In the shadows...

J’ai un soupir alors que je balance les deux sacs poubelle dans la benne à ordure derrière le bar. La soirée a été agitée mais j’ai hâte qu’elle se termine. On a beaucoup à faire avec Babs et Jason, tellement que je saurais pas par où commencer s’ils étaient pas là pour réfléchir à ma place. Ils commencent à aller mieux tous les deux et Jay est déjà reparti en vadrouille alors que Babs a repris le boulot. On se retrouve régulièrement pour discuter de l’avancée de nos projets et des endroits qu’on doit encore visiter pour trouver la planque idéale. Enfin, la meilleure possible au vu de la situation en tout cas. Ca pourra jamais être aussi sécurisé que la batcave, on en est bien conscients, mais le contexte est aussi bien différent. Personne n’a d’intérêt à nous chercher pour le moment, on reste dans l’ombre, jusqu’à ce qu’on soit prêts à agir comme il faut cette fois.

Et j’ai un sourire à cette pensée, alors que, pour la première fois depuis près de deux ans, j’ai enfin l’impression qu’on avance, qu’on va réussir à se rendre vraiment utiles. Nous reste beaucoup de points à régler mais j’ai pas envie de m’arrêter sur ce genre de détails aujourd’hui. Pour une fois, je me laisse porter par l’espoir que symbolise ce groupe qu’on s’efforce de construire.

J’ai beau savoir que l’espoir est parfois traitre là, de suite, je m’en moque. Peu importe la chute, tant qu’on y croit, ça ira pour le moment. Je suis perdu dans mes pensées et je sursaute quand j’entends du bruit juste à côté de moi. Avant de jurer en regardant mes pieds. « … un rat. Gé-nial. » Je devrais être habitué à la longue, vu la crasse dans laquelle est plongée Gotham depuis des mois. Et pourtant, je ne m’y fais toujours pas. Je suppose que ça va de paire avec le fait de ne pas baisser les bras malgré tout ce qui a pu se passer ces derniers mois. Je ne sais pas si les supers reviendront un jour. Les rumeurs vont et viennent, sans qu’on sache ce qui est fondé ou pas. Mais on ne peut plus les attendre la bouche en cœur, en espérant que tout nous tombera tout cuit du ciel. Perso, j’ai arrêté d’y croire mais j’essaie de me focaliser sur autre chose, pour ne pas penser à cette déception de ne pas voir leur ombre se dessiner au-dessus de la ville.

La porte s’ouvre alors que je suis tout à mes réflexions et mon collègue du jour souffle, d’un ton acerbe. « Tu bailles aux corneilles ou quoi ? Y a encore du monde ! » Je lève les yeux au ciel et je désigne ma montre avec un sourire mauvais. « J’ai fini y a 10 minutes. Je me souviens que t’as balancé que t’avais pas besoin du … c’était quoi déjà ? Ah ouais le petit branleur qui pense être un bon barman. Donc le chef a décidé de te laisser finir la soirée tout seul. » Ouais, ouais, je devrais avoir de la compassion pour lui vu qu’il va passer un sale quart d’heure à devoir gérer la fermeture tout seul, mais j’aime pas ce type. Il pue le petit caïd qui veut se faire mousser. Et je l’ai déjà vu avoir la main lourde sur certaines filles. J’ai réussi à limiter les dégâts comme je pouvais à chaque fois mais ça reste un connard. En tout cas, il claque la porte violemment sans demander son reste et j’ai un sourire satisfait, attrapant mon sac à dos que j’avais laissé sur le côté, le temps de vider les poubelles.

Je fais quelques pas, pas mécontent à l’idée de rentrer. Avant de me figer, sourcils froncés. Il y a quelqu’un ici. Et cette fois, je suis sûr que c’est pas un rat. « … montrez-vous. Se planquer derrière les poubelles, c’est passé de mode. Et vous allez choper une saloperie. » J’ai parlé d’une voix claire, histoire de montrer que j’ai pas peur de ce qui peut se cacher dans l’obscurité. C’est mon univers après tout.  

Zatanna n’aime pas ça. Voir Bruce partir, aussi résolu, seul, au casse-pipe. Elle a fait tout ce qu’elle a pu pour le dissuader, sauf l’entraver physiquement. Maintenant qu’il est parti, elle regrette amèrement de ne pas l’avoir fait. Il aurait été furieux contre elle, durablement, mais à bien y réfléchir, elle préfère encore qu’il l’ait maudite, pesté contre elle au point de refuser d’avoir quoique ce soit à voir avec elle à l’avenir… Plutôt qu’il n’ait plus d’avenir du tout, parce qu’il serait mort. Il a fallu qu’elle digère tout ça, Zatanna. Seule, accroupie, cachée derrière le pilier de béton d’un pont abandonné, elle se prend dans ses bras et tente de reprendre le dessus, d’arrêter de se blâmer pour son manque de jugeote, de s’inquiéter pour son ami si récemment revenu, dans l’espoir d’avoir l’esprit clair pour se focaliser sur sa mission… Peine perdue.

Elle essuie ses larmes d’un revers de manche de son sweat noir à capuche, et se relève, l’esprit au moins toujours embrumé qu’au moment où elle s’est réfugiée ici. La seule chose à laquelle elle se résout, c’est que contrairement à son comportement face à Bruce, elle ne fera pas preuve de la même latitude avec les enfants. Elle ne doute pas, à aucun moment, qu’ils voudront imiter leur aîné et aller à l’assaut de la ville, sans doute d’Amusement Miles, pour aller chercher cet âne bâté de Bruce, mais pour eux, elle n’aura pas la moindre pitié et les enchaînera si elle le doit…

Toutefois, avant d’en arriver là, elle doit au moins réussir la mission que le suicidaire chevalier noir lui a confiée, à savoir commencer par les retrouver, au moins tous les trois, et les rassembler… Même si elle se doute qu’ils doivent se serrer les coudes entre eux. Une pointe de culpabilité perce sa poitrine à cette pensée. Pourquoi n’a-t-elle pas été là pour eux ?

Reniflant tout en marchant d’un pas vif vers le Knights Stadium, Zatanna ne laisse rien la ralentir. Ni les appels disgracieux desquels elle se défait, pleine de désinvolture, ni les piles de poubelles, immondices divers, valises oubliées parfois éventrées, parfois se contentant de dériver sur les trottoirs jonchés de saletés en tous genres… Jusqu’à se fondre dans la masse de clients plus ou moins avinés du Knights Stadium. Là, petite silhouette discrète et terne au milieu de filles aux atours colorées tentant de soulever des pigeons à plumer, elle passe inaperçue. La dernière fois qu’elle l’a vu, Dick travaillait ici. Elle ne se fraie pas un chemin jusqu’au comptoir. Pas besoin. De loin, elle le reconnaît entre mille. Repartant comme elle est venue, aussi insipide que possible, elle se faufile jusqu’à l’arrière du bâtiment, pour l’y attendre.

Certes, se cacher derrière les poubelles n’est pas le summum du glamour… Mais c’est efficace. Ici, personne ne l’ennuie, personne ne l’interpelle, n’essaie de voir ce que cache sa capuche ou autre chose. Elle préfère les rats, les animaux, aux rats humains. S’ils deviennent hargneux, ils essaieront au pire de la bouffer, mais ne penseront pas à la violer… Que des humains… Dans le silence, elle attend. Le bon moment. Tentée de se montrer en même temps que les bestioles grouillant à ses pieds, elle se ravise en entendant des pas dans son dos… Pour, finalement, se redresser et mettre les pieds hors d’un rassemblement de ses nouveaux amis, se montrant quand il l’interpelle, ignorant encore que c’est elle.

Elle reste quelques secondes, frêle silhouette aux manches tombant sur ses doigts qui se pincent les uns les autres, trahissant un sentiment d’incertitude. Encapuchonnée comme elle l’est, elle ne s’attend pas à ce qu’il la reconnaisse, alors elle finit par la tirer en arrière, exhibant à sa vue un visage fatigué, mais entier. « Bonsoir Dick… Je suis tellement contente de te revoir… » Elle lui souffle, sincère même si pleine d’appréhension… Il va lui reprocher de les avoir abandonnés, c’est certain… Et son cœur se serre à l’idée qu’elle ne pourra pas répondre à ses questions… Elle espère, peut-être naïvement, qu’il lui accordera malgré tout son pardon…

L’espace d’un instant, une part de moi espère que personne me répondra, que c’est juste un animal ou quelqu’un qui va décamper en sachant qu’il a été repéré. Parce qu’en général, les gens qui se tapissent dans l’ombre sont rarement animés de bonnes intentions… bon à part nous. Mais nous ne sommes plus qu’une poignée qui tente tant bien que mal de faire front. Je me demande combien se cachent, en attendant qu’on rallume la flamme et qu’on essaie de récupérer notre ville. Je suppose qu’on le saura rapidement, maintenant qu’on a décidé d’arrêter de se contenter de survivre, qu’on a décidé de voir un peu plus grand.

Enfin, dans tous les cas, je décide de ne pas écouter cette part de moi. C’est celle qui aurait préféré ranger le costume, qui aurait aimé être loin d’ici. Cette part qui ne se réveille que dans de rares moments et qui ne m’aide de toute façon en rien. Alors j’attends, je guette le moindre détail qui pourra m’aider à anticiper ce qui va se passer.

Sauf que rien ne m’avait préparé à anticiper sa venue à elle. Je me fige, arrêtant de respirer, alors qu’une silhouette s’avance vers moi et qu’elle abaisse sa capuche pour dévoiler Zatanna. Durant un laps de temps que je serais incapable de déterminer, je suis envahi par une vague de souvenirs d’un temps tellement révolu que je me demande s’il a déjà existé. Je me souviens des premières rencontres avec Zatanna, de Babs qui la regardait faire ses tours de magie, les yeux brillants, de mes tentatives de dragues ridicules mais qui l’amusaient autant que moi. De cet espoir qu’elle représentait avec le reste la Justice League. Que le monde finirait par être bien meilleur qu’il ne l’est. Espoir allègrement piétiné ces derniers mois. Je dirais bien qu’il a été mouché mais, quand mon regard accroche le sien, je me rends compte que c’est pas du tout le cas, qu’on a suffisamment bien entretenu le tout petit feu qui restait pour qu’il s’embrase direct à ce genre de rencontres.

« … Zatanna c’est… c’est vraiment toi ? » Je me sens de nouveau dans la peau de ce gamin qui les suivait tous, qui apprenait, qui écoutait et qui tentait de grapiller toutes les bribes d’informations qui pourraient lui être utiles. Alors, même si les années ont passé, même si bien des choses ont changé, je peux pas m’empêcher de franchir l’espace qui nous sépare pour la serrer contre moi. « J’suis tellement content de te voir moi aussi. J’ai cru que t’avais… que t’étais morte. Je t’ai cherchée pendant des mois avant d’abandonner… » Je la garde contre moi alors que je souffle, dans un murmure. « Je suis désolé, j’aurais dû continuer à te chercher. » Je finis par la relâcher en la fixant, les yeux brillants. Oui, oui, je suis une guimauve sur pattes, j’en suis bien conscient. Mais sa présence à elle veut dire tellement de choses, ça peut vouloir dire que… et je chasse cette pensée avant de trop m’y accrocher. Je veux pas croire que Bruce peut être là, pas loin, qu’il peut être toujours en vie. Parce que je suis pas sûr de le supporter si elle m’apprend le contraire. C’est ça qui est chiant avec l’espoir, c’est que la chute fait toujours beaucoup trop mal.

Dick reste là, penaud, sans rien dire un si long moment que la magicienne ignore comment le prendre… Doit-elle anticiper une attaque quelconque et se jeter un sort de peau de pierre ? Le bout de ses pieds glisse discrètement dans la crasse qui macule le macadam. John a tenté de lui ouvrir la gorge en la retrouvant… Elle ne veut plus subir ce genre de retrouvailles. Elle lui laisse le temps, à celui qui a été un gamin, et qui est maintenant un jeune homme qui la toise de deux bonnes têtes de plus. Elle se souvient de l’affection qu’elle a toujours eue pour lui. Elle n’aurait pas su mettre de mot dessus, un comble pour une maîtresse des formules comme elle, mais ce qu’elle sait, c’est que l’image et le nom de Dick ont toujours été une source d’infinie tendresse chez elle. « Et ben… » Elle le tance, gentiment, sourire taquin aux lèvres. « T’as perdu ta lang… » Pas le temps de terminer que « le gamin » lui demande si c’est bien elle. La question la surprend. C’est elle la magicienne. Qu’est-ce qui permet de penser à John et Dick qu’une autre pourrait prendre son apparence sans son consentement ? Monde de fous…

Elle accueille l’étreinte avec, d’abord, encore un peu de surprise, avant de soupirer profondément d’aise et de refermer ses bras autour du jeune homme. Ses yeux se ferment, lentement, et elle pose sa joue sur son épaule pour se permettre, même si ça ne doit durer que quelques secondes, de profiter de l’étreinte. Ça fait un bien fou. Retrouver une amitié profonde, un soutien, quelqu’un qui partage ses valeurs… Ce qu’elle a manqué en retrouvant Constantine et Bruce, elle le trouve avec Dick, sans qu’elle ne s’explique pourquoi. Peut-être que leurs jugements à tous les deux lui semblait trop lourd à porter, alors que Dick ne semble pas vouloir la juger ? Elle ne saurait l’expliquer, mais la vérité est là. Elle est soulagée, comme si elle retrouvait un égal plutôt qu’un tiers à qui elle devrait des comptes… Et c’est libérateur. Alors elle lui rend son étreinte, porteuse de toute l’affection qu’elle peut nourrir pour ce jeune et courageux écervelé, avant de le repousser quand il se lamente de son abandon. « Je t’en prie, tais-toi… » Elle lui intime, sans méchanceté, mais avec beaucoup de douleur dans la voix. « Tu ne savais pas où chercher, ni quoi… Tu n’aurais rien pu faire de plus. C’est à moi de m’excuser de ne pas t’avoir retrouvé plus tôt. » Elle lui sourit, profondément désolée, et le regard se faisant fuyant par la suite, fuyant de la culpabilité qu’elle porte de ne pas avoir fait d’avantage…

Mais l’heure n’est pas à l’apitoiement. Ils le savent tous les deux. Fébrile, Zatanna vient saisir les mains de Dick dans les siennes. « Dick, je dois absolument vous parler… Tu sais où sont Alfred ? Jason ? Barbara ? Je n’ai pas encore recroisé Gordon, mais si jamais tu sais où est Barbara et qu’elle sait où est son père… » Se rendant compte qu’elle vient de parler à très grande vitesse, en articulant à peine, et s’apprêtait à continuer, elle s’interrompt, et inspire, et expire longuement, sans le moindre doute possible pour se calmer. Ça semble fonctionner. « J’ai des nouvelles… Il faut que nous nous rassemblions rapidement… » Elle le laisse déduire, tous. ça serait cette nuit et pas une autre. Zatanna est décidée, et emploiera jusqu’à sa dernière goutte de magie si elle le doit pour mener ce projet à bien…

Je me souviens, quand j’ai commencé à vivre avec Bruce, une fois qu’il a accepté que je sois son assistant, son acolyte… appelez ça comme vous voulez… bref, à ce moment-là, j’ai commencé à les rencontrer eux. Les super-héros qui font rêver tout le monde. Avec ou sans pouvoir, avec ou sans magie. C’était toujours impressionnant et, bien souvent, je les regardais avec de grands yeux écarquillés. Jusqu’à ce qu’ils me fassent comprendre que je n’étais pas forcément inférieur à eux, même si je n’étais qu’humain. Que l’envie de bien faire, de rendre la justice, pouvait faire de moi un héros, tout comme eux. Barry et Zatanna étaient ceux dont j’étais le plus proche. Forcément, vu nos âges respectifs, c’était pas si déconnant. Je me rappelle même de mes tentatives ridicules de draguer Zatanna et de sa main qui ébouriffe mes cheveux en réponse. Je porte une main à mes cheveux, par réflexe, alors qu’il me faut bien quelques secondes avant de réagir quand je la retrouve devant moi. Quand j’accepte enfin de laisser mes souvenirs refluer parce que ça ne fait pas que me rappeler des choses qui ne reviendront pas. Après tout, elle est bien là elle. Alors…

… oui, je vais me faire du mal mais… pourquoi pas les autres ?

Forcément, pour le bavard que je suis tout le temps, depuis que je suis gosse, me voir rester sans voix la laisse perplexe. Et me conforte dans l’idée que c’est bien elle, que je suis pas en train d’halluciner. Lui faire un câlin est naturel pour moi. J’ai toujours été du genre super tactile, au grand dam de Bruce d’ailleurs et, dès que j’apprécie quelqu’un, il a le droit à une accolade. Alors forcément, là, hors de question de me priver. Et elle me rend mon étreinte. Je profite de ce moment, avec un profond soupir de soulagement. C’est comme si on rallumait la lumière juste après un cauchemar. Je sais pas encore si ça suffira à le dissiper mais, déjà, ça permettra de comprendre que le cauchemar n’est pas réel.

Je hoche la tête, la mine penaude, quand elle me dit que j’aurais rien pu faire de plus. Je sais pas si elle a raison ou pas. De toute façon, on pourra rien y changer. Et je lui rends son sourire avant de souffler, retrouvant ma malice habituelle, que je ne réserve pourtant plus qu’à Babs et Jason ces derniers temps. « Pourtant, te suffisait de fouiner derrière les poubelles, j’suis souvent là. Ou alors c’est Jay… » Je lève un sourcil avant de poser ma main sur son épaule pour la serrer doucement. « On a fait ce qu’on a pu… tous. Le principal c’est d’être en vie et de pouvoir se retrouver maintenant non ? » Même si je me demande pourquoi là de suite, ce qui a pu se passer pour qu’elle arrive à me retrouver. Et j’essaie d’éteindre cet espoir toujours aussi fou qui commence à me submerger, qui risque de me paralyser si j’y prends pas garde.

J’ai un temps d’arrêt quand elle me prend la main, alors que je vois dans ses yeux qu’il y a un truc de changé chez elle. « Je… avec Babs et Jason, on est ensemble, depuis un moment maintenant. Et on… essaie de faire des trucs. » J’ai un sourire incertain, avant de reprendre. « J’ai croisé le Commissaire, il est revenu en ville récemment. Alfred… je sais pas… » Je hausse les épaules, perdant mon sourire aussi vite qu’il est venu mais, vu que je refuse de m’appesantir là-dessus, de me laisser submerger par la douleur que ce serait de perdre Alfred, je me concentre sur le reste. « … on peut se rassembler. On a un endroit pour ça. » Je sens un mélange d’appréhension et d’excitation qui commence à me gagner. Et je sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose. En tout cas, son retour veut bien dire une chose, l’espoir est là. Il sera toujours là, au cas où j’avais encore des doutes.

Dick et son humour légendaire… Il parvient à faire sourire Zatanna, ce qui n’est pas peu dire. L’espace d’une seconde, elle repense au bien que ça lui a fait de retrouver un John inchangé après tout ce temps… Le sentiment de tendresse qui l’étreint, à cette pensée, à la feinte de Dick est identique. Des éléments connus et chéris dans un décor qui lui était devenu méconnu et honni. Sans doute le meilleur de son ancienne vie. Les gens. Les gens ont toujours été le meilleur, pour elle qui peut plier absolument toute la réalité à sa guise, créer ou détruire, jusqu’aux esprits, ultime tabou de sa magie… Oh, elle peut changer les gens. Elle en a le pouvoir. Mais quid du libre-arbitre ? Quid du respect de l’ultime retraite de tout un chacun ? Le ferait-elle, si on le lui demandait ? Triturer dans l’esprit des gens l’a toujours intimidée… Pas parce que c’est hors de sa portée, loin de là, mais parce que ça lui donne le sentiment de violer leur âme… Jusqu’à présent, elle n’a jamais osé.

Heureusement, la question ne devrait pas se poser ce soir. Elle a une mission, et l’accueil chaleureux de Dick, ainsi que sa plaisanterie, lui laissent supposer que les deux jeunes Robins sont encore en contact, soupçons rapidement confirmés par Nightwing. En le voyant hésiter à lui confier qu’ils continuent bien quelques petites choses, et elle devine quelles choses, elle s’autorise à le reprendre dans ses bras, et à le serrer, très fort. « Vous êtes admirables… Moi, je vous admire… Je suis fière de vous… » Sincère, elle lui embrasse furtivement la joue, avant de le relâcher. Oui, elle les admire, parce que contrairement à elle, ils continuent de se bouger, et ne s’enfoncent pas dans la fuite en avant de leurs traumas… Mais ça, Dick n’a pas besoin de le savoir. Entendant le sort incertain d’Alfred, Zatanna déglutit, accuse le coup, la déception, portant au majordome de Bruce, comme tout le monde, une affection et un respect totalement inconditionnels, et elle se force à sourire. « Alfred est le meilleur d’entre nous. Si nous avons survécu, il est impossible que lui non. » Elle annonce, péremptoire dans son ton, autant pour tenter de se convaincre elle-même que pour rassurer Dick.

A l’annonce concernant une planque potentielle, la magicienne hoche la tête en signe d’assentiment. « Génial, vous êtes extraordinaires… » Elle lui sourit, soudain fébrile, impatiente. « Est-ce qu’il faudra beaucoup de temps avant de vous rassembler ? » Elle regarde autour d’elle, ne voit personne, mais prend malgré tout la main de Dick pour l’attirer vers elle, son oreille vers sa bouche, pour qu’elle y chuchote. « Bruce est de retour, mais j’ai peur qu’il se soit mis dans une situation extrêmement délicate… Je dois tout vous raconter, mais je crains que nous devions agir très vite, Dick… » Elle le relâche après ces quelques mots, lui lançant un regard douloureux d’éloquence. Elle sait qu’il comprendra qu’elle ne peut s’appesantir ici sur les détails, ni perdre du temps à raconter dix fois la même histoire… Raison pour laquelle ils doivent tous se réunir, qu’elle les informe de la situation, et qu’ensuite, ensemble, ils décident quoi faire. L’espace d’une seconde, elle regarde le jeune homme, ému, et voit combien il a changé, murit, même si pour lui, il restera ce petit crétin de lover qu’elle adore…

Je pensais pas que ça me ferait autant de bien de retrouver Zatanna. Son retour à elle, si tant est qu’elle est vraiment partie, me fait espérer de nouveau. Et je me dis qu’on a bien fait de tenir bon, qu’on a encore mieux fait de chercher à faire plus que juste survivre. C’est pas simple et, tous les jours depuis leur disparition, j’ai des doutes. Non pas sur le bienfondé de ce qu’on peut faire mais, surtout, sur nos chances de survie. J’ai pas envie d’entrainer Jay ou Babs dans la mort parce qu’on aurait cru être meilleurs que les autres.

Mais en tout cas, on essaie. C’est ce qui compte le plus non ? Ne pas abandonner, ne pas se laisser envahir par le désespoir. Je retrouve en un clin d’œil cette bonne humeur qu’en réalité, je n’ai jamais totalement perdue grâce aux deux autres et si je lui rends son étreinte, j’ai un sourire plus timide. « … j’sais pas si on est admirables mais… malgré tout ce qui se passait, on pouvait pas rester les bras croisés. » Même si beaucoup ont choisi cette option, disparaitre avant de devenir une cible de premier choix, ce n’est pas celle qu’on a prise. Plutôt payer le prix fort, même si ça met nos existences en jeu. « Mais… merci de dire ça en tout cas. » Ca fait du bien et ça me conforte dans nos choix.

Je grimace quand on parle d’Alfred, faisant taire cette boule d’inquiétude qui subsiste tous les jours le concernant. Je me raccroche à l’idée qu’il va bien, sinon on en aurait été informés, d’une façon ou d’une autre. Mais sans réelles nouvelles, c’est parfois compliqué d’être optimiste. « Je sais… c’est juste que sans lui ce serait… » Je fronce les sourcils, incapable de finir ma phrase. Sans lui, ce serait pas possible, tout simplement. Alfred a toujours cimenté mon existence, il a toujours été cette ombre sur laquelle chacun de nous pouvait compter, quelle que soit la complexité de la relation avec Bruce. Une certitude, quoi qu’il puisse se passer. Alors ouais, j’aimerais bien le revoir, juste pour le prendre dans mes bras et le remercier de tout ce qu’il a pu faire pour nous.

En attendant, je souffle à Zatana, qu’on a potentiellement un endroit où se retrouver, vu qu’on est pas restés inactifs. Et à sa question, j’ai un temps de réflexion avant de souffler, pensif. « Je dirais 24 heures, pas plus. » Si on vaque tous à nos occupations diurnes ou nocturnes, on prend quand même toujours le temps de faire un point régulier, tous les jours ou presque. Sauf que je m’attendais pas au reste. Je me fige totalement quand elle m’annonce que Bruce est de retour, sans savoir quoi faire de cette information. Pire encore, il y a quelque chose que je ne comprends pas. « … une situation délicate ? Mais… Quoi ? » Il lui est arrivé quoi pour qu’elle ait aussi peur ? Et je souffle, dans un murmure incrédule. « … il est revenu… vraiment revenu. » Je me rends compte que la vague de sentiments contradictoires qui commence à me submerger, après près de deux ans à essayer de ne pas penser à ce moment. Je m’étais interdit de le faire, de peur d’être trop déçu en réalisant qu’il ne reviendrait pas. Alors, maintenant que Zatana vient me dire ça, je me rends compte que j’ai… tout simplement du mal à respirer.

Non, ils ne pouvaient pas rester les bras croisés. Pas quand ils étaient capables de merveilles. Pas quand quelque chose d’affreux se produit, et qu’ils se savent capables de l’en empêcher. Ou le souhaitent en tous cas. Ça leur joue des tours, bien sûr. Maintenant plus que jamais, parce que l’occurrence des incidents est démultipliés, parce que le jour ou la nuit ne change plus rien à cette occurrence, parce que ceux qu’ils se sont escrimés à mettre sous les verrous sont les nouveaux rois du trou à rats qu’est devenu Gotham… Plus de bleus, plus d’os cassés, peut-être, plus de sang versé… Mais toujours une seule certitude, celle de ne pas pouvoir se regarder dans le miroir si on reste les bras ballants. Elle comprend ça, Zatanna. Elle a vécu ça. Avant d’être cassée, avant de laisser la peur et la crainte prendre le dessus, avant d’avoir peur des autres, mais aussi d’elle-même… Cette image ne la quitte pas. S’ils ont pu la piéger pendant des mois, qu’adviendrait-il s’ils trouvaient un moyen de la contrôler ? Trop de temps s’est écoulé, et la malédiction de l’oiseau a frappé. Elle ne se souvient pas si les hommes de Carmine ont mu mettre la main sur un artefact de ce genre dans son repère. Elle ne se souvient même pas si un tel artefact existe. Elle a oublié. Pour se rappeler, il faudrait qu’elle puisse retourner à Shadowcrest, se ressourcer, à l’abri, chez elle, dans cette demeure séculaire où les membres de sa lignée, des plus illustres, comme Leonard de Vinci ou Nicolas Flamel, aux plus anonymes ont contribué à faire grossir leurs connaissances en matière de magie…

Assurer Dick de son soutien, dans ces conditions, est bien le moins que puisse faire la magicienne, surtout qu’en l’espace de peu de temps, le jeune homme avait perdu son père adoptif, et ce qui s’approche le plus de son grand-père… Le cœur de la magicienne se serre. Elle qui avait perdu le sien, et qui n’avait jamais connu sa père peut comprendre cette peine, ce sentiment d’isolement, même si elle ne doute pas que Barbara, Jason et même Kate ont pu lui permettre de ne pas totalement couler, comme Clark avait pu lui ouvrir sa maison, pour un temps, et lui permettre de rebondir au moment où elle en avait le plus besoin.

24 heures, annonce Dick. C’est long. Zatanna tique visiblement, même si elle essaie de prendre sur elle. Bruce était sans doute déjà parti. 24 heures, c’est beaucoup trop long. Dans ses espoirs fous, Jason et Barbara sortaient par la porte derrière lui, et elle les téléportait, tous, au secours de Bruce dans la seconde. Elle se mord la lèvre inférieure, se fait un sang d’encre. Que restera-t-il de Bruce, demain ? Soit. Avec ou sans les jeunes, elle irait le chercher. Elle ne l’avait pas cherché à travers le temps et l’espace pour le perdre à deux kilomètres, à peine une journée après qu’elle l’ait ramené. Elle finit donc par hocher la tête en signe d’assentiment. « D’accord. »

Voyant que le jeune commence à perdre pied, dans un mouvement réflexe, Zatanna pose sa main sur son cœur, au milieu de son sternum, et appuie, pour l’obliger à recoordonner sa respiration s’il entend s’oxygéner correctement. « Je suis désolée Dick, cet endroit n’est sans doute pas le lieu idéal pour te l’annoncer, mais je manque de temps… » Elle regarde autour d’elle, vérifie que toujours personne ne les écoute. « Je ne peux pas rester trop longtemps au même endroit, encore moins ici… » Elle le relâche, estimant que la pression sur son thorax avait été suffisante, et danse d’un pied sur l’autre. « Donne moi une heure et un lieu où te retrouver demain… » Le mouvement, c’est la survie… En tous cas, c’était devenu la sienne…

De voir Zatanna juste là, sous mon nez, après tout ce qu’on vient de décider avec Babs et Jason… c’est ptet idiot, mais c’est comme si c’était un signe. Qu’on a pris la bonne voie, qu’on doit continuer comme ça et qu’on va… ouais… qu’on va y arriver. C’est naïf, j’en suis bien conscient. Mais j’ai besoin de ça pour ne pas perdre espoir, pour ne pas perdre cette flamme qui s’est ranimée juste à la revoir.

Sauf que là, d’un coup, y a plein d’informations qui se succèdent. J’essaie de faire le point, de réfléchir à la suite et au fait de retrouver les autres. Comme dit, on essaie de se voir tous les jours, juste pour se rassurer, pour se dire qu’on va tous bien et qu’on a pas eu de problèmes durant la nuit. Ca marche plutôt bien comme méthode, même si je vois bien dans le regard des deux autres que je vire mère poule. C’est pas de ma faute si je m’inquiète pour eux quand même non ? Je veux dire, j’ai plus qu’eux maintenant et ils m’aident à tenir depuis deux ans contre vents et marées. Alors ouais, les perdre est juste inconcevable. C’est ma famille.

J’hésite quand même. A demander à Zatanna ce qui lui est arrivé pendant tout ce temps. Sauf que l’ombre dans ses yeux me retient. Il s’est passé quelque chose de grave et je suis pas le mieux placé pour lui demander des comptes. Si j’ai une affection toute particulière pour elle, elle reste de ceux qui ont jalonné mon enfance et mon adolescence, ces modèles infaillibles en quelque sorte, qui m’ont permis de croire en ce qui je faisais. Alors ouais, c’est peut-être égoïste, mais j’ai pas envie de réaliser qu’elle a pu se planter elle aussi.

Le pire ? C’est quand elle m’annonce pour Bruce. Là, y a mon cerveau qui fait des loopings et j’en oublie même comment on respire. Je perds totalement le fil de la discussion et je me raccroche tant bien que mal à la main qu’elle pose sur mon torse, que je recouvre de la mienne. Je hoche la tête, incapable de lui répondre dans l’immédiat et je prends de grandes inspirations avant de réussir à souffler un « ça va aller, t’en fais pas. » Il faudra bien de toute façon. Tout comme elle, je regarde autour de moi, plus par réflexe qu’autre chose. On s’habitue, avec le temps, à ne se sentir en sécurité nulle part, à se demander qui va débouler au coin de la rue sans qu’on s’y attende. Ce soir, c’est une bonne nouvelle, mais allez savoir ce que ce sera demain. Je pose ma main sur la sienne quand elle quitte mon thorax et j’ai un sourire que j’espère rassurant. « Tu vois l’hôtel au coin de la rue ? » C’est devenu un hôtel de passe et plus personne ne prête attention à ce qui s’y passe. « Le toit. Demain soir. » Je regarde ma montre qui ne fonctionne plus depuis longtemps et je grimace. « Minuit. » Je l’emmènerais dans notre repère avec les autres. A voir sa tête, on a pas beaucoup plus de temps. J’ai pas le temps d’en dire plus que la porte s’ouvre. « Oh le branleur, ramène-toi ou j’appelle le patron ! » J’ai poussé doucement mais fermement Zatanna dans l’ombre au moment où la porte s’est ouverte et j’ai un index posé sur mes lèvres. Avant de m’éclaircir la gorge. « Ouais j’arrive ! J’voulais voir si tu survivais sans moi, visiblement non ! » Un rire et un « petit con » qui lui échappe alors que la porte se referme. « J’dois y aller Zat’, ce boulot nous permet de… survivre. De manger. Et d’avoir des infos. J’peux pas me permettre de lui tourner le dos pour le moment. » Je m’approche d’elle et je la serre de nouveau contre moi. « On se voit demain. Sans fautes. Et on va s’en sortir. Ensemble. File maintenant. » Avant qu’on nous voit. Qu’il lui arrive quelque chose. J’ai un sourire encourageant alors que je file, la laissant dans l’ombre. Après tout, c’est là qu’elle sera la plus en sécurité non ?