Beautiful is Boring ✘ Barbara Gordon

« Dansons, encore, dansons encore plus…N’arrêtons jamais de danser, libérons-nous. »

Oui, Kory s’était lancé corps et âme dans la débauche, la perdition, la fête. Celle d’Oldtown dans la basse-ville de Gotham. Celle qui n’arrêtait jamais. Véritable vedette parmi ses comparses de séduction, la majorité des connaissances hautement apprécié pour leurs talents divers en prostitution, la figure de l’humanoïde se moulait constamment aux formes exubérantes de celle de ses fausses amies. Tous les mannequins de Ronaldo fêtaient la tournée de leur maître. Elle lui appartenait toutes : ses esclaves spéciales volées à la pauvreté pour porter de la lingerie fine et se prostituer.

Sauf l’égérie, sauf celle aux yeux interdits. Encore un voile fichu sur la tête, les yeux voilés de dentelle ne faisaient que contempler bizarrement le monde des hommes. Tant d’interrogations et aucun temps pour la discussion, songeait la grande Kory parmi une foule d’humains.

La chevelure presque en flammes, ses mains entrelacées à celles d’une blonde robuste et ronde, Kory continuait de bouger son corps sans l’acte de la pensée. Peu vêtue, les habits de soie lilas dévoilaient trop de formes, trop de courbes incendiaires, trop de chair pour les yeux humains. La félinité de la silhouette ne continuait que de rimer avec la mélodie horrible et cassée. L’on tira sa chevelure vers l’arrière : pour l’embrasser avec sensualité avant d’y glisser du vin rouge et de noyer ses tempes, ses protubérances obscènes. Elle ignorait tout d’elle-même, mais le fait de ne pas faire partie de cette espèce lui était très clair – logique. Kory oublia ses doutes, et accepta de recevoir cette avance.

La première d’une série extrême : la prochaine scène se déroula dans les ruines d’un bloc d’appartement, entre des débris de matelas, six silhouettes suaves, de la poussière et des morceaux découpés de meubles antiques… L’humanoïde éberlué par cette orgie spontanée haussa un sourcil, refusa de retirer son voile, mais se laissa dominer par tous les autres corps présents…Avant de les prendre à son tour avec passion, avec force. Qu’importait le sexe, la conquête demeurait son objectif ultime.

Au bout de quelques heures, l’extraterrestre observa ses compères vidés d’énergie, inconscients et drogués. Buvant l’alcool de sa dernière conquête, Kory renfila ses fringues avant de prendre ses talons d’une main et la bouteille de de bourbon de l’autre. À peine échauffée par l’alcool, la rousse quitta la fête pour trouver la tente de fortune de son maître Ronaldo. Les draps étaient érigés au-dessus d’une ancienne boutique de vêtements très huppés, seules des vestiges rarement épargnés donnaient une allure antique à cette maison improvisée d’un soir pour leur tournée en ville.
Kory était l’esclave, la propriété et le mannequin de Ronaldo.

Mais, elle avait une liberté conditionnelle. L’occasion de briller ou d’errer, de présenter la lingerie malicieuse faites par ses mains vicieuses ne pouvait que créer l’extase pour lui-même. Arrivant à moins de quelques mètres des draps rouges tendus sur des cordes, Kory pencha la tête en écoutant des gémissements. Souvent, Ronaldo aimait violer des hommes. Elle laissa sa prudence de côté avant d’ouvrir le pan de la tente. Et de figer. Une pluie de papiers chiffrés, une pluie de sang, une pluie de plaintes douloureuses.

Au-dessus d’eux, au-dessus des hommes se trouvait une reine rousse incroyablement belle, de celles qui n’inspirent jamais l’ennui, de celles qui figent le temps quand elles sont présentes.

« Aide-moi, ma chère! Je n’en peux plus! »

Le maître connaissait assez son esclave pour deviner sa force, ses lumières gérées avec paranoïa. Ronaldo suppliait, mais le faciès de la nouvelle arrivée ne fit que soupirer avec lassitude. Laissant le drap tomber derrière elle, Kory jeta ses talons sur la gauche et admira la scène sans un mot. Heureusement, près de l’entrée, se trouvait un divan à moitié décimé par un vieil incendie. Les coussins mangés par les flammes étaient poussiéreux, mais semblaient confortables au cœur de la pourriture qui y sévissait. Kory y prit siège avec son parfum de fêtarde retraitée et une élégance non feinte. Le poing contre la tempe, les jambes croisées, Ronaldo sembla s’énerver :

« Je sais que tu ne te souviens de rien, mais ne sois pas stupide. Aide-nous. Je te donnerai un joli p’tit nom pour remplacer celui que tu as oublié. »

Un rire sec, pincé s’ensuivit. Kory déchira la scène de quelques mots :

« Rien à foutre de vos histoires. »

Et elle se coucha sans ajouter quoi que ce soit, mais ses yeux toujours voilés continuaient de fixer la reine de cœur toujours présente.

Y a-t-il quelque chose au monde de plus abject que ceux qui profitent de la misère humaine ? Vous me direz sans doute que l’homme est ainsi fait et qu’il en a toujours été ainsi. Quelle que soit l’époque et les circonstances, il y a toujours eu les opprimés et les salopards. Que quoi qu’il se passe, certains profiteront toujours des faiblesses des autres, qu’ils utiliseront toujours leur nom, leur fortune, leur puissance pour faire valoir leurs droits et écraser les plus faibles. La loi du plus fort, pas vrai ? Ouais, un truc du genre. Le genre de choses que je ne comprendrais jamais et que je ne peux accepter. Et c’est bien cela que j’ai toujours voulu être de l’autre côté. Du côté de ceux qui se battent contre ça, du côté de ceux qui font ce qui est juste. Que ce soit en devenant Batgirl ou, avant que tout ne s’écroule, en voulant travailler avec mon père… ou être procureur. C’était pas encore trop défini, mais l’objectif était le même. Il a toujours été le même, depuis le début.

Et je pourrai fermer les yeux sur certaines choses – non que ça me plaise, mais ce n’est pas vraiment comme si nous avions le choix maintenant de toute façon – mais je ne peux certainement pas faire de même quand je tombe sur les signes d’un trafic d’êtres humains. Je ne devrais pas, je ne devrais plus, mais je ne cesse d’être horrifiée et stupéfaite de la bassesse de certaines personnes. Pourtant, comme je l’ai dit, rien n’est nouveau, surtout pas ici, surtout pas maintenant. Mais ce n’en est pas normal ou bien pour autant, loin de là.

Et c’est bien pour ça que je me trouve ici. Il n’y a pas plus de système pour enquêter et les arrêter, plus vraiment grand monde non plus pour leur rappeler que ce genre de crimes ne peut rester impuni. Mais nous sommes encore là. Et je suis encore capable de faire des recherches et d’assembler les indices… Même s’il va vraiment falloir que je me dégote de quoi bricoler un ordi et un accès au réseau.
Plus tard, concentre-toi.

Même s’il n’y a pas grand-chose sur lequel me concentrer au final. Je regarde autour de moi, alors que ses hommes de mains gisent à terre, gémissants et suppliants. Combien les ont déjà suppliés ? Combien lui a-t-il vendu et utilisé comme s’ils ne valaient rien ? Mes poings se serrent et mon coup de pied part, atteignant un des gardes à la tête alors qu’il tentait de se relever, son maître se contentant de se crisper un peu plus dans son fauteuil. Contre ce genre d’êtres, je peux comprendre la colère et le raisonnement de Jason, quand bien même je ne l’approuve pas. Il ne mérite pas de mourir, en vérité, il mérite bien pire… Mais nous ne pouvons être juges et bourreaux. Ce n’est pas notre rôle.

Je me fige en sentant une présence, avant même de la voir, et je relève les yeux pour fixer la nouvelle venue. Je la détaille rapidement – bien trop nue pour que je sois à l’aise mais ce qui ne semble guère la déranger elle – et ma mâchoire se crispe, ma prise ne s’en faisant que plus forte sur l’homme que je maintiens. Il demande vraiment de l’aide à une femme qu’il vend ? Mon regard s’attarde un peu sur elle, sur ses yeux masqués, ses cheveux… Je fronce les sourcils quand il prend à nouveau la parole. Un joli ptit nom. Quel enfoiré de… Et elle rit. Je dirais bien qu’elle n’est pas nette non plus, mais vu ce dans quoi elle doit évoluer, ce qu’elle a dû subir, sa réponse me plaît bien.
Je me penche et le cogne contre le bureau sans ménagement, sa tête rebondissant dessus avec un bruit sonore. Je le relève et mon poing rencontre sa mâchoire, le faisant tomber à terre.

« Fais quelque chose ! Elle va… » Sans lui laisser le temps de finir, je l’agrippe et l’envoie voler de l’autre côté de la pièce. Et il ne se relève pas. Bien. Mais oui, il respire toujours. Je crois. Je tourne la tête vers la jeune femme, qui s’est allongée comme si de rien n’était. Je me mords la lèvre. Lui, je sais déjà ce que je vais en faire, mais elle… Elles au pluriel même. Je peux pas les laisser, ça reviendrait à laisser le prochain crétin remplacer celui à terre…

« Combien êtes-vous ? Combien de gardes ? Combien de… civils ? »

Tout en parlant, je fouille dans les affaires, gardant un œil sur tout le monde, mettant de côté quelques documents et carnets. Je finis par la fixer de nouveau, la rejoignant avec son ancien boss que je tire par un pied.

« Toujours rien à foutre ou tu m’aides ? »

Koriand’r aurait convoité de dormir pour le reste de la matinée naissante, mais la reine de cœur l’en priva. La violence fusa sous la tente miteuse du designer qui possédait à présent un nez cassé. L’humanoïde aux longues jambes, toujours étendue et la robe froissée de liquides multiples, vint se rasseoir sur le coussin à moitié déchiré. L’inconnue semblait répertorier des informations, ou du moins, ses questions laissaient deviner la direction de ses intentions…

Amère, peu invitante, la rousse craqua son cou à l’énumération du choix de son camp. Quel terrien choisir en ces lieux sombres et glauques? La reine de cœur, cela allait de soi. La blonde-rousse aux pointes toujours enflammées pencha la tête sur la droite avant de parler d’une voix vide, désabusée d’âme :

« Aider? Tu es la première humaine à demander mon aide. »
« Elle…Arrête, elle ne doit pas…t’aider…Elle est »
« Dangereuse? »

Un visage d’apparence féline s’afficha quand le voile partit entre ses mains porcelaine qui le déchirèrent sans ménage. Des écrans émeraude aux tons acides scrutèrent les lieux dans un soupir étrange, mélancolique. Contrairement à son apparence cauchemardesque, l’amnésique ne s’embarrassa guère d’user de la violence et déroula le contenu de sa petite mémoire à la jolie justicière :

« Ronaldo, celui que tu tiens par le pied, a cent-trente esclaves : soixante sont des enfants, et le reste sont entre le début et la fin de l’adolescence. Je suis la seule majeure. Il profite des troubles mentaux des plus faibles pour les abuser. »

Sans la moindre gêne, la géante commença à se mouvoir tel un félin au milieu de la scène de bagarre. La confiance exubérante de la créature ressemblait étrangement à celle d’une suicidaire prête à se jeter d’un édifice au milieu de la ville. Jetant ses iris sans frontières sur une des montagnes de fringues, Kory passa derrière un paravent pour jeter ses tenues de débauche au sol et se changer - enfin. Elle était si grande que sa chevelure à moitié lumineuse, à moitié chatoyante de flammes semblait prête à tout brûler. Derrière les pans poussiéreux à moitié cassés, la voix chaude de Kory continua :

« Ronaldo achète et vend des vies. Son amant, Rouwan, gère les rendez-vous. Il devrait revenir ici vers dix heures avec des tissus…Pour les gardes, il les engage à la semaine. Ce soir, je dirais que tu as récolté tous les gardes. »

Les hommes à terre, ceux encore capables de penser sous les coups canons de Batgirl, commencèrent à trembler de peur. En voyant leur animal de compagnie tout feu tout flammes déballer tout leur commerce sur un plateau d’argent, ils ne purent s’empêcher de regarder le profil de la géante au dos nu. Enfin, elle ressortit avec un pantalon noir et un haut à capuche d’un gris sombre. Des bottes aux pieds, la créature traîna des talons jusqu’à l’étrangère.

Ses traits étaient vides d’émotion comme si elle devait tout contenir à l’intérieur, un peu comme un coffre-fort. Kory contournait avec grâce le corps échoué d’un malfrat. Soudain, ce dernier osa se relever pour charger sur la rousse en lui tirant la crinière. D’un seul geste, Kory souleva le corps du grand bourru pour l’observer une seconde et le jeter comme un chiffon à trois mètres d’elle. Le choc au sol fut fatidique, le squelette craqua à plusieurs endroits.

Et l’humain soupira une fois dans un gémissement presque final. Un air étrange parcourut les lèvres frémissantes de la créature féline qui regarda aussitôt sa paume avec des yeux enflammés d’incompréhension.

« J’ai fait du mal. N’est-ce pas? »

Un constat. Peut-être stupide et impulsif, mais Kory rajouta au summum de sa remise en question:

« Est-ce mal de vendre des vies? De voler leur liberté par la loi du plus fort? J’imagine que tu es ici pour mettre fin à leur commerce. Je n’ai connu que ces hommes depuis mon réveil. L’amnésie est mon fléau. Je ne sais pas si j’ai droit à ma liberté. J’ai l’impression que je mérite d’être leur possession. Une bête devrait suivre son maître, n’est-ce pas? »

Dans un dilemme étrangement cruel pour sa propre personne, la femme demeura à distance à contempler sa victime au loin. Légèrement amère, elle croisa ses bras sous sa poitrine avant de darder son regard acide d’interrogations brûlantes sur son ancien boss et sur l’étrangère qui le dominait toujours de sa force brute. Réellement, cette créature semblait venir d’un monde lointain, inconnu. Une main pâle, aux lueurs dorées vint glisser une boucle rebelle derrière la pointe lunaire d’une oreille aiguisée au couteau. Malgré la froideur de son comportement, ce reflet superficiel de sa personne ne pouvait guère en dissimuler toute l'ampleur, toute la détresse. Déguisée sous l'ombre d'une tragédie intergalactique qui composait son passé méconnu et interdit.

Dans quel pétrin me suis-je encore fourrée ? J’ai préparé ma venue, j’ai observé les gardes, les échanges, j’ai même dû la voir elle de loin sans forcément y prêter attention. Et je suis plutôt bien placée pour savoir que rien ne se déroule jamais exactement comme prévu, quand bien même le plan aurait-il été travaillé et effectué à la perfection. Même Batman, celui qui a toujours 1000 plans et bouées de sauvetage d’avance, se laisse parfois surprendre. Parce que le hasard, tout comme les réactions des tiers, est parfois inattendu, et a toujours une incidence.

Et elle, la femme qui me fait face, je ne l’avais guère pris en compte. Victime de ce type, personne à aider, je n’aurais pas pensé qu’il puisse lui demander de l’aide. J’aurais dû. Entre ses incroyables yeux verts et ses cheveux qui semblent presque vivants, je me demande vaguement d’où elle peut venir. Et à quel point je serais capable de lui tenir tête si jamais on devait en arriver là. Mais elle ne semble pas disposée à lui répondre favorablement, ce qui est plutôt une bonne chose.

… Cent trente. Des enfants. J’inspire alors qu’elle continue comme si de rien n’était et ce qu’elle dit me donne la nausée. Le regard que je jette au responsable de tout ceci, Ronaldo donc, est un mélange de colère et de dégoût, paradoxalement bien plus glacial que ce dont j’ai l’habitude. Il doit sentir que la tension est encore montée, que son… esclave ne l’aidera pas, car je le sens trembler et il se tait. Mon attention se reporte néanmoins rapidement sur la demoiselle qui est partie s’habiller, toujours l’air de rien, toujours comme si tout était normal actuellement. Peut-être l’est-ce pour elle.

« Il achète et vend… » Ma prise se resserre sur la cheville et je l’entends couiner, mais il n’est qu’une distraction lointaine. Je regarde autour de nous. « Si peu de gardes ? Pour surveiller et garder autant de personnes ? » Je soupire. Évidemment. Des enfants. Et la peur est tellement puissante, tellement dévorante, comment des enfants pourraient y résister alors même que les adultes y cèdent ? Je reprends alors qu’elle se change. « Je reviendrais chercher Rouwan. Mais il faut protéger les autres en attendant. » Il faut les sortir de là, même si j’ai l’impression que je vais les sortir de la piscine pour leur offrir une noyade en pleine mer.

Je la fixe alors qu’elle sort, ayant quittée son pseudo-maillot de bain pour quelque chose de décent, comme une pagure changeant de coquillage, et je n’ai pas le temps de la rejoindre ni même de la prévenir, en voyant le garder bouger, qu’elle prend les devants. Mes yeux s’écarquillent et je tends la main comme si ma seule volonté pouvait stopper le mouvement. « NON ! » Le cri m’échappe alors que le corps du garde rebondit contre le sol, le craquement de ses os m’arrachant un frisson. Je reste quelques secondes à regarder le corps sans vie. Toujours des imprévus. Jamais les dangers attendus.

Relevant les yeux vers elle, je la fixe, les yeux toujours un peu écarquillés d’horreur, avant que la colère ne reprenne le dessus. Mais elle me stoppe dans mon élan. Et je me retrouve à la fixer, partagée entre la colère, l’horreur, la tristesse et la douleur.

« C’est ce qu’ils ont dit ? » Ma voix n’est que murmure. Ma mâchoire se crispe et je relève le menton en faisant un pas vers elle. « J’aimerais pouvoir t’aider à te rappeler, mais dans l’immédiat, je ne peux pas et j’en suis désolée. Je ne sais pas qui tu es, ni d’où tu viens, si tu as fait un long voyage ou si tu es issue de… Peu importe. Ces hommes sont des ordures. Tu n’es en aucun cas leur… possession. Tu n’es pas… Merde, tu n’es pas un animal ! Tu n’es peut-être pas humaine, mais ça n’a aucune importance. » Je reprends ma respiration, le son de ma voix étant monté pendant que je parlais, et je la dévisage sans être le moins du monde gênée par la différence de taille, par son regard ou autre. J’ai l’habitude d’être la plus petite, et niveau intimidation, j’ai connu pire. « Ils ne peuvent décider pour toi. Et je ne le peux pas non plus. Tu es libre. Mais… Ce n’est pas parce que tu as la force ou la possibilité de faire quelque chose que c’est bien ou que tu en as le droit. Tu ne peux pas faire ça ! »

J’ancre mon regard dans le sien, sans trace de peur ni de colère, juste cette foutue assurance et cette certitude absolue que j’ai entièrement et totalement raison.

« On.Ne.Tue.Pas. » J’ai détaché chaque moi, pour souligner cette donnée fondamentale. « On ne tue pas et on ne joue pas avec les vies. Personne n’en a le droit. Personne ne devrait se croire au-dessus des lois et encore moins supérieur aux autres. Ni ces brutes au QI de cigales, ni les autres monstres dehors. Ni moi. Ni toi. »

Je déglutis, avant de m’accroupir pour mettre KO Ronaldo qui recommençait à vouloir s’échapper, et il s’écroule à terre telle une méduse trop flasque.

« Vas-tu m’aider ? Si tu ne veux pas, avant de partir, dis-moi au moins où sont les autres enfants, je me débrouillerais pour les mettre en sécurité. » Je commence à avoir une vague idée de ce que je pourrais en faire, même si ce n’est certainement pas la meilleure idée du siècle. Au moins, ils seront protégés. Je me redresse et la regarde de nouveau. « Et si tu m’aides, je te promets qu’on va faire partir un feu d’artifices d’ici… Et que lui… » Je pousse Ronaldo du pied. « Et son ami ne seront pas près de recommencer. Sans les tuer. » Petit rappel au cas où.

« Et tu es quoi qu’il en soit libre de tes choix et libre d’aller où bon te semble… même si c’est compliqué ici. » Je me mords la lèvre, sachant que je risque de regretter. « Et si je peux t’aider, je le ferais. »

La reine rouge avait volé le cœur de l’amnésique – sans identité, sans repères. Le visage figé d’admiration, de jalousie, d’envie, Kory soupira de lassitude lorsque le corps de l’homme quitta sa poigne pour rompre ses os au sol. Les gémissements ne vinrent guère, mais le comportement de la justicière suffit à Kory pour comprendre la gravité de ses actes.

Durement, la géante se retourna vers la rousse pour écouter ses paroles et les boire une à une. Ivre de ses formulations et de la compréhension exacte de ses dernières communications, l’Alien sentit son échine dorsale trembler devant la possibilité d’être libre.

D’exister parmi le même rang que les humains, et pas seulement un animal de compagnie ou un monstre d’émerveillement. La créature recula d’un pas à l’évocation des hommes autour de son éveil : des ordures, des criminels…La femme sans nom fixait les iris horrifiés et sempiternellement fiers de la petite humaine sous ses yeux. Une parmi tant d’autres humaines, mais la rousseur de sa chevelure et son regard scintillant de justice terrorisaient l’absence de morale de Kory qui ne fit que parcourir sa mémoire d’une minceur bouleversante. Certes ce fut une voix douloureuse qui témoigna de la nature sensible de la rouquine enflammée.

« Libre? »

Soudain, la silhouette de la géante sembla frémir de tous les côtés avant de laisser le crâne à la chevelure sans fin se redresser à la taille du plafond bas de la tente. Kory regarda ses mains longtemps avant d’y entrevoir des chaînes, des dentelles, des liquides…Secouant son minois de gauche à droite, la créature s’aperçut de l’illusion pour voir la figure de rêve de la reine rouge de nouveau. La tête de Koriand’r demeurait la victime de son passé tragique, mais la possibilité d’évoluer était trop attirante pour exprimer un refus indésirable. Intriguée, le regard vert à la plénitude désolée, coupable confronta de nouveau les iris magnifiques de la justicière. Kory ne pleurait pas, mais les flammes acides de son visage n’étaient que plus agressives, conquérantes, dominantes. Voir Ronaldo au sol semblait créer un appétit de vengeance intarissable pour la grande rousse.

« Je veux t’aider…Madame? »

Hésitante, la géante se détourna de l’humaine pour regarder le sol de la tente avec suspicion. La vertu de l’humaine de provoquait pas Kory, mais elle devinait bien que son comportement n'inspirait nullement le moindre ressenti de la confiance. En trois pas, elle arriva près d’un bureau immense en métal brûlé et poussiéreux. Le poussant sans problème d’une main décorée d’ongles vernis aux paillettes violettes, l’ancien mannequin de Ronaldo frappa d’un poing la terre pour en créer un trou profond.

Léchant sa lèvre inférieure, Kory tira tout à coup un coffre en métal qui s’apparentait à un coffre-fort relié à de la dynamite…Délicatement, Kory laissa ses mains créer des flammes avant de laisser le métal fondre littéralement entre ses doigts. Pendant l’intervention, ses yeux, ses chairs et même ses boucles semblèrent prendre vie d’une énergie lumineuse, chaleureuse, dangereuse. La boîte fondit de même que les explosifs furent noyés du métal en fusion.

Retrouvant son apparence de base, Kory sortit des pochettes de métal du coffret avant de révéler des rouleaux de billets, un livre rempli de profils et d’adresses et des bijoux étranges…Des métaux inconnus de l’homme qu’enfila l’amnésique sans retenu comme si ces morceaux étaient une partie de son âme. Un serre-tête, une chaîne de corps, un collier, des bracelets et des boucles d’oreilles toutes identiques : une lumière dorée pour l’alliage métallique et un centre vert émeraude décorés de motifs étranges. Le langage était extraterrestre, et s’apparentait à des cercles additionnés à des taches d’encre. Puis Kory releva ses yeux partiellement enflammés, partiellement animés d’arrogance vers la reine de cœur au profil noble, royal. Le carnet rouge fut donné aux mains de la justicière.

« Voici les adresses des esclaves vendus. Une vingtaine est cachée sous nos pieds.»

Retournant près du paravent, Kory souleva le meuble pour le démonter et déterrer la bordure d’une planche de bois. Comme si observer le commerce de ses maîtres était sa seule distraction en temps normal, l’Alien retourna une maigre planche de bois pour révéler un trou dans la terre. L’ouverture était beaucoup trop petite pour laisser la girafe ou la justicière passer dedans.

Certes une petite ombre émergea du trou, ne révélant qu’un seul œil marron aux deux femmes présentes et éveillées. La vue des gardes assommés sema l’effroi chez le petit garçon qui regarda autant l’amnésique et Batgirl à tour de rôle. Bientôt, d’autres têtes sortirent du trou, traînant parfois un petit corps mort à coups de petites mains glacées. À moitié couvert de terre, le premier interrogea l’Alien accroupie au sol :

« K, que fais-tu? Nous ne devons pas sortir ou le boucher va nous dévorer selon Maître. »
« Je fais ce que je veux. Toi aussi, tu peux faire ce que tu veux, Sebastian. »
« K, j’ai peur…Nous… »
« Regarde la belle dame à mes côtés. Elle est courage et liberté : écoutez ses mots, ils apaiseront la douleur de votre cœur. »

Les petits enfants regardèrent Batgirl avec curiosité, venant toucher un genou ou sa ceinture pour attirer son attention. La géante s’esclaffa de rire quand le dénommé Sebastian grimpa sur son dos malgré une protestation sèche. La fameuse « K » releva des yeux plus sévères, plus intransigeants vers la justicière qui interdisait la mort comme solution à leurs problèmes.

Trop faibles de malnutrition et de mauvais traitements pour courir ou s’évader, les enfants étaient tous accroupis parterre dans l’attente du jugement de la fabuleuse justicière. Seule l’amnésique se redressa, définitivement plus grande que tous les humains présents pour revenir vers les responsables gisant parterre. Un regard suffit à compter les corps assoupis avant de laisser K exprimer son opinion à Batgirl.

« Tu ne peux pas m’aider…Seule ma tête peut décider de suivre la voie de la maladie ou de la survie. Je te remercie de tes actes nobles, mais ne promet pas d’aider une personne dont tu ne sais rien. Je ne mérite aucune clémence. Je ne comprends pas votre monde ou votre peuple. Tuer ne crée rien de significatif chez moi : ni victoire ni défaite.

Tout m’est inconnu ici – et je suis inconnue à moi-même. Vous êtes si fragiles à mon contact. Je blesse, je tue et je ne sais plus comment errer sans faire le mal. Après tous ces jours d’esclavage, ma conclusion est que je dois subir une exécution ou une séquestration éternelle car je représente un danger pour votre espèce. »
« K…Pourquoi tu dis ça? »
« Je suis différente, Sebastian. Je ne peux pas mettre vos vies en péril par ma présence. Je tue sans remords : je suis incapable de voir le bien ou le mal dans votre monde. »
« … »

D’une main forte, K agrippa l’enfant pour le déposer sur une montagne de tissus robustes. Ensuite, elle botta le trou du talon pour en disperser un peu plus la Terre. Sans plus attendre, la rouquine aux boucles de feu tenta de s’immerger dans le trou souterrain pour son ultime châtiment sur Terre.

Je ne sais trop comment réagir avec elle, si je dois être davantage horrifiée par ce que les hommes sont capables de faire, désolée pour elle, effrayée par elle, de ce que cette présumée amnésie peut engendrer chez elle et pour les autres.
Tellement d’émotions et de sentiments passent sur le visage de la jeune femme face à moi que je serais incapable de tous les répertorier. Il y a quelque chose de terriblement fragile, de terriblement enfantin chez elle. Sachant que les enfants sont capables de passer de la joie à la colère à la tristesse en quelques secondes, je ne suis pas certaine qu’il s’agisse d’une bonne chose la concernant. Pas alors qu’elle vient de balancer un homme comme s’il était une poupée de chiffon. Si elle se met en colère pour de bon, il se passera quoi ? Si elle se retrouve dans un endroit bondé ? Si elle ne sait pas se contrôler, si elle ne sait même pas de quoi elle est capable ?…
Ce n’est pas la première fois, loin de là, mais là, je regrette grandement l’absence de Superman, même de Wonderwoman, qui sauraient maîtriser, à défaut de savoir gérer, ses pouvoirs. D’un autre côté, ils donnent tous tellement l’impression d’être handicapés, sentimentalement parlant, que Batman ne détonne pas vraiment au milieu d’eux c’est dire. Alors les laisser prendre en charge une femme amnésique, torturée et violentée, ce n’est pas forcément une bonne idée. Enfin, c’est pas comme s’ils étaient là et que j’avais le choix de toute manière.

Je hoche la tête à sa question pour le coup rhétorique, avant de me figer en la regardant faire. Bien. Si je raconte ça aux mecs, ils vont penser que je fous de leur gueule.
« Batgirl, moi c’est… Batgirl. » Je réponds par pur réflexe après avoir grimacé en entendant le madame. Ouais, bah c’est pas parce que j’ai râlé en héritant d’un Batgirl et non d’un Batwoman ou autre nom que je suis obligée d’apprécier le madame. Mais c’est une pensée qui m’échappe tel un papillon quand je la suis des yeux. La force surhumaine, c’est presque aussi commun que des coquillages sur une plage, ça perd presque de son intérêt… Presque. Par contre, ça… Oh putain de merde. Elle est littéralement en feu. Elle… Et pas le petit feu de camps, mais genre le soleil qui s’invite directement chez toi. De mieux en mieux. Elle est… Mais d’où elle vient ?
Je la regarde récupérer ce qui se trouve dans le coffre, sans songer une seconde à l’en empêche tant tout semble lui appartenir.

J’attrape le carnet qu’elle me tend, le feuilletant rapidement, avant de le ranger précieusement. « Merci beaucoup. Que… » Je regarde autour de nous, retenant une nouvelle vague de colère et de nausée en comprenant qu’elle parlait littéralement. Et il me faut malgré tout quelques secondes supplémentaires pour me rendre compte que je ne respirais plus. Oh Seigneur.
Et je les vois sortir de là, tels des cigales à la recherche du soleil en saison estivale… des cigales en train de mourir de faim et de mauvais traitements.

À quel point je peux me raccrocher à la moralité de mon père ? À la droiture de Bruce ? À toutes ces valeurs qu’on m’a inculquées toute ma vie et qui me sont si chères face à ça ? Je cille en les voyant sortir. Je ne peux pas, je n’ai pas le droit de flancher ou de céder à cette colère qui menace de me submerger. Je ne peux pas être juge et bourreau. Ce n’est pas à moi de… Des mots tellement creux que je me répète en boucle pour tenir debout. Mais je n’aurais aucune bouée pour me sauver de la noyade si j’allais trop loin. Courage et liberté ? Vraiment ? J’inspire et relève la tête pour les regarder. Et mon regard croise celui de la femme. K ? Je sais, je comprends, je suis d’accord. Mais étrangement, la voir m’aide à me convaincre. Ce n’est pas à moi, pas à nous, de condamner.
Je souris à ces enfants que je ne suis pas sûre de pouvoir sauver, ma main se portant dans les cheveux de ceux s’approchant de moi. « Votre amie a raison. Nous allons vous sortir de là. Plus personne ne vous fera de mal. » J’inspire. « C’est promis… Je vous promets que tout ira bien. »

Je me tends, prête à intervenir quand je la vois se rapprocher. Pas tant pour les sauver eux que pour la protéger elle. Tout acte a des conséquences. Mais elle se contente de reprendre la parole. Elle ne peut pas rester seule et… Quoi ? Je fronce les sourcils sans bien comprendre ce qu’elle dit. Enfin, je comprends, mais ça n’a aucun sens. Je secoue la tête, sourcils toujours froncés, en mode incompréhension totale, que Dick ou Jason résumerait en un mot : " Gné ?" Je la regarde faire penchant la tête sur le côté, me demandant jusqu’où elle va aller. Je ferme les yeux et inspire profondément, avant de me rapprocher et de m’accroupir près d’elle.

« T’es sérieuse ? Tu essaies de t’enterrer vivante, en me laissant seule avec ces enfants, alors que tu ne sais rien de moi, pour peut-être protéger notre espèce de toi ? » Je la dévisage. « Je connais des personnes plus fortes que toi qui ne blessent pas. Je connais des personnes ignorantes qui ont appris. Je connais des personnes différentes qui se battent à nos côtés. » Je soupire, observe un instant les enfants, avant de reporter mon regard sur elle. « Je ne peux pas décider pour toi. C’est à toi seule de choisir si tu veux apprendre à nous connaître, à nous comprendre, à distinguer ce qui est mal de ce qui est bien. Je peux t’y aider si tu le désires. Mais tu es la seule à pouvoir décider de ce que tu veux faire de cette force et de ce courage qui existent en toi. Si tu ne désires pas être une menace pour nous, ne le sois pas. » Je hausse les épaules et grimace un sourire. « Mais vouloir t’enterrer vivante, c’est ridicule. » Je fais un signe pour désigner les enfants. « J’ai besoin de toi, pour les emmener et les mettre en sécurité. J’ai besoin de toi pour retrouver les autres et les sauver à leur tour. Aide-moi. Aide-nous. »

Dans sa tentative de s’enterrer vivante, K fut interceptée par la justicière masquée. Son approchement provoqua la distanciation immédiate de la créature qui semblait porter une attention toute spéciale à son espace personnel. Détaillant son emblème de chauve-souris, la géante à mi- genou dans son tombeau s’en libéra, complètement vexée d’être remise en question. sRelevant un sourcil, soumise à la curiosité et ses délires d’interrogations, la rousse regarda les enfants. En effet, le moment demeurait mal choisi pour finir son sort…Il n’était pas digne de se sacrifier devant des yeux innocents. Quoique la mort serait une thématique permanente au coeur de leur vie, en particulier au sein de ce monde chaotique dominée par la criminalité.

« J’accepte de reporter à une date ultérieure mon exécution, Batgirl. »

Un silence, très lourd, demeura omniprésent pendant plusieurs minutes. Les enfants se regroupèrent derrière Batgirl comme si elle était une figure de liberté. Puis la mystérieuse K élabora sa pensée avec un ton lumineux de fatalité : « Ma fonction d’esclave m’est trop facile à accomplir : je crois remplir les exigences de cette position depuis très longtemps. De plus, je sens la haine d’une personne veiller sur moi. Je ne sais pas comment l’expliquer : je sais que cette personne viendra elle-même m’exécuter. J’accepte la mort à l’intérieur de moi : il manque seulement à mon corps d’atteindre ce stade. »

Un petit garçon, plus vieux que les autres, se détacha de ses deux sœurs jumelles pour prendre la main de la géante qui se dégagea aussitôt : les marques d’affection semblaient lui causer un dédain pur, viscéral. Se faire dévisager par la justicière ne semblait guère l’affecter, pire rien ne semblait lui faire effet. La rousse déposa de nouveau un pied dans le trou, pendant que ses bijoux dorés commencèrent à rayonner d’un éclat émeraude. Le collier portait clairement une lettre encerclée presque semblable à la lettre romaine K.

« Arrête. Je t’en prie, arrête. T’as si peur d’avoir mal en t’ouvrant à nous? C’est mieux d’être dans un trou? Qu’on finisse par t’haïr nous aussi? Vas-y. Pourris dans ton trou toute seule. Pendant ce temps, on va suivre une chauve-souris- hey mes respects jolie Batgirl- pour espérer finir dans un meilleur trou. Vas-y, enterre-toi vivante. Je te l’ordonne, K. Vas-y!»

Les jumelles âgées de sept ans se placèrent derrière la justicière masquée, leurs bouches élaborant le chuchotement suivant : « Si tu lui donnes un ordre, elle va faire le contraire. Je te jure, ça marche tout le temps! Laisse Matty continuer! » Des gloussements surgirent chez les mômes, causant davantage de fureur chez la géante.

Littéralement, la rousse sembla piquée dans son orgueil. Les discours de Batgirl et des jeunes commençaient à faire effet. Ce fut à cette seconde fatale que ses épaules de haussèrent en compagnie d’un désarroi imminent. Passant une main aux ongles vernis de paillettes sur son front et ses yeux au vert infini, la créature sembla assimiler les bons sentiments des derniers événements…Les enfants semblèrent s’animer tout d’un coup, comme si taquiner leur aînée était leur passe-temps préféré. Ou lui montrer qu’elle avait tort et faire tout ce qu’elle voulait n’était pas forcément une bonne idée.

«⎎⍜⍀ ⌖'⊑⏃⌰ ⌇⏃☍⟒ »
« Si tu te suicides, tes chatons vont crever de faim et de solitude. Vraiment, tu es trop narcissique. Prend exemple sur Batgirl! »

Vraiment, le gamin de douze ans allait très fort. À la mention des chatons, K releva son visage dans leur direction, venant se planter d’un pas sévère devant l’humain. Les poings serrés dans ses manches longues, la poitrine bombée d’orgueil, les iris remplis de cette énergie incendiaire et demeurant d’une droiture impeccable. Elle se détourna, plus fière que jamais du haut de ses deux mètres.

« D’accord. Vous avez raison. Mais, mes protégés ne sont pas un sujet de discussion acceptable entre nous.»
« Bordel!?! Tout le monde se rappelle de ta dernière crise existentielle pour sauver les chatons de la marmite de Ronaldo! Ce sont juste des »
« Ils sont en vie, ils sont en bonne santé et ils vivront heureux jusqu’à la fin des temps. Voilà tout. »

Fin. K ne laissait aucune manœuvre permise, aucun commentaire spontané prendre le dessus sur son allégeance indiscutable à la protection de la gente féline. L’Alien ne toléra plus aucun écart de leur mission de protection, et s’en alla à l’entrée de la tente épier les allées et les venues des passants. La reine rouge, du surnom de Batgirl, continuait d’attiser la bonté et le courage chez l’amnésique qui dissimula sa joie de la liberté sous un ego surdimensionné touché sur un sujet sensible. Matty fixait désormais Batgirl avec un air charmeur du type : « J’ai sauvé la situation. » Un soupir de la rousse suffit à témoigner de sa nouvelle indifférence, d’une énième tentative de se soustraire aux mille volontés de ces petits humains et de la justicière dont le profil semblait évoquer un passé glorieux et révolu.

En toute logique, avec tout ce qui s’est passé, plus rien ne devrait pouvoir m’étonner. Mais la nature humaine est ainsi faite, il y a toujours pire, il y a toujours mieux, il a toujours différent. Faut croire que la nature extra-terrestre ou quoi qu’elle soit en va de même. Je devrais sans doute m’estimer heureuse de ne pas être suffisamment cynique ou blasée pour ne plus rien trouver saugrenu. Le monde doit être vachement triste pour les personnes comme ça. Bon après, en ayant été élevé par James Gordon et en ayant été l’élève de Batman – ou malgré cela – il y a peu de chance que je devienne ainsi, d’autant que ce n’est pas vraiment dans mon caractère. Je fais partie de ces gens un peu stupides qui espèrent et croient toujours.

Pour en revenir au sujet initial, je me retrouve à la fois fascinée et déconcertée par l’attitude de la jeune femme. Et même si je ne la connais pas et que j’ignore ce qu’elle a pu vivre et subir – ce qui n’est en soi pas difficile à deviner non plus – c’est malgré tout difficile de ne pas la trouver étrange. Et de ne pas lui faire remarquer ses propres contradictions. En remettant les choses dans leur contexte, Bruce n’a pas de pouvoirs, mais la League comporte nombre d’êtres infiniment puissants et différents. Officiellement, Superman et Wonderwoman la dirige avec lui. Officieusement, on sait tous qui donne les ordres, mais il n’empêche qu’ils ont tous mis leur force et leurs dons au service de l’humanité… Enfin, ils avaient mis… Mauvaise idée que d’y penser maintenant.

Bref ! Je me recentre de nouveau sur elle, sur cette K, sans parvenir à comprendre ou à accepter, encore moins alors qu’elle vient de sortir des gosses du trou dans lequel elle veut s’enterrer. Elle semble m’écouter, et accepter, en partie. Je hausse un sourcil en voyant un des mômes s’approcher et prendre la parole. Je ne peux retenir un sourire en coin à l’entendre, et j’acquiesce en silence aux murmures des deux petites qui m’entourent. J’en connais d’autres qui semblent chaque fois faire le contraire de ce qu’on dit… Mais ce n’est pas par esprit de contradiction. Pas totalement. Je suis attentivement le petit manège, mes sourcils se haussant de nouveau alors qu’il mentionne des chatons. Ah, de vrais chatons. De plus en plus étrange. Je me retrouve à toiser le gamin, ne pouvant m’empêcher de sourire en retour. Sérieux… Si je raconte cela à Dick et Jason, ils vont être morts de rire d’apprendre que je me fais draguer par un gamin famélique.

Rassemblant les gamins, je fixe la jeune femme. « Il y a un endroit où ils devraient tous être en sécurité, nourris et protégés. On les y conduit et après, je te laisse profiter de ta liberté chèrement acquise ? » Je lui souris. « Si tu ne sais pas où aller, tu pourras peut-être y rester, si la maîtresse des lieux l’accepte. Et si tu as besoin, que ce soit pour t’apprendre à contrôler… tes pouvoirs ou pour t’apprendre les leçons basiques d’humanité ou les lois essentielles, je devrais pouvoir t’aider. Ça marche ? »

Rien de plus facile. Conduire des gosses affamés et malades jusqu’au parc. Ne pas se faire tuer par la reine des plantes avant d’avoir pu expliquer la situation. Laisser un électron libre aussi suicidaire que dangereux en liberté. Quelle journée productive!

Le seul souhait de K était de retrouver une parcelle de mémoire, un simple carré d’histoire lui permettant de pouvoir dresser son propre profil. Hélas, chaque réveil semblait alourdir le cercle vicieux qui était devenu son quotidien. Aujourd’hui, cette journée ne ressemblait qu’à une pâle copie de ses rêves d’héroïsmes éperdus : la visite de Batgirl, cette jolie Reine Rouge, ne faisait qu’ébranler les déductions de K vis-à-vis de ce monde étrange. Au rappel de ses protégés perdus dans leur tour de métal, l’amnésique fixa un à un les enfants-esclaves de Ronaldo.

Elle passa un pouce songeur sur ses lèvres, tirant sur les manches d’un vêtement encore trop petit pour elle. K franchit l’entrée pour observer les rares passants de ces lieux paumés: principalement des clochards et des errants. Quelques fêtards. Les seuls vrais criminels de cette rue étaient déjà tombés sous les poings de la Reine Rouge.

L’Alien retourna ses yeux verts dans sa direction, et elle s’approcha des enfants aux yeux épuisés – mais vifs d’esprit. Les dernières offres de Batgirl n’étaient pas tombées dans l’oreille d’une sourde. Penchant la tête sur le côté, la rousse repoussa ses boucles enflammées sur une épaule avant de dire avec fermeté, patience :

« D’accord, Batgirl. »

Les enfants semblèrent d’avoir leur aînée accepter de les accompagner. Puis la géante ajouta d’un ton plus triste, plus fatiguée :

« Je ne te demanderai que de m'apprendre votre ancienne loi et votre nouvelle. Je veux pouvoir faire la différence entre votre version du bien et du mal. Quant à moi, à mes »

La salive sembla se tordre dans sa gorge quand K cligna des yeux – et des pupilles semblèrent légèrement visibles derrière le feu avide de ses écrans acides sans frontières. Elle murmura avec déception, consternation :

« Tu ne pourras pas m’aider à régler ça. Je risque de te tuer ou de tuer beaucoup de civils si… Je partirai seule de mon côté. Ça vaut mieux pour tout le monde. »
« Mais, ce n’était pas de ta faute quand tu avais explosé la deuxième boutique de Ronaldo. Ils avaient essayé de te… »
« Matty. J’assume tous les crimes que j’ai commis depuis mon arrivée. Cessez de me traiter comme une enfant. L’obsession des hommes avec placer de la chair dans un orifice corporel ne me regarde pas. Voir de la domination ou de l’affection dans ces actes d’animaux est vulgaire et stupide. Je les ai avertis malgré »
« Ça va. Joue les loups solitaires si ça te chante. »

Tout à coup, le gamin semblait plus méfiant d’elle. Il retourna vers les autres esclaves pour se mêler à eux, alors que la grande rousse soupira avec une frustration contenue – refoulée. Ses mains semblèrent s’illuminer quand elle les cacha dans ses manches qui – heureusement- dissimulèrent sa chaleur épouvantable.

Sans paraître stressée, l’armoire à glace qu’était l’Alien sembla incommodée par la présence des gamins aux alentours. Puis elle sortit sans délicatesse à l’extérieur des lieux comme si elle connaissait le chemin. Petit souci, c’était le devoir de Batgirl de les guider. Seule pour une seconde, chassée par deux jumelles affamées, traînant des poupées de chiffons aux visages grossiers, K les prit sans ménagement dans ses bras pour les dresser sur ses épaules. Les fillettes s’exclamèrent de joie, tirant déjà sur les cheveux flamboyants de leur aînée pour la taquiner. Certes cette dernière conservait un faciès de glace comme si chaque émotion présente en elle était de trop.

Cette scène est… surréaliste. Même dans le monde qu’est devenu le nôtre. Le fait qu’il y ait des marchands d’esclaves à Gotham est inadmissible et horrifiant en soi. Mais je pourrais presque dire que j’ai vu pire ces dernières années malheureusement. Pourtant, me retrouver nez à nez avec une des prostituée du mec, m’apercevoir qu’elle n’est pas humaine et qu’elle aurait pu – dû – ne faire qu’une bouchée de ces monstres, et qu’elle semble quelque peu versatile, fantaisiste dirons-nous me déstabilise un peu. Beaucoup même. Mais je passe outre, car il y a bien plus important. Et sauver ces enfants en fait partie. Elle aussi, si jamais elle le désire. Mais étrange ou pas, elle est adulte, je crois, j’ai proposé, c’est donc à elle de décider.

Je tourne la tête et hausse un sourcil en l’entendant parler, fronçant les sourcils alors qu’elle parle d’orifices. Okay, alors la partie sur le sexe, c’est pas moi qui m’en chargerait que ce soit clair.
J’inspire profondément, avant de grimacer.

« Nos nouvelles lois… J’aimerais dire que ce sont toujours les mêmes, mais les règles ont quelque peu changées… Le blanc et le noir n’ont jamais été de mises ici, mais maintenant, plus rien n’a de sens. La loi du plus fort, la loi des Boss, il n’y a plus que ça maintenant. Enfin, uniquement, si on le décide, si on les laisse faire. » Je me passe la main dans les cheveux et laisse filer un soupir. [color=#ff66ff « Ce que faisaient ces hommes, ce que les gens comme eux se permettent, c’est injustifiable. Quelles que soient les raisons, quelle que soit leur puissance, leur fortune, leur pouvoir, personne n’a le droit de s’en prendre ainsi aux autres. C’est… Mal. » [/color]Mot bien trop simple, simpliste, et pourtant, c’est le premier qui me vient à l’esprit. Je la fixe. « Du peu que j’ai vu, tu es bien plus qu’apte à te défendre… Tu pourrais protéger ceux qui n’en sont pas capables, comme ces enfants. Tu as l’air de maîtriser tes pouvoirs, sinon on aurait tous brûlé non ? Si c’est le cas, tu ne tueras personne. Sauf si tu le décides, mais comme dit, ça, il n’y a que toi qui peux le décider. » Je hausse une épaule. « Et si c’est le cas un jour, tu me trouveras face à toi. » Une simple constatation. Moi ou un autre. « Et sinon… Mes lois, mes règles, celles que l’on m’a apprises, celles que j’ai décidé de suivre, sont et seront toujours les seules qui importent. Elles sont tout ce qui compte. Tout ce qui reste.
On ne tue pas. On protège les autres. On agit parce qu’on le peut et on empêche les autres de détruire. » J’ai un sourire sans joie. « C’est bien plus difficile que de s’en prendre aux autres et d’écraser ce qu’il reste. Mais c’est ce qui devrait être normal. Ce qui est juste. »

Tout en parlant, je les guide à travers les rues, restant sur le qui-vive malgré tout. Si elle décide de jouer au loup solitaire comme l’a dit le gamin, je ne pourrais pas la retenir, ni l’en empêcher. Elle n’a pas l’air de savoir elle-même ce qu’elle veut, je pourrais tenter de la convaincre, encore et encore. Je suis plutôt têtue. Mais … Peut-être a-t-elle besoin de se chercher un peu. J’en sais rien. Est-ce pire d’avoir un électron libre potentiellement dangereux dans la nature ou de devoir essayer de le gérer ?
Je soupire et m’arrête une seconde alors que nous arrivons en vue du parc. Bon, voilà, dernière ligne droite. De toute façon, la maîtresse des lieux doit déjà savoir que nous sommes là, on saura vite si nous sommes les bienvenues ou non. Enfin les enfants du moins… Je les regarde et leur désigne le parc alors qu’on s’en approche.

« Quoi que vous ayez pu entendre sur Poison Ivy, elle prendra soin de vous, vous serez en sécurité. » Je regarde de nouveau la géante et j’esquisse un sourire. « Et tu le serais aussi si tu le désires malgré tout. » Je stoppe à quelques dizaines de pas des ronces et autres plantes bloquant toutes les entrées, et j’élève le ton. « Bonjour Ivy. M’dame. Ces enfants… Ces orphelins n’ont nulle part où aller, et ont besoin de soin, d’attention. Ils ont besoin de votre aide, personne d’autres ne pourra les aider autant que vous… S’il vous plait ? »

Je me mordille la lèvre en attendant une réponse, quelque chose, jetant des coups d’œil autour de nous. Et la réponse vient d’une petite main tendue qui nous montre les buissons. Une porte, qui vient d’apparaître. On dirait bien que dame Ivy accepte la requête. Je leur souris et incite Matty à faire le premier pas, à montrer l’exemple, d’un regard appuyé.

Ce que la justicière à la crinière rousse et flamboyante ignorait était que cette petite scène, cette petite mission de rescousse d’esclaves orphelins aurait un effet papillon : la larme dans l’océan deviendrait un tsunami. Pour elle, c’était une mission comme une autre – seulement accompagnée d’une princesse Alien complètement dingue égarée sur Terre dans un processus de mauvais atterrissage. Pour K, tout ce cinéma signait définitivement la fin de sa carrière de mannequin aguicheuse.

Renonçant à tout son confort, à toutes ses relations réconfortantes auprès des enfants sans repères, la géante leur lança quelques regards lourds – presque larmoyants. Les jumelles ne cessaient de vouloir grimper sur la grande rousse pour lui tresser les boucles ou bien réclamer ses bras. Ils commençaient à arpenter Oldtown Gotham avec furtivité, tandis que Batgirl commençait un monologue…qui plongerait Koriand’r dans une spirale d’une rage meurtrière sans fin.

La première grimace sur cette bouche rosée, cernée d’un masque de cuir noir à l’emblème d’une chauve-souris semble hypnotiser la pauvre Kory qui cligne plusieurs fois des yeux au fil de ses mots. Afin d’évoluer. Afin de se fondre parmi les humains. Afin de tenter de la comprendre du plus profond de son être. Puis vint le mot Mal. Et un regard fixe plus menaçant que l’astre solaire lui-même. Koriand’r ressentit alors une instabilité émotionnelle plus violente qu’auparavant.

Jamais ne crut-elle pouvoir ressentir toutes les vagues d’obscurité submerger son âme. Or, ce fut le cas. Une seconde après l’autre, au fil des mots sombres de son interlocutrice, de sa Reine Rouge de l’heure, Kory s’éloigna de plus en plus de l’ombre de la justicière qu’elle tenait autrefois haut dans son cœur. Toute cette fascination s’évapora au fil de ses phrases, ne lui laissant plus que le bonheur d’imaginer ses menaces devenir réalité.

Les Tamaranéens ne sont pas très doués pour cacher leurs sentiments : pire, ils explosent. Kory manqua d’exploser si ce n’était de sa chevelure enflammée qui devint pâle au fil des minutes. Davantage blonde que rousse, la jeune femme s’arrêta même : déposant les jolies jumelles au sol avant de leur offrir des baisers furtifs en guise de salutations. Elle commençait à se détourner de la trajectoire noble et fixe de la justicière masquée…
Tentant de garder confiance en l’inconnue, K la fixa avec distance – toujours armée d’une impression de déception à son égard.

Plus elle parlait, plus la grande rousse prenait une avancée prudente par rapport à leurs distances. Doucement, ses pieds perdirent leurs talons aiguilles – élargissant lentement et sûrement leurs pas. Puis ils arrivèrent enfin dans un parc: son atmosphère était différente de la nature ordinaire. Un pouvoir incroyable semblait s’en dégager étrangement. Kory arrêta à l’entrée de l’environnement émeraude, baissant la tête avant de se détourner pour quitter la troupe définitivement.

Malgré l’abandon de leur aîné, K, les enfants poursuivirent leur chemin en compagnie de la justicière masquée. Son réconfort apaisa la douleur et la faim immense de leurs petits estomacs…Matty écouta la jolie rousse, se lançant le premier vers le portail de la grande maîtresse des plantes – leur reine même. Certes tous les enfants se jetèrent à la portée de ce monde meilleur, même s’il fut reclus du monde réel pour toujours à leurs yeux. Seules les jumelles, les petites beautés de K, demeurèrent derrière Batgirl dans un silence mortel – solennel, presque fier.

« Merci pour tout, Batgirl… »

La plus alerte des jumelles renchérit d’un ton inquiet, quasi hésitant : « Mais, tu sais…Ils l’ont drogué, Kory. Beaucoup… Elle perdait le contrôle de ses pouvoirs. Elle a failli mourir quelques fois. » Sa sœur releva la tête, osant prendre le poignet gauche de la belle femme chauve-souris avant d’ajouter : « Kory nous a défendu, plusieurs fois. Mais, elle voulait nous permettre de garder un toit sur nos têtes aussi. Plusieurs jours, elle se réveillait et ne se souvenait même pas de notre langue. Je t’en prie, ne laisse pas Kory redevenir guerrière. Elle… » Sa semblable reprit la parole, semblant compléter ses phrases à chaque coup : « Devient différente. Et elle ne comprend plus la différence entre son espèce et la nôtre. Kory croit que nous sommes comme elle, aussi forts et endurants…»

Enfin, les jumelles s’évaporèrent aussi dans l’entrée du portail. À la même seconde que Kory commença une course rapide, quasi interstellaire, vers le néant de ses pensées et de sa propre personne au cœur de la nuit mourante.

Sujet: Re: Beautiful is Boring ✘ Barbara Gordon

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