Angel of Death, Mirror of your soul. Nice to meet you. [Intrigue I - Terminé]

La lune est pleine. La nuit est d’encre, pourtant, car les nuages noirs s’amoncellent au dessus de Gotham. Entrer dans l’appartement de Michelle Pfeiffer n’est pas très compliqué. J’ai fait mes devoirs, les jours précédant l’opération. J’ai vu ses allées et venues. Son travail comme infirmière. Elle fait ce qu’elle peut pour survivre, Michelle. Elle pleure beaucoup aussi. Depuis ce funeste jour de septembre il y a plus d’un an, où elle se trouvait dans le gratte-ciel sur lequel mon équipe et moi avions été déposés pour reprendre le contrôle des armes de destruction massives contrôlées par Bane. Pas de chance pour elle, ni pour tous ceux qui se trouvaient dans l’hélicoptère abattu par un tir de RPG depuis un autre toit non loin. Son mari était mort sur le coup. Chef d’une grande entreprise dans la médecine de pointe, il était au dernier étage de celle-ci à donner ses adieux et derniers conseils au personnel devant la fermeture imminente de tout ce qui restait comme entreprises dans une ville aux mains du chaos. L’hélicoptère descendu en flammes avait tué de nombreuses personnes ce jour-là; les deux pilotes, l’équipage d’une douzaine de francs-tireurs de la team 2 de la Task Force X, une trentaine d’employés et encore au moins quatre personnes une fois que la carcasse, chutant au travers des trois étages les plus hauts, avait traversé les baies vitrées pour se retrouver trente-deux étages plus bas.


Michelle n’était pas morte, elle. Elle avait mis des semaines à reparler aux gens qui l’entouraient, après avoir été aspergée des restes de ses collègues et amis ventilés par des centaines de tonnes de bétons, de bureaux fracassés et d’acier de l’hélicoptère. Un putain de vrai miracle. Et comme tous les miracles coûteux en vies humaines, elle déprimait, survivait au jour le jour. La retrouver avait été difficile ; elle ne souhaitait pas qu’on la relie à ce passé. Les anciens privilégiés de ce monde, ceux qui avaient eu de l’argent, avaient pour la plupart dû céder leurs biens. Il ne faisait pas bon être un ancien dominant le jour où les dominés et les fous pouvaient prendre leur revanche… Mais j’étais officier des renseignements. Je savais m’y prendre. Au courant des allées et venues de Michelle, j’avais surpris plusieurs crises de larmes et de désespoir, et vu aux jumelles depuis le toit voisin dans quelle torpeur elle se plongeait pour faire cesser sa douleur, avec sa perfusion maison d’opiacés.


Je savais ce que ressentait Michelle. Moi aussi j’étais un « miraculé », ou un « maudit », cela dépendait qui vous interrogiez en tout premier lieu. J’étais entré par la fenêtre, qui n’était pas verrouillée de l’intérieur. Je l’avais vu galérer à la fermer. Descendre en rappel depuis le toit mis mes bras et mon bassin à contribution mais j’y arrivais en moins de deux minutes. Mon ombre ne réveillerait personne ; treillis noir, pare-balle de même couleur, protection tout aussi sombres et masque de miroir doublé d’une cagoule dessous. Armes sur chaque cuisse. Ouvrir la fenêtre n’en prit pas plus d’une avec un tournevis passé dans la glissière qui contrôlait -quand elle fonctionnait encore- l’ouverture en mode oscillo-battant. Je me glissais dans la petite cuisine… Et m’apprêtais à entrer dans la chambre. Quand je sentis quelque chose, dans mon dos. Une présence.


Ce n’était pas Michelle.


| Je ne suis pas là pour toi, qui que tu sois. Laisse-moi faire ce pour quoi je suis venu. | disais-je à haute voix, Michelle déjà dans le pays des songes et de l’opium dans la pièce d’à côté.


Je ne m’étais pas retourné, mais avait déclipsé les fermetures de mon holster cuisse droite et du fourreau cuisse gauche.

Cela fait des semaines, voire des mois je ne sais pas trop, j’ai perdu le fil, que j’étudie les différents cas et que j’essaie d’analyser les dossiers… Enfin, si l’on peut dire, vu qu’il n’y a évidemment plus aucune enquête et que les dossiers n’en ont que le nom. Et il y a eu tellement de morts et de disparitions ces deux dernières années que parvenir à trouver des points communs ou un schéma, et à déduire quelque chose relève du miracle. Pourtant j’essaie. Pas seulement dans cette affaire, mais en général. Pour que quelque chose soit fait, pour que les meurtres ne restent pas impunis et que les meurtriers soient arrêtés… Parce que je ne peux pas passer outre tout simplement.
Je sais bien que c’est devenu un peu illusoire, que la justice n’existe plus et qu’à défaut d’accomplir soi-même la peine, aucune sentence ne tombera réellement. Et je refuse de me faire bourreau. Quelle que soit la situation, ce n’est pas à nous de punir et de châtier. Là-dessus au moins, mon père et Batman ont toujours été d’accord. Et j’ai été trop bien éduqué par les deux pour les contredire à ce sujet. Même si je n’ai pas de solution à proposer pour rattraper cet état de fait, je ne peux pas faire autrement que de suivre mon propre code moral, dont le meurtre est donc un point de non retour. Même si c’est devenu encore plus compliqué maintenant.

Mais je ne suis pas la fille de Gordon, ni l’élève de Batman pour rien. Et à force de chercher, d’interroger, de fouiller, j’ai fini par trouver quelques cas différents. Des personnes abattues de sang froid, proprement, comme lors d’un contrat. Sauf qu’elles n’avaient aucun lien, ni avec aucun boss, ni entre elles. Aucun point commun. Enfin si, un. Que j’aurais pu remarquer bien plus tôt si j’avais eu un accès à internet ou de véritables résultats d’enquêtes sous la main. Mais j’ai appris à faire sans, j’ai bricolé mon truc, bien loin d’être au point ou d’avoir un réseau, même si j’essaie régulièrement, et au moins, je peux compiler, étudier et analyser les différentes données que j’obtiens et que je rentre dans la bécane.

Des survivants. Ces victimes sont toutes des survivantes, d’accidents principalement, qui ont coûté la vie à leur famille, amis, entourage. Des personnes qui ont perdu tout ce qui leur était cher. Des personnes qui ont survécu à quelque chose de dramatique. Des personnes abattues sans souffrance, de façon professionnelle.

Et je ne comprends pas.
Ces gens ont déjà tout perdu et essaient tant bien que mal de se remettre, pourquoi ?
J’aurais bien demandé qui, mais je crois avoir la réponse sous les yeux. Ombre parmi les ombres, encore plus déguisée que moi c’est dire. Et à part dire qu’il s’agit d’un homme, faisant peu ou prou la taille et la carrure de Dick, je suis incapable d’en dire davantage. Mais je ne me suis pas trompée concernant sa future cible… C’est bien. Je crois. Enfin oui, c’est une excellente chose.

Je le suis, descendant souplement à sa suite alors qu’il entre dans l’appartement. Silencieuse, accroupie sur le rebord de la fenêtre, je fixe son dos et hausse un sourcil quand il prend la parole. Bon, au moins, j’ai vu juste, c’est un professionnel.

« Je suis justement là pour vous empêcher de le faire…  » Je hausse une épaule. Je fixe son dos, ses épaules, essayant d’anticiper ses réactions sous cette tonne d’équipement. Je fronce néanmoins un peu les sourcils, soufflant un ton plus bas, comme pour moi-même. « Et parce que j’aimerais comprendre. »

La présence… Je l’imaginais dans la pièce, arrivée avant moi. Mais en me retournant, je saisis que j’ai été suivi. En rappel. Il s’agit d’une jeune femme. Masquée. Dans une tenue que je ne reconnais pas. Sombre. C’est peut être pour cela que je l’ai manquée. L’embuscade est réelle. Mais le danger moindre ; j’aurais été bien plus en danger si nos positions avaient été inversées, si plutôt qu’être suivi cette personne m’avait attendu sur place. Le rappel peut être sécurisé avec un bon matériel et le mien ne l’était plus, même si j’essayais de compenser sa vétusté par un bon entretien. Se prendre des coups avant d’abord pu poser pied sur le sol, ou pire se faire tirer dessus, m’aurait condamné à devoir lutter pendu par un câble qui ne tenait pas plus de deux cent kilos de torsion, ce qui était assez peu entre mon poids, celui de ma tenue et de mes équipements, et surtout la tension que des gestes de bagarre et de défense pourrait provoquer sur le câble. Je ne respirais pas plus sereinement toutefois, car il me semblait assez clair que je pouvais tout de même être mal embarqué. Ma voie de repli restait occupée par un tiers, un tiers équipé. Difficile d’évaluer les qualités et caractéristiques de sa tenue, mais si elle venait là, si elle savait qui j’étais, alors elle devait savoir se battre.


A moins d’être totalement inconsciente.


Je me retourne donc lentement pour lui faire face. Et sa voix me dit qu’elle est venue m’empêcher de tuer ma cible. Pourquoi faut-il, même encore aujourd’hui, que des gens se prennent pour des héros en herbe ? Tout ce qu’ils vont y gagner, c’est souffrir. Et pas qu’un peu. La jaugeant du regard, je note immédiatement l’agilité qui découle de sa position, de sa posture. Mais elle est mince. Svelte, mais mince. Sa souplesse et la rapidité qui en découlera sera un danger. Mais ce sera difficile pour elle de lutter, physiquement. Je reste prudent, mais je suis confiant.


Je tue des gens de par le monde depuis vingt ans, d’autres professionnels de la guerre, ou pas du tout.


| Rentre chez toi, petite. Il n’y a rien d’autre à comprendre que la mort réclame son dû depuis longtemps, et qu’il était temps qu’elle toque à cette porte. |


Je lui dévoile mon masque, qui doit refléter à grand peine sa posture vu le manque de lumière. Je me rapproche de l’appui de fenêtre où elle se trouve.


| Michelle est déjà morte. Avec, ou sans toi. |


En me rapprochant fatalement, son reflet grandit dans mon masque.

Alors que je l’observe, le doute s’empare de moi, une nouvelle fois. Je me suis demandée, comment m’y prendre. Si je devais l’attendre dehors ou à l’intérieur, mais je me suis dit qu’il pourrait s’enfuir si jamais il… sentait quelque chose. Ou si je ne devrais pas en parler à Dick. Arrêter les petites frappes, empêcher les agressions dans la rue, c’est facile. Mais là, avec toutes les informations que j’ai trouvées, de tout ce que j’ai appris sur sa façon de procéder, et ce que je sais des meurtres eux-mêmes, je sais bien que ce n’est pas un débutant, loin de là. Pourtant, j’ai encore une fois décidé de venir seule. Je sais, je sais. Trop d’indépendance, ou d’inconscience selon à qui on demanderait. Mais il aurait essayé de m’en dissuader. Jason serait venu, mais je refuse toujours de bosser avec lui tant qu’il continuera de jouer au plus con avec ses armes à feu. Quant aux rares autres qui sont encore là, ce n’est pas si évident de les contacter…
Et puis, si je suis vraiment sincère, c’est mon enquête, mon boulot et je voulais être certaine d’avoir raison… Et prouver que j’en suis capable.

Et j’en suis capable. J’étouffe doutes et hésitations, me postant sur la fenêtre pour lui faire face. Et si, évidemment, il est du gabarit de Bruce et de Dick, j’ai pour moi la vitesse et l’agilité. D’autant que le matos qu’il a sur le dos ne doit pas aider. Il finit par se tourner vers moi et je plisse les yeux en voyant son masque. C’est quoi ? Un miroir ? Pourquoi ? C’est nul en tout cas, non pas que je sois une pro du déchiffrage des expressions, mais ça aide un peu, même avec un masque en temps normal… Alors que là…
Quoique ça ne change pas grand-chose de son côté visiblement. Je me crispe malgré moi en l’entendant.

« La mort ? La mort entraîne déjà bien plus que son dû depuis des années maintenant. Comment fermer les yeux alors que trop d’innocents disparaissent ? » J’ai une ombre de sourire. « C’est plutôt arrogant de votre part de penser être la mort, non ? Et il vous manque la faux. »

Je me tends alors qu’il se rapproche de moi et que mon image grossit bien trop à mon goût dans ce qui s’avère bel et bien être un miroir. Je n’aurais pas le dessus s’il parvient à me coincer, et il le sait aussi bien que moi. Donc on va éviter.

D’un mouvement vif, je me redresse et agrippe l’appui de la fenêtre, me lançant pour le frapper de mes pieds. Je me réceptionne souplement sur le sol de la cuisine, me tournant de nouveau rapidement vers lui pour lui asséner de nouveaux coups de pieds, visant ses genoux autant que son visage et son cou.

Elle est là, devant moi. Et elle ne semble pas vouloir partir. Je soutiens son regard sous son masque. Une jeune femme. Qui est-elle, et que fait-elle là ? Enfin, elle est évidemment là pour m’arrêter. Mais pourquoi ? Pourquoi s’occuper du crime d’un anonyme, qu’elle a de plus pris évidemment la peine de pister ? Je n’en ai aucune idée. C’est une gamine. Sa corpulence est svelte, athlétique. Mais mince. Sa voix n’est pas celle d’une femme âgée, et son agilité encore moins. Une idéaliste ? Quelqu’un de la famille de cette Michelle dont j’étais venu souffler l’âme dans la tempête ?


Je ne savais pas quelles traces j’avais pu laisser derrière moi pour être identifiable de la sorte ; j’avais comme un doute sur ce qu’il s’était passé, sur le matériel que j’avais utilisé ou sur les contacts que je pouvais avoir… A quel moment ça avait pu merder ? Difficile de croire que cette fille m’avait suivi après m’être tombée dessus par hasard. Je n’ai pas envie de faire de victimes collatérales, mais si elle ne remonte pas bien vite par là d’où elle est descendue, je risque bien de ne pas avoir le choix. Ne pas tenir à la vie ne veut pas dire qu’on est prêt à la mort ou à d’autres alternatives… Il y a toujours en moi ce puissant instinct de survie qui me guide, qui me pousse en avant. Je ne saurais pas renoncer. Même devant une fin inéluctable, une mort douloureuse. Il y avait simplement des choses contre lesquelles on ne savait pas lutter.


Je lâche sous le masque, comme par réflexe.


| Personne n’est innocent. |


Je reste de marbre, quand elle se moque de moi. Ca m’en touche une sans secouer l’autre ; je ne suis pas venu pour discuter, et à force de parler on risque de réveiller ma cible dans la pièce d’à côté. On pouvait compter sur la drogue et sa torpeur, mais quand même. Comme tout, ça n’avait de valeur que jusqu’à un certain point… Arrogant, je l’étais sans doute. Téméraire, quoiqu’il en soit. Ca, c’était certain.


Elle est vive. Ses coups de pied dardent vers moi et me cognent dans le pare-balles, me repoussant en arrière avec une expression étouffée sous le choc ; la protection a presque tout absorbé mais reste le recul. Un coup tape dans le genou et m’arrache un grognement de douleur, mais je bloque le coup suivant avec une chaise que je tire contre sa jambe, avant de bloquer son autre pied sous mon aisselle… Et de lui expédier un coup de poing direct en direction menton, au moins pour la dégager. Je la repousse alors violemment, jambe vers le côté.


| C’est ta dernière chance, petite. |


Je grogne en m’avançant à nouveau vers elle, moins fermement campé sur mon genou gauche, touché par son coup dans un angle qui rendait l’attaque violente. Luxé ? Je n’espérais pas.


| C’est pas un putain de jeu, et Michelle va mourir ce soir. T’es pas forcée de la suivre. |

Son masque est agaçant. Oui, véritablement agaçant. Quoi que sa gestuelle puisse m’apprendre, elle ne m’aide en rien à… le voir. Non pas que j’aime particulièrement voir les personnes contre qui je me bats. Enfin si. Je préfère les voir. Les comprendre. Là, j’en suis incapable. Si Batman m’a appris à lire les mouvements, que Dick continue de m’entraîner pour que je puisse anticiper les gestes, mon père lui a fait bien plus. Depuis que je suis gosse, il m’a éduqué pour que je devienne quelqu’un de bien, il m’a guidé pour que je sois assez forte pour agir selon mes principes. Et accessoirement, sans même s’en rendre compte, il m’a aidé à appréhender et à déchiffrer les gens. Bon, je suis très loin d’y arriver aussi bien que lui ou que d’autres, je le sais bien. Mais ça aide quand même. Du coup, son délire de masque est aussi dérangeant qu’ennuyeux. Et frustrant.

Et je suis obligée d’être là. De l’empêcher de s’en prendre une nouvelle fois à une innocente. Parce que je suis là seule à avoir réussi à assembler les éléments, la seule à vraiment m’y être intéressée. Personne d’autre ne le fera. Je sais, c’est sans doute injuste, envers mon père et les quelques flics qui essaient encore d’agir et de s’en sortir, envers Dick et les autres qui continuent de lutter… Mais concrètement, il n’y a pas grand-monde qui essaie d’élucider ce qui peut l’être. On ne peut pas se limiter à intervenir quand on tombe par hasard sur un crime, ce n’est plus suffisant. Tout comme se contenter de survivre ne l’est pas.
Je le fixe en fronçant les sourcils, sans pouvoir m’empêcher de répondre.

« Votre monde doit être bien triste si c’est ce que vous pensez. » C’est totalement inutile de vouloir discuter de cela avec lui je m’en rends compte. « Qui plus est, innocent ou coupable, cela ne signifie pas pour autant qu’ils méritent de mourir. »

Plus ça va, moins je comprends ce que ce monde est en train de devenir. Non, rectification : plus ça va, moins je suis capable de rester inerte et indifférente. Laisser les boss faire, laisser des hommes comme lui agir à leur guise, revient à laisser le mal, la douleur et la peine gangréner ce monde. Mon monde. C’est inconcevable. Et si je tente de les écouter, de les comprendre quelque part, je ne peux pas m’écarter et fermer les yeux.

Il ne reste dès lors qu’une solution, n’est-ce pas ? Je sais que je suis rapide, plus que Dick ou Bruce, plus que celui qui me fait face aussi. Je l’espère du moins. Mon premier coup fait mouche, mais c’est à mon tour de grimacer quand je heurte la chaise. Et je retiens un juron quand il bloque mon pied, tentant de parer son coup, sans y parvenir. Je fais quelques pas en arrière, sonnée, et je me retiens contre le mur en portant une main à mon visage. Merde. Je secoue la tête, la douleur pulsant de plus belle. Mais peu importe. Je suis plus forte que ça, assez forte pour encaisser. D’autant qu’il boite là non ? Je crache le sang qui me remplit la bouche.

« Ça n’a jamais été un jeu. Je ne vous laisserai pas passer. »

Je n’attends pas d’avoir fini de parler pour me rapprocher, levant rapidement le pied pour lui donner un nouveau coup dans le genou.Autant viser le même, si je peux le rendre hors service en le déboitant ou pire, ce serait plus que bien. J’enchaîne sans réfléchir, sans attendre de voir si le coup a vraiment porté, en en donnant d’autres, visant les articulations. Si j’arrive à le bloquer, à l’handicaper suffisamment, je commencerais à réfléchir. Si je peux éviter d’autres coups, ce serait bien aussi, parce qu’il cogne sacrément fort.

Le mérite de mourir. C’était une question vieille comme le monde, quasiment philosophique. Il n’y avait aucune facilité à tuer les gens, quand on parlait de ce qu’il se passait dans la tête d’un tueur. Même le dernier des psychopathes se demande au moins ce qu’il risque. Je n’ai jamais connu de tueur qui vive parfaitement, sans jamais se poser la moindre question sur ce qu’il fait, sur ce qu’il est. Ca ne veut pas dire qu’il hésite, quand il doit passer à l’action. Ca ne veut pas dire que sa conscience, Dieu, ou n’importe quoi d’autre, arrive à retenir sa main. Les tueurs sont ce qu’ils sont. Leur vision du monde n’est ni pire ni meilleure, et parfois même pas différente. Ils font ce qu’ils sont, qu’ils aiment ça ou pas. Qu’ils l’assument ou pas. Combien sont capables de se vanter de ce qu’ils ont commis au fil des ans ? Bien peu, en vérité.


Allez faire comprendre à la rouquine qu’elle se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude, et qu’elle devrait vite rentrer téter sa mère.


L’action est rapide, les attaques relevées. Il n’est pas question de cogner l’autre pour lui faire changer d’avis sur l’existence, il s’agit de le punir, de le contraindre à la fuite ou à la reddition -et sinon la mort-. Nous interposons objets et coups pour parer ceux de l’adversaire. J’arrive à la repousser. Rapide et agile, mais il n’y a pas encore dans tout ce talent de quoi compenser près de vingt ans d’expression de l’instinct de mort. Je devais avoir tué mon premier mec qu’elle n’était pas encore à l’école. Etait-elle seulement déjà née ? Pas de beaucoup. Je suis plus dur, parce que je sais ce que je risque, mieux, mon corps lui, se prépare déjà à la dérouillée. Plus d’espoir et plus de limites, le tout servi par un professionnalisme que l’Oncle Sam prend plaisir à appuyer de par le monde.


La rouquine crache du sang et se replace, mais me dit qu’elle ne me laissera pas passer.


| Alors paies-en le prix. |


Je n’avais pas envie de la tuer, mais si je devais le faire, je le ferais. J’ai vu son coup d’œil vers mon genou, et je bloque le coup suivant en me rapprochant brutalement d’elle. Son coup porte sur la cuisse, mais l’autre me plie de côté de douleur. Mon point ganté vise alors le plexus, la poitrine et le cou alors que je poursuis ces attaques avec force et vigueur. Un autre coup me cueille sur la main et je grogne sous le masque.


| Bientôt, ça sera trop tard. Je n’ai rien contre toi, bon sang. Ecartes-toi ! |


Cri de rage et de frustration quand je tire le couteau, que je tiens lame le long de l’avant bras, les deux poings relevés.


| Je n’étais pas venu pour toi. |


Je répétais cela comme un mantra.

Je suis heureuse d’être parvenue à mettre les indices bout à bout, d’avoir réussi à comprendre son modus operandi, à défaut de le comprendre lui. Je suis soulagée même, de ne pas m’être trompée, d’être ici pour pouvoir protéger une innocente. Même si je ne comprends toujours pas le pourquoi. Je sais bien que les sociopathes n’ont en général guère besoin de raison pour agir, et vu la pléthore de cinglés qu’on cumule ici, plus rien ne devrait nous étonner. Et ça ne m’étonne pas vraiment, je suis simplement fortement agacée. Et déboussolé, paumée, en colère, indignée et j’en passe, de me rendre compte qu’il n’y a vraiment pas de raison derrière toute cette violence et ces crimes. Juste une volonté et une envie, juste pour montrer qu’ils veulent et qu’ils peuvent. La loi du plus fort. Encore et toujours.
Alors non. Jamais je ne pourrais laisser faire.

J’enchaine les coups, et je sais que je vise juste, tout comme je sais que je lui fais mal. Encore heureux après les années au dojo et les entraînements avec Batman et Nightwing. Mais je sais aussi que ce n’est pas suffisant. Une partie de moi regrette maintenant de ne pas avoir prévenu Dick, à deux, on aurait été plus efficaces. On bosse plutôt bien ensemble, sans se marcher sur les pieds… Et surtout, il aurait pu lui tenir bien plus facilement tête. Mon poids plume encaisse beaucoup moins bien que ne l’aurait fait Dick faut bien le reconnaître. Encore que ça, ce n’est pas si important. Je peux supporter la douleur et la dépasser pour continuer. Mais vu ses réactions, lui aussi, et sans doute plus que moi vu le gabarit. Et vu tout ce que j’ai appris sur lui.

J’inspire, le regard rivé sur lui alors que ma mâchoire pulse à m’en donner mal au crâne. Mes poings se serrent à nouveau et je reprends position, attaquant de nouveau. J’aurais dû parier que je serais pas assez discrète. Je grogne quand il bloque mon coup, mais je continue. Je pare comme je peux les siens, esquivant autant que possible, tout en lui poursuivant mes attaques. Je sais que je serais couverte de bleus et que j’aurais du mal à bouger demain, mais je n’y prête même plus attention tant je suis passée en mode automatique, rendant coup pour coup, essayant de le blesser et de le mettre hors d’état. Avant de l’être en première.

Ce qui est quand même mal barré. Je commence à avoir du mal à respirer, espérant juste que ce n’est que le résultat d’un de ses coups à la poitrine et non le résultat d’une côte cassée qui frôlerait un peu trop un poumon. Oui, j’aurais mal et je le sentirais. Sauf que j’ai momentanément éteint l’interrupteur douleur là. Enfin non. Mais j’ai mal un peu partout alors je n’y prends pas garde. Et c’est pas le moment.
Je me crispe en voyant le couteau, changeant de position sans y penser pour faire face à cette nouvelle donnée.

« Alors allez-vous-en. Foutez le camp et laissez-la. »

Je me tiens prête à parer son arme, regrettant une nouvelle fois de ne plus vraiment avoir de joujoux, et mon genou repart pour le faucher. Je ne peux pas m’arrêter et le laisser faire. Quand bien même n’ai-je pas d’armes face à lui, quand bien même fait-il deux fois mon poids.
Je ne m’arrêterais pas.

Le duel est forcément violent. On ne se met pas entre Mirror et sa mission. Je suis un Navy Seal, même encore maintenant. J’étais formaté pour obéir aux ordres, pour suivre la mission quoiqu’il en coûte. Je ne pouvais pas dire que je n’avais pas parfois dû abandonner… Mais ce n’était resté qu’épisodique. Il n’y avait jamais eu de mission purement et simplement abandonnée en dehors d’une seule : celle menée avec le Suicide Squad. Je n’y étais attaché ni par conviction et devoir, ni par loyauté. Je n’avais alors cherché qu’à sauver ma peau sitôt que les paramètres foireux du truc avaient achevé de me pousser à déserter. Aujourd’hui, je n’étais absolument pas dans la même considération. Dans la même perspective. Aujourd’hui, je bossais en solo. Et j’étais là pour une raison qui touchait à la vie et à la mort. La jeune rouquine pouvait y faire ce qu’elle voulait ; ma proie était condamnée. A moins qu’elle ne me tue. Est-ce qu’elle avait ça en elle ? Je n’y croyais pas. Je ne le voyais pas dans ses yeux, dans son attitude. Les choses auraient pu bien se passer pour elle, si elle avait écouté ce que je lui avais dit.


Lentement mais sûrement, nous avancions en direction du point de non-retour.


Le duel continue. Elle a pris cher, déjà. Mon genou aussi. Mais j’ai le dessus. Malgré tout son courage et son entraînement, il n’y a quelque chose qu’elle ne peut pas acheter ; une vie à tuer des gens, et à sauver sa peau. Il faut aller plus vite et plus fort. Avec cruauté, cogner là où ça fait vraiment mal, là où ça handicape, où ça perturbe. Elle apprendra si elle vivra. En attendant, elle doit subir.


Elle le fait avec talent et détermination. Je dois bien le noter. Je n’aurais jamais pensé douiller autant face à une gamine. Mais on doit le sentir dans nos tripes à tous les deux maintenant. Les coups commencent à porter et je sens quelque chose craquer dans son torse, contre les jointures d’un poing serré. Le couteau arrive pour couper court aux débats. Je ne réagis pas à sa dernière imprécation.


| Non. |


Mot à peine soufflé que déjà la bagarre reprend. Je prends plusieurs coups dans le masque mais malgré ses tentatives, je ne perds pas le couteau. Alors qu’elle parvient à se hisser contre moi, à m’étrangler à moitié, je lui envoie l’arrière de mon crâne en pleine tête. La hissant par le col contre le mur, la lame darde directement dans son épaule, et s’y plante dans un grand bruit quand la lame perfore sa peau et la cloison derrière. Elle est clouée au mur, sa combinaison baignant de sang. Je reste là, contre elle, haletant, main gauche contre son cou, l’autre contre la lame. Je laisse retomber la tête contre son cou alors que je reprends mon souffle.


| Tu l’as voulu… |


Je retire ma lame, la laisse retomber au sol, et fais bonne mesure en lui envoyant le pommeau en plein contre l’arcade. Satisfait de la neutralisation de mon adversaire sans l’avoir tuée, je titube à cause des coups reçus.


La cible s’est réveillée.


Ce n’est pas grave. Elle n’a pas le temps de hurler. Main gantée sur sa bouche, j’étouffe son hurlement et la lame passe sous son diaphragme. Je souffle « chhhht » contre sa bouche, alors qu’elle agonise devant mon masque.


Mission accomplie.

Pas venu pour moi. Ce n’est pas la première fois, mais c’est presque toujours surprenant quand un "méchant " vous sort ça, comme pour s’excuser, comme si ma vie avait plus d’importance qu’une autre ou comme s’il était prêt à tuer certaines personnes, mais pas d’autres. Mais ça n’a aucune importance, qu’il veuille me combattre ou non. Je ne peux pas le laisser faire, il lui faut donc bien m’affronter. C’est bien l’une des raisons qui a convaincue Batman de me laisser travailler avec eux non ? Je veux me battre, parce que je le peux. Si je peux agir, défendre, protéger, je dois le faire. Il n’y a rien de plus simple, ni de plus évident.

Enfin, ce n’est pas parce que la motivation ou la raison est évidente que ça en devient facile. Et ce combat n’a rien de facile. J’ai l’impression de me retrouver face à Bruce, essayant de toujours frapper plus vite, de frapper plus fort, sans que cela ne me suffise pour autant à réellement prendre l’ascendant sur lui. C’était rageant, douloureux et rageant, mais stimulant, me forçant à me dépasser, à toujours m’améliorer, à ne jamais me reposer sur mes maigres connaissances. J’ai appris à encaisser, bien plus que je ne l’aurais pensé possible, à ignorer les craquements de mes os et à endurer la douleur. J’ai appris où frapper, sous quel angle, à augmenter ma vitesse et mes réflexes. Ça m’avait poussé a vouloir plus, toujours plus, pour devenir forte, assez forte pour être capable de tenir mes promesses, pour être en mesure d’assumer ma volonté de protéger cette ville et ses habitants.  

Sauf que je ne le suis toujours pas assez. Mes coups portent, mais je ne parviens ni à le blesser suffisamment, ni à lui faire lâcher son arme. Un grognement m’échappe quand je me prends son crâne dans la mâchoire, et je laisse filer un cri quand il parvient à utiliser sa lame contre moi. Le regard flou, la respiration momentanément coupée, ma main se pose sur la sienne, sur le manche, alors que l’autre essaie encore de défaire sa prise sur mon cou. Non. Je peux pas… Reprends-toi !
Mais je n’en ai pas le temps. La lame me fait aussi mal en sortant qu’en entrant, et je tombe à genou. Relève-toi.  Une multitude d’étincelles vient me brouiller la vue, alors que la douleur m’explose dans le crâne, et je m’écroule au sol. Relève-toi. Debout. Je tente de ramener une jambe, mais ne parviens qu’à me relever de quelques centimètres avant que la douleur ne reprenne le dessus.
La tête me tourne et toute mon épaule me brule atrocement, rendant chaque pulsation de mon cœur insoutenable. « Non » Ce n’est qu’un souffle, à peine audible, quand je le vois, au travers le voile de sang qui me macule le visage, s’en prendre à la civile. J’inspire et tente une nouvelle fois de bouger, mais chaque coup reçu semble enfin réclamer son dû, et je ne parviens qu’à garder vaguement conscience, les larmes aux yeux. Autant de rage que de douleur, mais cela importe peu. Elle s’écroule. Elle s’écroule et il va partir. « Vous vous en tirerez pas comme ça. Vous pouvez pas… » Ouais, ça aurait été vachement plus convaincant si je n’étais pas à peine consciente sur le sol, parlant en mode Dark Vador. Je tente une nouvelle fois de me relever. Et j’y parviens, ma main allant enserrer mon épaule après avoir essuyer le sang qui me coule de la tempe. Je peux pas le laisser partir. Sans réfléchir, de nouveau, je me précipite sur lui, même si je n’arrive pas à bouger mon bras et que je vois des étoiles.

Je fais ce que je peux pour la démolir. Pas parce que je le veux, mais parce que je n’ai pas le choix. La rouquine ne m’a rien fait. Pour ce que j’en sais, elle n’a jamais rien fait à personne. Mais je m’en fiche. Ce n’est pas ça l’important. L’essentiel, c’est qu’il y a des défenses qui se placent entre moi et l’objectif. Je me rends bien compte que je n’ai pas d’autres choix que de devoir l’éliminer. Seule compte la mission. Comme toujours. Je suis formaté pour ça. Alors je tire la lame. Quand l’une des parties prenantes d’un combat se met à dégainer une arme qui peut abattre l’autre en quelques instants par un coup bien placé, alors c’est trop tard pour rationnaliser l’événement. On ne peut plus revenir en arrière. Les types qui en arrivent là sont en général obligés d’aller jusqu’au bout, et ça se finit donc le plus souvent dans la mort. Au moins de l’un des deux.


Je vous laisse deviner qui partait désavantagé…


Mais rien n’est jamais gagné. Un réflexe trop lent, un mouvement malheureux, et tout risquait de partir à vau l’eau. Je n’étais pas venu pour mourir. Pas maintenant, pas dans ce genre de mission. Elle était importante, primordiale même, quelque part. Mais je savais encore niveler ma folie par l’intérêt que je devais porter aux cibles prioritaires et à celles qui l’étaient moins.


Les coups pleuvent, alors, puisqu’est venue l’heure de faire couler le sang. Le monde tourne autour de nous, et déplace le centre de gravité des combats près des murs. L’enchaînement est aussi brutal qu’implacable et tout y passe alors ; des coups à la lame qui, funeste, vient la planter. Je suis sur la victime dans son lit, qui se débat. Mais à mesure que je serre, son reflet renvoie une image désespérée qui l’emporte en quelques longs instants passés à feuler, griffer, se débattre, et enfin, partir. Jusqu’à ce que le corps ne se détende. Ne se relâche. Et qu’elle ne bouge plus. Je me redresse, haletant. Repositionne mon masque. Range ma lame, après l’avoir essuyée sur les draps. Et je me retourne vers la rouquine masquée, qui…


Qui me tombe dessus.


Mais dans son état, c’est facile. J’ai pris l’ascendant, c’est trop tard pour elle.


Je la renverse. La jette sur le lit, près de la morte. Je suis à deux doigts de lui retirer son masque, alors qu’elle saigne déjà abondamment et qu’elle a l’air de ne pas être loin de défaillir. Je serre son cou, un rien. Ma main remonte sur son visage, se fige sur son masque alors que je la dévisage au travers de ses cheveux collants de sang. Je range ma main. Chacun son identité.


Moi, c’est Mirror. Je souffle contre son masque, si proche…


| Si, je peux. Ouvre les yeux, petite. Je pourrais te faire ce que je veux, là. Si j’étais ce genre de gars. |


Mes doigts gantés soulignent son épaule, évitent ses seins, frôlent son bassin.


| Je pourrais, tu comprends ? Tu es brisée. |


Je tire le drap de côté, en déchire un large pan, pour venir serrer son épaule et la comprimer.


| Seule la mort met fin au devoir, petite. |


Affaiblie et incapable de bouger pour un moment, je l’abandonne derrière moi et glisse vers les ténèbres du dehors, remontant en rappel par là où je suis entré, sans un regard en arrière.

J’aurais dû prévoir, j’aurais dû anticiper. Je suis douée pour ça normalement. Je n’avais peut-être pas eu assez d’éléments pour me rendre compte, mais…J’aurais dû voir qu’il s’agissait bien plus qu’un simple cinglé se prenant pour un ange exterminateur. Il y avait trop de méthode dans sa façon de faire, les meurtres étaient trop propres, trop ciblés, ça aurait dû m’alerter. Même les gangs n’ont pas forcément un tueur aussi… entraîné, et ils ne sont pas aussi regardants sur les dégâts collatéraux… En vérité, si j’accepte d’être objective, ce que je serais plus tard, mais pas maintenant, j’aurais pu le voir. Trop de conditionnel, mais oui, j’aurais dû savoir. Venir seule était stupide. Trop inconscient pour être considéré comme courageux et non comme stupide. Pas suicidaire non plus, parce que je me défends, j’en suis capable. Seulement…
Seulement j’ai beau enchaîner les coups, les siens sont plus puissants. Et j’encaisse moins bien que lui. Fait chier. Foutue armure. Ancien militaire ? Il fait trop sombre pour que je puisse vraiment reconnaître l’origine de sa tenue, et il ne m’en laisse guère l’occasion de toute manière. J’ai du mal à placer des coups en parant les siens, c’est pas vraiment le moment… Même si une petite voix me souffle que Bruce lui arriverait à faire les deux en même temps. Mais bon… c’est Batman. Normal quoi. Et je songe à nouveau vaguement que Dick ou Jason parviendrait sans doute mieux à le bloquer et l’arrêter. Et dire que cette pensée, si éphémère soit-elle, m’agace plus qu’autre chose.

Sauf qu’être agacée ne suffit pas, je le saurais depuis longtemps sinon. Ça ne suffit ni à le battre, ni à faire disparaître la douleur quand il me poignarde. Je reconnais que là, j’ai un peu de mal à en faire abstraction, sans parler du coup suivant. C’est pas faute d’essayer pourtant. Mais je sais aussi que l’entraînement ne fait pas tout, pas toujours. Pas plus que la rage ou la colère qui habitent certains. Je suis têtue, bien trop têtue pour mon propre bien. Quelle que soit la mission ou l’issue, j’ai toujours su que laisser tomber ou fermer les yeux reviendrait à reconnaître que je n’en suis pas capable, à abandonner.

Je ne sais pas abandonner.

Mes poumons me brûlent, tout comme mon épaule, et le sang me brouille la vue aussi certainement que les taches noires qui dansent devant moi, mais je suis debout.
… Pas pour longtemps certes. Je grogne quand il me renverse, me débattant quand il me bloque sur le lit, encore davantage quand sa main s’approche de mon masque. Mais il s’arrête seul. À quoi il joue ? Et je me tends sans même m’en rendre compte alors qu’il reprend la parole. Je lui aurais bien craché à la gueule sans ce foutu masque, mais c’est un frisson qui m’échappe en sentant ses doigts me frôler. Connard. Et je me fige.

Brisée. Je sens le corps de la femme à côté de moi, la chaleur qui en émane encore. Elle est morte à cause de moi. Je sens les larmes me monter aux yeux.
Il croit m’avoir brisé ? Est-ce que je suis brisée ? Est-ce que je suis si faible ?
Non. Lui, c’est lui qui l’a tué. Je n’ai pas été assez forte, mais… c’est lui. « Allez vous faire foutre. » Je souffle ces quelques mots d‘une voix presque douce, les mâchoires serrées, le regard rivé sur lui.

Non, je respire, je suis en vie. Il ne me connaît pas.

Je n’ai pas la force de réagir et je le laisse me faire un bandage de fortune sans le quitter des yeux. Je ne le comprends pas, mais peu importe. Dans l’immédiat, ça ne compte plus.

Si la mort seule peut le faire cesser, alors je le tuerais.

Je cille alors même que cette pensée m’affleure, la rejetant aussitôt. Même si elle revient quand je me redresse difficilement et que mon regard se pose sur le corps inerte à mes côtés. Je ferme ses yeux avec douceur. « Je suis désolée… Tellement désolée… » Je la recouvre du drap, songeant vaguement que personne ne va la trouver avant bien trop longtemps, que personne n’en aura rien à faire. Ma gorge se serre de nouveau et je m’éloigne d’elle pour sortir à mon tour.

Brisée ?
Peu importe qui il est ou ce qu’il croit. Il se trompe. Je le trouverais à nouveau, et je l’arrêterais.

Barbara Gordon. Batgirl. Ce ne sont peut-être que des noms… Des certitudes, des évidences, des vérités, appelez ça comme vous voulez. Mais ce sont les miens.