Les ailes de la liberté [Intrigue I - Terminé]

J’étais rentré plus tôt que Dick, pour une fois. La nuit touchait pourtant à sa fin, et l’horizon s’éclairait déjà au lointain. Le Knights Stadium devait connaître sa dernière heure d’ouverture, avant qu’il n’y ait plus personne d’assez valide pour monter sur le ring. Lui et moi, on était devenus deux oiseaux de nuit depuis que Batman avait disparu de la circulation. J’étais rentré les mains vides, cette nuit-là. Ca arrivait de temps à autres. Quand on vivait de ses vols, il fallait s’habituer à avoir des fois le ventre vide et attendre une meilleure opportunité le lendemain. Que je repartais sans rien restait rare, j’avais plutôt le don de ramener quelques emmerdes et souvenirs avec moi, comme quelques égratignures en plus. Rien de grave, enfin… Jusqu’à ce que ça le devienne réellement.

J’avais balancé mon sac à dos vide à côté de mon lit improvisé, dans l’un des vieux bureaux de l’immeuble. Je me calai assis dans les couvertures, l’étagère d’archives contre mon dos. Je n’avais rien pour m’occuper, ici. Autant le dire clairement… Je me faisais chier comme un rat mort. La vie était là, dehors, même si elle était de plus en plus difficile. J’ouvris la fenêtre pour écouter les bruits de la rue en contrebas, de quoi me bercer avant de m’endormir. Le froid me gênait moins que le silence. Mais alors même que je sombrais doucement dans le sommeil, un projectile d’un vert soutenu passa par la fenêtre et me réveilla en sursaut. « Oh putain ! » C’était quoi, ce truc ? Je me relevai d’un bond, immédiatement sur mes deux pieds, à fouiller la couverture pour retrouver mon arme. Je contournai prudemment le bureau après avoir vérifié par la fenêtre. Rien d’autres ne venait, et dans le coin de la pièce, il y avait juste… Cet oiseau vert. J’ouvris un peu plus grand les yeux. Un énorme perroquet vert fluo pour être exact. « C’est quoi ce délire ? »

Je réalisais, avec un temps de retard, de qui il devait s’agir… J’eus à peine le temps de détourner un peu le regard, en lui balançant ma veste au visage. « Sérieusement, Gar… Tu peux pas passer par les portes, comme tout le monde ? » J'étais peut-être mal placé pour dire ça. Le fameux oiseau vert venait de prendre une apparence un peu plus humaine, sa peau verte reprenant peu à peu une teinte plus normale. Il était nu comme au premier jour de notre rencontre, quand j’avais immobilisé ce drôle d’animal avec un pistolet à impulsion électrique, alors qu’il tentait de se faire la malle, mon butin en main… Ou plutôt en patte. Depuis, il me faisait régulièrement le coup de débarquer à l’improviste, et toujours en arrivant à se faire remarquer. Je n’aurais même plus dû m’en étonner, à la longue. Sauf qu’on pouvait vraiment s’habituer un jour à fréquenter un type vert qui prenait forme animal comme il l’entendait ?

Je poussai un soupir, avant de le fixer à nouveau. « Tu sors d’où comme ça ? Je t’ai pas vu depuis… J’en sais rien, en fait. » Je fis un geste désinvolte de la main, pour lui montrer que je laissais tomber, avant de me réinstaller dans mon lit improvisé. J’avais perdu la notion du temps à force. Gar… Ca restait rare de le voir, même s’il finissait toujours par me retrouver sans que je lui dise où on se rendait. Il avait ce don qui faisait sans doute de lui un meilleur voleur que moi. Il avait d’autres atouts aussi qui aidaient bien en la matière… Comme se changer en à peu près n’importe quoi bien sûr. J’étais content de le voir, en vérité, même si j’aurais eu du mal à l’avouer. Il était sans doute ce qui se rapprochait le plus d’un ami à l’heure actuelle, non ?

Métropolis, Star City, Gotham City…

C’est du pareil au même. Aucune ville ne vaut mieux que l’autre. Pour les avoir toutes visité, pour les avoir vu sombrer, pour avoir espéré trouver mieux ailleurs, je sais de quoi je parle. Mais y’a des trucs qu’on trouve dans certaines métropoles, qu’on ne trouve pas ailleurs. Et ça, ça m’arrange bien. Comme d’avoir quelques contacts sur place.  Et aujourd’hui, j’ai une petite livraison spéciale d’ailleurs. Je promène mon petit sac dans mes serres. Je ne peux pas transporter énormément de trucs de façon discrète. J’ai beau pouvoir passer les blocus assez aisément, comparé à d’autres qui doivent déployer des trésors d’inventivité et de discrétion, je ne peux pas me permettre de revêtir une forme animale trop imposante ou exotique. Déjà, ma couleur ne me rend pas spécialement passe partout…

Bref, jour de chance. Enfin nuit de chance plutôt. La fenêtre de Jason est ouverte. Ni une, ni deux, je m’élance et passe la fenêtre, ce qui a le don de faire sursauter le jeune homme endormi. Va falloir qu’il apprenne à se détendre, il va faire une crise cardiaque à ce rythme. Même si se détendre, à l’heure actuelle, c’est baisser sa vigilance et ça peut coûter cher. Détail. Je me pose dans un coin, alors que Jason farfouille. Ah quand même, j’espère qu’il est pas suffisamment à cran pour venir me coller une bastos dans la panse hein. Même si notre première rencontre a été assez… particulière. Voler un voleur, ce n’est pas la meilleure idée du siècle et j’avais pris un peu trop la confiance quand même. J’ai tendance à me penser plus malin que les autres, sauf que, pas de bol, Jason, il sait se défendre. Du coup, il sait utiliser des gadgets. Notamment des trucs électriques. J’ai pas trop aimé. Ça va que j’ai pu m’expliquer vite et que Jason est pas un sale type qui aurait pu me tabasser à mort derrière. Parce que soyons honnêtes, si on en vient à se battre à la loyale, c’est clair qu’il me déboite complètement.

Il met un peu de temps à capter qui je suis quand même. Il a pris un coup sur la tête récemment, qui lui a retiré quelques neurones en plus ? J’ai du mal à appréhender que certains ont des difficultés à trouver ce que je peux faire naturel. Cela l’est pour moi, je le fais depuis aussi longtemps que remonte ma mémoire, mais bon… C’est pas très très naturel quand même.  Je reprends forme humaine alors qu’il me balance sa veste et je ricane. « Oh, fais pas ta mijaurée Jason. » Rachel l’est moins, alors que c’est une femme, c’est marrant. Mais il n’est pas aussi à l’aise qu’elle avec mes transformations. J’ai tendance à oublier qu’aussi badass soit-il, il est juste humain. Rachel non. « Nan, trop classiques les portes. Et j’adore ta tête quand tu flippes. » Ce sera moins marrant si il a un réflexe d’auto-défense cela dit. Je cache donc ma nudité aux yeux chastes de Jason, toujours nanti d’un grand sourire. « De dehors. » Bien vu captain obvious. Je me saisis alors du petit sac que j’ai laissé par terre et le lui lance : « Tiens, c’est cadeau. Je me suis dit que cela te serait utile et que ça te ferait plaisir. Et y’a un cadeau bonus. » Quelques balles pour son flingue et une tablette de chocolat. J’aurais pu lui ramener de l’alcool aussi, mais plus lourd à transporter et je ne suis même pas sûr qu’il apprécie ça. Déjà qu’il n’a pas l’âge légal pour en consommer. Ahahah, l’âge légal… Genre, cela veut encore dire quelque chose. Je viens m’asseoir non loin de lui, guettant sa réaction.

Et puis c’était quoi, ce regard d’ahuri qu’il me lançait ? A croire que pour lui, c’était parfaitement normal d’entrer par la fenêtre en forme de volatile vert ! Je m’étais déjà retourné pour moitié, le temps qu’il enfile quelques uns de mes vêtements que je venais de lui jeter… Sauf que c’était sans compter sur ce sourire moqueur qu’il me renvoyait en réponse, avec une remarque qui me piqua au vif. Je le regardai à nouveau, cette fois de bas en haut, avant de le désigner d’un signe du menton. « Non mais tu t’es déjà regardé dans un miroir après t’être transformé, le vert ? » Il mériterait que je lui en mette une, pas que je lui prête mes fringues. Surtout qu’il n’allait pas tarder à me sortir qu’ils étaient trop petits pour lui, et ça m’énerverait encore plus.

Il venait vraiment de me traiter de mijaurée et de flippette en l’espace de deux phrases à peine là ? A croire qu’il était venu uniquement pour se payer ma tête. Je soufflai ce qui s’apparentait à un rire amer. « Ouais, c’est ça… En attendant, estime-toi heureux que je t’aie pas mis un peu de plomb dans l’aile, le piaf. » Je pouvais jouer au plus con, moi aussi. Il paraîtrait même que j’avais un don naturel pour ça. Je rangeai mon arme sous ma couverture, appuyant ma tête contre le mur derrière moi. J’avais perdu mon sourire, alors qu’il se fendit d’une nouvelle touche d’humour, sans même me dire où il était passé tout ce temps. « Sérieusement… Ca t’arrive d’être sérieux deux minutes ? » Et il me suffit de poser la question pour me rendre compte que non. Il avait toujours été comme ça, à dissimuler la misère derrière un sourire ou une petite phrase drôle. Je trouvais plus sain de frapper et de me mettre en colère.

Je récupérai par réflexe ce qu’il venait de me lancer. Il fallait croire que le perroquet vert avait musclé ses ailes pour jouer aux petites cigognes… « C’est que tu as même ramené ton petit baluchon… » J’ouvris le petit sac pour en vérifier le contenu. Il n’avait pas pu transporter grand-chose, le petit animal… Mais il y avait bien là quelques munitions pour mes pistolets, et même une tablette de chocolat. J’avais du mal à savoir ce qui me faisait le plus plaisir entre les deux, mais c’était vraiment cool de sa part. Je lui rendis un franc sourire alors qu’il s’installait à côté de moi, lui pressant l’épaule dans un geste amical. « Hey, génial ça ! J’aimerais bien te rendre la pareille, mais tu vois… » Je désignai d’un geste de la main le bureau vide que j’habitais actuellement. Il y avait là quelques couvertures et coussins entassés pour dormir, quelques fringues, une lampe torche et deux ou trois BD. Je ne possédais quasiment rien, hormis la combinaison de Robin qui en avait vu des meilleures, et mes armes. Je passais le plus clair de mon temps dehors, mais je cherchais avant tout de quoi me remplir l’estomac ou de quoi me protéger efficacement. J’avais abandonné depuis longtemps toute notion de confort ou de divertissement.

Je retirai l’emballage de la tablette de chocolat pour en découper quatre carrés et lui tendre, avant d’en détacher autant pour moi. « Putain, ça c’est bon ! » Du bon chocolat noir pour vous réveiller les papilles ! Je croquai franchement dedans, avant de me retourner vers lui avec un léger sourire. Je me demandais toujours où il trouvait tout ça, mais surtout… « Franchement, je me demande ce que tu fous encore ici… T’as tout le ciel pour toi. Tu pourrais pas te barrer hors du blocus ? »

Je prend un air pensif alors que Jason me répond, un peu vexé. Loin d'en prendre ombrage ou de me démonter, je répond, de bonne humeur : "Ah tiens non, j'y ai jamais pensé, je note pour la prochaine fois." J'ai aucun soucis avec ça, fort heureusement. Mais on dirait bien que ce n'est pas tout à fait le cas de Jason. Ce qui me donne encore plus envie de le troller évidemment. J'ai jamais dit que j'étais très mature. Je fais quand même la moue alors qu'il me dit qu'il aurait pu me tirer dessus, par réflexe. "Je suis heureux. Tu aurais gâché des balles pour pas grand chose et j'ai déjà expérimenté, je ne suis pas pressé de recommencer." Cela m'a laissé une petite cicatrice sur le bras d'ailleurs, souvenir d'une tentative d'assassinat sur ma personne y'a plusieurs années, alors même que je n'avais rien demandé à personne. Je ne sais pas comment je fais pour m'attirer la haine des gens comme ça. Enfin, la première fois, c'était par jalousie et la seconde fois, pour me prendre mon héritage. On va dire que ce n'est pas spécialement contre moi. Et il me semble que Jason aboie plus qu'il ne mord et m'apprécie un peu quand même en vrai. Sauf qu'il n'a pas trop d'auto-dérision ce garçon. J'ai tendance à oublier qu'il a que 17 ans aussi, sont susceptibles les ados. Mais il fait partie de ces adolescents qui ont grandi trop vite et en ont trop vu. Je le constate encore alors qu'il se détend enfin un peu et me demande si je sais être un peu sérieux. "D'affilée ou fractionné ?" Je le taquine, sans vraiment répondre. Oui, bien sûr que ça m'arrive, mais pas souvent.

Je lui lance alors ce que je lui ai ramené et il se fout de moi. Il va être déçu si il pense que quelques piques peuvent me toucher ou me mettre en colère. Jason a tendance à répondre par l'agressivité. Sauf que ça me glisse dessus comme l'eau sur les plumes d'un canard. Vert le canard, évidemment. Et Jason se détend encore davantage tout en m'offrant un vrai sourire cette fois. Et bien voilà ! Allez, on va oublier les premières minutes de nos retrouvailles et dire que ça commence maintenant, avec ce sourire et cette reconnaissance. Il ne faut pas grand chose pour le rendre heureux, même si c'est dommage que ce soit parce que je lui offre des munitions. C'est dire le degrés de violence dans lequel on patauge hein. Mais il y a le chocolat qui vient contrebalancer un peu et rappeler qu'il y a aussi des plaisirs simples. "Pas besoin. Ce que je te donne, je le fais de bon cœur. Tu le sauras quand ce sera pour un échange de services va." Il ne m'a rien demandé là, c'est cadeau. Parce que je l'aime bien malgré son sale caractère.

Je parcours quand même ce qu'il me désigne du regard en me demandant comment il vit tout ça. Il me tend alors quelques carrés de chocolat, à ma grande surprise. Je les accepte et déguste tranquillement, avant de rire quand il me demande pourquoi je continue cette vie là. "C'est marrant ta réflexion. J'ai eu la même discussion il n'y a pas longtemps avec ma colocataire. Je pourrais partir oui. Pour aller où au juste ? Et faire quoi ? Avec qui ? Tous mes potes, ils sont ici, dans la même galère. Je ne suis pas certain que je serais plus heureux ailleurs... Je vais pas dire que j'apprécie pas de pouvoir me tirer quand j'en ai envie et c'est clair que j'ai la chance de pouvoir m'évader, mais mon point d'attache, il est à Star City tu sais." Je l'observe un instant : "Si tu pouvais, tu partirais ?" Parce que peut-être qu'il en rêve, mais si il en avait vraiment la possibilité, franchirait-il le pas ?

Je levai les yeux au ciel, quand Gar me répondit avec légèreté. Je lâchai presque un semblant de rire, à l’entendre m’interroger en retour. Non, il n’était jamais sérieux. Quand il devait l’être, c’était certainement moins de deux minutes, et pas consécutives. Des fois, ça m’énervait. Et d’autres fois… Ca me détendait un peu. De façon très contradictoire, ça pouvait être aussi les deux en même temps, comme actuellement… Mais c’était toujours difficile de rester énervé longtemps contre lui de toute façon, même pour moi.

Je coulai un regard dans sa direction, alors que Gar évoquait à demi-mots qu’il s’était déjà fait tirer dessus. L’expérience n’avait pas été agréable ? Non, sans rire ! « Quand on vole, on doit s’attendre à se faire tirer dessus tu sais… » Pas seulement quand on volait, en vérité. Depuis que Gotham avait sombré dans le chaos, n’importe qui pouvait se prendre une balle perdue en pleine rue. Et, des fois, ils n’étaient même pas reconnaissants quand on leur sauvait la mise. Être héros, en ce moment, ça craignait.

J’aurais voulu pouvoir en faire plus pour Gar également… Mais le pic vert n’avait pas vraiment besoin de moi. Il se débrouillait très bien tout seul. Et puis, s’il savait à quoi je consacrais mes nuits, et surtout à quoi ces balles me servaient réellement… Mais plus important, où est-ce qu’il avait pu trouver du chocolat ? Sans doute de l’autre côté du blocus, je ne voyais pas autrement. Je devrais éviter de manger toute la tablette en une seule fois, je risquais d’être dégouté d’en avoir profité si peu de temps. C’était assez rare, par ici. Fini le temps où Bruce m’hébergeait dans son magnifique manoir, avec Alfred pour répondre à tous mes besoins… Retour à la rue ! Au moins, à l’inverse de beaucoup de personnes, c’était un territoire familier pour moi. Mais, contrairement à Gar, je peinais à joindre les deux bouts et à trouver de quoi me nourrir chaque soir… Et pourtant, j’étais entraîné et armé contre ce monde de criminalité.

Mais visiblement, que ce soit lui ou moi, on avait tous les deux fait le choix de ne pas rester seul pour affronter ce nouveau monde. « Ta colocataire ? Tu vis avec une fille ? Et même pas tu me la présentes. » Je lui rendis un sourire en coin, un peu amusé. Sérieusement, c’était juste une colocataire ou… ? Avec sa belle gueule et les moyens à sa disposition, il pouvait certainement en faire tomber pas mal dans ses filets, ce petit malin. Je perdis peu à peu mon sourire, alors que ses paroles faisaient sens pour moi. Oui, tiens… Si je pouvais sortir, est-ce que je le ferais vraiment ? Je secouai la tête négativement, sans même avoir à trop y réfléchir. « Je suis comme toi, Gar. Je pourrais réussir à sortir, mais… Je n’ai pas d’intérêt à aller ailleurs qu’à Gotham. C’est ici que je vis. Et puis… Ce serait comme renoncé à tout ce pourquoi je me bats. » Ca, il ne le comprendrait peut-être pas vraiment. Je n’avais pas révélé mon identité secrète à Gar. Mais partir… Ca signifierait aussi délaisser le costume de Robin, laisser Nightwing et Batgirl se battre sans moi, et pire encore… Jeter au feu l’héritage de Batman. « Je ne peux pas partir d’ici. Je dois attendre… » Je butais sur le mot, sans savoir comment lui décrire la complexité de ma relation avec Bruce. Il ne pouvait pas en imaginer l’étendue. Pas un seul instant. « … Mon père. Si je pars de Gotham, il ne saura pas où me retrouver. » Je baissai la tête, songeur. « Peut-être même qu’il ne cherchera pas à le faire. » Non, sans doute qu’il me laisserait vivre ma vie loin de ce merdier… Loin de lui. Tant que je restais sur le front, j’étais persuadé qu’il reviendrait me prêter main-forte dès qu’il le pourrait. Je me raccrochais à ça. « T’as pas une famille qui t’attend, toi ? »

"Je n'ai pas toujours volé tu sais." Je me demande quelle image Jason a de moi pour le coup... Après, difficile de lui en vouloir de penser ça, il ne m'a jamais vu que dans ce genre de circonstances donc forcément... Mais en vrai, je ne vais pas au devant des ennuis sciemment. Ce sont plutôt eux qui viennent à moi. Et pour le coup, j'étais encore jeune quand c'était arrivé et même pas dans une ville à la criminalité aussi élevée. J'étais encore complètement naïf à l'époque et inconscient du mal qui rôde autour de nous. Je n'avais rien demandé à personne et avais du essuyer la haine d'un sorcier africain. Je n'ai jamais compris pourquoi cette haine. Mais par la force des choses, j'étais devenu voleur ouais. J'avais été entraîné et au vu de mes capacités spéciales, c'était un jeu d'enfant pour moi.

En revanche, je ne sais pas trop ce que fait Jason de sa vie. De ses journées ou de ses nuits. Qu'il ai une arme, c'est normal, il faut bien se défendre, mais j'ai noté qu'il savait bien se servir de son taser par exemple. Et que c'est loin d'être un gringalet. Il a de sacrés réflexes. J'en ai été la victime. Donc, Jason n'est pas un pauvre adolescent paumé et démuni. il sait se défendre. Est-ce qu'il fait du trafic de quoique ce soit ? Je ne lui ai pas posé la question. Je l'aime bien et je lui rend service et il me semble que c'est réciproque, mais nous ne sommes pas intimes. Même si il connaît mon plus gros secret, évidemment. Et qu'il ne s'en est jamais servi pour me faire chanter. Et je lâche facilement que je ne vis pas seul, ce qui intrigue Jason qui s'engouffre dans la brèche. "Ouais je vis avec une fille. Elle est cool. Et elle est moins sensible que toi concernant mes particularités." Un peu bizarre, mais sympa. Et je n'oublie pas ce qu'elle a pu faire pour moi alors qu'on se connaissait à peine. Cela dit, je me renfrogne un peu à l'idée de la présenter. "Je ne pensais pas que tu serais intéressé. Et elle ne quitte pas Star City, ça complique un peu les choses. Mais je lui passerais le bonjour si tu veux." Je ne précise pas que c'est vraiment juste ma coloc et pas ma copine. Même si il a l'air de se faire des idées à ce sujet. Et même si en vrai, je ne serais pas contre que ça évolue comme ça mais on en est vachement loin.

J'essaie de répondre le plus franchement possible à sa question. Marrant qu'on m'imagine me tirer loin de tout ça et me fondre dans la populace l'air de rien. Je n'en ressens pas l'envie. Et quelque part, je me dis que lui non plus tandis que je lui retourne la question et qu'il confirme mes doutes. Je l'observe cependant, avant de demander tranquillement : "Et pour quoi tu te bats au juste ?" Il continue alors, révélant ne pas pouvoir partir, parce qu'il attend son père. Oh... C'est étrange de voir Jason parler de lui un peu. Révéler ainsi une fragilité. "Tu ne peux pas partir à sa recherche ?" Je pourrais tenter de l'aider à en savoir davantage si c'est le cas, mais encore faut-il avoir quelques éléments. Mais cela a l'air complexe alors qu'il ajoute que son père ne cherchera peut-être même pas à le retrouver. Ah... J'ignore sa relation avec lui, mais cela n'a pas l'air simple. Pourtant, quelque part, je l'envie d'avoir un père à attendre. D'avoir cet espoir là. Et il trouve la faille sans le savoir en me demandant pour ma famille. J'ai un sourire sans joie, surtout amer. "Non. Personne m'attend. Et depuis longtemps." Pas de famille en tous les cas. Des amis, davantage. Et encore. "Je sais pas ce qui est le mieux. Savoir que personne ne m'attend nulle part. Ou espérer que quelqu'un me cherche, sans savoir si c'est vrai ou non." Entre les deux mon cœur balance. Et c'est quand même un peu pathétique.

« Ah ouais ? Tu faisais quoi avant que ça dégénère ? » J’étais réellement curieux de le savoir. On était souvent surpris. Enfin Gar n’avait que quelques années de plus que moi, il faisait des études peut-être ? Va savoir. Ca pouvait être compliqué quand on avait ses talents incroyables. Ce n’était pas toujours un avantage, surtout pour s’intégrer dans la société. Mais là-dessus, je ne risquais pas de le juger. Bruce avait bien essayé de me remettre sur le droit chemin en m’intégrant à une école spécialisée. Encore une de ses idées bien foireuses ! Je lui en voulais toujours à mort pour ça... Heureusement qu’il m’avait sorti de là. Au final, vivre à la rue me paraissait bien plus couler de source pour moi que de rester dans son beau manoir avec des cours particuliers tous les jours. C’était sa présence à lui que je regrettais, et aussi tous les moyens à notre disposition, pas vraiment le luxe dans lequel on avait vécu.

Gar ne voulait pas me dire grand-chose sur cette fille qui vivait avec lui, le petit cachottier. Il y avait bien baleine sous rocher là, non ? Il n’avait pas l’air d’être très partageur. Et à l’entendre, il me tenait encore bien rigueur de ma première réaction à le voir se transformer. « Hey mec, ce qui est naturel pour toi ne l’est pas pour tout le monde, tu sais. » Je lui mis une tape sur l’épaule, comme pour le pousser à m’en raconter un peu plus. « Star City, c’est à côté… Allez quoi, tu veux te la garder pour toi avoue ! C’est quoi son nom ? » Je souris en coin. « Et tu la trouves cool à quel point alors ? » Je le charriai un peu, mais je sentais qu’il était assez réticent. Si j’insistais trop, il allait clairement m’envoyer chier. « En parlant de fille… J’étais en contact avec quelqu’un à Star City, avant que les communications soient coupées. Je sais pas comment tu as réussi à me trouver vu le mal que je me donne pour me planquer alors… Peut-être que tu serais capable de la retrouver pour moi ? Elle s’appelle Cassandra Sandsmark. Une petite blonde, la vingtaine comme toi. Si jamais… » Je me rejetai contre le mur. « J’ai pas eu de nouvelles d’elle depuis. Je sais même pas si… » J’haussai les épaules, sans achever ma phrase. Je précisai après coup, qu’il ne se fasse pas d’idées non plus sur notre relation : « Je la voyais pas souvent. » Je l’aurais sans doute cherché un peu, sinon. Je n’avais aucune idée d’où elle pouvait se trouver exactement. Starcity était vaste. Et moi, en dehors de Gotham…

Je m’étais confié un peu plus à lui, sans même m’en rendre compte. Marrant, ça. Ce n’était clairement pas mon genre, pourtant. Je refusais de parler avec Dick de ces choses-là, et même si j’en disais plus à Babs, elle ne savait clairement pas tout. J’aurais bien voulu en dire plus à Gar sur ma vraie identité, mais je ne lui faisais pas encore assez confiance pour ça. Le problème, c’était que ça ne tenait pas qu’à moi de lui en parler. Je mettais aussi en danger le reste de la Bat-Family à en parler. « Je me bats… Pour ce que je crois juste. » Je lui souris un peu, d’un air énigmatique. C’était la vérité, après tout. Je sortais la nuit, sous le masque de Robin, pour rendre la justice là où elle n’existait déjà plus. Je secouai la tête négativement quand il m’interrogea sur Bruce. « Je saurais pas où chercher, ni comment le rejoindre… Mais il va revenir, c’est une certitude. » Même si Dick n’y croyait plus, moi je n’avais pas perdu espoir.

Je le regardais sans bien comprendre, alors que je l’interrogeai finalement sur sa propre famille. Personne ne l’attendait… Depuis longtemps ? Il était certainement orphelin. « Ce n’est pas mon vrai père. » J’haussai les épaules. « Il m’a trouvé dans la rue. Il m’a pris sous son aile… Peut-être qu’un jour tu trouveras quelqu’un qui sera comme ta famille, toi aussi. » Je le comprenais mieux qu’il ne devait le croire. Je n’étais pas prêt non plus à parler de ma famille biologique. Entre un père qui nous avait abandonné après que j’ai été torturé à cause de lui, et une mère qui s’était suicidée par overdose ensuite… J’avais que des histoires sordides à raconter là. Putain, vite, changer de sujet surtout ! J’allais finir par réussir à déprimer avec Gar. Je lui glissai finalement sur le ton de la conspiration, avec déjà un peu une idée en tête : « Et sinon… Tu t’es jamais dit que tu pouvais faire plus avec ton pouvoir ? »  

Un mince sourire se dessine sur mes lèvres à la question de Jason. Ce que je faisais avant que ça dégénère... Il risque d'être surpris, j'ai eu un parcours assez atypique finalement. Et si je n'avais pas été héritier d'une petite fortune, sans doute que je serais toujours planqué au fin fond de l'Afrique à vivre une vie bien plus sauvage et insouciante. "J'ai vécu une bonne partie de ma jeunesse en Afrique. Je ne suis arrivé aux Etats-Unis qu'à l'adolescence. Et c'est là que j'ai commencé à voler, justement parce qu'on a repéré mes talents certains pour pas me faire choper." Ce n'était vraiment pas né d'une vocation, mais plutôt par contrainte. Et ensuite... Je hausse une épaule : "Et comme je ne sais faire que ça... Et que finalement, ça rapporter plus maintenant que d'avoir un vrai métier, j'ai pas cherché plus loin." Et c'est un peu triste de voir que je n'ai aucun bagage sérieux finalement. Rien pour faire un métier prestigieux ou au moins, un boulot un tant soit peu honnête. D'un autre côté, l'honnêteté, on s'assoit dessus depuis quelques années alors bon.

Je me montre un peu moins affable quand j’évoque Rachel et qu'il semble éprouver un peu d'intérêt. Ce qui est complètement con, parce que de un, on n'est pas ensemble, on est juste coloc et amis et de deux, c'est pile le style de réaction qui donne envie aux petits cons dans le style de Jason de pousser le bouchon dans le seul but de provoquer. Du coup, je le tacle concernant sa sensibilité lors de mes transformations. Il n'est pas à l'aise avec ça, mais il n'y assiste pas non plus très souvent. Alors qu'avec Rachel, je m'en donne à cœur joie. Et si ça la gêne, elle n'en a jamais touché un seul mot. "Bah franchement, avec tous les pouvoirs de plein de gens, qu'est-ce qui est encore naturel finalement ?" Parce que ouais, moi, je peux me transformer en animal, mais y'a des gens qui peuvent tirer des lasers avec les yeux, qui volent sans ailes, qui manient le feu, qui déplacent des trucs par la pensée... Rien que ça.

Je lui jette un regard en coin quand il insister concernant Rachel. Est-ce que je veux la garder pour moi ? Peut-être... Après, pas comme si elle pouvait être intéressée par Jason. Quoique, qu'est-ce que j'en sais au juste ? Elle n'a jamais manifesté le moindre intérêt pour aucun mec à ma connaissance, mais c'est pas pour ça que je connais son style après tout. Je lâchais, réticent : "Rachel." Avant d'appuyer ma tête contre le mur derrière moi, en soupirant : "Bah... elle est pas chiante, un peu secrète, facile à vivre quoi. Et mignonne." Très mignonne. Donc en vrai, cool au point d'envisager un peu plus entre nous, mais bon, ça j'allais pas lui avouer comme ça. Il change heureusement de sujet et me demande de retrouver quelqu'un. "J'ai quelques contacts et un bon odorat." Je souris légèrement, lui laissant imaginer comment je peux suivre son odeur. "Je peux essayer. Elle fait quoi comme job ?" Si tant est qu'elle en ai un, mais ça peut aider de savoir dans quoi elle trempe. Je me demande si elle lui est chère, mais il ajoute très vite qu'il la voyait peu. "Je vois." Toujours ce sourire en coin, un peu moqueur.

Et pourtant, nous sommes suffisamment à l'aise pour parler d'autre chose. Pour en dévoiler un peu plus l'un sur l'autre. Jason attend son père, ou du moins, celui qui lui a servi de figure paternelle, voilà pourquoi il reste ici et survit comme il peut. "C'est une bonne raison. Ca fait très justicier, fais gaffe." Je ris un peu. Cela dit la justice est assez différente selon les personnes. Cela reste un sujet très libre d'interprétation finalement. Je lui demande alors si je peux l'aider à le trouver, mais il rejette mon aide alors qu'il ne sait absolument pas comment le joindre. Il ne me donne pas même son nom alors qu'il n'a pas hésité avec la fille. Il a l'air de vraiment penser qu'il va revenir et je n'ai pas le cœur de casser ses espoirs. Cela ressemble tellement au vœu ardent d'un fils... Même si c'est juste son sauveur, qui l'a sorti de la rue. "Peut-être. Mais dernièrement, je suis plutôt mal tombé. Les gens agissent trop souvent pas intérêt, avec hypocrisie." Et là dessus, je suis clairement désabusé maintenant. Et soudainement, Jason me demande si j'ai déjà envisagé de faire plus avec mon pouvoir. Je l'observe sans être certain de comprendre : "Comment ça ? Genre me battre pour ce que je pense juste au lieu de juste vivoter ?" J'aurais pas pensé que Jason avait ce genre de raisonnement. Je l'imagine plus en train de sauver ses miches que celles des autres. Comme quoi...

J’ouvris de grands yeux ronds à le détailler de bas en haut. « Sérieusement, tu viens d’Afrique ? On dirait clairement pas. » Il n’était pas le profil du grand noir baraqué. Bon… Il n’y avait peut-être pas que des gens comme ça en Afrique. Qu’est-ce que j’en savais au juste ? J’aurais été incapable de placer les pays d’Afrique sur une carte. Peut-être que j’aurais dû écouter davantage quand Alfred essayait de m’instruire. J’étais loin d’être con, j’apprenais même très vite, mais je n’avais eu aucune éducation avant que Bruce ne me ramasse dans la rue. Et surtout, tout ce qui m’intéressa ensuite devait uniquement me servir à être plus performant sur le terrain. Le reste, je m’en foutais un peu.

Je comprenais bien qu’il avait fini voleur malgré lui, un peu comme moi en fait. On avait pas mal de points communs, au final. J’haussai les épaules, en réponse. « J’ai commencé à voler par nécessité aussi. J’ai pu arrêter quelques années, quand mon père m’a sorti de la rue mais… Avec tout ce merdier, le naturel revient vite au galop. C’est clair que ça rapporte plus que de servir les big boss de ce nouveau monde. Ils leur laissent que les miettes. » Ca me tuerait d’avoir à le faire en plus. Je préférais leur voler ce qu’ils arrivaient à récupérer, même si c’était très dangereux. Je n’en sortais pas toujours indemne. Mais franchement, travailler pour eux comme Babs et Dick… J’appelais ça de la prostitution à petite échelle.

Je secouai la tête, à la suite. S’il pensait qu’enfoncer autant le clou m’aiderait à moins sursauter à chacune de ses transformations… Ca ne fonctionnait pas vraiment comme ça. « T’inquiètes pas que les autres pouvoirs surnaturels me font le même effet. » Je n’avais pas vraiment envie de me retrouver face à Superman… Et à chaque fois qu’un de nos ennemis me sortaient sa botte secrète en mode ta gueule c’est magique, ça avait le don de m’énerver. Gar ne pouvait pas le comprendre, parce qu’il ne combattait pas le crime à Gotham. Les métahumains étaient une plaie. Enfin, quand ils n’étaient pas dans notre camp bien sûr.

Un sourire étira mes lèvres, fortement amusé, quand il me confia enfin le nom de l’heureuse élue. « Rachel… » Je le répétai d’un air rêveur, juste pour l’emmerder un peu plus, avant de lâcher un rire quand le mot « mignonne » lui échappa pour la qualifier. « Tu en craques vraiment pour elle ! Pourquoi t’as toujours pas tenté ta chance, mec ? » Je coupai de nouveau carrés de chocolat, avant de me figer quand il m’indiqua que son odorat ferait des miracles pour retrouver Cassie. « C’est… Super bizarre. » Je supposais que se transformer en n’importe quel animal lui conférait aussi les capacités propres de l’animal en question. Il pouvait se métamorphoser en fin limier, alors ? « … Et c’est tellement pratique ! » Il fallait vraiment que j’arrive à le convaincre de nous rejoindre. J’étais déjà à mille lieux de ça quand il me demande ce qu’elle faisait comme travail. « Euh… Elle allait souvent au musée. On s’ennuyait tous les deux là-bas. » Je réfléchis un peu. « Je saurais pas te dire ce qu’elle fait maintenant, mais elle a ton âge. Elle ne devait pas travailler encore… C’est quoi ce sourire putain ? » C’était de bonne guerre, sans doute. Pourtant, il n’y avait vraiment rien entre nous. C’était juste… J’avais assez peu d’amis, surtout hors de Gotham et de la Batfamily.

C’était marrant de l’entendre rire, à me traiter de justicier. Gar ne savait pas à quel point il était proche de la vérité alors… Je le laissais dire. Nous parlions subitement de famille, mais le sujet était sensible pour nous deux. Et puis, j’avais une autre idée en tête. « Te battre pour ce que tu penses juste, oui. Tu as vu comment le monde dépérit en ce moment, parce que les justiciers ont disparu de la surface du globe ? On a réellement besoin d’eux. On a besoin de gens comme toi, avec des capacités extraordinaires, pour rétablir une sorte d’équilibre tu vois ? » Je me tournai plus franchement vers lui. « Tous les héros ne sont pas morts. Et de nouveaux peuvent naître. »

Je ne peux retenir un petit sourire malicieux alors que la surprise de Jason est clairement visible sur son visage. "J'ai vécu une bonne partie de ma vie en Afrique, mais mes parents étaient américains, ceci explique que je n'ai pas le physique de l'emploi. Ils étaient biologistes." Mon air espiègle s'est quelque peu éteint alors que mon regard se fait plus nostalgique. Est-ce que je regrette cette période de ma vie ? Évidemment. Mais c'est comme ça. Et je me demande comment nous en sommes arrivés à parler comme ça de nous. Ce n'est pas habituel. Je connais Jason depuis quelques temps, certes, mais nous avons surtout fait quelques affaires et sympathisé sans savoir grand chose de l'autre. Enfin, il en sait davantage sur moi que moi sur lui, puisqu'il connaît ma particularité. Et contre toute attente, Jason se confie également, me racontant qu'il a du voler, sans doute seul et livré à lui-même, avant d'être sorti de là par ce père de substitution qu'il semble toujours attendre. "Mieux vaut ne pas trop avoir à faire à eux." Je préfère éviter de tremper dans ce genre de business. Je n'ai clairement pas confiance et ils ont trop tendance à décider de qui a le droit de vivre ou mourir. Moins je m'en approche, mieux je me porte.

Je charrie quelque peu Jason sur sa réaction suite à mes transformations, non sans rappeler que je ne suis pas le seul à avoir des pouvoirs dans le coin, loin de là. Et j'en conclue donc que lui, il est complètement humain, alors qu'il rétorque que tous les pouvoirs lui font cet effet là. Mal m'en prit de parler de Rachel qui semblait assez à l'aise avec ça. Mais elle a des pouvoirs également, ça aide. Jason ne se prive pas de me charrier avec elle. Et la conversation a quelque chose d'étrangement normal en fait... Deux mecs qui plaisantent à propos d'une fille, c'est quelque chose qui aurait du arriver plus souvent. C'est totalement anodin et normal. Cela n'en est pas moins très plaisant pour moi alors qu'il me pousse dans mes retranchements vis à vis d'elle et me met face à mes propres frustrations. Je grogne un peu quand il me demande pourquoi je ne tente pas ma chance, avant de hausser les épaules : "Parce qu'elle est clairement pas intéressée." Je n'ai jamais capté le moindre signe d'intérêt de sa part alors bon... Je n'aime pas spécialement me manger un mur. Je ne sais pas si je ne lui plais pas, si elle n'est pas intéressée par les mecs en général. Elle est tellement secrète et mystérieuse. Et semble cacher des trucs, même si j'évite de mettre les pieds dans le plat.

Jason parle alors d'une fille à son tour, qu'il aimerait bien retrouver. Je lui propose mon aide, non sans glisser que j'ai quelques astuces pour se faire. "Bizarre ? Ouais sans doute." Je prend un air pensif. "Mais sous forme animale, j'expérimente une autre façon de voir ou de sentir les choses." J'acquiers les capacités de ces animaux dont j'emprunte les forces et les faiblesses. C'est vrai que c'est déconcertant la première fois. Et encore, je n'ai que quelques formes différentes à mon actif. J'ignore moi-même quelles sont mes limites. Mais je me concentre davantage sur la fille qu'il recherche et en demande davantage. Au musée ? il a tellement pas une gueule à aller au musée. Cela dit, il me donne vraiment très peu d'éléments... Et j'en profite pour lui rendre la monnaie de sa pièce, prenant un air innocent à sa question. "Rien, rien."

La conversation prend un tournant plus surprenant ensuite. La justice... Vague concept. Qui ne semble plus trop exister maintenant. Et il éveille mon intérêt en parlant de justiciers, avec des capacités comme les miennes. C'est qu'il sait attiser la curiosité. Quel teasing. J'ai un sourire un peu contrit : "Mouais. Les rares fois où j'essaie de venir en aide à quelqu'un, ça se solde par des semi-échecs. J'aimerais bien croire que j'ai l'âme d'un héros, mais je ne suis qu'un vulgaire voleur." Et pourtant, je ne peux nier ce petit frisson d'excitation qui me parcourt à son idée. Et je ne cache même pas que cela m'intéresse. C'est idiot en fait. "Et donc ? Tu envisages de créer un rassemblement d'apprentis héros pour lutter contre le crime ?" Je regarde autour de moi, sceptique. L'environnement n'est pas très propice. Et je ne pensais pas Jason utopiste en fait.

J’en apprenais tous les jours un peu plus. Des parents biologistes ? Mais qu’est-ce qu’ils faisaient en Afrique au juste ? Il n’y avait rien là-bas. « Oh… Ok. » J’avais du mal à recoller les morceaux pour en faire un ensemble cohérent. Je fronçai les sourcils, un peu dubitatif. Je pouvais lui en demander davantage ou… ? Ca n’avait pas l’air d’être que des bons souvenirs, à voir son expression plus éteinte. Je glissai sur le ton de la confidence, avec l’impression de marcher sur des œufs : « Et donc… T’es reparti tout seul ? » Il en parlerait plus en détails si l’envie était présent. Je ne forçais à rien.

La conversation prenait une tournure bien trop personnelle à mon goût. A la réflexion, je n’étais pas certain d’en avoir dit autant à quelqu’un d’autres que lui. Le problème, c’était que sans connaître ma double-vie, j’allais forcément finir par devoir lui mentir. Gar et moi, on plaisantait la plupart du temps, on s’entendait bien… Mais ça n’allait pas beaucoup plus loin. Là, on avait franchi une limite. C’était certainement parce qu’on en avait tous les deux consciences que nous parlions subitement de sujets plus triviaux, comme les filles. Je lâchai ce qui s’apparentait à un rire, alors qu’il me cassait dans mes délires avec sa Rachel. « Aoutch. » Elle n’était clairement pas intéressée ? Dommage pour lui. « Sérieux ? Elle est peut-être lesbienne. » Ben quoi ? C’était logique. Je me penchai vers lui avec un sourire taquin. « Je comprends mieux pourquoi tu ne veux pas me la présenter… T’as peur qu’elle en craque pour moi ! »

Je devrais me méfier de son flair animal. C’était bien pratique en certaines circonstances, mais ça pouvait tout aussi bien me trahir. Et si je voulais le mettre à l’épreuve, il faudrait que je me montre plus malin que Gar pour ne pas ruiner ma couverture avant l’heure. Le peu qu’il me confie sur ses intentions me donne un premier bon aperçu. Gar avait déjà tenté de venir en aide à quelqu’un ? Il ne m’en fallait pas beaucoup plus. S’il échouait, c’était uniquement parce qu’il n’était pas entraîné. Il voulait être un héros, alors pourquoi n’en deviendrait-il pas un ? Il avait pas mal de potentiel. « T’es peut-être un voleur, mais un voleur au cœur d’or alors. » Je lui rendis un sourire énigmatique avant de croquer à nouveau dans ma tablette de chocolat. Il y avait quelque chose au fond de son regard… Une étincelle qui n’était pas là deux secondes auparavant. Je me désignai avec un air faussement surpris. « Quoi, moi ? Pas du tout ! J’ai la tête à créer un rassemblement d’apprentis héros ? Tu m’as bien regardé ? » Je lâchai un bref rire, comme si l’idée était stupide. En vérité, c’était une putain de super idée et précisément ce que j’avais en tête ! Mais il y avait une différence de taille entre Jason et Robin. Gar ne ferait pas le lien si facilement. « Disons qu’à force de traîner dans la rue, j’ai appris à connaître des personnes qui pourraient te plaire… » Je lui mis un coup dans l’épaule, comme pour conclure. « Je te les présenterais ! »

J’allais devoir en parler un peu plus en détails à Dick, et peut-être aussi à Babs. On devait se trouver de nouveaux alliés pour faire face au crime qui explosait à Gotham. Gar avait le profil pour nous rejoindre, il ne manquait qu’à tester un peu plus ses motivations… Est-ce qu’il serait à la hauteur ?

Jason a l'air de ne pas trop comprendre ce dont je parle. Ma vie a été un peu compliquée. Et dépaysante, c'est le moins qu'on puisse dire. Vrai qu'en lui balançant que j'avais vécu longtemps en Afrique, il a de quoi être confus. Mes parents étaient des chercheurs, voilà tout. Pourtant, mon passé semble titiller la curiosité de Jason, qui continue à poser des questions, sentant très probablement qu'il avance sur un terrain un brin délicat. J'aimerais pouvoir dire qu'après tout ce temps, cela ne me fait plus rien, mais ce n'est pas totalement le cas.Cela fait plus de 10 ans qu'ils sont morts, mais y penser est toujours douloureux et source de regrets et de nostalgie pour moi. C'est fou. Je me râcle un peu la gorge à sa question. "Mes parents sont morts quand j'avais 9 ans. Un naufrage. J'ai ensuite été pris en charge par le chef d'une tribu voisine. J'ai été amené sur le sol américain à 14 ans... Ce n'était pas mon souhait, mais on ne m'a pas laissé le choix. On a repéré mes talents et on a pensé qu'ils seraient vachement utiles pour cambrioler." C'est la version courte. J'ai parlé de la voix la plus factuelle possible. Jason a l'essentiel.

La suite, c'est encore sur ma pomme et sur ma colocation avec Rachel. Mais ça, c'est complètement ma faute, pourquoi est-ce que j'ai parlé d'elle au juste ? parce que forcément, un mec qui vit avec une fille... ça sous entend des trucs. J'aimerais bien, mais non malheureusement. Et même si je rechigne à la présenter à Jason, je dois reconnaître que c'est... agréable de parler d'elle avec quelqu'un. Même si c'est pour avouer que je l'aime bien mais que ce n'est pas vraiment réciproque. Et la remarque de Jason m'arrache un petit rire. "Parce qu'il faut l'être pour pas s'intéresser à moi ? Arrête, tu vas me faire rougir." Je plaisante bien sûr. Même si c'est... gentil de sa part. Bon, il se rattrape vite en me taquinant sur son propre charme. "Rêve." Les petits branleurs, c'est pas son style, ça j'en suis certain. Enfin... Je crois.

Je lui révèle ensuite que j'ai quelques facilités à retrouver des gens. Il ne m'a pas vu sous beaucoup de formes animales. Et il n'a probablement pas tilté qu'en fait j'emprunte les qualités et les défauts, de ces animaux... Pas que l'apparence. C'est déroutant d'ailleurs. Parce que la vision des animaux n'est pas la même que celle des humains. Et je ne parle même pas de l'odorat ou l'ouïe. Du coup, même si me transformer en soi, n'est pas si difficile, évoluer sous forme animale, c'est autre chose. J'aimerais que ce soit inné, mais non. Et voilà qu'il me parle de devenir un héros comme ça, au calme quoi. Sérieusement ? Même si je trouve ça cool, faut reconnaître que je suis plus un délinquant qu'autre chose. Même si je souris quand il ajoute que j'ai un grand coeur. "Tu crois ?" Qu'est-ce qu'il ne sait après tout ? Hormis ce que je lui dis... Et que je lui ramène des trucs gratos aussi. En vrai, je sais que ce n'est pas vraiment la vie qui m'était destinée. Comme pour beaucoup je suppose.

Alors forcément, à ce sujet, je le charrie, lui demandant si il a l'intention de monter une nouvelle équipe de super héros. "Bah, va savoir ce qui se trame dans ta petite tête. T'as peut-être des idéaux. c'est pas grave tu sais." Il n'est peut-être pas juste qu'un adolescent qui essaie de survivre après tout. il a peut-être des rêves, des espoirs. Et je me redresse un peu quand il ajoute qu'il connaît des gens qui pourraient me plaire. "Comment ça ?" Jason connaitrait-il des super-héros en herbe ? Ou des gens qui essaient de lutter contre le crime avec les moyens qu'ils ont ? "T'es vraiment trop mystérieux Jason. Et tu sais maintenir l'intérêt de ton public, tsss. Tu veux pas m'en dire davantage ?"

Il avait perdu ses parents à neuf ans ? Quelle merde. Son histoire puait presque autant que la mienne. « Je suis désolé pour toi, Gar. » C’était tout ce que je trouvais à dire. Je n’aimais pas vraiment la suite. On dirait qu’il avait été contraint de retourner sur le sol américain pour… Ses capacités hors-normes ? Si quelqu’un l’avait remarqué, ce n’était vraiment pas de chance pour lui. Mais il était libre comme l’air maintenant, non ? On devenait rarement un voleur autrement que par nécessité. Je n’avais pas sombré de nouveau dans la clandestinité avec joie non plus. Seulement, grâce à Bruce… J’étais devenu bien plus. Et lui aussi, c’était à sa portée.

« Qui n’a pas des idéaux ? On a tous envie que les choses changent. » Je doutais un peu de ses motivations réelles. Est-ce qu’il aurait les épaules pour ? Est-ce qu’il saurait s’adapter ? C’était un peu étrange de chercher à recruter dans une situation pareille. Ce n’était pas vraiment idéal pour entraîner quelqu’un mais… Ses prédispositions aideraient pas mal. Gar me ressemblait sur beaucoup de points. Et ça avait bien fonctionné pour moi, non ? Si Bruce avait été là, tout serait différent. Mais en attendant… Retrouver Nightwing m’avait permis de voir à quel point on était plus forts ensemble. Si on renforçait notre petite équipe, on serait invincible !

J’haussai les épaules, alors que Gar se faisait plus pressant. Il avait envie d’en savoir plus et c’était normal. « Ecoute, tu verras le moment venu ! Je peux pas t’en dire plus, là de suite. Il faudrait déjà que j’organise une rencontre… » Je lui adressai un clin d’œil. Moi, entretenir le mystère ? Peut-être un peu. J’avais été à bonne école pour ça. « Bon et si on se faisait plutôt une petite excursion, voir ce qu’on peut trouver ? Tu ouvres les portes, et moi je rafle tout. Deal ! » Je lui tapai dans la main sans attendre son avis, avant de me saisir rapidement de mes affaires. J’avais besoin d’un bon sac, vu tout ce qu’on risquait de ramasser à nous deux. Le couteau et le taser, c’était seulement au cas où. J’étais beaucoup trop enthousiaste, subitement. J’avais besoin de me dégourdir un peu les pattes… On allait faire une équipe du tonnerre lui et moi !