortant. Sans talent ni volonté, autre que la colère brute, qui n’est bonne conseillère pour aucun des deux. Enfin, Angus sort.


Angus meurt. Il regarde le sol, et de toute façon on n’y voit rien. Il se plante sur ma lame, en plein diaphragme. Je tourne le couteau. Son regard exorbité me dévisage et de mon autre main, je retire ma capuche. La pluie teinte contre mon masque qui renvoie son reflet, et l’homme se voit mourir, agoniser. Je lui souffle « shhhht, ça va aller. Reste calme. C’est fini. Voilà ».


Je laisse le corps retomber au sol. Reprends mon souffle.


Encore un type mort. Un innocent. Personne ne m’a demandé de le faire. Personne ne m’a payé non plus. Je pourrais en chialer. Un de moins. Mais je sens quelque chose. Comme dans les SEALS. Quelque chose derrière moi. Je me retourne, et je vois une haute silhouette, vêtue de sombre. Un type qui reste froid, immobile. Moi aussi, je ne bouge pas.


| La mort n’est pas là pour toi, ce soir. |


Voix dure comme l’acier sous le masque. Tire-toi, ou je te tue aussi.

« Dick ? Je suis rentré. » Je déposai le sac à dos sur l’un des bureaux abandonnés, bien chargé aujourd’hui. Je l’ouvris pour en récupérer l’une des canettes de boissons énergisantes que j’avais mises sur le dessus, sans prendre la peine de le vider. On avait tendance à tellement bougé, ces derniers temps, qu’il valait mieux tout laisser en l’état, juste au cas où. Il était déjà tard, en plus. J’étais crevé, et surtout trempé. J’attrapai la première serviette à proximité pour me frictionner les cheveux avec, avant de m’arrêter dans mon mouvement, la canette toujours à la main. Deux minutes que j’étais là, à peine… Mais il y avait quelque chose de pas normal.

Je reposai la canette pour m’emparer de mon couteau, presque mécaniquement. « Dick ? » J’avançai prudemment, de pièce en pièce. Il y avait un souffle d’air, chargé d’humidité. Je me figeai à l’angle suivant, la tension à son comble, pour me retrouver nez à nez avec une fenêtre grande ouverte. Rien, personne. Je poussai un profond soupir, de soulagement, avant que l’évidence me percute avec force. « Et merde. » Je me ruai dans la pièce voisine pour attraper un sac de sport sur le haut d’une étagère, vérifiant son contenu. Vide, bien sûr. Aucune combinaison à l’intérieur. « Putain ! Il est sérieux, lui ? » Le voilà qui jouait les oiseaux de nuit en mon absence, alors même qu’il avait probablement plusieurs côtes cassées. Il voulait mourir ou quoi ? Il aurait pu m’attendre au moins !

Je marquai un temps d’hésitation avant de m’emparer du second sac de sport, celui qui contenait ma propre tenue. Je ne savais pas ce qui était le plus prudent. Partir en civil à sa recherche ? Peut-être pas. Je risquais de griller ma couverture… Mais enfiler ce costume, c’était comme se mettre une cible dans le dos maintenant. Et, contrairement à lui, on me voyait plutôt bien même dans la nuit. Je n’hésitais pas longtemps avant de choisir la deuxième option. Plus je perdais de temps, moins je risquais de retrouver sa trace, surtout avec la pluie battante au dehors.

J’empruntai le même chemin que Nightwing peu de temps auparavant, escaladant l’immeuble où on s’était installé pour gagner les toits. De là, j’avais une vue imprenable sur l’Opéra, mais aucune trace de l’oiseau noir pour le moment. Il n’avait pas dû partir bien loin, avec ses blessures… Il suffirait sans doute de trouver une agression en bonne et due forme, mais ça ne manquait pas vraiment à Crime Alley, surtout une fois la nuit tombée. Je sautai de toit en toit, pour me rapprocher de l’Opéra, observant le sol, les airs… Des bagarres éclataient par moment, des règlements de compte entre dealeurs surtout. C’était tentant de profiter de l’agitation ambiante, mais je devais avant tout retrouver Nightwing. La nuit était déjà bien avancée, quand j’aperçus enfin une silhouette noire bondir en bas d’un immeuble sur l’escalier de secours. Je résistais à l’envie de l’appeler. D’ici, il n’entendrait rien avec la pluie, et je risquais plus sûrement de me faire repérer. Je courus à vive allure pour le rejoindre, et me figeai au dernier moment, au bord du toit. Il avait repéré quelque chose, ou plutôt… Quelqu’un.

Je vis le type masqué après lui, qui le dévisageait en contrebas. Qui était-il ? Aucune idée, mais le corps inerte et ensanglanté face à lui me donnait déjà un petit indice. C’était un peu trop tard, pour jouer les héros, Dick… Le mec était déjà mort. Peu importe. Aucun des deux ne m’avait encore repéré, j’en profitais pour sortir l’un de mes flingues, me cramponnant de l’autre main. Si ça se jouait en défaveur de Nightwing, j’interviendrais par un tir bien placé.

Je reste immobile, respirant à peine, alors que je cherche le meilleur moment pour intervenir. Sauf qu’il n’arrive pas. Je ne comprends pas ce qui s’est passé. On dirait une exécution tant l’homme est calme, mais pourquoi faire ça dans une ruelle alors ? Il y a quelque chose qui m’échappe et je vois bien qu’il ne s’agit pas d’un meurtre classique. Sans compter le fait qu’il est masqué et que, clairement, il n’a pas eu la moindre hésitation sur le moment de frapper ou encore sur la façon d’enfoncer sa lame dans le corps de ce pauvre type. Bon, c’était peut-être un connard de première, allez savoir. Mais au point de mourir dans une ruelle planté comme ça ? Difficile à dire.

Ca fait beaucoup trop d’informations pour que je me contente de faire demi-tour. J’aurais pu pourtant. La victime est morte, je ne pourrais rien y faire. Et de toute façon, ce type ne finira jamais derrière les barreaux. La justice est morte avec le départ de la justice league. Alors, à quoi je sers ? Ouais, je pourrais dire à rien, ce serait pas non plus totalement faux. Mais en vrai, j’essaie d’empêcher que ce genre de choses n’arrive. Si on ne peut pas punir les coupables, on peut éviter qu’il y ait des victimes. J’y arrive pas trop mal en temps normal. J’ai sauvé pas mal de personnes, même si leur reconnaissance était des plus… aléatoire. Enfin, je peux pas trop leur en vouloir, vu qu’avoir le moindre contact avec l’un d’entre nous peut marquer leur arrêt de mort.

Si j’étais resté en hauteur pour observer la scène, le type fini par me repérer. J’inspire longuement, serrant la main sur mon bâton d’Eskrima alors que je saute au sol en silence, le regard rivé vers lui. Et je finis par souffler, la voix déformée par ce gadget qui fonctionne encore par miracle malgré les deux ans à être maltraité. « Comment ça ? A t’entendre, on dirait que c’est toi qui décides pour qui la mort vient ou pas. » Ce que j’aurais particulièrement de mal à concevoir, même avec la situation merdique dans laquelle on est actuellement dans cette fichue ville. Je m’avance d’un pas, puis d’un autre, restant tout de même dans l’ombre alors que mon regard finit par se poser sur le cadavre à terre. Si j’avais encore le moindre doute sur le fait qu’il était encore en vie, la marre de sang qui commence à se former tout autour de lui ne me permet plus vraiment de m’interroger. « Qu’est ce qu’il t’avait fait ? » Je ne sais pas quelle réponse j’attends à cette question et surtout, ce que je ferais en fonction de ce qu’il dira. Mais j’ai besoin de savoir. Je sens mon corps entier se tendre alors que j’essaie, en vain, de trouver quelque chose qui me permettrait de reconnaître la personne qui me fait face. Que ce soit sa silhouette, sa posture et même son masque, il ne me dit rien, même si ma mémoire essaie de me souffler quelque chose sans que j’arrive à mettre le doigt dessus dans l’immédiat. Tout comme je ne me suis pas encore rendu compte de la présence de Jason, persuadé qu’il est tranquillement dans notre planque actuelle.

Je ne sais pas qui est ce type, ni ce qu’il fait ici. Il n’est pas à sa place. S’il ne fait que regarder ou s’il s’oppose à moi, c’est qu’il n’a simplement pas compris comment le monde tournait aujourd’hui. Je n’ai pas trop de pitié pour ce genre de personnes. Des imbéciles, des obstinés. Ils sont insensibles à ce qu’il se passe autour d’eux, même s’ils ne le comprennent pas. Vouloir régir tout ce chaos par les anciennes normes et conventions sociales, c’était ça l’utopie, au fond. L’homme était redevenu un prédateur avéré et assumé pour ses propres congénères et il ne suffisait plus aujourd’hui de vouloir que les choses changent pour que ça puisse avoir un impact sur eux. Demandez au type que je venais de planter. Je garde ma lame en main. Je ne vais pas me laisser démolir pour un pseudo justicier, qui est hermétique à tout ce qui fait aujourd’hui la justice réelle, concrète, qui s’imposait à tous sans vergogne ni réserve. Une voix déformée s’échappe de sa combinaison. Encore un type qui se prend pour un héros. Quelque part, j’avais toujours trouvé ce genre de vocation assez notable. Respectable. Mais maintenant ?


Ce n’était qu’un caprice d’enfant qui ne voulait pas grandir, qui ne voulait pas manger la merde qu’on lui servait à longueur de journée. Je ne peux pas vraiment dire que je suis ravi qu’on m’interrompe ou qu’on me matte, même sous le masque. Le type me questionne. Encore un psychologue en herbe. Je ne lui réponds pas et me contente de le regarder.


Bien sûr que c’était moi qui décidait pour qui la mort venait ou pas. C’était simple. Facile. Il suffisait d’un couteau. Et d’un peu de patience. Le talent et l’expérience aidaient, aussi. Tout comme l’entraînement bien sûr. Mais j’avais un lien beaucoup plus intime que les autres avec la mort. Parce que je la connaissais bien. Depuis combien d’année je la dispensais, maintenant ? Sans parler de ce qu’elle m’avait elle-même infligé. Il me questionne. Ouais, j’ai affaire à un putain de psy. Je continue de le regarder au travers de mon masque à miroir. Je me demande, j’analyse, ce qui serait le plus simple ou le plus dangereux, pour me débarrasser de l’importun. Je ne maîtrisais que plus ou moins l’endroit, ça faisait des heures que j’étais dans cette ruelle. Ancien commando, j’avais l’habitude de bien reconnaître le terrain… Mais l’endroit devenait chaotique. Et c’était toujours plus compliqué qu’ailleurs de se battre en environnement urbain. Je rengainais ma lame, sans re-clipser la lanière la maintenant contre ma cuisse gauche.


| Qu’est-ce que ça peut te foutre ? Je suis pas venu pour disserter de la mort. |


Regard vers le mort, avant de me détourner.


| Juste pour lui donner son dû. |


Et m’éloigne, tout en restant prudent, sur les nerfs, prêt à me retourner en cas d’attaque, à utiliser tout ce qu’on m’avait appris et tout ce que j’avais expérimenté depuis vingt ans, ou peu s’en faut. Si ce type vient chercher sa baffe, il l’aura.

J’en avais marre d’attendre. Allez… Ca faisait combien de temps que j’étais là ? Cinq minutes ? Deux, peut-être ? C’était déjà trop pour moi. Il attendait quoi, Dick ? Il avait une cible toute désignée face à lui et… Il entamait la discussion ? Non mais sérieusement, depuis quand on prenait le temps de discuter avec les criminels avant de les démonter ? Comme si c’était possible de les raisonner ! Et il lui fallait quoi de plus ? Le cadavre au pied du type, ce n’était peut-être pas assez clair pour lui ? Maintenant, soit il se tirait parce qu’il était déjà trop tard pour sauver qui que ce soit, soit il s’assurait que l’autre masqué ne soit pas en mesure de recommencer. Les raisons qui l’avaient poussé à tuer froidement quelqu’un, on s’en foutait royalement.

En plus, de ma position actuelle, je n’entendais qu’un mot sur trois avec la pluie qui ne cessait de tomber… Et les deux types étant masqués, autant dire que c’était peu pour décrypter correctement la situation. J’en savais déjà assez à mon goût, mais Dick – ou plutôt Nightwing – n’était visiblement pas de cet avis. Il cherchait peut-être à gagner du temps… Sauf qu’il ne savait pas que j’étais là. S’il n’avait pas envie de se battre ce soir, alors il aurait mieux fait de ne pas enfiler son costume. Et c’était qui, ce mec, bordel ? Ca avait vraiment une importance ? Au moins, il ne s’encombrait pas de longs discours pour justifier ses actes. J’aurais peut-être attendu un signal, ou quoi que ce soit, si ça avait été Batman… Mais avec Nightwing, c’était différent. Déjà, il venait de partir sans moi. Un mauvais point pour lui. Et, en plus, il était blessé. Un autre mauvais point pour lui. En bref, il ferait mieux de me laisser gérer et de repartir tranquillement.

J’avais déjà une bonne idée de comment j’allais m’occuper de son cas. J’avais l’effet de surprise, ce qui me laissait le temps d’ajuster mon tir. Je n’allais pas le tuer, sinon Nightwing n’allait certainement pas me le pardonner, mais je pouvais bien le blesser un peu. Ce type n’irait jamais en prison pour ce qu’il venait de faire, alors autant s’assurer qu’il ne soit plus en mesure de recommencer de si tôt. Il venait de ranger son arme et s’apprêtait à se tirer, sans autre forme de procès. Je pariais que Nightwing n’attaquerait jamais un adversaire désarmé de dos… J’avais moins de scrupules.

Je visai son bras, et tirai aussitôt.
La détonation déchira l’air, comme un coup d’orage à travers la pluie.

Je retombai depuis le toit face à l’homme masqué, ma lame déjà en main, pour achever le travail et lui couper toute retraite. « Tu croyais pas nous fausser compagnie si vite quand même ? » Ma combinaison, de rouge et jaune, contrastait dans la nuit noire. C’était impossible de ne pas reconnaître à qui elle appartenait, ou avait appartenu. Elle était restée la même, toujours là pour faire diversion, avec ses couleurs chatoyantes pour laisser l’oiseau noir fondre sur sa proie pendant que son attention était détournée. J’espérais que Nightwing n’allait pas me décevoir, pendant que je le retenais un peu pour lui.

Depuis quand je suis devenu du genre raisonnable et à discuter comme ça ? Je sais que je ne suis pas aussi tête brûlée que Jason… enfin en même temps, difficile de l’être autant on va pas se mentir. Pourtant, je suis quand même pas le style à me poser et à papoter avec un putain de meurtrier. Parce que c’est bien ce qu’il est non ?

Mais je sais pas trop. C’est peut-être parce que j’ai besoin de comprendre. De savoir qu’il y a une raison, que c’était pas juste un meurtre gratuit. On a déjà suffisamment de dingues, de psychopathes et j’en passe pour qu’on se retrouve en plus avec un mec qui parle de donner son dû. A la mort ? A ce type ? Bordel, c’est quoi son délire. Et je sais que je devrais agir. Que ce soit repartir dans les ombres parce que c’est trop tard pour sauver le cadavre. Ou que ce soit pour le mettre hors d’état de nuire. Faut croire que j’arrive encore à être surpris par les dingues. Comme quoi, tout arrive.

Je cille quand je le vois s’éloigner l’air de rien, comme si je n’avais pas d’importance. Comme si le sang du gars qu’il venait de tuer n’était pas en train de s’écouler dans les égouts avec ce glouglou si caractéristique auquel je n’arrive toujours pas à m’habituer. Pour un peu, j’aurais été à deux doigts de le laisser partir. Mais c’était sans compter sur la suite des évènements. Si je ne sursaute pas au coup de feu, ce genre de son étant devenu plus que coutumier à mes oreilles quand bien même j’aime toujours pas ça, je me fige un instant quand je reconnais le costume aux couleurs vives qui apparait devant nous. Robin. J’aurais dû me douter qu’il me suivrait, que ce soit pour s’assurer que je fasse pas de conneries ou que je tombe pas dans les vapes dans une ruelle sordide vu mon état. Mais je lui aurais pas fait ce plaisir. Enfin, je crois pas.

J’inspire longuement alors que j’attrape mes bâtons d’eskrima attachés dans mon dos et que je fais craquer mon cou sans m’en rendre compte. Il semblerait qu’on passe aux choses sérieuses et, avec Robin pour me couvrir, je vais pouvoir arrêter de tergiverser. Je pensais pas que ça me soulagerait autant pour être honnête, même si c’est clairement pas le moment de réfléchir à ça. Et autant dire que plus tard, j’en aurais pas envie. Voilà. « Il a raison. Hors de question que tu te tires de là comme ça. Comme si de rien était. Tu viens de buter un mec. Et tu dois rendre des comptes pour ça. » De gré ou de force. Parce que si la justice n’existe plus officiellement à Gotham depuis deux ans, c’est pas pour autant qu’on peut laisser passer ce genre d’actions sans sourciller. Et je vais faire quoi ? Le tabasser à mort ? Mouais, non, mauvais plan. Mais une bonne raclée lui fera peut-être passer l’envie de recommencer. Ou Robin pour lui coller une balle bien sentie qui l’handicape, ce serait pas mal. Ouais, ouais, je compte sur son flingue, je sais. Mais y a que les idiots qui changent pas d’avis non ? Dans tous les cas, je me tiens prêt à foncer sur lui, même si, et je sais pas pourquoi, j’ai encore une hésitation. Probablement à cause de la douleur qui continue de pulser dans mes côtes depuis plusieurs jours, allez savoir.  

Forcément, quand on passe une soirée tranquille, à se dire qu’on peut tranquillement accomplir sa mission… On tombe sur un connard. Ou plutôt une bande de connards. Des rigolos qui n’ont pas compris que leur belle petite planète avait cessé de tourner et que tout était fichu en l’air. Mais c’est déjà trop tard pour leur dire. Le coup de feu claque et mon bras se prend un parpaing en plein dans la chair juste à côté du radius. Je tombe par terre quand le coup de feu déchire  la nuit ; l’impact est toujours celui d’un mur qui nous frappe de plein fouet, qu’importe les parties du corps. Genou au sol, je grogne en tenant mon bras contre moi. Par réflexe, je dégaine et je pointe mon arme de mon autre bras droit devant, vers un autre enfoiré masqué. La douleur est terrible, comme toujours. Je ne sens plus mon bras touché à partir du coude jusqu’à l’extrêmité. Je n’ai jamais été ambidextre mais bon, à cette distance, à ce niveau de stress, ça fait largement l’affaire. Le type…


Je reconnais ses couleurs.


Bordel de merde, c’est sérieux, ou c’est un cosplay ?


Aussitôt, j’analyse la situation. Un devant, armé, et lame en main. Un autre derrière. Le plus gentil des deux, ce petit con m’a pas tiré dessus, quand on le compare au roquet qui se prend pour Robin. L’autre se ramène alors, je l’entends arrivé. Je ne pourrais sans doute pas tout détruire en une fois. C’était impossible, alors, quoi ?


Je continue de menacer celui qui a lame en main.


Mais en fait, parler, ça sert à quoi ?


| Allez vous faire foutre ! |


Et je tire vers le Robin réincarné en courant vers lui, pour le forcer à se mettre à couvert et me ménager un passage.

La balle venait de le faucher, alors que le type s’apprêtait à repartir tranquillement comme si de rien était. Vraiment, il s’était attendu à ce qu’on le laisse commettre un meurtre sans réagir ? Peut-être bien que oui. Dick s’était contenté de prendre ses bâtons d’eskrima en main, sans encore passer à l’offensive. Mais merde ! Il avait honte de taper un mec à terre ou quoi ? C’était le moment ou jamais !

Puis tout alla subitement très vite. Pas le temps de réfléchir… Seulement d’agir. Je m’arrêtai en pleine course en apercevant un éclat métallique dans sa main, à travers un rideau de pluie. Il avait du répondant, même blessé et à terre. Je n’aurais pas le temps d’arriver assez vite sur lui pour le désarmer. Et à cette distance, j’étais certain de me la prendre en pleine tête si je ne réagissais pas assez vite. Il me força à rouler sur le côté pour me mettre à couvert, le tir partant dans le mur à un cheveu de ma tête. Ce n’était pas passé loin cette fois.

Fais chier ! Je me serais contenté de lui tirer dans le torse et le laisser pour mort, l’affaire aurait été réglée. Seulement, Dick ne me l’aurait pas pardonné… Et il y avait encore l’aura de Batman qui planait, comme pour me mettre en garde sur la voie que je comptais prendre. Seulement, on avait encore quels moyens à notre disposition actuellement ? La loi n’existait plus. La justice expéditive me paraissait un meilleur compromis. Même si on passait ce type à tabac, dès qu’il serait en état, il repartirait tuer. Je brandis mon arme vers lui, alors qu’il profitait de l’ouverture pour prendre la fuite, sa tête dans mon viseur… Un soupir agacé m’échappa, alors que je l’abaissai presqu’aussitôt, tandis que Dick me rejoignait. Avec un peu de chance, il n’aurait rien vu. « On le prend en chasse ? » Il n’était pas vraiment en état de courir, mais celui qu’on devait poursuivre non plus.

Je n’attendis pas sa réponse. Si Nightwing avait décidé de sortir traquer du criminel ce soir, ce n’était pas pour lâcher l’affaire maintenant. En tout cas, ce n’était pas mon intention. Je courrai à vive allure derrière l’assassin, criant à travers la nuit pour attirer son attention : « Hey ! On n’en a pas encore fini, toi et moi. » C’était fou ce que l’adrénaline pouvait leur donner des ailes ! Nightwing à mes côtés, je lui soufflai après un temps : « Je vais tenter de lui couper la route. » Je pouvais tenter de le prendre de vitesse, contrairement à lui. J’avais encore toutes mes capacités, et surtout, un grappin toujours fonctionnel. Il m’aida à me hisser souplement sur le toit le plus proche. Accroupi, je guettais le chemin pris par notre cible… Qui ne tarderait pas à disparaître de mon champ de vision. Je me laissai glisser en bas du bâtiment dans une ruelle obscure pour lui couper toute retraite. « Coucou ! Je t’ai manqué ? » J’entendis quelques cris ponctuer ma chute, alors que des égarés réfugiés entre deux poubelles tentaient de fuir l’affrontement. On avait vraiment mauvaise réputation maintenant… « Désolé, j’ai sauté les présentations… Mais moi, on me présente plus tellement. Et toi, t’es qui en fait ? »

Difficile de garder l’esprit clair, d’analyser tous les détails qui me permettront de garder en mémoire ce type et ce qu’il fait, surtout si on arrive pas à l’arrêter ce soir. Même si une petite voix me souffle que la seule façon de vraiment l’arrêter serait de lui tirer une balle dans la tête vu qu’on a plus de système judiciaire, j’essaie de ne pas l’écouter. Sinon ce serait leur donner raison si on se met à exécuter les gens sommairement, comme eux. Pourtant, j’en connais un qui serait pas de cet avis. Et qui vient de se joindre à moi d’ailleurs.

J’ai un sourire satisfait que je devrais probablement pas avoir à entendre l’autre grogner de douleur. Et le temps semble comme se figer l’espace d’une seconde. Comme si on attendait de voir qui ferait la connerie de bouger le premier. Et bien évidemment, c’est lui. A sa réponse, mon sourire se fait plus large. « J’aurais été déçu que tu dises autre chose maintenant. » Il nous laisse à peine le temps de réagir et j’avoue que je suis épaté de voir à quel point il est encore capable de bouger malgré la balle qu’il vient de se prendre. Si j’avais le moindre doute sur le fait que ce soit un amateur, il s’envole aussi sec quand il se tire.

Et je me fige un instant quand je vois Jason lever son flingue en direction du type. Clairement, je peux pas fermer les yeux et me dire qu’il vise une partie non létale. Et je sais pas quoi penser ou ce que je veux vraiment voir. Heureusement, j’ai pas à me poser plus longtemps de question et, à la question de Robin, je souffle, d’un ton assuré. « Evidemment. » Comme s’il était question de le laisser filer, encore plus maintenant. De toute façon, Jason m’a pas attendu pour foncer dans sa direction et je le suis, slalomant entre les obstacles, bondissant d’une poubelle à une autre et esquivant les SDF qui nous regardent d’un air ahuri. On finit par s’habituer à ça aussi. « Fonce ! » Il aura plus d’endurance que moi sur ce coup-là, alors que j’ai l’impression de sentir mes côtes me brûler. Et c’est pas la sensation la plus agréable du monde, je vous le garantis. Je suis Robin des yeux quand il grimpe sur les toits et je continue au sol, prenant appui sur les obstacles pour gagner en vitesse à défaut de suivre le même rythme que mon camarade. Je m’arrête à quelques mètres d’eux, quand je vois Robin tomber des toits devant notre copain de jeu de la soirée. Et je me saisis de mes bâtons d’eskrima, faisant fuir les derniers égarés qui auraient pu croire que ça n’allait pas mal tourner dans la ruelle. « Ouais, on s’est pas perdus dans les politesses cette fois, c’est dommage. Ca aurait été vachement plus sympa niveau ambiance sinon. » Juste histoire de lui confirmer qu’il est cerné , même si j’ai un léger temps de retard sur Robin, et que cette fois, je resterais pas les bras croisés à attendre une explication qui ne viendra probablement jamais.

Deux contre un, ce n’est pas insurmontable. Pas quand on est bien équipé, bien placé, et qu’on a au moins une petite idée de qui on a en face de soi. Quinze ans de commandos, trois d’agence gouvernementale. J’avais l’habitude de ce genre de situation. Cela ne voulait pas dire que je savais forcément gérer l’actuelle. Je n’étais pas un expert en protections balistiques, mais la tenue de ces deux gugusses en maraude me semblait être relativement à l’épreuve des balles. Autrement ils n’auraient sans doute pas osé se retrouver dans cette situation. Après tout, n’importe qui pouvait être armé. Des lames aux armes à feu, avec toutes les curiosités qu’il pourrait y avoir entre ces deux balises. Ces deux types ne me semblaient pas dingues, pas à proprement parler en tout cas. Il y en avait même un des deux qui se payait le luxe de vouloir paraître raisonnable…


Je ne prends pas le temps de regarder où mon tir se perd. A bout portant, c’est toujours difficile de rater et d’esquiver, mais les détails se jouent le plus souvent à un cheveu et il est dès lors impossible de se ménager une seconde chance à moins de prendre de sacrés risques. Je continue de courir un moment tandis que je suis quasiment certain qu’ils ne vont pas lâcher l’affaire comme ça. Deux cancrelats en maraude, dont l’un des deux semblait à peine adulte. Super fin de soirée, je n’avais pas tellement imaginé ça comme ça. Ce qui continuait de me hérisser un peu plus mais je devais garder mon calme, c’était l’attitude du plus jeune des deux, de ce… Euh, Robin ? Je n’étais même pas certain de moi. Un roquet arrogant, qui semble s’amuser de la situation. Ce genre de psychopathe en puissance qui se réjouissait de l’ascendant pris pour les autres, je le connaissais bien. J’étais moi-même barré, j’avais bien conscience qu’il se passait quelque chose de pas net dans sa tête pour avoir assez de recul pour penser la même chose de moi.


Il y avait peut être quelque chose à jouer, là. Sachant qu’ils étaient deux contre un et que j’étais blessé.


Qui j’étais ?


Le type qui ne perdait pas son temps à parler. Flingue toujours en main depuis le passage que je me suis ménagé, je le braque sur celui qui était armé, mais qui a visiblement préféré faire de l’escalade. Je m’adresse au grand, me reculant pour ne pas avoir à donner de grands coups d’œil. Autour de nous, des sans abris s’égayent dans tous les sens et certains commencent à brandir des armes de fortune.


| Oh le grand, t’as l’air un peu moins con que l’autre. Casses-toi et je le flingue pas, le branleur qui joue les durs. |


Cela dit, on commençait à nous presser d’un peu partout… On était visiblement pas tombés sur la bonne ruelle !


| Vous avez dix secondes pour vous barrer avant qu’on déclenche une fusillade au milieu de tous ces gens. |

Sérieusement, Nightwing me saoulait pour de bon. En même temps, je m’attendais à quoi ? Qu’il prenne le rôle de Batman dans notre duo peut-être ? J’avais stoppé notre meurtrier dans sa fuite éperdue pour lui servir sur un plateau, et lui, il restait planté là encore ! Batman n’aurait pas attendu pour attaquer. Il aurait fait ce qu’il fallait pendant que je faisais diversion, comme toujours. C’était un peu trop lui demander, apparemment. Il fallait croire qu’on ne changeait pas un Robin comme ça, même en modifiant un peu le costume et en prenant un nouveau nom. Alors il parlait… Encore et encore. Mais il n’agissait pas. « Tu te bouges, putain ? » S’il attendait sagement que je finisse par me faire tirer dessus, il allait bientôt être servi. Ce n’était déjà pas passé loin la dernière fois.

Le type braqua à nouveau son arme sur moi sans autre forme de procès. Il fallait croire que, de nous deux, il avait compris que j’étais le plus dangereux. Il ne s’encombrait pas de paroles, lui. « On saute les présentations alors ? » Ca m’arrangeait presque de ne pas avoir à m’en soucier. C’était un assassin, un meurtrier. Rien de plus. Il était seulement plus doué et dangereux que la moyenne. Je le voyais déjà reculer proche du mur pour qu’on ne puisse pas le prendre à revers… Et les esprits commençaient à s’échauffer dans le coin. Je ne le quittai pas du regard, mais difficile de rater ces éclats métalliques visibles soudainement dans les mains des quelques sans-abri qui n’avaient pas décidés de détaler. Tout le monde était prêt à en découdre… Sauf Nightwing.

Je vis rouge alors que notre cible s’adressait à lui en ne se privant pas de m’insulter. Je me tendis aussitôt. Il voulait déclencher une fusillade, là maintenant ? Ses paroles semaient plus encore le chaos autour de nous. J’étais persuadé que c’était ce qu’il voulait… Je n’allais pas attendre dix secondes. « Deux ça me suffit ! » J’heurtai des deux pieds un gros conteneur à déchets juste sur ma droite pour le lancer dans sa direction, de quoi l’étourdir et le décontenancer un peu tout en me prémunissant de ses balles. Je me réceptionnai tout juste, avant de me rendre compte que la manœuvre me séparait provisoirement de Nightwing et l’autre cinglé… Mais que les sans-abri du coin ne seraient pas en reste. Je m’étais à peine redressé que j’esquivais déjà un coup de couteau projeté en direction de mon visage. Wow… Sérieusement ? J’avais si mauvaise réputation maintenant ? Putain, qu’ils aillent tous se faire voir ! J’attrapai son bras d’un geste vif. Le craquement sinistre le fit hurler de douleur et lâcher son arme, mettant en garde ses petits copains… Mais ils avaient l’air plutôt énervé maintenant. « Fais chier. » Il allait l’avoir, sa fusillade. On pariait combien que Nightwing ne ferait rien alors que ce type allait encore se tirer ?

Et merde, merde, merde. Qu’on m’attaque, qu’on essaie de me tuer, fondamentalement, je suis habitué. Mais là, qu’il essaie pas une, mais deux fois de flinguer Robin, je l’avais pas vu venir. Je suis trop con et clairement pas assez en forme pour patrouiller. Sauf que c’est pas vraiment le meilleur moment pour m’en rendre compte. Je m’attendais à quoi ? A ce que l’autre taré nous donne son nom, tende les mains pour qu’on lui passe les menottes et… et après rien. Et ça, va falloir vraiment que ça me rentre dans le crâne avant que ça soit vraiment trop tard.

La colère de Robin est légitime et je peux difficilement lui en vouloir. Sans compter le fait qu’on bosse pas souvent tous les deux, ce à quoi il faudrait remédier au final, pour éviter qu’on se retrouve comme deux cons comme ça et qu’il s’en prenne plein la gueule parce que je sais pas quelle stratégie adopter. Tu parles d’un foutu prodige. Je regarde la ruelle autour de moi, alors qu’au final, l’autre type est définitivement décidé à ne rien nous dire sur lui ou ses délires et je comprends ce que fait mon acolyte au moment où il pose ses deux pieds sur le conteneur pour le balancer sur notre cible.

Et cette fois, j’attends pas que la solution tombe sur ciel. Je me précipite en direction de l’autre cinglé, mes deux bâtons en main, profitant de l’effet de surprise pour utiliser l’un d’eux, le frapper violemment sur le bras et réussir à me débarrasser de ce foutu flingue d’une équation qui me plait de moins en moins. « Le branleur et moi on t’emmerde. » Et je continue de jouer des bâtons, non sans remarquer que ce connard continue de beaucoup trop bien bouger à mon goût. Dans le genre surentrainé, il se pose là. Mais je m’arrête pas, me focalisant sur ce que j’aurais dû faire à la seconde même où je suis tombé sur lui. Ca aurait évité tous ces emmerdes. Je sais même pas à quel point j’ai juste envie de le mettre à terre ou plus et je préfère éviter de réfléchir à cette question.  Alors je me concentre sur le simple fait de le frapper, sans réfléchir, juste au meilleur endroit où viser. Et je souffle quand même, histoire de me rassurer. « Robin, tout va bien ? » On va dire que oui. C’est pas quelques clodos qui vont avoir raison du gamin non ?

Je ne savais pas encore comment je pouvais m’en sortir, mais je faisais tout pour y parvenir. C’était mon ADN somme toute. Même hanté et dévoré toutes les nuits par les hurlements de mes petites, je n’avais jamais réussi à en finir une bonne fois pour toutes avec l’existence, avec la torture permanente qu’elle incarnait pour moi. Sans doute aurais je simplement dû accepter ce qui me tombait dessus cette fois. Cela m’aurait permis de partir avec une bonne excuse, de saisir une opportunité d’en finir sans attendre. Mais ce n’était pas mon genre. Au pied du mur, je me devais de continuer de me battre. C’était instinctif, viscéral, tout ce que vous voulez. Je n’avais absolument aucun problème à liquider ces deux jeunes gens si le besoin s’en faisait sentir. Je n’étais pas du genre à ressentir d’embarras quand j’étais poussé à bout. Et la survie me poussait à bout, justement. Je n’hésitais donc pas à braquer le plus jeune des deux de mon flingue. Repeindre la ruelle avec son sang et sa cervelle ne suffirait sans doute à calmer l’autre mais au cas où, je ne pouvais pas me séparer de cet avantage potentiel aussi rapidement.


En plus ça commençait à devenir chaud avec les gens qui nous environnaient. Je n’avais pas beaucoup de scrupules non plus à tailler dans le vif. Tirer au hasard n’était qu’une mauvaise façon de concevoir une stratégie risquée et sanglante, mais souvent payante. A savoir que crier, ça choquait des gens. Mais tirez leur dessus et l’essentiel arrêtera de faire le malin pour se mettre à couvert.


Mais le petit est un marrant, en plus d’être un espèce d’acrobate. Il éjecte un container. Mais que peut un gosse contre un truc rempli de bric et de broc ? L’engin roule malgré tout et je m’écarte juste à temps pour ne pas me faire bloquer. Bon, le petit semble aux prises avec les déshérités du coin. Un souci de moins à régler alors que l’autre ne va surement pas rester derrière. Forcément, les quelques secondes de perdues sont de trop et me voilà qui me fait dégommer le bras, le même que celui qui portait mon flingue… Les choses vont de mal en pis. Je lâche un cri de douleur et me tiens la main par réflexe.


| Retourne jouer à la dînette, fils de pute ! |


Coup de tête pour donner de l’espace alors que tout mon bras n’est plus qu’une immense douleur. Le type continue de se défendre mais je note qu’il semble avoir du mal à se déplacer. Comme s’il était gêné sur son tronc, sur cet emplacement spécifique… Je le frappe dans les côtes. Une fois. Deux fois. Je pare sur le côté et vise à nouveau le plexus solaire, essayant de le foutre à genoux.


| Ca fait moins le malin quand ça réplique, hein ? Je crois que Robin a des problèmes… |


Je tente de lui écraser mes phalanges gantées sur le visage pour pouvoir me tirer au plus vite.

Ils étaient vraiment nombreux, ces connards ! Ils attaquaient en bande, comme une vraie meute de loups. J’allais finir par croire que l’autre type savait très bien ce qu’il faisait, qu’il nous avait menés exactement là où il le voulait. Ce n’était pas impossible, même si toutes les petites ruelles craignaient maintenant. Au final, chacun survivait comme il pouvait, et bien souvent, faire partie d’un groupe violent augmentait d’autant les chances de survie. Je le savais pertinemment, c’était déjà le cas à Crime Alley avant qu’ils foutent tout Gotham en l’air.

Je n’arrivais pas à bien voir ce qui se passait du côté de Dick. Il pouvait bien se charger d’un type seul, non ? J’étais déjà bien occupé à tenter de sauver ma peau. J’esquivai une lame qui était portée vers mon abdomen, avant de repousser mon agresseur au sol. Je me baissai dans le même mouvement pour éviter un coup de poing lancé en direction de ma tête. Je pris appui directement sur un troisième type pour mettre un peu de distance entre nous. Je me réceptionnai à peine qu’ils me fonçaient déjà dessus. « Sérieusement, les mecs, vous vous lassez jamais ? C’est pas après vous que j’en ai ! » Ils en avaient visiblement un peu rien à foutre, vu qu’on était sur leur territoire à créer un bordel pas permis. Ou alors, c’était la tenue rouge et jaune qui criait « Tapez-moi ». Ca marchait bien en général… Quand Batman était là pour prendre le relais, putain.

Ils étaient combien encore ? Je n’avais pas de temps à perdre avec eux. Je sortis de nouveau mon flingue pour tirer dans le genou du type le plus proche, qui s’effondra dans un râle de douleur. Les autres se figèrent à voir une arme à feu, visiblement chargée, directement braquée sur eux. « On fait moins les malins ? Dégagez, bordel ! » Ils hésitèrent, mais ne se firent pas longtemps prier. J’avais gâché une balle pour faire de l’intimidation, et c’était plutôt précieux. De l’autre côté du container, j’entendis la voix de Nightwing qui me demandait si tout allait bien. Je répliquai avec mauvaise humeur : « Ouais, mais c’est clairement pas grâce à toi ! » La détonation avait dû l’inquiéter un peu. Le temps de sauter par-dessus le container pour le rejoindre, Nightwing était plié en deux, et notre meurtrier tentait aussitôt de fuir. Je mourrais d’envie de lui régler son compte, mais l’état de Dick me préoccupait un peu. « Ca va ? T’es blessé ? »

Il est bon. Il est vraiment trop bon pour que ce soit juste un touriste qui s’amuse à dégommer des gens au hasard. Et je jure entre mes dents. Comme si on avait besoin de ça à Gotham. Un cinglé de plus qui sait se battre. Fait chier sérieux. Sans compter que la petite course poursuite a eu plus d’impact que je le pensais et que j’ai du mal à respirer.

Mais la douleur n’est qu’une information. Il parait. J’ai quand même de sérieux doutes là-dessus hein, sauf que j’ai pas vraiment le temps de m’appesantir sur ce genre de détails. Si j’ai réussi à le désarmer, il n’est pas en reste et ses coups portent tout autant que les miens. J’esquive et je frappe à mon tour, mais je suis trop ralenti par la douleur. Je bouge moins vite que je le voudrais, j’ai moins de force que je le voudrais. Et c’est pas loin de me faire éclater tellement ça m’énerve.

J’arrive quand même à souffler un rire en entendant Robin pester de l’autre côté. S’il râle, c’est qu’il va assez bien pour ça. C’est le plus important. Mais j’ai pas le temps de balancer quoi que ce soit que je me prends un coup de tête. Si je suis un peu sonné, je peux quand même pas m’empêcher de souffler, avec une grimace. « Jouer à la dînette ? T’es sérieux ? C’est ça ta réplique de méchant ? » Non mais vraiment tout se perd de nos jours, même la classe de nos adversaires.

Et là, c’est le drame. Bon, pas vraiment le drame, faut pas exagérer non plus. Mais il tape dans les côtes. Pile poil là où il faut pas. Et si mon costume me protège encore un peu, c’est loin d’être suffisant. Je sens mon souffle se couper, un goût métallique de sang dans la bouche alors que je titube et que je me retrouve genoux au sol dans un cri de douleur, avant d’essayer de reprendre mon souffle sans succès. « Va te faire foutre… » Ouais, mes répliques non plus volent pas haut. Mais bordel, qu’est-ce que j’ai mal. J’essaie de répondre un truc au reste de ses propos mais j’ai l’impression que je vais plutôt faire une bulle de sang à ce train-là. Pourtant, quand il commence à vouloir m’écraser le visage, j’ai encore le réflexe de lui balancer un gros coup de pied dans le tibia. Tout pour qu’il me lâche et qu’il évite de taper encore une fois au niveau des côtes.

J’aperçois la silhouette de Robin bondir par-dessus le container alors que l’autre taré m’a lâché et, quand il me parle, je me rends compte que j’ai vraiment du mal à répondre. Faut dire que respirer est devenu tellement laborieux que je dois donner l’impression de faire un remake de Dark Vador sous son masque. J’essaie de me relever un peu mais j’arrive juste à tousser. Ce qui est, quand on a des côtes cassées, LA PIRE IDÉE DU MONDE. « J’crois que j’ai pas assuré là. D’solé. » Un murmure à peine soufflé. « Cours-lui après. J’vais… m’reposer… » Et je finis par abandonner l’idée de me relever, me recroquevillant au sol, en essayant de retrouver un semblant de respiration.

C’était trop dur, à un contre deux entraînés. J’avais plus d’expérience. J’étais prêt à tuer sans hésiter. J’avais des avantages sur eux, que j’aurais largement pu faire valoir en terrain ouvert. Mais la surprise m’avait fait louper l’occasion de ramener l’équation à égalité de facteurs de chaque côté et il fallait maintenant que j’en paie le prix ; la blessure me lançait et m’handicapait en plus dans la poursuite du combat.


Depuis quand les justiciers utilisaient la poudre à la place de leurs poings, ou de formules bien senties ?


Je ne pouvais pas me plaindre. Je n’en avais pas le droit, tout simplement. C’était moi qui était sorti ce soir pour pouvoir laisser libre cours à ma mission, et à la folie qui m’habitait. Quelque part, j’avais presque cherché ce qu’il m’arrivait. Ce n’était pas incroyable au bout d’un moment à forcer le destin, que celui-ci ne réplique en vous renvoyant un sale coup dans la gueule par le travers. J’essaie de faire ce que je peux pour me ménager un espoir de fuite. Ce que j’avais de plus que ces deux gamins en pleine possession de leurs moyens, c’était la rage, et l’appétit de bête fauve. Je n’avais aucun scrupules à occasionner des dégâts collatéraux… En mission, on tuait du monde, sans pitié. Et ça ne nous arrêtait pas. Ceux qui ne le supportaient pas retournaient le canon de leur flingue contre eux, ou finissaient par flinguer des gens une fois de retour au pays. Les autres encaissaient comme ils pouvaient. Mais devant tous ces types, je ne vois ni faim ni pauvreté. Je ne vois rien d’autre que de la chair et du sang, en sachant précisément, d’instinct, où je dois taper ou tirer pour tuer ou neutraliser.


Visiblement, les « héros » que j’affrontais ce soir étaient bien différents de ceux qui chassaient les criminels du temps où je menais une vie bien rangée.


Coup de feu, hurlements de douleur. Ces types sont des enragés.


Je finis le premier comme je peux, haletant et en sueur à cause de la douleur sourde qui m’oppresse tout le haut du corps depuis mon bras en charpie. Lorsqu’il tombe, je saisis ma chance et je cours pour me tirer de là./ J’ai puisé dans tout ce que j’avais de force, et je me tire avec l’instinct du type qui se sait traqué et surclassé ; si je reste, c’est dans mon buffet que l’autre petit excité de la gâchette va loger sa prochaine balle.


Fuir, c’est la deuxième nature du combattant des forces spéciales. Parce que s’attaquer à des forces parfois supérieures en armes et en nombre fait que la cible est prioritaire et que quand elle est abattue, il ne sert à rien d’autre qu’à se faire tuer que de faire de l’excès de zèle.


Mission accomplie, baisser de rideau, je n’ai pas à me sentir lâche ou couard de la tournure que prennent les choses ; avec le bras dans cet état, les autres blessures superficielles, je n’aurais pas une chance.


Mon front percute le menton d’un des types sorti de l’ombre pour nous massacrer et nous dépouiller, et je balance un vicieux coup de pied sur l’intérieur d’un genou, provoquant un craquement sonore immédiatement poursuivi d’un cri. Je me tire dans l’ombre, pour m’y fondre.


Le miroir ne renvoie plus une lumière, et bientôt je glisse plus que je ne cours ; l’idée est de se fondre dans l’environnement et de rester mobile, bien mobile, jusqu’à ce que je sois suffisamment loin.


[HJ ça vous va comme épilogue ? J’dois m’casser sinon j’vais déjà mourir !]

Dick respirait très mal. Je ne l’aidais pas à se relever quand il essaya de le faire. C’était un moyen comme un autre de vérifier s’il tiendrait bien encore sur ses jambes par lui-même… Et la réponse était non. Je lâchai dans un souffle amer : « Non, tu crois ? » Il n’avait clairement pas assuré. J’eus à peine le temps de relever la tête pour constater que l’autre type s’était tiré. Il était déjà loin même. Je poussai un soupir profondément agacé. Je n’avais pas de temps à perdre avec lui. « Laisse tomber. Ce mec a eu son compte. » Il y avait peu de chances qu’il se remette à l’œuvre avant que sa blessure soit complètement guérie.

Et il y en avait un autre qui aurait mieux fait d’attendre d’être rétabli pour s’amuser à jouer les justiciers là… Je le pris par le bras pour le redresser d’un geste sec, sans chercher à ménager sa blessure, avant de le plaquer subitement contre le mur le plus proche, mon regard ancré en le sien. « Sérieusement, Nightwing ! A quoi tu pensais ?! » J’appuyai mon bras contre sa poitrine. J’avais fortement envie de le cogner, parce qu’il le méritait. « A sortir dans ton état, tu nous mets tous en danger. » Je désignai d’un geste rageur la direction que notre fugitif avait pris. « J’aurais bien pu me faire descendre à deux ou trois reprises là ! Et toi aussi, je te signale ! » Je serrai un peu plus ma prise. « On a déjà perdu Batman… Alors arrête de déconner ! » Il savait très bien que nous n’en serions pas là, si Batman avait toujours été parmi nous. Et si lui aussi finissait par crever, après avoir fait de l’excès de zèle… Babs et moi, on se retrouverait seuls.

Je le repoussai dans un cri rageur, assez méchamment. Je pris de la distance avec lui pour tenter de retrouver mes esprits. Le silence s’étira entre nous et dans la ruelle maintenant désertée. Je finis par me retourner vers lui. « C’est parce que tu es là, que je tiens. Ne l’oublie pas. » J’aurais déjà descendu ce type d’une balle dans la tête, dans le cas contraire. J’aurais déjà pété un plomb en fait, sans plus aucun garde-fou pour m’empêcher de faire ce qui me semblait juste, mais avec mes propres méthodes. L’envie de rayer tous ces criminels de la carte ne manquait pas.

Je secouai la tête négativement. C’était à lui de jouer les grands frères responsables, merde ! « Viens, on rentre. » J’utilisais mon grappin pour retourner sur le toit, attendant patiemment qu’il me rejoigne par ses propres moyens dès que son état lui permettrait. Ca prendrait le temps qu’il faudrait, mais je le ramènerais à bon port… Comme cette fois-là, où je l’avais repêché dans les eaux usées après sa tentative avortée. J’espérais qu’un jour il comprenne, ou alors… Il finirait par devoir se passer de moi.

Je vous jure, j’ai vraiment cru qu’on pourrait le choper. Même si ouais, j’ai pas la moindre idée de ce qu’on aurait pu faire de lui et que ça demanderait une profonde réflexion à ce sujet. Sauf que là, il tape là où ça fait mal, au sens premier du terme et je me rends compte que ouais, je suis définitivement pas sur la voie de la guérison. Et si j’essaie de faire bonne figure quand il se casse en disant à Jason de le poursuivre, je me rends bien compte que je suis pas crédible.

Sauf que je m’attendais pas vraiment à la suite. J’écarquille les yeux quand je sens qu’il me soulève et me plaque contre le mur et je reste con, oubliant la douleur alors qu’il commence à me… oh merde, Jason qui me sermonne… sérieusement ? On en est là ? Ouais, je confirme, je suis vraiment allé trop loin cette fois pour que la situation soit autant inversée. Et, pour la première fois depuis longtemps, je me retrouve sans trop savoir quoi lui répondre. Il tient parce que je suis là. Il se rend compte ou pas à quel point c’est réciproque ou pas ? Je devrais lui dire ? Enfin là, ça va être compliqué vu que je me demande à quel moment il va m’en coller une.

Je devrais presque être soulagé quand il me repousse au sol mais, bien évidemment, mes côtes en reprennent pour leur grade et j’essaie juste de me retenir de vomir de douleur là, de suite. J’inspire aussi doucement que possible alors que je me relève comme je peux. Je grimace quand je le vois utiliser son grappin et disparaitre sur le toit avant de soupirer longuement, songeant vaguement qu’il faudra vraiment que je me penche sur la réparation du mien.

Je sais pas combien de temps je mets à attraper les escaliers de secours et à grimper, persuadé qu’il en aura marre et que, une fois au sommet, je serais tout seul. Ce serait mérité, j’en suis bien conscient. Sauf qu’il est là, accroupi sur le rebord à observer la ville. Je le fixe un instant avant d’avancer vers lui, la main posée à plat sur le côté. Et j’hésite avant de souffler, un rien penaud. « C’est pareil pour moi Jay. Tu… sans toi, j’aurais laissé tomber depuis longtemps. J’aurais dû t’en parler avant. Et… J’ferais attention. Promis. » Parce qu’au final, y a pas que moi qui entre dans l’équation. En soit, me faire mal, je m’en moque un peu. Mais si ça doit l’impacter, si ça doit le toucher lui, c’est une autre histoire. « Tu me perdras pas. » Je sais pas à qui je fais cette promesse, si c’est à lui ou à moi. Peut-être un peu des deux. Peut-être que je réalise vraiment, pour la première fois depuis deux ans, à quel point sa présence est nécessaire à ma survie. Pas uniquement parce qu’il me sort des merdiers comme celui-là mais aussi parce qu’il m’aide à garder un sens à tout ça. Et si, au début, j’ai eu du mal à accepter son existence, la vie sans lui maintenant, je pourrais plus. « Tu m’aides à rentrer ou tu comptes te venger en me regardant me traîner tout le chemin ? » J’ai un vague sourire avant de lever ma main libre. « Réponds pas, je sais déjà ce que tu diras. » Et je m’approche de lui pour le serrer brièvement contre moi sans lui laisser le temps de réagir. Avant de commencer à clopiner sur le toit, en direction de notre planque du moment. Je sais pas qui était ce type mais une chose est sûre. On le retrouvera.