Slow progress is better than no progress at all... | [Intrigue I - Terminé]

J’ai une grimace de douleur alors que je retire mon t-shirt de boulot pour chercher mes fringues d’entraînement. J’ai mal depuis deux jours et ça ne va pas en s’arrangeant. Probablement une côte froissée, si ce n’est pas pire. D’autant que c’est douloureux quand je prends de grandes inspirations. Et j’ai tout le flanc droit qui commence à bleuir assez méchamment. Va falloir que je fasse quelque chose, même si j’ai un peu de mal à savoir quoi faire d’autre. Enfin si. Du repos.

… la bonne blague.

Je soupire alors que je roule mon t-shirt en boule, à la recherche du reste de mes fringues donc. Sans grand succès. Visiblement Jason est passé par là. Et soit il a rangé, soit il s’est amusé à planquer mes affaires. Les deux étant tout aussi probables, j’ai du mal à décider quelle est l’option qu’il a pu choisir.

Mon regard se perd un instant dans la petite valise qui trône contre le mur. Ca au moins, il y touche pas. Enfin, il supporterait pas que je fasse de même avec sa tenue. Je suppose. Même si la mienne est un peu plus élimée à chaque jour qui passe, j’ai du mal à laisser tomber. Je n’y arrive pas. Tout simplement. Je suis probablement une tête de mule incapable d’accepter la réalité et, pour le moment, je continue de me raccrocher à cette colère sourde. Elle me permet de tenir bon. Quand elle se sera évaporée, j’ai aucune idée de la façon dont je vais pouvoir réagir. Chaque problème en son temps je suppose.

Je lève les yeux quand je vois la porte s’ouvrir, m’attendant à voir Jason. Mais c’est une petite tête rousse qui entre dans la pièce. Je fronce les sourcils, alors que j’essaie de me rappeler quel jour on est. Ah ouais elle avait prévu de venir. J’avais zappé. Sinon je suis pas sûr que j’aurais été là. Parce que je suis pas vraiment sûr qu’elle ait envie que je sois là. Remarquez, j’ai du mal à me supporter moi-même, je peux comprendre que ce soit le cas des autres. Mon t-shirt toujours roulé en boule entre les mains, j’essaie vaguement d’esquisser un sourire. « Salut Babs. » Il y a longtemps que j’ai arrêté de demander comme ça va. Les autres aussi d’ailleurs. Faut dire que ça fait un moment que ça va plus vraiment. Pourtant, j’essaie d’y croire. Qu’ils reviendront, que ça va s’arranger. Ca s’émousse un peu plus chaque jour, on va pas se mentir. Mais c’est comme la colère. Tant que c’est là, je peux tenir.

J’ai un bref regard autour de nous, avant de souffler, avec une grimace. « Evite de trop… t’appuyer sur les murs. Je sais pas combien de temps cette ruine va tenir avant de se casser la gueule. Mais vu que personne ne serait assez taré pour venir vivre ici, on devrait être tranquilles quelques semaines. » Je continue de jouer avec le tissu, pas aussi à l’aise que je le voudrais. Pourtant c’est Babs, que je connais depuis… longtemps. Même si on a plus passé de temps ensemble ces derniers mois, depuis leur disparition, qu’avant. Au point de se prendre régulièrement la tête et de… la trouver un peu trop à mon goût. Ce que j’ai enfoui au plus profond de mon cerveau sans avoir la moindre intention de revenir dessus. C’est clairement pas d’actualité et c’est particulièrement malvenu. « Tu t’es échauffée ? Tu veux bosser sur quoi aujourd’hui ? » Traduction, sur quoi on va se prendre la tête parce que j’y vais pas assez fort ? Bon, à ma décharge, cette fois, vu ma gueule, elle pourra se dire que c’est pour moi que j’y vais mollo. Pas pour éviter de la cogner. Mais je la connais suffisamment pour être à peu près sûr qu’elle trouvera bien un moyen de m’envoyer bouler.

Cache ta joie de me voir surtout, ça fait toujours aussi plaisir. Il est obligé de faire cette gueule en s’apercevant que c’est moi et non Jason ? J’inspire pour ne pas me braquer de suite, c’est pas comme si j’avais pas l’habitude de le voir faire la gueule après tout.  Je stoppe après avoir fait quelques pas alors qu’il me salue, m’arrêtant en le dévisageant. Quoique non. Ce serait bien moins gênant si je me contentais de le dévisager. Mais c’est quand même sacrément injuste non ? Moi je me suis musclée, okay, mais j’ai aussi perdu le peu de formes que j’avais, ou presque. C’est pas juste, les mecs peuvent pas être aussi… Comment il peut continuer à être aussi bien foutu ? Je cligne des yeux, avant de froncer les sourcils. « Salut. » Je pose mes affaires dans un coin et m’avance à nouveau, tout en désignant son flanc droit d’un mouvement du menton. « Il s’est passé quoi ? Une porte de placard ou une chute dans les escaliers ? » Je sais, c’est pas la première fois, ni la dernière, mais pour le coup, il a dû faire fort cette fois-ci.

Je regarde les lieux plus attentivement à sa remarque, avant de hausser les épaules. « J’ai déjà vu pire. Et si ça supporte vos conneries, ça pourra bien supporter mon poids plume, non ? » Je reporte mon attention sur lui. « Et essayer de vous trouver un coin où vous pourriez rester un moment ? Un peu moins miteux, histoire de pouvoir vous poser et souffler un peu ? Si vous faites pas trop les cons, personne ne s’intéresse à Grayson et Todd tu sais…  » Même si ça ne dure pas forcément longtemps non plus. Et vu le nombre de fois où il m’a fait ce genre de réflexions, je peux bien me le permettre un peu… D’autant que mon nom à moi est beaucoup moins passe-partout on est d’accord.

Je me mordille l’intérieur des joues, me demandant vaguement ce qu’il me cache pour être nerveux comme ça. Jusqu’à ce qu’il reprenne la parole. Ah. C’est marrant. Enfin non. Mais là, je réalise qu’il sait tout autant que moi que ça va sans doute finir en engueulade. Je m’approche jusqu’à lui, essayant d’avoir l’air détaché – pitié faites que je ne rougisse pas et que j’ai l’air totalement indifférente – et je lève son bras droit, les yeux rivés sur son torse. Hum, sur sa blessure qu’on soit d’accord. Qui me fait encore plus froncer les sourcils vu de près. Je passe mes doigts que le bleu, avant de poser une main dans son dos alors que l’autre continue de le palper. Et pour le coup, je suis hyper sérieuse promis. « Inspire profondément. » Je lève les yeux vers lui. « Ça te fait mal ? Et quand je touche ? » Je soupire. « Je suppose que t’as été voir personne. Et que t’as pas plus d’antidouleurs que de relaxants musculaires… Essaie d’en trouver, ça aiderait. A défaut de rester sage pendant quelques semaines… ce que tu ne feras pas, pas vrai ? » Je le fixe, à moitié moqueuse, à moitié blasée, avant de me rendre compte que j’ai toujours les mains posées sur lui. Je toussote et les retire, me forçant un peu à sourire l’air de rien.

Je m’éloigne d’un pas souple, récupérant mon sac que je pose sur la table. Je le toise un instant et mon sourcil se hausse, vaguement narquois. « Tu vas réussir à t’entraîner ? Non pas que ce soit bien difficile face à moi, mais quand même… » J’ai un sourire en coin, avant de secouer la tête. « Tu tiens les pattes d’ours et je te cogne ? » Petit sourire angélique et innocent.

Un jour, je devrais lui dire. Ce qu’elle représente pour moi, ce que je peux éprouver pour elle. Mais je pourrais faire ça que quand ça ira mieux à Gotham… donc autant dire jamais. C’est pour ça que j’ai tout cadenassé dans un coin, même si de temps en temps ça m’échappe. Heureusement qu’elle se rend compte de rien ou que, si c’est le cas, elle a jamais relevé. Je sais même pas comment je pourrais l’expliquer sans passer pour le dernier des idiots. Et, forcément, je me renfrogne toujours en sa présence, comme si ça m’aidait à pas craquer et à pas tout déballer. Parce que ce serait malvenu donc.

J’ai une grimace à sa répartie et je hausse une épaule. « Ouais. Une porte de placard. Et l’autre était jalouse, alors elle en rajouté une couche. Le mobilier, c’est plus ce que c’était. » J’ai un rire sans joie avant de regarder autour de nous et de laisser filer un silence pensif. « Je sais pas. C’est… rassurant de se dire qu’on est capables de se déplacer. Mais j’avoue que ce serait peut-être un peu reposant de trouver un endroit où rester plus d’une ou deux semaines. T’as des idées pour une petite villégiature ? Je suis persuadé que Jason voudra une piscine. Ou pire, l’eau courante. Le fou. Il a chopé des goûts de luxe. » Et j’ajoute, un rien plus moqueur. « Tu t’ennuierais sans nos conneries. Qui est-ce que tu pourrais sermonner si on était pas là ? » Et on ferait quoi surtout, si on était plus tous les trois. Parfois j’ai l’impression qu’il ne reste plus que nous. Ce qui me fait flipper. Mais à force de les voir disparaître les uns après les autres, difficile d’être positif. « … t’as pas pensé à changer de nom ? » Je sais qu’elle porte fièrement son nom de famille mais j’avoue que je serais rassuré à la voir un peu moins… visible. Mais je vais éviter de le dire à haute voix, elle va encore s’offusquer et se draper dans sa dignité. Ce genre de conneries habituelles quoi.

J’ai un léger froncement de sourcils quand elle se rapproche sans me répondre, cherchant l’arnaque. Et je me laisse faire quand elle lève mon bras, alors que je pige l’embrouille donc. Si j’inspire longuement à sa demande, je peux pas m’empêcher de grimacer de douleur avant de secouer la tête. « Ca va, je gère. » Je sais, elle n’est pas dupe. Surtout que je sursaute quand elle continue de me palper. Je pourrais balancer que ses mains sont froides mais ce serait un coup à ce qu’elle appuie plus franchement, juste pour le principe. « Tu veux que j’explique ça comment ? Que je me fais tabasser par une rouquine irascible ? » J’ai un sourire pas convaincu. « Et j’ai pas d’antidouleurs. Ca coûte une fortune, on le sait tous les deux. On a à peine de quoi manger correctement, je vais pas dépenser nos ressources là-dedans. C’est du… luxe. » Ouais, je sais, on est vraiment dans un monde de dingues pour que j’en vienne à dire ce genre de trucs.

J’effleure sa joue du bout des doigts quand elle enlève ses mains en toussotant et j’arrive à esquisser un sourire plus assuré, convainquant. Un truc du genre « Ca va aller Babs. Tu vas pas te débarrasser de moi aussi facilement. » Je me tourne alors que j’ai enfin retrouvé mon sac avec mes fringues et j’ai un sursaut de douleur quand je me penche pour attraper un t-shirt. Autant dire que là aussi, c’est la galère. Mais à sa question et surtout à son air narquois, je lève les yeux au ciel. « Evidemment que je peux m’entraîner. Le jour où je dirais non, tu pourras te poser des questions. Les pattes d’ours sont derrière toi, envoie les moi. » Je me sens pas trop de tester la force de ses petits poings sur moi, allez savoir pourquoi. Ou, pire encore, ses coups de pieds. Parce qu’elle fait bien mal quand elle s’y met. J’attrape les gants qu’elle me lance et je les enfile, avant de me camper sur mes deux pieds devant elle. « Tu t’étais déjà échauffée ? Sinon te plains pas si tu chopes une crampe. » Je vais pas la taper, pour le moment, le programme me convient très bien donc. Même si je sais que je vais pas y couper, ça me laisse un peu de temps pour me faire à l’idée.

D’un côté, je me dis que la journée a été suffisamment longue pour ne pas avoir à m’infliger ça en plus. D’un autre côté, je suis tout à fait consciente que je ne m’inflige rien du tout et que j’attends ces moments un peu trop impatiemment. Même s’ils m’agacent souvent tous les deux, même si je dois en tempérer un et engueuler l’autre de manière régulière, les voir est comme une bouffée d’air frais, un ancrage dans ce monde qui part en vrille, au même titre que l’est mon père. Quant à celui qui me fait face en particulier… ça fait quelques années maintenant que j’ai accepté l’idée de n’être qu’une gamine fragile à ses yeux et que rien de ce qui a pu se passer ne semble changer cet état de fait. Bon, non, j’ai rien accepté du tout, mais je m’y suis fait et je vis avec… même si ça m’énerve régulièrement.

J’ai une moue à sa réponse, continuant de l’observer, sans réagir à son rire. « A qui le dis-tu. C’était les portes de placard de qui ? Juste par curiosité, que je prenne garde de pas les contrarier. » Non, je ne suis pas stupide au point de me dire que je ferais mieux que lui… enfin, pas là. « C’est pas parce que tu te poses que tu deviens impotent. J’ai trouvé un appart… C’est pas le paradis, mais Jason serait content, y a de l’eau courante, même qua parfois, j’ai de l’eau chaude. Le luxe à l’état brut quoi. Il y a peut-être d’autres logements dispos dans le même coin... » Je lève les yeux au ciel, avant de me faire offusquée. « Je sermonne personne ! Au pire, j’essaie de vous entendre raison parce que vous ne réfléchissez jamais. Et j’ai jamais dit que j’aimais ça en plus, que ce soit vos conneries ou les sermons ! » Ou si, on est d’accord. Quand je suis avec eux, j’ai l’impression de… d’être normale, à ma place, et ça me fait un bien fou. Même quand ça se passe mal. Pour le coup, je relève le menton et je le fixe avec une once de défi dans le regard, répondant plus sèchement qu’il en le mérite. « Pourquoi je changerai de nom ? » Je sais, je sais. Je soupire et me radoucis. «  Ce serait leur donner raison. Comme si on devait se cacher, comme si on avait peur, comme si… on les laisser gagner. Tu sais que je peux pas. » Pas plus que je ne peux abandonner mon costume.

Pas plus que lui, malgré les coups et les bleus, malgré l’inquiétude et tout le reste. Et j’ai beau râler, je le comprends, quand il me demande d’arrêter. Je sais qu’il s’inquiète pour moi et essaie de me protéger. Tout comme moi, je m’inquiète pour lui, pour eux. La différence étant que moi, j’ai confiance et je crois en lui. Et c’est une putain de différence qui me blesse bien plus que je ne le reconnaîtrais jamais. Parce qu’il a beau être blessé, je reste convaincue, sans doute naïvement, qu’il s’en sortira toujours. Ou qu’il demandera de l’aide le cas échéant, même si ce ne sera pas à moi donc, comme avec Black Canary.
Mais ça reste un mec un peu con. Ou beaucoup. Je le dévisage plus durement, plissant les yeux à sa répartie. « Ouais, tu gères à fond. Tu connais une rouquine irascible ? Une nouvelle copine ? » Non, parce que moi, je suis pas du tout colérique… Je me mords l’intérieur des joues et hoche vaguement la tête. « Je verrais ce que je peux faire. » Que ce soit pour la bouffe ou les medocs. Je pourrais bien trouver des trucs et… ouais, je verrais. Plutôt que d’être inutile et de risquer de les perdre…  Je me fige un peu quand il effleure ma joue, lui rendant son regard quelques secondes. « J’ai pas envie de me débarrasser de toi. » Hum. Je réussis à lui rendre également son semblant de sourire. « Je sais bien que t’es pire que la mauvaise herbe. »  

Je retiens un soupir de soulagement en le voyant enfin habillé, et je lui envoie les pattes d’ours. Je m’attache rapidement les cheveux pendant qu’il les enfile, et retire veste et sweat avant de me placer face à lui. « Je suis venue en courant, en faisant des pas chassés et des montées de genoux, ça compte ? » Je penche la tête sur le côté, interrogative en enfilant mes gants, avant de donner quelques coups au ralenti. « Et toi ? » J’ai une ombre de sourire en coin, et je recommence à frapper, pour de bon cette fois. Mais on y va doucement, je suis sympa, j’attaque pas encore avec les jambes.

J’avoue que je sais pas où j’en serais s’ils étaient pas là tous les deux. Que ce soit Barbara ou Jason. Sans compter les sentiments que j’ai pour la rouquine, ils sont tous les deux un sacré point d’ancrage depuis que tout ce bordel est arrivé. Et si je sais qu’ils ont arrêté de dire que Bruce allait revenir, je sais tout autant qu’ils en sont toujours persuadés. Cet espoir que je me refuse à avoir pour ne pas tomber de haut, je sais qu’ils le portent bien mieux que moi. Et que leur présence m’aide à ne pas abandonner, à ne pas sombrer. Mais j’évite, comme pour le reste, de trop y penser.

En attendant, j’essaie de pas trop me focaliser sur la douleur, même si je me doute bien qu’elle lâchera pas l’affaire. Ca fait partie de son charme. Et c’est tout aussi agaçant. Alors, à sa question, je fais mine de rien avant de souffler, d’un ton détaché. « Les portes de placard d’Harley Quinn ? » J’anticipe le moment où elle va commencer à me faire un sermon et je continue, d’un ton plus sérieux. « Avant que tu t’enflammes… c’était au boulot. C’était ça ou laisser un pauvre gamin un peu con se faire tabasser à mort. » Et j’ai pas envie d’entrer plus que ça dans les détails, je suppose qu’elle doit le voir à ma mine renfrognée. Je me précipite d’ailleurs presque joyeusement dans la brèche qu’elle m’offre en parlant d’appart. « Pour un peu, j’aurais cru que tu nous proposais de vivre avec toi. Ce serait marrant remarque. Et il est où ton immeuble magique ? » En tout cas, le sourire que j’ai quand elle fait son offusquée n’est pas forcé du tout. Avant que je rétorque, d’une voix plus douce. « Y a des choses qui changent pas. Et c’est bien. » Que ce soit ses sermons ou non conneries. On se raccroche à ce qu’on peut quand il nous reste plus grand-chose depuis quelques mois, quand tout continue de se déliter petit à petit. J’ai quand même un soupir qui fait écho au sien à sa réaction quand je lui parle de changer de nom. « Je sais. Mais… on doit se cacher Babs. Ils ont… gagné cette manche. » Pas la partie. Ils auront pas gagné tant qu’un de nous sera encore debout. Mais je sais qu’elle est parfaitement consciente du reste.

On est des vraies têtes de mule tous les trois. Et les quelques uns qui continuent de graviter autour de nous, avec nous. Que ce soit parce qu’on continue de sortir la nuit pour essayer de juguler l’hémorragie ou parce qu’on refuse de remiser nos costumes. Dans tous les cas, on sait qu’on est recherchés, que nos têtes valent un paquet de fric et qu’ils seraient ravis de nous tuer. Ou pire, de nous amener au Joker. J’ai un froncement de sourcils à cette pensée mais les manipulations de Babs me font oublier la douleur. Je continue de sursauter quand elle me touche, évitant de lui balancer que c’est parce qu’elle a les mains froides. Ce serait un coup à me prendre une taloche à l’arrière du crâne. « T’es pas irascible quand tu viens ici ? Et tu crois vraiment que j’ai le temps ou l’envie de me trouver une nouvelle copine ? » J’ai un sourire reconnaissant au reste et je souffle, à mi-voix un « merci » un rien penaud. Je devrais pas lui faire prendre ce risque en plus du reste, mais je crois qu’elle a de meilleurs contacts que moi pour trouver ce genre de trucs. Et, quand j’arrive à accrocher son regard, je reste silencieux quelques secondes. « Tant mieux alors. C’est pas au programme. Et ouais, je suis increvable. »

Et on finit par passer aux choses sérieuses, ce pour quoi elle est venue donc. Je retiens bien la grimace de douleur juste à enfiler mon t-shirt et je ricane quand elle me répond. « T’as vraiment fait des pas chassés dans la rue ? J’aurais adoré voir ça. Mais on va dire que ça ira. » Je me fais plus sérieux alors qu’elle commence à taper, observant sa posture, ses mouvements, pour pouvoir tout décortiquer une fois terminé. « Tu peux taper plus fort non ? » Ouais, un peu de provoc, histoire d’oublier tout le reste.

Je devrais arrêter de me dire que ça peut pas être pire, qu’un truc déjà pas terrible ne peut pas encore s’aggraver. Parce qu’au final, c’est toujours ce qui arrive, même si ce sont des petites choses, même si c’est par des détails. Sauf que là, c’est pas vraiment un détail non plus.

Je me fige quand il répond d’un air bien trop innocent et je le fixe, les yeux un peu écarquillés. Je m’apprête à répondre, mais il reprend aussi vite. Je plisse les yeux, avant de secouer la tête en fronçant les sourcils, et je me pince l’arrête du nez. « Tu t’es fait tabasser par Harley Quinn ? Mais… Qu’est-ce que ce pauvre gamin un peu con a pu faire pour que t’en arrives là ? » Je me fous qu’il ait pas envie d’en parler… Je finis par soupirer. « Elle t’a pas loupé en tout cas. » Mais j’oublie presque tout ça alors qu’il continue. Je cligne des yeux le temps de me reprendre, et je réussis à prendre un air effaré et passablement choqué. « Mon père ne sera jamais d’accord pour que je vive avec un garçon sans être mariée. » J’ai un sourire en coin et lève les yeux au ciel. « Ce serait pas marrant, je passerais mon temps à râler parce que vous ranger rien ou parce que vous squattez la salle de bain ou parce que vous trichez au monopoly… A Downtown, du côté de la mairie. C’est pas si mal en vrai. » Si j’essaie de nouveau de me montrer faussement offensée, ça ne dure pas vraiment. Vu qu’il sourit. Ouais, je sais, c’est plutôt moche, mais ça arrive pas si souvent que ça et quand il sourit, ses yeux pétillent et… Je toussote avant de hausser les épaules. Oui, c’est sans doute bien il a raison. Au moins, on peut se raccrocher à ça, même si ça semble dérisoire. Bien que ça ne soit pas dérisoire en vrai, c’est eux. Et même pour le reste, dans le fond je sais bien qu’il a raison. Sauf que ça me hérisse au plus haut point. « Je veux pas. » C’est un souffle, et j’inspire profondément, enfouissant la faiblesse qui pouvait apparaître dans ces trois petits mots. « Je veux pas qu’ils aient gagné, je veux pas avoir peur. On se cache déjà la nuit. J’ai pas à cacher qui je suis, j’en ai pas honte, j’ai pas peur pour moi tu sais, je m’inquiétais pour mon père, mais je suis pas connue moi. Je peux pas. » Ma mâchoire se crispe, en mode butée.

Je suis plus une gamine qui a besoin d’être secourue et protégée, c’est déjà usant d’avoir un père surprotecteur, j’en ai pas besoin d’un second. Encore moins s’il s’agit de lui. Je suis capable de me défendre, mieux de protéger les gens, au même titre que lui, que Jason, que tout ceux qu’il reste encore. On est les derniers remparts, si on abandonne, il ne restera plus rien. Peu importe les conséquences et ce qui arrivera, on le sait tous, on doit continuer. Malgré les blessures encaissées. Sourcils froncés, je lui donne un coup, pas trop fort parce que je suis sympa. « Je suis jamais irascible, je suis joie et bonne humeur.T'es bien le seul à penser le contraire. » Je hausse les épaules, m’appliquant à avoir un visage impassible. « Tu fais bien ce que tu veux de ton temps libre, t’aurais pas trop de mal à en trouver une. » Un sourire et paf… Il sourit pas des masses d’accord, mais ça ne veut rien dire. Je le fixe et lui souris en retour alors qu’il me remercie, lui mettant une pichenette sur le front. « Me remercie pas, demande-moi la prochaine fois. » Lui rendant son regard, je hoche la tête. Increvable. J’espère bien. Il a pas le choix.

En tenue, prête à attaquer l’entraînement, je lui offre un sourire lumineux. « Oui monsieur ! N’oublie pas les flexions de jambes aussi. Et des coups de poings dans le vide et des sauts sur place. La totale. C’était amusant, t’as l’impression d’être un peu idiote, les gens ne savaient pas trop s’ils devaient s’éloigner ou tenter de me piquer mon sac. » Et j’ai toujours mon sac. Je dénoue mes muscles une dernière fois, avant de commencer. Et je me fais plus sérieuse, m’appliquant sans vraiment y réfléchir, laissant les réflexes prendre le dessus sur le reste, essayant juste d’améliorer ce qui peut pêcher. Mes lèvres se pincent à sa pique, et je penche la tête sur le côté, comme pour acquiescer. Oui, ça je peux. Et je fais donc. Enchaînant les mouvements des poings et des jambes, j’accélère le rythme, oubliant tout le reste. Et ça fait un bien fou.

J’aurais probablement pas dû évoquer d’où viennent les coups que j’ai pris. Mais je ne lui mens pas. Comme j’évite de cacher des choses à Jason. On a déjà tellement de secrets, on vit déjà tellement dans l’ombre, cachés, qu’en rajouter serait encore plus lourd. Et on aura pas les épaules pour, quoi qu’on en dise. Alors, même si elle est surprise, même si elle aime pas, je préfère qu’elle sache. « Pas vraiment tabassé… disons qu’on a fait un petit tour sur le ring. Je me suis défendu aussi bien que possible sans donner l’impression que j’étais doué pour me battre. C’était… pas simple. » J’ai un soupir qui se transforme en grimace à sa question. « Il l’a pas reconnue. Et il a voulu lui faire payer son verre. Je me suis porté volontaire pour éviter qu’elle le massacre vu qu’elle avait décidé de lui faire payer en le combattant. » J’ai un sourire sans joie quand elle continue et je souffle, à mi-voix. « Tu sais quoi ? Je pense qu’elle aurait pu faire bien pire. » Je suis pas sûr que ce soit une bonne idée de lui dire ça en plus du reste. Parce que ça va pas la rassurer.

Par contre, au reste, j’ai un rire. Douloureux mais bien réel. Et je pose une main sur mes côtes alors que je reprends ma respiration. « Tu crois vraiment que ton père se soucierait de ça ? Et je suis un excellent parti, il serait ravi de nous voir vivre ensemble si ma tête était pas mise à prix chez la plupart des boss du coin. » J’ai un clin d’oeil alors qu’elle lève les yeux au ciel. « Bien sûr que si. Jason sera le petit frère insupportable, moi le chieur jamais content. On ferait une colocation parfaite. Réfléchis-y, ce serait pas si bête. » Et on serait ensemble, au même endroit. On pourrait s’entraider davantage. Sans compter que ça me rassurerait mais ça, je vais éviter de lui dire. « Et puis, tu pourrais surveiller qu’on fasse pas trop de conneries. » Mais je vois bien ce qui lui plaît pas. Et je peux comprendre. Je me retiens de la prendre dans mes bras, elle serait capable de mal le prendre et je souffle, sur le même ton qu’elle. « Je sais. Je veux pas non plus. Et la peur n’est pas forcément une mauvaise chose. Tant qu’elle ne dévore pas tout le reste. Cette peur nous aide à tenir, tout comme la colère et le reste. Tout est bon à prendre sauf s’y habituer. Personne n’a dit que tu devais avoir honte de qui tu es, au contraire. C’est juste... » Je soupire, sans finir ma phrase à voir sa mine butée. Bon, ce sera pas pour cette fois.

Pourtant, on sait tous les deux qu’on pourra pas lâcher l’affaire. Elle est aussi têtue que moi, si c’est pas plus. C’est dire. Quelle que soit la douleur, les coups, cette sensation d’être embourbé sans pouvoir sortir de là… on tient. On tiendra le temps qu’il faut. Même si je me sens plus usé que jamais et que j’ai parfois l’impression d’avoir 100 ans, pas juste 22. Et pourtant, j’ai un sourire alors que je la pichenette entre ses sourcils froncés. « Tu parles. Si je suis le seul c’est parce que je suis un de ceux qui te connaît le mieux. Les autres ne savent pas à quel point tu es redoutable quand tu sermonnes. » Je lève les yeux au ciel quand elle continue. « Mon temps libre ? Tu veux dire quand je suis pas en train de m’entraîner avec vous ou dehors en train de patrouiller ? Ca doit me laisser à peu près 2 minutes 47 par jour. » Si j’ai parlé d’un ton léger, je reprends, plus sérieusement. « Et puis, ce serait pas une vie. Pour n’importe quelle fille assez idiote pour s’attacher à moi. Je suis un mort en sursis Babs. On sait tous les deux le festin qu’ils feraient s’ils tombaient sur moi. » Ou sur elle. Ou Jason. Je fronce les sourcils, mon sourire se fanant comme il était venu. Alors que je la remercie pour le reste. J’ai un mouvement de recul quand elle me pichenette à son tour. « Tu sais que c’est pas … évident. »

Histoire de bien enfoncer le clou, je me fige à son sourire radieux. Et j’ignore avec le plus grand soin le raté qu’a eu mon coeur avant de lever les yeux au ciel. « La nouvelle cinglée du quartier donc. C’est parfait. » Elle commence à taper et j’ai un sourire en coin quand ses lèvres se pincent alors que je l’ai piquée au vif. Ses coups se font plus forts et les parer devient moins facile. Mais ça me va aussi. Je commence à bouger pour augmenter la difficulté, ajoutant quelques feintes alors que, de temps à autre, je souffle quelques mots pour arranger sa posture. Je sais pas trop combien de temps ça dure mais je finis tout aussi essoufflé qu’elle. Je finis par faire tomber les pattes d’ours avant de lui lancer une bouteille et de la regarder longuement. « Ca te dit d’apprendre à jouer avec des bâtons ? » Le truc que je fais jamais donc.

C’est exactement dans des moments comme celui-là que je comprends pourquoi il aime pas que je porte un costume. Non, ce qui m’énerve en vérité, c’est que ses raisons de s’inquiéter semblent plus fortes avec moi qu’avec  Jason, et c’est autant insultant que ridicule. Bref. Je m’inquiète aussi pour lui, mais je l’empêche pas de faire le con… Ce qui serait mission impossible avec eux deux de toute façon. Et donc lui se fait tabasser par Harley Quinn et le prend presque en déconnant. Mais oui, il me dit la vérité, bon point pour lui. Je le dévisage un peu incrédule quand il m’explique le pourquoi du comment et je laisse filer un nouveau soupir. « On va dire que ta raison tient la route. Je ne doute pas qu’elle aurait pu faire bien pire et que tu as fait aussi bien que possible, mais… Sois prudent. Je sais, pas besoin de le dire. Seulement, même si elle en a rien montré, elle a pu remarquer des trucs, on parle de Harley Quinn et… » Je me mords la lèvre et secoue la tête. « Fais juste gaffe. » Je me répète, et il le fait déjà, mais c’est plus fort que moi. C’est pas comme si il y avait des moments où je ne m’inquiétais pas pour lui. Pour eux.

Si son rire me fait du bien, et fait louper un battement à mon cœur, je note son geste, non sans hausser un sourcil narquois en le fixant. Mais je ne relève pas à nouveau, il le sait. « Mon père… D’accord, il pourrait être rassuré de savoir que je n’habite pas seule. Mais pour le reste, c’est n’importe quoi. Peut-être qu’à ses yeux, tu n’es que le fils immature, colérique et capricieux d’un milliardaire, et rien de plus. Ce pourquoi je ne saurais absolument pour rien. Et fort heureusement, il ne sait pas pour la tête mise à pris. Sinon il se poserait des questions pour moi. » Je fronce les sourcils à cette pensée, ayant déjà bien du mal à le rasséréner. Je le fixe. « Le gamin tête brûlée et insupportable et le gamin taciturne et grincheux. Super. Tu me vends du rêve là. » Mais il marque un point. Je pourrais garder un œil sur eux. Comme il pourrait le faire avec moi. « J’y réfléchirais. Enfin, pour ça, faudrait trouver un appart plus grand, que vous acceptiez de vous poser, et accessoirement avoir de quoi le payer. » Ce qui est quand même un peu une utopie… Même si j’arrive à me payer un petit appart un peu miteux. Déjà que survivre et tenir tous les jours c’est compliqué. Et quoi qu’il en pense, mon nom n’y change rien, et il n’y a pas de raison pour que ça change. Je vais juste m’abstenir de lui dire que j’évite de trop le donner, me contenant en général de mon prénom, ça viendrait un peu plomber mon laïus. Mine toujours butée, mâchoire crispée, je lève les yeux vers lui. « C’est juste que quoi ? Tu t’inquiètes ? Je suis désolée, mais ça change rien. Et oui, il y a la colère et la peur, mais… Si ça te fait tenir, ce n’est pas mon cas. Enfin il n’y a pas que ça du moins. Et je sais que tu trouves ça stupide, encore plus maintenant. Mais… J’ai confiance, je garde espoir que…. Ça ira mieux. Même si ça a l’air inconscient et inepte. Alors je peux pas céder, sinon ça serait renier tout ça. » Et je veux pas donc. Je peux pas. Sinon je finirais par m’éteindre.

Et puis, la colère et la peur, c’est bien joli, mais dans le fond, tout ce qu’il reste vraiment, c’est ça. La certitude que tout n’est pas perdu, la force de tenir malgré tout, le désir de protéger ce qu’il reste, l’envie de faire renaître le reste. L’espoir et la foi. Et ils ont beau dire, s’ils se battent encore, c’est que eux aussi y croient. En partie du moins. Je fronce les sourcils, retenant une exclamation de stupeur et je me frotte le front. « Mais c’est faux ! T’es peut-être le seul qui a besoin d’être recadré, t’y as pensé à ça ? » Non mais. Bon, et Jason aussi. Hum. Je lève les yeux au ciel à mon tour en secouant la tête, avant de le fixer, en essayant de ne pas m’offenser. Il  ne le disait pas pour moi après tout « Donc faut être idiot pour s’attacher à toi, sympa… » Super. Non, ne le prends pas pour toi on a dit. N’empêche que. Je lui donne un nouveau coup. « Arrête de dire des conneries.  Personne ne sait qui tu es. Et… Je parle de Dick, pas de Nightwing, c’est… Ah tu me fatigues, tu sais très bien ce que je voulais dire. Et ça explique que tu sois aussi ronchon si tu prends jamais le temps de rien. » Ce que je ne fais pas trop non plus, mais c’est un détail. « Bien sur que si. C’est le côté Wayne ou le côté mec qui t’empêche de faire ‘Hé salut, tu m’aides ?’ » Un peu ironique venant de la nana qui bosse davantage seule qu’en équipe en général, mais il sait ce que je veux dire.

Mon sourire s’agrandit un peu alors que j’acquiesce. « C’est rigolo. Et les gens me prennent pas au sérieux de base, ça aide, et c’est pas plus mal. » Faut dire qu’avec mes 50kg toute mouillée, je ne suis pas vraiment impressionnante. Et en toute objectivité, je ne suis pas vraiment dangereuse. Enfin si je le suis. Mais la force brute me fait grandement défaut, et c’est bien ce que j’essaie d’améliorer, pour ne pas me retrouver à nouveau sur le carreau et inutile. Le moins possible quoi. Ce pour quoi il ne m’aide pas beaucoup en général, étant donné qu’il refuse bien souvent de trop me pousser. Je ne suis même pas sûre qu’il se rende compte que ça me pénalise et me dessert plus qu’autre chose, même si je lui ai déjà dit plusieurs fois. Mais ça me fait malgré tout du bien, les entraînements avec lui. Il trouve toujours des petits défauts, des choses à améliorer, et j’avoue que j’aime bien réussir à l’essouffler comme ça. J’attrape la bouteille et bois quelques longues gorgées, avant de recracher la dernière bue. Je le regarde en toussant, réussissant à reprendre mon souffle. Je lui tends la bouteille à moitié vide et je n’essaie même pas de réprimer le sourire étonné et ravi qui me vient. « T’es sérieux ? Pour de vrai ? Evidemment que ça me dit ! » Je l’observe un instant. « Il y a un piège ? » Mais comment dire non alors qu’en deux ans, il n’a jamais proposé de le faire ? C’est trop cool !

Parfois, je me dis que je comprends pourquoi Bruce était comme ça. Solitaire, à ne pas vouloir trop se confier ou s’attacher. A ériger des barrières et à ne pas montrer aux gens qu’ils étaient importants pour lui. Parce que c’est dangereux. Si demain, il devait arriver quelque chose à Jason ou Babs, je sais pas ce que je ferais. Enfin si, je sais, je péterais probablement les plombs et je chercherais à tout prix à me venger. Ils sont tout ce que j’ai maintenant, les seuls qui comptent. Et ça me rend vulnérable. Mais je peux pas. Oublier d’être humain. Ils me permettent aussi de tenir malgré tout ce qui se casse la gueule autour de nous. Sans compter qu’à part avec eux, y a personne à qui je peux parler de ce qu’on fait de nos nuits. Même si ouais, à voir la tête de Babs, j’aurais pu m’abstenir pour cette histoire-là.

J’ai une grimace alors qu’elle soupire, laissant filer une moue penaude alors qu’elle en rajoute une couche. Oh, je sais qu’elle est pleine de bonnes intentions, qu’elle a peur pour moi, même si justement, ça me fait regretter de l’inquiéter encore plus. « Ouais. Je sais. Des fois, je me demande si elle m’a reconnu quand elle me fixe longuement au bar, mais au final, c’est probablement qu’elle voit que je suis gêné et que ça l’amuse. Elle est… cinglée. Et impossible d’anticiper ce qu’elle va dire ou faire. Mais je peux pas partir de là, c’est une source d’info précieuse. Sans compter que ça nous permet de manger. » J’essaie de faire gaffe, elle le sait bien. Pas besoin de lever les yeux au ciel ou de me moquer. Même si j’ai une ombre de sourire, histoire de dédramatiser un peu le truc donc.

Je fais mine de porter ma main au coeur quand elle reprend. « Ca me blesse Babs. Je suis pas capricieux. » Bon, le reste… difficile de nier le côté colérique ou immature selon les sujets. Je vais pas dire que j’assume, mais pas loin. « Et oublie pas que je suis probablement déshérité depuis longtemps. » Si le fait que nos têtes soient mises à prix et que j’en connais plus d’un qui se ferait un plaisir de nous démolir dans tous les sens du terme, j’ai de nouveau un rire quand elle me fixe. « Tu serais une privilégiée ouais. On est uniques Jason et moi. Tu devrais réaliser la chance que tu as avant qu’il soit trop tard et qu’on habite une villa de luxe sans toi. » Mais visiblement, l’idée fait son bonhomme de chemin. Et je la regarde, mon sourire se faisant plus large. « Oh, tu vas y réfléchir. J’en parlerais à Jason. Ou tu devrais le faire toi, il t’écoute plus que moi. » C’est pas difficile en même temps.

Je soupire à sa mine butée, me retenant de la serrer dans mes bras, ça ferait désordre rapport au mini-sermon que j’essaie de lui faire. « Oui je m’inquiète. Autant que tu t’inquiètes pour moi. Et je sais que tu n’en feras qu’à ta tête. Ca finira par aller mieux. Sinon tout ce qu’on fait ne sert à rien.»  Je sais pas trop qui j’essaie de convaincre en disant ça, mais c’est un détail. « … fais juste… gaffe. » Et je souris, alors que je reprends ses propres paroles au final. Avant de tousser un rire à son énième froncement de sourcils. « Moi ? Besoin d’être recadré ? Je vois pas de quoi tu parles Babs. » Au reste, je hausse les épaules avant de souffler, d’un ton léger pas vraiment naturel. « Oui. Regarde Jason et toi. Vous m’aimez bien, mais c’est pas le truc le plus malin que vous ayez fait de vous attacher à moi. Même si je soupçonne que Jason est surtout là pour les conserves que je ramène. » Je me fais faussement songeur en disant ça. Faut dire que le gamin ramène autant de trucs que moi, en prenant carrément plus de risques. Et que j’ai eu plus besoin de lui que l’inverse, même si je risque pas de lui dire à haute voix. En tout cas, si je ronchonne quand elle reprend, je me fige carrément à ses derniers mots. « Je suis pas un Wayne. » J’ai parlé plus sèchement que je le voudrais et, vu le ton que j’ai pris, j’espère pour elle qu’elle essaiera pas d’argumenter.

De toute façon, je change de sujet. Elle est là pour s’entraîner. Donc on va faire ça. C’est bien. « En effet, ça te fait un avantage non négligeable. Mais moi je sais qu’on peut pas se fier aux petites rouquines mignonnes, ce sont les pires. » D’autant que ouais, si elle tape pas aussi fort qu’un mec baraqué, elle a appris à placer ses coups. Il y a encore du boulot pour certains trucs, mais elle est aussi appliquée que têtue. Donc ça finit toujours pas rentrer. J’ai un sourire amusé à la voir recracher son eau à ma proposition et je souffle, narquois. « Et bin, si j’avais su que de jouer avec un bâton te mettrait dans cet état, je l’aurais proposé avant. » Sans lui laisser le temps de réagir, je vais récupérer les eskrimas en bois que je garde pour m’entraîner. Avant de lui tendre deux bâtons. « Pour de vrai oui. Pas de piège. Tant que tu écoutes exactement ce que je te dis. Le plus important, c’est de trouver ton équilibre. C’est pas la même chose que de combattre à mains nues. L’avantage, c’est que ça te permet de frapper à des endroits précis et ça peut faire très mal. L’inconvénient, c’est qu’il faut que ça deviennent des extensions de toi. Mais que tu sois capable de faire sans en un clin d’oeil. Passer de l’un à l’autre reste le plus compliqué. » Tout en parlant, je joue avec mes propres bâtons, la mine sérieuse. « Essaie déjà de les manier. Je t’expliquerais quelques mouvements de base après. » Tant qu’elle lève pas les yeux au ciel comme Jason en me disant que ça vaut pas un flingue, ce sera déjà ça de pris.

Parfois, je me demande à quel point Bruce à déteint sur lui, ou plus précisément à quel point il s’est inconsciemment calqué sur son mentor… Et peut-être que Bruce avait senti les ressemblances, de caractère en plus du reste, et qu’il s’est senti proche, responsable, allez savoir de lui. Et peut-être qu’aucun des deux ne se rend compte de tout cela, ce qui est tout aussi probable les connaissant, surtout lui là, qui semble mettre un point d’honneur à rejeter Bruce… Tout en poursuivant les mêmes buts et en ayant les mêmes codes… Paradoxes quand tu nous tiens.
Et je sais bien que je suis la première à râler qu’il s’inquiète trop pour moi, alors que je fais exactement pareil. Je m’inquiète, mais je ne l’empêcherai pas pour autant de continuer de faire ce qu’il croit juste, contrairement à ce que lui aimerait donc. Même si j’en conviens, j’aime pas trop qu’il bosse là-bas. « Je sais. Ça reste un bon boulot, enfin tu vois ce que je veux dire. Mais oui, contrairement à d’autres, elle est… imprévisible. Et d’autant plus dangereuse. » Je sais qu’il fait attention. Et qu’il est sans doute plus apte à se défendre que moi même si je le reconnaîtrais jamais. Je vais pas trop en rajouter, je me contente d’esquisser un sourire en retour.

J’ai un léger rire à sa mimique, mon regard se plissant d’amusement. « Mettons que tu ne sois pas capricieux. Tu en deviens un gendre potentiel presque parfait, il en sera ravi ! » Je me contente de lever les yeux au ciel, quasiment persuadée qu’il figure en très bonne position sur le testament Wayne… Mais j’aimerais autant éviter d’en avoir la confirmation on est d’accord. Mon sourire s’agrandit un peu de plus alors que je secoue la tête. « Je viendrais squatter et je passerais mon temps dans la piscine. Là, je serais privilégiée. » Dans une autre vie. En dehors de leurs côtés insupportables et enfantins, je dois reconnaître que l’idée n’est pas si mauvaise que ça. Ça risque d’être compliqué vu la situation actuelle, mais partager un appart et les charges nous feraient logiquement faire de sacrés économies. Sauf que… Je les fixe, lui et son sourire trop grand, le mien se figeant un peu. Vivre avec eux, avec lui… « Je lui en toucherais deux mots oui. Mais même s’il est d’accord, ce qui n’est pas certain malgré tout… Trouver un logement assez grand, et sûr, pour nous trois, risque d’être un tantinet compliqué. Je te laisserais donc faire… Si j’accepte. » Ce qui est loin d’être certain.

Parce que vu comment il se comporte déjà les fois où l’on se voit, si c’est H24, je suis pas sûre de le supporter. Et non, ça n’a rien à voir avec le fait que je risque de le voir trop souvent comme là. A moitié à poil. Et blessé. Hum. Mon sourire revient pourtant spontanément. « Je fais toujours attention. » Ce qui n’empêche pas que je finisse parfois dans des états pire que lui, mais je vais éviter de le dire. « Quoiqu’il se passe, ce qu’on fait est nécessaire, t’as pas à en douter. » J’ai un sourire en coin. « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font du mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire ! Rien de ce qu’on fait n’est inutile. » Oui, il faut quand même que ça aille mieux, parce que techniquement, on ne pourra pas tenir comme ça une éternité, j’en suis tout à fait consciente. Mais je n’arrêterais donc pas pour autant. Et je sais pas trop ce qui m’agace le plus, entre ça et le fait qu’il me voit comme une gamine râleuse et moralisatrice. S’il rit de nouveau, je me renfrogne encore un peu. « Oui toi. Et Jason. Vous écoutez jamais rien et vous êtes imprudents et je parle même pas de… » Je soupire. Pas la peine d’insister, il le fait exprès pour t’emmerder. Je parle même pas de la suite, que je prends un peu trop personnellement allez savoir pourquoi. Je le fixe plus sérieusement. « C’est pas à toi de décider si c’est idiot ou non. Et sache que je ne fais jamais rien de stupide. Quant à Jason… Il ne fait quasiment que des trucs stupides, mais il veille sur toi. Et ça lui permet de pas être seul non plus. Vous en avez besoin tous les deux. » Qu’ils le reconnaissent ou pas. Je continue de le fixer, mon sourcil se levant quand il répond à ma dernière remarque. Vu sa tête, il n’écoutera rien, tel le gamin boudeur qu’il est quand on aborde ce genre de sujet. Evidemment que c’est un Wayne. Depuis 10 ans maintenant. Ça n’enlève rien de son héritage et de son nom de famille, mais il est bel et bien le fils de son père, qu’il le veuille ou non. Tant pis pour lui, je me contente donc de le dévisager un moment, mon regard bien plus explicite que tout ce que j’aurais pu dire.

Et peut-être que si je le mets un peu en colère, il se battra vraiment pour une fois. Il est plus occupé à se moquer de moi pour le moment, mais c‘est pas très grave. Même s’il arrive trop souvent à me prendre de cours, pour des idioties, mon sourire se figeant encore une fois en l’entendant. Faut que j’arrête ça, surtout quand il le dit en plaisantant. « Je ne suis pas… petite. » Ou mignonne, mais on va éviter de se faire tacler dessus en retour. Je préfère m’entraîner pour de bon en vrai, ce que je fais avec application avec lui, écoutant ses conseils la plupart du temps, tapant assez fort et assez longtemps pour qu’il se retrouve aussi essoufflé que moi. Mais c’est encore lui qui parvient à me surprendre. Je le dévisage, les yeux s’arrondissant et mes joues rosissant. Il se fout de moi là, c’est encore pire que sa remarque précédente non ? « Faut dire qu’au bout de 2 ans, je pensais que tu me le proposerais plus. De jouer avec un bâton. » Je parviens à lui offrir un sourire innocent tout en attrapant les bâtons, que je soupèse et fais un peu tourner dans mes mains. « J’écoute toujours quand les conseils sont avisés. » Je regarde les bâtons et acquiesce. « Ça me donnerait plus de force de frappe… Ce dont je manque un peu malgré tous mes efforts… » Je fronce les sourcils et en lance un en l’air, que je rattrape aisément. Je commence à faire des moulinets avec les deux, qui s’entrechoquent deux ou trois fois avant que le mouvement ne me revienne le plus naturellement du monde. « C’est comme des massues quoi. Légèrement plus lourd, l’équilibre est différent, mais sinon c’est le même principe. » Je lance les deux, les rattrapant en souriant, avant de les refaire tourner chacun d’un côté. Ma jambe droite partant en arrière, à la verticale, pour faire un tour complet, mon buste basculant à l’inverse, les escrimas tournant dans chaque main. «  En gym, ça s’appelle le tour d’illusion. » Je me retourne vers lui, sérieuse, malgré mon sourire en coin. « Je pense que le maniement, ça ira. Je suis toute ouïe. »

Je sais, je sais, je pourrais faire la fortune d’un psy avec tout ce que je pourrais raconter. Que ce soit ma relation chaotique avec Bruce, mon envie de me détacher de lui tout en lui ressemblant. Ce genre de trucs quoi. Fort heureusement, c’est pas au goût du jour. Même si je vois bien au regard de Babs qu’elle se retient souvent de dire ce qu’elle pense à ce sujet. Probablement parce que les rares fois où elle le fait, je l’envoie bouler. J’essaie de pas être trop désagréable, mais y a des sujets qui fâchent vraiment. Et celui-là en fait partie. « Disons que ça rend la survie un peu moins compliquée. » Même si ouais, c’est pas gagné. « Quelque part, je sais déjà qu’elle est imprévisible. Au moins, je sais sur quel pied danser paradoxalement. Et puis, au final, on sait qu’on peut rien attendre d’eux. » Qu’ils essaient de nous tuer maintenant ou plus tard, dans le fond, ça change rien. Juste qu’avec Harley Quinn, c’est plus hasardeux.

Elle est mignonne quand ses yeux se plissent comme ça. Et je hausse une épaule à sa réplique. « Je devrais t’enregistrer quand tu dis que je suis un gendre presque parfait. Comme ça quand tu diras que je suis insupportable, j’aurais des preuves du contraire. Et tu me trouves vraiment capricieux ? » J’avoue que oui, si j’ai pas mal de défauts, celui-là, je pensais pas qu’il serait dans la liste. Enfin, pour le reste, je suis content qu’elle insiste pas trop sur le sujet. « Piscine chauffée bien évidemment. » Déjà qu’on peut pas souvent se payer le luxe d’une douche chaude, là je rêve tout haut. Et c’est comme le reste. On passe d’une planque à l’autre sans jamais pouvoir y rester plus de quelques jours. Alors trouver un endroit sûr, aussi petit soit-il, ça relève du fantasme plus qu’autre chose pour le moment. Même si ouais, à plusieurs, on serait plus forts, que ce soit pour nous trouver un endroit où vivre que pour le reste. Et là aussi, l’idée commence à s’incruster petit à petit. J’ai jamais été vraiment seul depuis deux ans, alors pourquoi essayer de faire croire le contraire ? Et s’ils ont envie de se battre, autant essayer de faire ça bien non ? « Je sais ouais. Que ce sera compliqué. Mais ça coûte rien d’y penser. De penser à un truc… normal. Tu vois l’idée ? » Même si ouais, ça la mettrait peut-être encore plus en danger qu’autre chose. Ce que je veux pas non plus.

Je réprime un soupir qui m’évite de grimacer une nouvelle fois de douleur, avant de finir par hocher la tête. « La prudence incarnée ouais. » Tu parles, elle est comme nous, à risquer sa vie à chaque fois qu’elle met un orteil dehors. Parce que c’est comme ça qu’on a toujours fonctionné. « J’en doute pas. Je me demande juste… si on arriver à faire autre chose que survivre. Si on en est capables sans eux. » Et faudrait que j’arrête de me raccrocher à ma colère pour survivre. Que j’essaie … autre chose. Avec eux. Je fronce les sourcils à cette pensée avant de ricaner quand elle reprend. « Oh et qu’est-ce qu’on écoute pas ? Tu parles même pas de… ? » Je penche la tête, le regard malicieux, avant de lever les yeux au ciel. « Je sais que c’est idiot de s’attacher à moi. Et je parle même pas d’une copine potentielle. C’est… pas au programme donc. » Sinon, j’aurais tenté ma chance depuis longtemps avec elle. Et je me serais probablement, sûrement même, pris un râteau. « Et ne dis surtout pas à Jason qu’il veille sur moi, il va être insupportable pendant une semaine. » Mais elle a raison. Sauf que je zappe un peu tout ça au reste de ses propos, mon regard ancré dans le sien sans que je ne cille un instant. Si elle veut me sermonner, qu’elle assume jusqu’au bout.

Je la toise un instant à sa répartie et je fais mine de nous mesurer tous les deux. Je suis pas bien grand moi-même, le côté acrobate qui ressort. Mais quand même, y a déjà une différence. « T’es pas bien grande. Mais ça a ses avantages. Et tu restes mignonne donc. » Un bref clin d’œil alors que mon sourire se fait plus large à la voir rougir un peu. Quoi, on a le droit de s’amuser non ? Même si ça va pas durer, j’en suis bien conscient. Alors forcément, j’en rajoute encore une couche, avant de passer aux choses sérieuses. « Et encore, j’attends de voir comment tu te débrouilles avant de te proposer de jouer avec mon bâton. » Qui sont en fait des eskrimas électrifiées que je sors pour les grandes occasions. Mais chaque chose en son temps. Je la suis des yeux quand elle les soupèse, avant de hocher la tête. « C’est toujours utile oui. D’autant qu’une fois maitrisée la base, tu peux choper un tuyau, une batte ou j’en passe. » Je secoue la tête, amusé, alors qu’elle lance les bâtons et qu’elle fait une petite pirouette, plus pour me rappeler de quoi elle est capable qu’autre chose. « Je saurais qui appeler quand j’aurais besoin d’une majorette donc. » Je dépose mes bâtons avant de m’approcher d’elle, saisissant sa main pour ajuster la posture. « Il faut toujours un espace de deux ou trois doigts entre la base et ta main. Tu gardes le poing bien fermé, ton pouce par-dessus les autres. Et tu frappes comme si l’arme était tranchante, même si c’est juste un bâton. Donc tu frappes jamais de face, mais toujours légèrement en biais. D’accord ? Le plus important, c’est de tenir correctement ton bâton pour ne jamais perdre ta force de frappe et pour viser au mieux. »

Je me recule de nouveau, récupérant mes bâtons et je la regarde un instant, l’un d’eux reposant sur mon épaule alors que j’agite l’autre pour lui montrer les mouvements. « Si tu frappes avec la pointe, ce sera pour étourdir, pas pour vraiment faire mal. Mais tu peux toucher les points sensibles, c’est pratique aussi. » Tout en parlant, je lui montre la posture à tenir et j’attends de voir si elle l’imite bien. Avant de lui asséner un coup de bâton sur l’épaule. Gentiment pour le moment. « Ca te servira aussi de bouclier d’une certaine façon pour parer les coups. Je te montrerais comment. Dis-toi que, face à une arme à feu, tu n’as l’avantage que sur sept mètres. Le temps qu’il te mette en joue et qu’il vise. A peine quelques secondes. Il faut donc savoir où taper, sans que tu aies besoin de réfléchir. Handicaper ton adversaire avant tout. » Et je l’observe, encore plus sérieux que je peux l’être d’habitude.

Peut-être qu’un jour, je lui balancerais tout ça, si un jour il m’énerve plus qu’un autre, s’il se montre plus buté encore, s’il cherche trop de son côté à me faire changer. Mais je suis pas prête pour ça, parce que ça implique d’accepter qu’il me fasse la gueule et m’en veuille, un certain temps du moins. Et j’ai beau me plaindre ou râler, j’ai trop besoin de le voir pour risquer ça… Mais ça, je lui dirais jamais par contre. Et puis, il sait bien ce que j’en pense en vrai. Comme pour le reste. Je hoche la tête, faisant taire comme à chaque fois cette boule d’angoisse qui ne demande qu’à croître pour me dévorer. Il est bien assez apte à se défendre, voire parfois à réfléchir, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

Mon sourire se transforme en rire, et je secoue la tête. « C’est pas exactement ce que j’ai dit ! Et tu restes insupportable…. Et je vois même pas pourquoi on parle de ça ! » Si, je sais très bien comment on en est arrivé là, c’est de ma faute, et surtout, c’est n’importe quoi. Aucune raison que mon cœur batte un peu trop vite. « Et non, t’as beaucoup de défauts, mais tu n’es pas trop capricieux. » J’aurais sans doute dû insister sur le beaucoup pour enfoncer le clou. Tant pis. « Evidemment. » Je lui souris, presque tentée d’imaginer le truc tout en me disant qu’il ne vaut mieux pas. On s’habitue à tout, même à survivre dans ce qu’est devenu notre ville, mais c’est pas une raison pour rêver les yeux ouverts. Donc on oublie la piscine. Quant au reste… C’est déjà plus envisageable et réalisable. Moi, j’ai réussi à me poser, j’en avais besoin. Eux, par contre, ont beau être à deux, ils ne cessent de courir. Et j’avoue qu’assembler les deux pans, se poser et ne plus être seule, est quand même tentant. Je ne réponds pas que j’ai déjà une pseudo-normalité de mon côté, parce que ça reste difficile et qu’une partie de moi n’a pas envie qu’il pense que je le veux pas du tout. J’en sais rien en vrai. « Je vois l’idée. J’y réfléchis, selon j’en parle à Jason et on en rediscute ensemble, ça te va ? » J’esquisse un sourire qui se veut convaincu, même si j’ai déjà en tête mille et une situation embarrassantes.

Situations qui pourraient s’apparenter à celle-là. J’ai malgré tout un immense sourire, hochant vigoureusement la tête. Bon, peut-être pas la prudence incarnée, mais je suis bien assez attentive. L’être plus signifierait de plus agir, ou presque, et on sait bien que c’est pas possible. « On en est capables. Seulement, les forces ne sont plus vraiment équilibrées. On était pas prêts alors qu’en face, ils n’attendaient que ça. On a plus les mêmes moyens qu’eux, c’est cheaté. Mais on tient quand même, on est bien assez forts pour ça. » Faire autre chose que survivre. Depuis quand c’est devenu carrément optionnel ? Je suis convaincue de ce que je dis pourtant, c’est simplement… que c’est pas aussi simple. Je soupire. « Mes conseils, mes avis ? Le bon sens ? Et je sais plus ce que je voulais dire, tu m’épuises. » Forcément que ma mine boudeuse va arranger ce qu’il pense. Et j’arrive même pas à savoir si je suis soulagée ou non par sa remarque. « Donc c’est tout aussi idiot de s’attacher à moi. Mais vous faites tout le temps des trucs idiots vous alors… » Il va quand même pas me contredire et me dire qu’il tient pas à moi hein ? Juste en amie évidemment… Toute façon, je le sais, que je compte quand même, il s’inquiéterait pas sinon. Je ricane en l’entendant. « J’ai pas besoin de lui dire, il le sait. Mais j’éviterais de lui dire t’en fais pas, il serait capable de se barrer pour montrer que c’est faux… Ou de te tacler pendant une semaine en te disant qu’il est indispensable en effet. » Ce serait presque amusant. Plus que de devoir argumenter sur sa Wayne attitude… Ce que je ne fais pas, j’ai pas envie de me prendre la tête avec ça pour le moment, et de toute façon, vu sa gueule, il écoutera pas.

Je préfère encore qu’il se moque de moi. Et puis, ça veut dire qu’il ne va pas si mal s’il fait des vannes pourries. Même si ça me plait qu’à moitié. Je fais mine de le repousser quand il nous mesure, non sans une grimace en mode gnagnagna, et mes yeux se plissent. « Je peux donne des coups de pieds bien placés oui. Et mon côté mignonne me permet de me rapprocher un sourire innocent aux lèvres. Méfie-toi. » Comme si… J’augmente d’un niveau, côté rougissement, quand il poursuit. « Peut-être que ton bâton ne m’intéresse pas vraiment. » J’aurais pu, dû trouver une réplique plus cinglante, mais mon cerveau a décidé de buller un peu en imaginant… En imaginant rien du tout !

Je m’éclaircis la gorge, chassant loin, très loin, tout ça pour me concentrer sur l’entraînement. Et sur les eskrimas donc. C’est plutôt cool comme arme. Léger et maniable. Et comme il dit, tu peux les remplacer par n’importe quoi. Je lui tire la langue quand il parle de majorette, sans pour autant m’arrêter de manier les armes. Il a raison, faut que je m’y habitue et que je parvienne à me battre avec comme si elles n’étaient que des extensions. Je me crispe inconsciemment une demi-seconde quand il s’approche, avant de laisser filer un soupir silencieux et d’appliquer ses conseils. Je réajuste ma prise et ma posture, hochant la tête pour lui faire comprendre que j’ai compris.

Face à lui, je me fais parfaite copie de ses mouvements, avant de grimacer par réflexe quand il me touche. « Hé ! Triche pas, on a pas commencé. » Si on a commencé. Et surtout, on ne prévient pas quand on commence. Mais là, on s’entraîne… Quoique c’est comme les entraînements avec Batman, ça n’en a que le nom. « Sept mètres, c’est déjà ça. » Je reproduis à nouveau les quelques mouvements qu’il vient de faire, aussi concentrée que lors de mes premiers entraînements avec Batman, ou même avec lui, avant que je ne me rende compte que lui n’osait pas vraiment me frapper. Et je relève les yeux vers lui. « Les articulations, le visage, le cou, le plexus. Comme au corps à corps, sans arme non ? Avec plus de puissance, donc plus d’impact. » J’inspire et esquisse un sourire alors que mon cœur s’accélère un peu. « Tu me montres ? Essaie de pas trop m’handicaper, mais… Apprends-moi. » Ouais, en gros, vas-y franco et continue de mettre tes aprioris et tes peurs de côté. Et oui, je suis devenue hyper sérieuse et concentrée.  

Je sais que j’ai plus tendance à foncer tête baissée que Babs, en essayant d’ignorer totalement comment j’en suis arrivé là. C’est ma spécialité. Le déni. Pour autant, j’essaie de m’occuper d’eux, de veiller sur eux autant qu’ils veillent sur moi. Et on s’en sort pas trop mal non ? Même sans lui. Mais j’essaie de chasser tout ça, pour profiter d’un moment plutôt cool, surtout qu’elle essaie pas plus que ça de me sermonner cette fois. Et puis, l’entendre rire, ça fait du bien, d’autant que c’est plutôt rare, surtout ces derniers temps. Je lève un sourcil et je la désigne de l’index. « Si je suis si insupportable, t’es maso de revenir ici tout le temps. Ou alors c’est pour te rappeler à quel point tes petits copains sont moins chiants que moi, avoue. » Au reste, je mime une révérence avant de secouer la tête. « Trop aimable Babs. Je peux enfin rayer un défaut de la liste. » Mais oui, je sais que je suis une tête de con. Et j’assume.

Le reste… ça relève de l’hypothétique, j’en suis aussi conscient qu’elle. Même si ça fait du bien de rêver un peu à … autre chose. J’ai arrêté de me demander ce que serait notre vie s’ils étaient pas partis, ça faisait beaucoup trop mal. Mais il m’arrive encore de rêver à un peu de normalité, aussi fugace que ça puisse être. « Y a rien d’urgent. Et puis… c’est aussi pour t’aider à te rappeler que t’es jamais toute seule rouquine. » Je lui pichenette le front avant de me faire un brin plus sérieux. Heureusement, ça dure pas. « Je sais. J’aimerais trouver un moyen de rééquilibrer les forces, pour qu’on arrête d’avoir un coup de retard. Et… d’avoir peur. » Ensemble on est plus forts et ça mérite réflexion, même si j’ai du mal à imaginer où et comment. Je ricane quand même au reste. « Je t’épuise ? Rien que ça ? Je te pensais plus endurante Babs, je suis déçu. Et oui, on est des idiots. Irrécupérables en plus, tu pourras encore moins te débarrasser de nous. » Je lève les yeux au ciel quand elle reprend. « On sait tous les deux que Jason choisira les deux options. Il va me casser les couilles pendant une semaine, disparaitre, revenir en disant qu’il m’a manqué et en remettre une couche. » Bizarrement, j’ai absolument aucun mal à imaginer la scène. Sans compter que c’est plus facile que d’écouter le reste.

Je tousse un rire quand elle fait mine de me repousser et je lève un sourcil amusé à sa répartie. « Je me méfie déjà de toi. T’est la pire du genre. » Et je pose une main sur mon cœur au reste de ses propos. « Tu me fais beaucoup de peine tu sais, même si je vais me raccrocher à ce peut-être donc. » Comme si c’était possible. Je veux dire, je l’aurais vu s’il y avait une ouverture avec elle. Je suis plutôt doué pour repérer les filles à qui je plais. Enfin bref. L’entrainement donc.

Et elle écoute avec attention, un bon point pour elle. Même si elle se la pète avec son côté gymnaste de compet mais je peux pas lui en tenir rigueur. Elle m’amuse en plus, sauf que je suis en mode entrainement et donc bien plus sérieux. Je corrige sa posture sans délicatesse et, quand elle se plaint, je souffle, esquissant un sourire narquois. « Oh. La prochaine fois tu veux un carton d’invitation pour te dire à quel moment ça commence ? » Je hoche la tête au reste et je reprends, avec sérieux. « C’est déjà ça oui. C’est à la fois énorme et rien du tout. Mais ça nous laisse le temps. Sauf si tu as besoin de réfléchir à ta façon d’agir, là ce sera fichu. Il faut que ce soit instinctif. Je sais que tu es une excellente combattante, t’as eu une bonne formation. Même si je pense que tu réfléchis encore un peu trop. Placer les coups doit devenir aussi normal que de respirer. Comme ça tu peux te concentrer sur le reste. Trouver la faille, trouver ce qui t’aidera dans ton environnement ou qui peut handicaper ton adversaire. Analyser son environnement est aussi important que de savoir manier les bâtons. » Je me doute qu’elle le sait, mais une piqûre de rappel fait jamais de mal. « Et oui, les bâtons ou tout autre objet contondant te permettront d’avoir la puissance qui peut te manquer. » Même si sur certaines armures ce sera pas aussi simple.

Je me fige un instant quand elle reprend, fixant son sourire un peu trop longtemps à mon goût avant de lui adresser un clin d’œil. « T’es sûre de toi ? » Et, sans lui laisser le temps de réagir, je commencer à manier les eskrimas. Il ne me faut pas longtemps pour lui taper un coup plus fort que les autres sur l’épaule, un autre derrière le genou pour la déséquilibrer et la faire tomber au sol. Je me laisse tomber avec elle, plaquant les deux pointes des bâtons de part et d’autre de son visage, me rapprochant d’elle jusqu’à ce que je ne sois plus qu’à quelques centimètres. Et je souffle, dans un murmure, alors que je peux sentir son souffle beaucoup trop près pour que ça me fasse pas de l’effet. « Première leçon. On apprend à éviter les gros bâtons autant qu’à les manier. Sinon ça n’a aucun intérêt. On apprend aussi à se méfier des petits bruns trop arrogants. Et on apprend à se relever aussi sec. » Je me passe la langue sur les lèvres avant de me relever d’un bond, profitant de l’occasion pour me faire un petit double salto arrière. Et je me remets en position. « Alors, tu m’attaques ? »

C’est idiot de vouloir les tenir à l’écart alors que je me sens tellement bien à leurs côtés. Mais j’ai besoin de prouver que je peux y arriver par moi-même, que j’en suis capable toute seule, même si je suis petite, même si je suis une femme, même s’il n’y a que moi au final que je dois convaincre. Enfin ça, c’est loin d’être vrai, mais je me dis qu’eux quand même savent et ont suffisamment confiance en moi et en mes capacités. Et ça fait un bien fou. J’arrive presque à en oublier tout ce qui ne va pas, et il parvient à me faire sourire, à me faire rire, comme avant. Même si c’est un idiot. Je lui mets une tape sur la main. « Déjà, on ne montre pas du doigt, c’est malpoli. De deux, on est tous un peu maso, ce serait bien que tu l’acceptes. De trois, je dois avouer que le nombre de mecs venant me conter fleurette sous mon balcon est impressionnant. La rançon de la gloire je suppose. Heureusement que je sais garder la tête froide. » Comme si j’avais vraiment eu des petits copains ces dernières années. Quant à être moins chiant que lui, je sais pas si c’est facile ou pas. J’incline la tête. « A ton service. »

Et sans trop savoir comment, je me mets à réfléchir presque sérieusement à… une coloc. Alors que je sais qu’ils me rendront folles. Mais ce sont les deux dernières personnes, encore présentes, qui me connaissent vraiment et… c’est la famille non ? Ce qui m’empêche pas de froncer les sourcils en lui jetant un regard peu amène. « J’ai pas besoin d’aide pour ça. » Mais je travaille toute seule. Je sais, j’ai jamais prétendu que c’était le truc le plus malin que je faisais, mais c’est comme ça. Je hoche la tête quand il confirme ce que je viens de dire, même si je fronce toujours les sourcils. « Je bosse sur quelques trucs, faut que je vois et fasse des listes, j’aurais peut-être… besoin de vous. Et j’ai pas peur.  La peur te bloque et t’empêche d’avancer – et elle mène au côté obscur en plus. C’est pas mon cas. » Savoir la dépasser, s’en servir comme moteur, pour grandir et devenir plus fort, demande bien trop d’efforts pour que je le laisse dire… Et peu importe si j’ai pu dire que je m’inquiétais pour mon père ou eux, les contradictions c’est dans la tête. Mon sourcil se hausse. « Je suis endurante dans les situations qui en valent la peine. Et dis-toi que je suis aussi une idiote irrécupérable, même si je reste plus intelligente. » C’est à mon tour de ricaner.  « Effectivement, c’est fou comme vous vous ressemblez sur certains points. » Sur beaucoup même, ce qu’il accepte peut-être mieux que la comparaison à Bruce…

Je lève les yeux au ciel et je secoue la tête. La pire… Qu’est-ce qu’il faut pas entendre. Je tente de répondre, sans grand succès pour le coup, mon imagination se mettant en marche bien avant le reste. Et je lui en veux un peu, de se comporter comme ça avec moi, comme si c’était un jeu… Sauf que c’en est un. Pourquoi serait-ce autrement ? Jason en petit frère, Babs en petite sœur, la famille parfaite… Façon de parler. Et pas question que ça change, j’ai pas envie de devoir aller m’enterrer en me prenant un râteau. Alors je peux bien supporter ces échanges de piques et de répliques. « Tu as raison, je m’en voudrais de briser tous tes rêves. Et puis, il ne faut jamais dire jamais, un truc du genre. » Je lui souris, même si je dois toujours avoir les joues roses. Heureusement qu’on passe à l’entraînement.

Je l’écoute sagement, apprenant à manier les eskrimas, avant de le fixer avec un grand sourire. « Ce serait fort aimable à toi. Précise aussi où tu cogneras, ça me facilitera la vie. » Comme si… de toute façon, quoi qu’il en dise, ou fasse, il est bien plus précautionneux avec moi que ne l’était Bruce. Et si ça peut sembler cool, moi, j’aime pas. Enfin je dis ça, mais je me renfrogne sans y penser quand il parle. « Réfléchir, c’est pas forcément mal. » Et tout ça, trouver la faille, analyser l’environnement, c’est bien de la réflexion non ?... Ouais, bon, d’accord, ne pas réfléchir aux coups pour réfléchir à ça. Je grommelle avant d’avoir une moue insatisfaite. « Dis pas que je suis une excellente combattante si tu trouves que j’en suis encore à chercher où taper. J’ai pas besoin qu’on me préserve ou qu’on me ménage Dick. J’ai besoin de devenir plus forte. Et tout ça, je le sais déjà. » Et je suis loin d’être parfaite, okay, c’est noté.

Mais il essaie, de faire plus, de me pousser vraiment. Je sais que j’en suis capable. Et je refuse d’être de nouveau… insuffisante. Je veux plus être trop faible, trop fragile, pas assez entraînée, pas assez forte. Si je n’arrive pas à protéger les innocents, alors je suis inutile. Et je ne peux pas être inutile. Je peux les protéger, je dois donc le faire, c’est aussi simple que ça. Il ne tient qu’à moi de trouver ce qu’il me manque.
Je pare ses coups, sans vraiment y répondre, essayant déjà simplement de ne pas en prendre. Et il a raison, je réfléchis encore trop, me disant qu’il est vraiment plus à l’aise que moi, que je tiens peut-être mal celui de droite, que… Je grogne au premier coup, me laissant tomber au second derrière les genoux, amortissant la chute de mes bras. Et merde ! Pas le temps de râler, contre moi-même, que je me fige. Il est beaucoup trop près. Si j’écoute ce qu’il dit, la moitié de mon cerveau est concentré pour ne pas remonter mes jambes autour de lui. Dans un combat, ça pourrait passer, c’est un moyen de pression et d’attaque, mais pas là, pas avec lui, ce serait pas du tout pour me défendre là. Ça craint. Ça craint quand même moins que mes yeux rivés à ses lèvres, et à sa langue qui passe dessus, on est d’accord. Mais il semble pas l’avoir vu, le contraire eut été étonnant, et c’est tant mieux. « Les petits bruns trop arrogants, ce sont les pire. » Je me relève d’un bond, esquissant un sourire narquois devant son salto. « Et tu parlais de majorette… »

Je le fixe un instant, essayant d’analyser – malgré moi promis – son comportement durant le combat et son regard, là. Sérieux, il trouve ça fun ? Enfin, je veux dire, non, il le fait sérieusement, mais… ça lui plait plus que les autres entraînements ? Genre, il s’amuse ?
…
Cool ! C’est cool.
Je souris et puisqu’il me le demande si gentiment, j’attaque. Sans vraiment vouloir reproduire ses mouvements, parce qu’il anticiperait trop facilement, et que c’est son style, pas le mien, j’essaie de trouver un bon mélange. Sans réfléchir. Ouais, c’est difficile. Mais mêler mes mouvements à ses attaques, c’est plutôt rigolo. Je dois même pouvoir augmenter un peu le rythme. Jouer sur mes avantages. Profiter de ses points faibles et faiblesses.

Je me rapproche de lui plutôt que de parer une de ses attaques, ma jambe passant derrière la sienne, mon avant-bras poser contre lui pour le pousser, et je me retrouve à mon tour, à califourchon au-dessus de lui, l’arme en travers de sa gorge. Je lui souris, penchée vers lui. « Ne pas se reposer entièrement sur les armes, ça c’est une leçon que je connais. » Je souffle pour virer une mèche de mon front  et je me redresse, les mains posées sur son torse. « T’as de la chance, j’ai eu pitié, je t’ai pas cogné là. » J’appuie très légèrement sur ses côtes blessées et me penche à nouveau vers lui. « Encore ? »

… Okay, maintenant, relève-toi. Je déglutis et me relève sans attendre, faisant quelques pas de côtés pour m’éloigner de lui, avant  de me remettre en position.

Si Jason et moi sommes des solitaires, Babs, c’est encore pire. On sait jamais ce qu’elle fait de ses journées ou de ses nuits et, quand elle vient nous demander un coup de main, c’est qu’elle a vraiment pas d’autres options. Mais je peux le comprendre, je sais qu’elle a plus besoin de prouver sa valeur que nous. Ou que moi en tout cas. Même si j’aimerais bien pouvoir l’aider un peu plus ou, au moins, participer à ses sorties. Pas uniquement pour veiller sur elle. Comme dit Jason, ensemble, on s’en sort quand même mieux. Je lève un sourcil quand elle me tape sur la main et je l’agite en mode « blablabla » quand elle reprend la parole. « Je me disais bien que tu m’avais pas encore beaucoup sermonné aujourd’hui. Et je savais bien qu’il y avait un paquet de mecs sous ton balcon. J’espère que tu penses à les arroser régulièrement. » J’aime pas trop l’idée mais, vu comment elle est mignonne, le contraire serait surprenant, aussi pourrie soit la vie qu’on peut mener.

En tout cas, je secoue la tête quand elle continue, soufflant, avec un sourire amusé. « Ouais, ouais, on sait que t’as pas besoin de nous. Dis-toi que c’est nous qui ne pouvons pas nous passer de ta lumineuse présence. » Le pire ? C’est que oui, elle rend notre vie plus lumineuse. Je me fais quand même curieux au reste. « Oh, la grande Barbara Gordon qui aurait peut-être besoin de nous. Ca y est, je peux mourir, j’aurais tout entendu. » Et je me contente de hausser une épaule au reste, soufflant, la mine songeuse. « La peur peut aussi être un bon stimulant. Tout dépend de la façon dont on arrive à l’appréhender. Et la peur est présente partout ici Babs, il faut pas se leurrer. » J’ai surtout peur pour eux en vrai, mais si je le dis maintenant, elle va encore tenter de m’en coller une. Je me contente de lui faire un nouveau clin d’œil à son haussement de sourcils, me faisant presque attendri à l’évocation de mon insupportable … petit frère. Parce que oui, c’est ce qu’il a fini par devenir ces derniers mois. Ou en tout cas, c’est comme ça que je le considère. « Pas pour rien qu’on se met tout le temps sur la gueule. » J’ai un rire au reste. « Trop aimable. Et ne jamais dire jamais hein… » Et je la fixe quelques secondes sans rien dire, avant de me concentrer sur le reste.

L’entrainement donc. Pour ça qu’elle est là non ? Et puis, je peux pas toujours trouver des excuses pour pas l’aider à progresser. Ce serait la desservir à la longue. « Je te ferais un dessin de toi pas du tout réaliste sur lequel je ferais des petites croix, comme ça tu seras vexée en plus du reste. » Je continue de jouer avec mes eskrimas tout en parlant, avant de secouer la tête. « Il y a réfléchir et réfléchir. Le combat est instinctif et tu réfléchis sur les options pour en sortir sans avoir à tuer qui que ce soit. Tu sais très bien la nuance. » Je la toise un instant quand elle reprend, visiblement mécontente du petit rappel que je lui fais. Je m’en serais douté. « Ca fait partie de l’entrainement. Et tu es une excellente combattante, ça ne veut pas pour autant dire que tu n’as pas besoin de t’améliorer. Outre le fait que tu manques de force, je maintiens que tu réfléchis trop. Prouve-moi que tu n’as pas besoin de cette étape et promis, l’entrainement montera d’un cran. » D’autant que j’en ai besoin aussi de mon côté, même si avec Jason, je me lâche quand même bien plus.

Et je vois qu’elle arrive à parer mes coups. C’est limite à chaque fois parce qu’elle se concentre trop, qu’elle essaie trop d’analyser la situation. Elle se laisse pas porter par le combat alors, forcément, je la mets à terre sans trop de difficulté. « Je suis sûr que t’adores les petits bruns arrogants Babs, reconnais-le. » Je souffle sur une mèche de cheveux qui me barre la vue et j’ai un rire à sa répartie. « Acrobate jeune fille. Je te laisse la majorette. En position, allez. » Je lui laisse pas beaucoup de temps pour le faire et, cette fois, je suis content de voir qu’elle essaie pas de m’imiter mais de s’approprier les armes. Elle a son style sa souplesse et elle se déplace très vite. Et elle en joue. J’ai un sourire satisfait quand sa jambe passe derrière moi et qu’elle me fait tomber. Je sens le bâton contre ma pomme d’Adam alors que je reprends mon souffle, le regard pétillant. « On est d’accord. Tu peux perdre tes armes. » Mon cœur bat un peu plus vite et elle peut le sentir sous ses paumes alors que je souffle, amusé. « Ce serait de l’antijeu. Et ça mettrait fin directement à l’entrainement. Ce serait dommage non ? » J’ai quand même une grimace juste quand elle appuie dessus. C’est pas gagné hein. Pour autant, je me relève d’un bond et je joue un instant avec les eskrimas avant d’esquisser un sourire satisfait. « On accélère Babs. J’espère que t’es vraiment endurante. » Et les bâtons s’entrechoquent, alors qu’en effet, j’accélère vraiment le mouvement. Je tape pas encore vraiment de toutes mes forces, attendant de voir comment elle joue, comment elle pare les attaques. Un simple moment d’inattention lui vaut un coup de bâton sur le sommet du crâne et je continue, la faisant tomber à plusieurs reprises et me repositionnant à chaque fois qu’elle se remet sur les pieds. Vrai qu’elle est motivée, je peux pas lui retirer ça. Et elle se débrouille bien. Alors, peut-être que ouais, je commence à mettre un peu plus de force dans mes coups.

A ma place. Vous savez, le truc qui m’a toujours un peu manqué, alors que j’étais trop intelligente, trop têtue, pas assez grande, pas assez fille, trop fille, trop sérieuse, trop curieuse … Être ado, ça craint. Être ado, en étant fille de commissaire, une mémoire eidétique et d’autres trucs aussi chouette, c’est pire. Mais avec eux, y a jamais eu tout ça. Peut-être au tout début, mais… Je me sens à ma place. Que ce soit avec Batman, Alfred, Dick ou Jason. Aucun d’eux ne m’a jamais jugé, ils m’ont tous accepté pour ce que je suis. Ce qui ne m’empêche pas de garder les bonnes vieilles habitudes, mais… c’est cool. Je lui tire la langue, donnant une nouvelle tape sur sa main « blablabla », et je lui souris. « Parce que t’avais pas encore beaucoup parlé ça. Et c’était donc ça le secret. J’essayerais avec les prochains. »

Je  lève les yeux au ciel. « C’est pas ce que j’ai dit. Je sais que je suis pas seule, c’est tout. Tout comme je sais que vous avez besoin de moi, c’est indubitable. » Et mon sourire aussi lumineux que ma présence se transforme en simili grimace, et je le pince pour le principe. « Et après, tu viens te plaindre que je demande jamais d’aide, demande-toi pourquoi. Pour la peine je te dirais rien pour le moment. Na. » Non mais. « D’accord, la peur comme la colère peuvent permettre d’avancer et de devenir plus fort. Tant que tu te laisses pas dévorer. » Et ça, eux là, ils sont plutôt pas très doués pour ça, la colère et la rancune, ils en connaissent un rayon les trois. Ouais, je sais, je peux pas vraiment comprendre, je ne suis pas orpheline, on me l’a déjà sorti, merci bien. J’ai un nouveau sourire alors qu’on parle de Jason. « Ouais, sans doute. Avoir des caractères de merde doit pas aider à vivre ensemble… T’es sûr de vouloir me convaincre de vivre avec vous ? » Je lui fais un clin d’œil à mon tour, me retenant de cligner des yeux trop rapidement quand il me fixe en silence.

« Je me vexerai pas pour si peu, je t’ai déjà vu dessiner. Pour le jeu, tu te souviens ? L’éléphant ? On aurait dit un teckel. Tes chats ? Des patates avec des fils. Mais je note l’intention… plus ou moins sympa donc. » Je me mords l’intérieur des jours quand il continue, réussissant tant bien que mal à me vexer un peu malgré tout. J’ai saisi la nuance, mais c’est pas évident pour moi. Je le fixe un instant, la mine butée, avant de vaguement hocher la tête. « On peut toujours s’améliorer oui, mais… Ouais. Je réfléchis moins, tu m’entraînes pour de vrai. C’est noté. » Il m’entraîne déjà, presque pour de vrai. Mais… Non, je suis pas contente, et alors ? Qu’il ait raison ou non, c’est pas le sujet…
Et merde.

Il a raison. Mais qu’il s’en serve pas comme excuse pour me sortir qu’il a jamais vraiment poussé l’entraînement à cause de ça ! Parce que justement, mine de rien, je réfléchis moins quand je me bats contre Jason, vu que lui ne retient rien, j’ai pas le temps. Le chat qui se mord la queue ouais. Mais c’est mieux là non ? Ou pas.

Je plisse les yeux. « C'est mal de mentir, on te l'a jamais dit ? » Je n'adore pas les petits bruns arrogants... Un c'est déjà de trop... Mon sourire se fait narquois. « Je ne vois pas vraiment de différence entre les deux. » Je ne réponds que pour le principe, le combat reprenant presque aussitôt. Et je sais que je me défends pas mal. Je le vois à son attitude, et à son satané sourire. C'est la première fois depuis longtemps que je le vois autant s'amuser pendant un entraînement, avec moi du moins, peut-être qu'avec Jason, c'est tout le temps comme ça, allez savoir. « Que dalle Grayson. Frapper l'adversaire à un endroit fragile, c'est la base. Tu as juste de la chance que je sois gentille. » Et qu'il ait sacrément mal. Pas au point d'être, encore une fois, trop sympa avec moi. Mais ça n'a pas l'air. Je fais jouer les muscles de mon cou, me remettant en position, et j'ai un sourire un tantinet plus agressif. « J'espère que tu l'es aussi. »

Et il accélère. Vraiment. Mais ça va, je parviens à suivre. À 95%. Je grogne quand il me fait tomber, ne cherchant même plus à plaisanter et me relevant aussi vite pour enchaîner. Encore et encore. Je commence à avoir mal aux bras, bien qu'ayant l'habitude de m'entraîner des heures, le poids des eskrimas est une donnée que je n'avais pas prise en compte. Mais peu importe, entraînement ou non, ce n'est qu'une information, je sais en faire abstraction. Je recule alors que ses coups deviennent un peu plus forts, mais j'y retourne, encore, toujours, essayant d'accélérer encore de mon côté. Et s'il ne se retient plus, ou presque plus, j'essaie d'y aller plus fort aussi. Et plus rapidement surtout. Je sais que je peux être plus rapide que lui. Le faire tomber. Juste le faire tomber alors qu'il semble vraiment combattre.

Peu importe le nombre de fois où je suis tombée, où il a réussi à me toucher – j'ai aussi réussi à le toucher je tiens à le dire – si je le fais tomber alors qu'il se bat vraiment, c'est que je peux être aussi forte que lui. Pas vrai ?

Ca fait du bien des fois. De déconner comme ça avec elle. J’en ai bien plus besoin que ce que je serais prêt à reconnaître, on va pas se leurrer. Mais sans elle, sans eux, ça n’en vaudrait pas la peine. Ils me rappellent à quoi ressemblaient notre vie avant et, surtout, que tout espoir n’est pas perdu. Même s’il m’arrive de douter très souvent. Trop souvent même. Et de fatiguer. Je parle même pas du fait que je me sens tout sauf à la hauteur de l’héritage que Batman nous a laissés. Et j’avoue qu’une partie de moi a peur de le voir revenir pour ça. Parce qu’il verrait qu’on a pas été à la hauteur. Surtout moi. Mais, au moins, dans des moments pareils, j’oublie tout ça, même si ça dure pas. Et j’ai un sourire amusé à ses réactions, comme si tout était normal. « J’me disais bien qu’il y avait une arnaque. Et je t’offrirais un arrosoir pour Noël alors. » Même si c’est mieux qu’elle ait personne d’autre que nous dans sa vie. Enfin non, c’est pas mieux mais… bref… On oublie.

Et je secoue la tête au reste, non sans lui taper sur la main quand elle me passe. « Arrête, tu sais très bien que je dis la vérité ! Tu me raconteras quand t’arrêteras de faire ta vexée donc. » Je me fais plus sérieux, avant d’ajouter à mi-voix. « C’est difficile parfois. Faut surtout essayer de pas oublier qu’il n’y a pas que ça dans la vie. » Et heureusement qu’ils sont là pour m’y aider. « Je sais pas ce que je ferais s’il était pas là alors, caractère de merde ou pas, je vais pas m’en plaindre. » Je croise les bras quand elle continue, toisant cette mini-tornade rousse avant de laisser filer un « tsssst », levant les yeux au ciel et tout. « Tant de médisance sur mes talents artistiques. Cet éléphant était très bien, Jace l’a reconnu et on a gagné. C’est tout ce qui compte, non ? » Sa mine butée m’arrache forcément un sourire plus large et je reprends, le regard pétillant. « C’est l’idée ouais. Je te dis pas de pas arrêter de réfléchir. Juste de te laisser porter. Tu sais tout analyser, tu fais ça mieux que nous petit génie. Mais tu essaies toujours de trop en savoir. Et ça peut te porter préjudice. Tu vois ce que je veux dire ? »

En tout cas, elle a l’air de prendre ce que je dis au sérieux et les premiers coups qu’on échange sont un cran au-dessus de ce qu’on peut faire habituellement. Je peux pas y aller à fond vu que j’ai encore suffisamment mal pour éviter les trop grosses conneries et que j’ai pas assez d’antidouleurs pour tenir le choc si je prends un vrai coup. Mais, à mesure que passent les secondes, je commence à oublier ma retenue habituelle. Et je crois qu’elle s’en rend rapidement compte. « Mentir ? Quand ça ? » Mon regard pétille de plus belle à son sourire narquois et je hausse une épaule nonchalante avant de reprendre, toujours sur le même ton amusé. « Ca n’a rien à voir. Je fais pas des moulinets avec mes jambes moi madame. » Et si la position dans laquelle on se retrouve aurait pu me donner des idées, avec elle je sais que c’est même pas la peine d’y penser. « Toi qui vois si tu veux qu’on arrête l’entrainement comme ça. Avec une victoire basée sur la triche. » Je lève un sourcil quand elle se remet en position et j’ajoute, toujours sur le même ton. « T’as pas idée Babs. »

J’oublie de nouveau la douleur quand on reprend. Si je mesure encore mes coups, autant pour moi que pour elle, je n’hésite plus à la frapper, à la viser réellement. Elle en esquive pas mal et je suis plutôt content. Et elle arrive à me toucher plusieurs fois, même si elle finit plus souvent les fesses par terre qu’elle le voudrait. Je manque de tomber une fois, puis une deuxième et je la fixe avec plus d’intensité. C’est qu’elle se débrouille plutôt bien, même si clairement, le poids des eskrimas commence à lui peser. Et si elle est toujours aussi rapide, ses coups le sont un peu moins. J’esquive l’un d’eux en me pliant en deux avant de glisser derrière elle, relâchant l’un de mes deux bâtons pour la bloquer contre moi avec celui que je tiens à deux mains. Ses bras sont bloqués et le haut de son corps également, alors que je presse le bâton sur elle de bas en haut, en diagonale. Avant que je souffle, tout contre son oreille, avec un sourire narquois. « Alors, on a des petits bras faiblards Babs ? Comment tu t’en sors là ? » Je suis essoufflé, plus que je l’aurais cru au début de l’exercice. Et peut-être que ouais, je m’amuse.

Je lève les yeux au ciel quand il parle d’arnaque, mon sourire ne s’en faisant que plus grand alors que je souffle un rire. Je sais que c’est compliqué, qu’on peut avoir l’impression que rien ne s’arrange, bien au contraire, que lui en plus se sent comme obligé de porter le poids du monde, qu’on ne se dit pas forcément tout pour ne pas inquiéter outre mesure – et je parle pas de ce que je peux éventuellement ressentir pour lui – mais ça fait d’autant plus de bien de pouvoir continuer de parler de tout et de rien. De pouvoir sourire et rire avec lui. C’est chouette.

Je secoue lentement la tête. « Non, tu as tort. Et je suis pas vexée. Et je dois réfléchir et faire une liste précise, ça sert à rien d’en parler maintenant. » C’est pas de la vexation… Seulement oui, j’aime bien travailler seule, ce qui ne veut pas dire que je suis toujours seule… Hum… Ouais, je sais, moi aussi, je peux lui ressembler sur certains points. Je lui tape gentiment sur le haut du bras de mon poing fermé. « C’est pour ça qu’on est là. Pour amener joie et paillettes dans la vie des autres. » Et je tâche d’ignorer cette petite déception en l’entendant. On parlait de Jason, tu t’attendais à quoi ? Et puis, ils sont frangins, tu fais pas le poids gamine. Je souris néanmoins à la suite. « Parce qu’il est aussi nul que toi ! Ou plus probablement parce que vous avez triché, mais on va pas revenir sur les sujets qui fâchent. » Et si pour dessiner, un gosse de 3 ans ferait mieux, pour taper là où ça fait mal par contre, il se démerde bien. Et c’est pas son regard qui s’illumine qui va me faire changer d’avis. « J’essaie pas de… C’est bien aussi d’observer et d’analyser, de pas foncer dans le tas comme des bourrins sans cervelle… Et m’appelle pas comme ça. » Difficile de vraiment construire un argumentaire étant donné qu’il a raison, et qu’il le sait, et qu’il me connaît. Je pourrais être d’hyper mauvaise foi, mais ça nous avancerait pas beaucoup, et comme il dit ça pour moi, pour m’aider, on va éviter pour le moment.

Et puis surtout, je l’écoute, et pour une fois, il semble disposer à vraiment s’entraîner avec moi. Malgré ses côtes, au fur et à mesure, il oublie les limites qu’il semble se poser à chaque fois avec moi. Et pour une fois, il semble s’amuser pour de bon. Ouais, les deux devraient pas être liés, mais il est bizarre. Quoique je suis pas sûre qu’avec Jason ce soit de l’amusement comme ça, c’est plus de la compétition et à celui qui aura la plus grosse. Bref. J’ai un sourire en coin et mon sourcil se hausse. « Rien à voir tu parles. On met des pompoms au bout de tes eskrimas et le déguisement sera parfait ! » Mon sourire s’agrandit, dire des conneries m’aident un peu, non pas à lui tenir tête au combat, mais à pas m’appesantir sur une proximité trop gênante. « Ce serait pas de la triche. Mais t’as raison, je veux pas me servir de tes faiblesses tellement apparentes qu’on dirait que t’as une cible peinte sur les côtes. » J’exagère à peine. Mon sourire s’agrandit. « Mais je gagnerais. » Ou pas, peu importe au final.

Même si, d’accoooord, mon amour-propre et moi-même aimerions vraiment réussir à le battre. J’oublie un peu tout ce qui nous entoure, et les échanges se font plus rapides et plus brutaux. Je chute un peu trop pour ne pas grommeler intérieurement, mais ça ne me motive que davantage à le faire tomber lui. Et j’y arrive presque, deux fois. Tout est dans le presque. Le bon côté, c’est que j’ai pigé le truc, que je connais sa façon de combattre, ses contre-attaques et ses esquives. C’est pas ma faute, je fais pas exprès, mon cerveau me balance juste mille infos à la seconde sur ses précédents combats et sa façon d’agir, j’y peux rien. Dans un sens, c’est de sa faute. D’habitude, je cloisonne tout pour ne pas devenir folle. Là, je suis tellement concentrée sur lui que les données affluent toutes seules. Il suffirait d’un rien pour que j’y arrive. Sauf que je suis pas habituée à combattre avec des eskrimas, alors que lui oui. Et ça se ressent. Je le vois. Et si je le vois, il le voit aussi.

Et évidemment il en profite. Le contraire aurait été aussi étonnant que décevant. A sa place, je n’aurais pas lâché de bâton, même  en pensant avoir gagné, mais peut-être qu’il me sous-estime encore un peu. Ouais, c’est vexant malgré tout. Ou il a peut-être juste de trop petites mains pour tenir les deux. Je ricane à cette pensée et tourne un peu la tête vers lui. Trop près, bien trop près. « Heureusement que je n’ai pas que mes petits bras alors. » Sans même avoir fini ma phrase, je me penche en avant, genoux pliés, basculant mon centre de gravité, et le sien s’il ne veut pas me lâcher donc, ce qui me fait également gagner un peu de liberté. Et promis, c’est pas pour profiter de ses faiblesses, mais mes réflexes ont pris le dessus. Je lui donne des coups de coudes dans les côtes, le forçant à s’écarter ne serait-ce qu’un peu de moi.
Mais je ne suis pas idiote au point d’attendre qu’il me lâche totalement, ou pire au point de lui laisser le temps de vraiment réagir. Je passe sous son bras, restant agrippée à lui, et je le frappe derrière les genoux, assez fort pour le faire tituber. Je souris et, tenant toujours son bras, je le pousse de mon autre main, de façon à le faire basculer en arrière.

Ce qu’il fait. Plus ou moins.
Il est vachement blanc là quand même non ?

Autant, je peux dire que Jason est comme mon petit frère. Je le considère comme ça, même si c’était pas gagné il y a deux ans. Outre le fait que j’ai moyennement aimé qu’il prenne ma place, quand bien même je l’avais lâchée, j’étais potentiellement un peu… jaloux ouais. Mais tout ça a été balayé avec la disparition de Bruce. Et le lien qui s’est tissé entre nous est aussi fraternel que s’il était mon frère de sang. Mais Babs c’est… autre chose. C’est pas une sœur, ou alors ce serait vachement glauque. C’est pas ma meilleure amie non plus, même si elle est ce qui y ressemble le plus. C’est… Babs.

… enfin bref.

Je chasse ces pensées de mon esprit, me focalisant sur le moment présent tant bien mal avant de lever les yeux au ciel. « J’ai raison, ça ira plus vite pour toi si tu le reconnais tu sais. » Elle fonctionne comme ça depuis que je la connais. Faut dire qu’elle est tellement plus intelligente que tous les gens que je connais que, forcément, elle a une façon de faire rien qu’à elle. Même si oui, je peux lui reconnaitre que depuis quelques mois, elle fait des efforts pour nous. « On triche pas madame, c’est le talent, c’est tout. » Et je croise les bras, la mine narquoise, alors qu’elle s’empêtre dans des justifications foireuses. « T’es un petit génie, pourquoi je t’appellerais pas comme ça ? » Okay, sur certains domaines, je suis pas en reste et je me débrouille même mieux qu’elle. Mais ça reste elle le cerveau quand même.

Et je commence à lui expliquer comment manier les eskrimas. C’est pas aussi simple qu’il n’y parait, que ce soit pour ajuster sa posture ou pour devoir gérer leur poids quand on se bat. Mais elle écoute, répète les gestes et s’avère être une bonne élève, même si j’avais aucun doute à ce propos. C’est plutôt moi qui rechigne à la cogner, allez savoir pourquoi. Faut dire que ouais, en coller une à Jace, c’est plus drôle. « Hors de question de mettre des pompons sur mes bâtons non mais. » Je lève un sourcil au reste avant de souffler, d’un ton plus sérieux. « Ca se voit tant que ça pour les côtes ? » En vrai, si ça doit être aussi handicapant qu’elle semble le dire, va falloir que je songe à me calmer un peu, au moins quelques jours, le temps que ça soit… moins pire. Ou un truc du genre.

Je m’amuse, autant le reconnaitre. Parce qu’elle se débrouille plutôt bien, que je peux accélérer la cadence et que ça me permet de m’entrainer moi aussi. Je commence à être bien échauffé là, alors que je la coince, attendant de voir comment elle va se tirer de là. Sauf que, manque de bol, elle décide de viser là où ça fait mal. Et c’est pas une figure de style. Quand je sens ses coudes effleurer puis frapper mes côtes, mon souffle s’arrête brusquement alors que la douleur irradie dans tous les sens. Je relâche mon étreinte, les yeux un peu écarquillés, sans même faire attention quand elle me frappe derrière les genoux. De toute façon, j’étais déjà sur le point de flancher de me retrouver par terre. Je fais quelques pas en arrière avant de me laisser tomber, les deux mains sur les côtes, essayant de reprendre mon souffle, sans succès. J’arrive tout juste à souffler un « fin de l’entrainement. » avec difficulté et d’une voix étouffée, une de mes mains s’appuyant au sol pour éviter que je m’effondre totalement. Bordel, ça fait encore plus mal que je le pensais.

Etre ici, être avec lui me fait plus de bien que je ne voudrais le reconnaître. Je suis bien consciente de ce qu’il représente pour moi, lui plus que quiconque, mais ce n’est pas pour autant que je l’accepte totalement. Pas comme si cela avait la moindre importance de toute manière. On s’entend bien, on passe de supers moments ensemble, il représente ma famille, avec papa et Jason. J’adore discuter avec lui, il s’est jamais senti obligé de tenter de se montrer plus malin parce que je ne suis qu’une fille – comme quoi il n’est pas si idiot que ce qu’il peut sembler, il tient compte de mon avis et de mes idées, on arrive à parler de tout et de rien, de trucs idiots comme de trucs importants, avec la même facilité, et il m’aide à… évoluer, à m’améliorer, à avancer. Tout comme le font, le faisaient, Bruce et mon père. Mais, du coup, tout comme avec eux, c’est pas toujours évident. Parce qu’il connaît aussi bien mes faiblesses que mes défauts, quand bien même j’essaie de m’en défendre. Je fronce les sourcils. « Parce que ça ne me définit pas pour autant. Et que ça sonne pas comme un compliment. » C’était jamais sympa quand on m’appelait comme ça. Même si venant de lui…  

Même si lui essaie de m’aider, comme toujours. Enfin, même plus que d’habitude à ce niveau-là. Et si j’écoute on ne peut plus sérieusement et que je m’applique à apprendre à combattre avec les eskrimas, je souffle un léger rire avant de secouer la tête. Note à moi-même : penser à trouver des pompoms fluos. Le reste me fait un peu grimacer, mais je l’observe et hausse une épaule. « Je sais comment tu combats normalement. Là, tu déportes sensiblement ton poids, et tes mouvements du côté droit sont un tantinet plus lents et plus laborieux… ça se voit pas tant que ça non… moi je le vois parce que je te connais et… » Il pourrait faire illusion, mais… « Faut que tu fasses attention le temps que ça aille mieux, okay ? »

Fais ce que je dis, pas ce que je fais. J’aimerais bien dire que j’y suis pour rien, mais je suis totalement responsable. Ou au moins à moitié, vu que lui aussi combattait jusque-là avec de moins en moins de retenue. Et c’était super cool ! Ça fait longtemps que je m’étais pas autant amusée et que j’avais pas dû repousser autant mes limites. C’est bien pour ça que les réflexes ont pris le dessus, tapant là où ça fait mal pour pouvoir me libérer et agir.
Évidemment, le voir chuter comme ça, livide et le visage crispé de douleur, me ramène bien vite sur terre. J’écarquille les yeux, lâchant les eskrimas pour m’agenouiller à côté de lui.

« Merdemerdemerde » Soufflant pour moi-même, je passe une main sur son front pour repousser ses cheveux et j’essaie de capter son regard. Il est toujours conscient, c’est plutôt bien non ? « Je suis désolée Dick, je… Je voulais pas… » Je me déplace un peu, me plaçant derrière lui, et je l’attire doucement vers moi, pour qu’il se repose contre moi. Je cale sa tête sur mes jambes et le dévisage d’un air inquiet, une main se posant sur son poignet pour prendre son pouls tandis que l’autre effleure son front. Je sais qu’il est pas en sucre et qu’il a encaissé pire. Mais c’était pas à cause de moi ! Et si j’ai aggravé ses blessures ? « T’as vu, j’arrive à m’en sortir… » Je tente de sourire avec cette veine tentative d’humour, et je me penche pour poser mes lèvres sur son front. « Je suis désolée. Repose-toi. Je… J’irai chercher à manger et des médocs quand tu auras récupéré un peu. Ça va aller. »

Bravo Gordon. C’est pas vraiment ce que j’avais en tête quand je m’imaginais le prendre dans mes bras.  

Je la fixe avec une certaine curiosité. Marrant comme elle aime pas que je l’appelle comme ça. Je sais pas si c’est juste moi ou si c’est en général. Pourtant, c’est une bonne chose d’être un petit génie. Enfin moins quand on a plus vraiment de technologie sous le coude, mais c’est temporaire. Et un détail au final. J’ai une ombre de sourire quand elle fronce les sourcils, me contentant de souffler, sans trop chercher à argumenter. « C’en est un pourtant. Et ça te définit en partie. »

J’apprécie moyennement le reste et je grimace quand elle me confirme que ça se voit pour mes côtes. Avant de laisser filer un rire sans joie. « Faire attention ? C’est un luxe qu’on peut pas trop se permettre Babs. Tu vas me demander de prendre quelques jours de repos aussi ? » Et j’essaie quand même de me faire un brin plus sérieux alors que j’accroche ses yeux. « Ca va aller, okay ? » Ou pas, mais je préfère essayer de voir le verre à moitié plein. C’était mon genre ça avant. D’être toujours optimiste et plein de joie de vivre. Un truc du genre. Ca m’aidait à tenir quand j’avais des coups de mou. Sauf que là, plus ça va et plus trouver des raisons d’être positif s’étiolent. Et si je tiens, c’est juste pour eux. Jason a beau soutenir mordicus que Bruce va revenir, j’y crois plus vraiment. Et j’ignore le nœud dans l’estomac que ça me fait à chaque fois que j’y pense. Pas comme si je pouvais y faire quoi que ce soit de toute façon.

Et j’aurais dû le savoir qu’à un moment, ça allait déraper. Même si ouais, une part de moi aurait préféré que ça dérape autrement. Cette part de moi que j’ignore toujours joyeusement, quoi qu’il se passe. Et c’était marrant. Le début en tout cas. Je crois que je m’étais encore jamais lâché comme ça en m’entrainant avec elle. Sauf que j’ai oublié à qui j’avais à faire. Et ses fichus réflexes prennent le pas sur le reste alors que, de mon côté, je vois plein de petits noirs pendant que je m’écroule comme un sac de patates. Je lève une main dans sa direction quand elle s’agenouille près de moi, soufflant vaguement un « ça va… » pas du tout crédible.

J’avoue que je reste un peu con quand elle m’attire vers elle-même si, au bout d’une demie-seconde, je finis par laisser reposer ma tête contre ses jambes avec un soupir. Et je ferme les yeux quelques instants, reprenant tant bien que mal le contrôle de ma respiration. « Ouais, tu te débrouilles pas si mal… » J’essaie de pas rire, ça va me faire encore plus mal. Et j’ai un temps d’arrêt quand elle m’embrasse sur le front. « Je m’attendais à autre chose niveau baiser passionné de fin de combat. » Sans que je fasse vraiment gaffe, j’ai attrapé sa main et je serre ses doigts doucement. « Laisse-moi juste souffler deux minutes avant de parler de manger ou je sais pas quoi, d’accord ? Ca va aller. » Pas comme si j’avais déjà vécu bien pire. Et puis, je suis pas si mal là, installé sur ses genoux. D’autant plus que, pour une fois, j’écoute cette petite voix qui me souffle que je serais jamais seul en étant à terre. Même si c’est la personne qui vient de me mettre KO. Mais après tout, c’est Babs. Et à cette pensée, je serre sa main un peu plus fort avec un sourire. On verra plus tard pour le reste.